Introduction
A l’Université de Liège, les constats de terrain combinés aux savoirs scientifiques nous ont amené à nous interroger sur la formation des futurs enseignants en éducation physique en gymnastique artistique. En effet, l’attrait pour cette discipline en milieu scolaire semble décliner sévèrement. Notre crainte est d’entrer dans un cercle vicieux (figure 1) où la gymnastique artistique serait progressivement évincée des programmes des cours d’éducation physique.
Notre souhait consiste donc à proposer des solutions afin de transformer le cercle vicieux en un cercle vertueux où les étudiants se sentiraient plus à l’aise avec la discipline. Le fil conducteur de notre étude est en lien direct avec l’axe thématique 2 du colloque ARIS 2020 (Vers une éducation physique de qualité : quelles pratiques et perspectives ?) dans le sens où nous nous interrogeons sur comment rendre les cours plus attractifs tout en étant efficaces pour la formation des futurs éducateurs physiques.
La classe inversée représente un exemple de pédagogique active. Selon Crahay (2005), les élèves sont capables d’apprendre mais à des rythmes différents. La méthode de la classe inversée offre ainsi une mise à jour individuelle qui permet ensuite aux élèves de réaliser des tâches d’un niveau plus complexe lors du retour en présentiel. Cette manière de fonctionner semble très intéressante dans un milieu hétérogène comme celui de l’enseignement. En effet,
Figure 1 : Cercles vicieux et vertueux limitant ou favorisant la mise en place de la gymnastique en milieu scolaire
Tardif (2005) ajoute que la disponibilité de l’enseignant en présentiel permet d’offrir des parcours d’apprentissage qui s’inscrivent dans une pédagogie différenciée. Strayer (2012) semble particulièrement recommander cette méthode dans un contexte plus avancé tel que le milieu universitaire. Progressivement, ce concept initial évolue grâce à la diversité des activités programmées à distance avec toujours pour objectif de redonner du sens à la partie dispensée en présentiel (Lebrun, Gilson & Goffinet, 2016).
Dans le domaine plus spécifique de la pratique de l’éducation physique, traité par Hattie et Yates (2013), une amélioration des connaissances à domicile permettrait un engagement plus intense sur le terrain. En outre, les interactions entre les élèves seraient favorisées car un temps plus important serait accordé aux tâches de coopération (Bischop & Verleger, 2013). Hattie (2008) insiste également sur le fait que les relations élèves-enseignants sont de meilleure qualité. Cet environnement positif de travail serait propice à l’apprentissage.
Se basant sur la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002), Cloes (2017) a proposé cinq grands principes méthodologiques par lesquels les éducateurs physiques pouvaient augmenter la motivation des apprenants. Il les a associés à l’acronyme PAMIA (tableau 1).
Tableau 1 : les principes du PAMIA (Cloes, 2017)
P |
Plaisir |
Donner du sens à l’activité et augmenter le plaisir |
A |
Apprentissage |
Respecter le principe de délicieuse incertitude (70 à 80% de réussite) Individualiser (niveau +1, niveau -1, objectifs individuels) |
M |
Mouvement |
Créer des activités et des situations qui mènent les apprenants à se mobiliser et ainsi augmenter la dépense énergétique |
I |
Interaction |
Augmenter les interactions avec les pairs, l’enseignant et l’environnement |
A |
Autonomie |
Donner aux apprenants la possibilité de prendre des décisions |
Suite à l’analyse de la littérature, nous nous sommes intéressés aux approches actives puis questionnés sur les méthodes pédagogiques intégrables dans la formation en éducation physique. L’approche de la classe inversée nous est apparue intéressante, de même que l’intégration de la notion de l’auto-évaluation. Ces différentes démarches sont intégrées dans un fascicule pédagogique. Les questions de recherche posées sont les suivantes : (1) Quel est l’avis des étudiants concernant le principe du PAMIA ? (2) Comment vivent-ils les principes du PAMIA dans le cadre du cours de gymnastique ? (3) Quelles adaptations permettraient une amélioration du ressenti des principes du PAMIA ?
Méthodologie
Présentation de la population
Nous nous sommes intéressés aux étudiants du bloc 2 du bachelier en Sciences de la motricité de l’Université de Liège. Le groupe est composé de 22 garçons et 4 filles, âgés de 19 à 23 ans au moment de l’étude. Afin de garantir l’efficacité des cours pratiques, le groupe a été scindé en deux (groupe 1 : 3 filles et 9 garçons ; groupe 2 : 1 fille et 13 garçons). Les étudiants suivent le cours de gymnastique à raison d’une fois 1h15 par semaine tout au long de l’année académique (23 séances). Il s’agit du deuxième cycle de cette discipline sportive dans leur formation. Ses objectifs sont le renforcement des habiletés de base travaillées lors de la première année ainsi que l’apprentissage d’éléments plus complexes. A côté des aspects moteurs, cet enseignement vise également le développement de la capacité des étudiants à détecter les erreurs d’exécution et la mise en place de situations appropriées pour les corriger. Le formateur fait également partie des sujets. Il a pratiqué la gymnastique pendant plus de 10 ans et dispense cet enseignement depuis 2004.
