Introduction
Le manque d’AP constitue désormais la quatrième cause de mortalité parmi les maladies non transmissible (GBD, 2015) et revêt un enjeu sanitaire majeur (Guthold, Stevens, Riley & Bull). Face à ces constats alarmants, la littérature ne cesse de souligner l’importance d’adopter un mode de vie physiquement actif, pierre angulaire d’un état de santé équilibré (Ekelund et al., 2016). Ces recherches amènent les politiques publiques à s’engager dans un objectif ambitieux : promouvoir l’AP en favorisant l’accessibilité à diverses opportunités de pratiques (AP à l’école, gymnases, pistes cyclables ou autres actions de sensibilisation) (Deguilhem & Juanico, 2016).
Pourtant, il semble exister un décalage entre les ambitions des services publics et les comportements d’AP réels des citoyens. En effet, le niveau mondial d’inactivité physique (IP) ne diminue pas et ne cesse de croître dans les pays à fort PIB (Produit Intérieur Brut), rendant de moins en moins probable l’atteinte des objectifs de diminution de l’IP en 2025 (Guthold et al., 2020). En France, des études épidémiologiques montrent que les citoyens ne semblent pas suffisamment saisir les opportunités d’accès à la pratique d’AP dans leur environnement (Chaix et al., 2019), notamment chez les enfants et les adolescents (Salze, 2013). Autrement dit, offrir des opportunités d’AP ne semble pas forcément inciter à une pratique suffisante et il convient d’en étudier plus précisément les processus d’accès.
Ces problématiques d’AP, d’IP et de sédentarité peuvent notamment s’expliquer par un manque de temps (pour 60% des individus) (Embersin, Chardon & Grémy, 2007). L’accélération sociétale de nos modes de vies (Rosa, 2014) semblent masquer les opportunités de pratique mises à disposition par les politiques publiques en orientant les perceptions vers d’autres préoccupations favorisant l’IP. Ces non-perceptions des opportunités de pratique d’AP sont accentuées par les périodes de bouleversements temporaux, comme les périodes de transition de vie avec le changement d’école (primaire vers collège ou lycée vers université), d’environnement (déménagement) ou de phase de vie (enfance vers adolescence) (Allender, Hutchinson & Foster, 2008 ; Gropper, John, Sudeck & Thiel, 2020 ; Remmers et al., 2020).
Plus particulièrement, la période de transition allant de l’adolescence vers l’âge adulte est une tranche de vie essentielle puisque l’AP pratiquée à l’adolescence est déterminante dans l’adoption d’un mode de vie physiquement actif (Varma et al., 2017). L’entrée dans l’âge adulte représente également la fin de l’éducation à l’AP obligatoire par l’enseignement de l’EPS scolaire alors qu’il s’agit d’un temps d’AP essentiel pour de nombreux adolescents (Müller et al., 2018). L’enjeu de persistance dans l’AP semble essentiel lors de ce passage d’un mode de vie à un autre. Toutefois, si la littérature s’accorde majoritairement sur le constat d’une chute d’AP lors des périodes de bouleversements temporaux, aucune étude n’a encore quantifié et qualifié l'évolution de la distribution de l’AP dans les différents temps et espaces lors de la transition vers l'âge adulte.
L’objectif de cette méthodologie n’est pas seulement d’identifier les durées de pratique ou les cycles d’activités, mais de les relier aux évolutions spatio-temporelles des opportunités de pratique qui donnent sens aux individus. Ainsi, nous proposons une méthodologie qui analyse les temporalités sociales tout en cartographiant l’espace public afin d’y associer des temporalités et des espaces propices à une AP ou une IP. Nous proposons un travail de « particularisation du temps » afin de reconstruire les « équations temporelles personnelles » (Grossin, 1996) des adolescents lors de leur transition vers l’université, permettant de comprendre les choix de chacun dans un environnement opportun. Ainsi, nous proposons un suivi longitudinal sur deux années (Bac-1/Bac+1), avec une mesure durant sept jours par accélérométrie, GPS et questionnaires. Cette méthodologie a pour objectif d’identifier d’une part les temps et espaces sociaux qui sont déterminants dans l’évolution de l’AP et d’autre part de déterminer des clusters d’individus dans leur rapport entre AP et temps-géographique.
En s’inscrivant dans une perspective écologique du développement humain (Bronfenbrenner, 1979), adapté à l’AP (Bauman et al., 2012), nous envisageons l’AP et l’IP sous l’angle d’une complexité spatio-temporelle. Les apports théoriques du temps-géographique (Hagerstrand, 1970) nous amènent à envisager non pas une vision biomédicale de l’AP, mais un point de vue épidémiologique telle une mise en mouvement dans un environnement spatial, temporel et relationnel donné. Nous dépassons également une vision temporelle du temps (chronos) afin de privilégier l’idée du temps opportun (kairos). En d’autres termes, nous reprenons à notre compte l’idée du passage d’un temps quantitatif à une temporalité qualitative, distinguant différents temps d’AP, d’IP et de sédentarité (Élias, 1996). Ces ancrages théoriques nous permettent de comprendre les processus d’identification et de saisie des opportunités de pratiques dans une relation temps-espace, en ciblant une période où l’AP se réorganise vers un choix de mode de vie physique plus ou moins actif.
Nous émettons l’hypothèse que la distribution spatio-temporelle de l’AP dépend du profil des adolescents. Les « actifs » (AP>2h/j) optimisent les temps sociaux et l’espace public en faveur de l’AP (loisirs, transports), mais nous observons une diminution de l’AP intense lors du passage à l’université. Les « suffisamment actifs » (AP>1h/j) pratiquent de l’AP en EPS scolaire et dans des temps de pratiques encadrées ou autonomes (club ou pratique personnelle), mais ils n’exploitent que partiellement les installations sportives et leurs déplacements actifs n’ont lieu que dans un rayon proche de leur domicile. Lors de la transition vers l’université, leur AP diminue en quantité et intensité et ne se retrouve que dans les modes de transports actifs (vélo). Enfin, les « insuffisamment actifs » (AP<1h/j) ne pratiquent de l’AP qu’en EPS, qui est donc leur seul temps social d’AP. Lors du passage à l’université, ces adolescents abandonnent l’AP.
Méthode
Participants
Les participants sont recrutés dans des lycées francophones pour une étude longitudinale sur deux années (bac-1/bac+1). Les participants volontaires sont sélectionnés selon une double stratification : le genre et la zone géographique de résidence (urbain, péri-urbain et rural). Ils renseignent un questionnaire permettant de recueillir des informations sociodémographiques. L’étude dure sept jours consécutifs et les participants sont contactés tous les deux jours par SMS afin de s’assurer de la continuité de l’étude (Sirard & Slater, 2009).
Accéléromètres pour mesurer la quantité et l’intensité d’activité physique
Les participants portent un accéléromètre tri-axial de type ActiGraph GT3X (ActiGraph LLC, Pensacola, Florida) sur leur ceinture non dominante pendant sept jours (sauf pour les activités aquatiques et le sommeil). Cet accéléromètre permet de déterminer le mouvement selon les trois axes orthogonaux à une fréquence d'échantillonnage de 30 Hz. Les périodes de port sont calculés selon l'algorithme de Troiano (2007). Nous conservons une epoch de 10 secondes1. Nous excluons les participants qui n’ont pas portés l’accéléromètres un minimum de 10 heures par jours pendant au moins quatre jours (Vanhelst, 2019). L'algorithme de Freedson, Melanson et Sirard (1998) nous permet de déterminer les seuils d'intensité (LMVPA). Les données imprécises sont analysées manuellement à l'aide du CentrePoint du logiciel ActiLife.
GPS pour mesurer les déplacements dans les environnements propices à l’activité physique
Figure 1 - Exemple de tracé GPS d’un sujet croisé avec l’intensité d’une AP (source : ActiLife)
Les participants sont équipés d'un GPS avec un enregistreur de données intégré (Qstartz BT Q1000XT International Company Ltd., Taipei, Taiwan). Il permet d’identifier les espaces visités par le participant tout au long de l’étude. Le GPS (un point toutes les cinq secondes) est porté en permanence selon les mêmes conditions que l’accéléromètre. L’analyse croisée et simultanée des données des accéléromètres et des GPS nous permet d’obtenir une carte des comportements d’AP de chaque individu en précisant les intensités (figure 1) (Chaix et al., 2016, 2019 ; Perchoux, Chaix, Cummins & Kestens, 2013).
Afin de mettre en relation l'intensité des déplacements avec l'environnement spatial exploité par chaque participant, nous procédons à une cartographie en trois étapes. Tout d'abord, une procédure de géo référencement consiste à spatialiser les individus en collectant les adresses postales des foyers et des lieux d'étude. Ensuite, à l'aide de la base de données RES (Recensement des Équipements Sportifs) et des cartes IGN (National Geographic Institute), nous cartographions respectivement les lieux d’AP et les espaces liés aux modes de transport actif (les sentiers, les passages pour piétons ou les pistes cyclables). Dans une troisième et dernière étape, nous transposons les mouvements de chaque individu et leurs intensités sur la carte des espaces publics aménagés. Nous obtenons alors une cartographie où nous pouvons observer les espaces de résidences, d'études et ceux prévus dans l'AP en fonction de l'intensité des déplacements des participants. Les données relatives aux déplacements sont classées en deux catégories : « déplacements actifs dans un lieu désigné » et « déplacements actifs dans un lieu non désigné » selon que les opportunités de pratiques dans l’environnement soient saisies ou non lors des pratiques d’AP.
Agenda quotidien pour mesurer les temps sociaux
L'utilisation d'un agenda numérique permet d'obtenir des informations sur les activités sociales menées quotidiennement par les participants. L'agenda numérique est complété chaque soir avant d'aller se coucher (2 à 5 min/jour). Les participants à l’étude répondent à une série de 13 questions organisées en cinq dimensions (journée scolaire/non scolaire et avant/pendant/après l’école) permettant de reconstruire son emploi du temps quotidien. Ces questions identifient les temporalités sociales (De Baere, Lefevre, De Martelaere, Philippaert & Seghers, 2015 ; Klinker, Schipperlijn, Kerr, Ersboll & Troelsen, 2014) : domicile, transport, activités scolaires, activités de loisirs, activités rémunérées, devoirs, repas, tâches ménagères, repos. L’utilisation d’un agenda permet à la fois de les quantifier et de les qualifier en termes d’AP. Cet outil permet aussi de compenser les limites des mesures accélérométriques (activités de natation ou de musculation) (Butte et al., 2017).
Discussion
En empruntant des méthodes issues de l’épidémiologie et de la géographie, cette méthodologie d’analyse du temps-géographique permet de comprendre l’évolution des comportements humains en termes d’AP, d’IP et de sédentarité lors d’une transition de vie. Une analyse de la distribution spatio-temporelle de l’AP permettrait d’orienter les pistes de réflexions aux décideurs de l’éducation à la santé afin de mieux comprendre le processus d’identification et de saisie des opportunités de pratique. Cette méthodologie dépasse l’analyse des lieux exclusivement résidentiels afin d’envisager des multi-lieux plus complets qui prennent en compte des multiples temporalités d’AP quotidiennes (Perchoux et al., 2013).
Cette étude permet de mesurer la distribution de l’AP des adolescents en termes d’opportunités de pratiques journalières et mesurer l’effet de la transition vers l’âge adulte dans la répartition de l’AP, de l’IP et de la sédentarité. Employer une méthodologie qui permet de quantifier et qualifier l’AP par le temps-géographique permettrait de repenser l’éducation à la santé afin de, notamment, réduire les inégalités d’accès à la pratique d’AP et d’en favoriser les comportements résilients lors d’une période charnière dans la construction de soi.
Des nombreuses études comparatives émergent et montrent l’impact d’une préoccupation culturelle dans la distribution de l’AP et de l’IP (Kalman et al., 2015 ; Lera-López & Marco, 2018). En présentant une méthodologie multidisciplinaire, nous encourageons les études qui interrogent les usages d’accessibilités aux opportunités de pratiques dans l’environnement (bâti, social, perçu) (Waters, Cross & Runions, 2009).