Les outils de récolte des données
Afin de répondre à nos questions de recherche concernant les principes du PAMIA, le responsable du cours a été invité à compléter, avant chaque séance, un questionnaire visant à déterminer la mesure dans laquelle il estime que les cinq principes seront respectés, sorte de pratique réflexive préséance. Le questionnaire est composé de dix items (deux par principe PAMIA). Au moyen d’échelles de Likert graduées de 0 à 5, il permet de recueillir l’avis de l’intervenant quant à la manière avec laquelle sa leçon devrait respecter chaque principe (figure 2). En fin de séance, l’enseignant complète systématiquement un document semblable afin de fournir son ressenti sur la séance vécue. De leur côté, à l’issue de chaque séance, les étudiants répondent à ce même questionnaire adapté à leur population. Chacun des questionnaires comprend également un espace « Remarques ». Les données récoltées via les questionnaires ont été encodées dans un fichier Excel afin de procéder à une analyse des cinq items pour chacune des leçons.
Figure 2 : Appréciation des principes « PAMIA »
Pour compléter les données et valider les informations collectées, des entretiens semi-structurés ont été conduits auprès des étudiants en fin de premier et de second quadrimestres. Les trois grandes thématiques abordées étaient : (1) le principe du PAMIA ; (2) la mise en application du carnet de cours et, (3) le cycle de gymnastique en général. L’ensemble des entretiens a été retranscrit verbatim et a fait l’objet d’une analyse classique de contenu où chaque idée s’est vu octroyer un code, les codes similaires étant ensuite regroupés en métacodes. La fidélité des analyses a été mesurée au moyen du calcul des pourcentages d’accords selon Bellack. Elle atteint 90,8% en intra-analyste et 86,2% en interanalystes. Une restitution des résultats a été organisée avec l’ensemble des sujets de façon à obtenir des précisions sur certains éléments et de confirmer les idées émergentes.
Résultats et discussion
Parmi les 26 étudiants, 16 se destinent à l’enseignement de l’éducation physique, 19 mentionnant ne jamais avoir pratiqué la gymnastique lors de leur parcours scolaire antérieur. Sachant que la gymnastique est une discipline à maturité précoce, la difficulté de l’aborder vers l’âge de 18-19 ans s’avère donc très importante pour eux. Cela confirme également nos doutes et notre suspicion de cercle vicieux concernant la gymnastique et son intégration dans le milieu scolaire.
Concernant le principe PAMIA, 14 étudiants le considèrent comme complet ; 11 précisent qu’il représente une base intéressante pour évaluer les cours d’éducation physique. Pour 10 d’entre eux, le PAMIA fait référence à des notions fondamentales indispensables à atteindre en fin de chaque séance. Cinq envisagent d’ailleurs d’utiliser cet outil comme feedback pendant les stages ou en début de parcours professionnel. Trois étudiants s’étonnent de ne pas avoir ressenti l’application de ces principes dans l’enseignement secondaire alors que d’autres estiment plutôt que les enseignants ne connaissant pas forcément ces principes mais qu’ils l’appliquent tout de même inconsciemment (n=12). Concernant les aspects négatifs, seuls deux d’entre eux trouvent les principes trop idéalistes et un peu trop théoriques.
Les étudiants sont entièrement d’accord avec le fait que les cinq items du PAMIA sont indissociables d’une séance de qualité. Selon 14 d’entre eux, une attention particulière est à accorder au « plaisir ». Gagnaire (2016) offre deux perspectives à cet item : (1) le plaisir à court terme lié à la participation et (2) les bénéfices à long terme en termes d’apprentissage et de développement de l’individu. Le « mouvement » est ensuite cité mais par cinq étudiants seulement. Une discussion est survenue lors de plusieurs interviews concernant le principe « d’autonomie » au sein de l’enseignement secondaire. Dix-huit étudiant estiment que l’autonomie est une caractéristique qui évolue avec l’âge et la maturité des élèves. Cela reste néanmoins une compétence essentielle à travailler avec les jeunes à l’école (Ministère de la Communauté Française, 1999).
A l’Université de Liège, 23 étudiants mentionnent une sensation positive lors des activités réalisées dans le cadre du cours pratique de gymnastique. De manière plus précise, les facteurs influençant cette notion de « plaisir » sont liés à la discipline elle-même, à l’apprentissage d’habiletés spécifiques, au contexte de pratique (l’ambiance de travail, les interactions avec les autres…) et des facteurs personnels (la prise en compte des difficultés rencontrées, l’individualisation...). Un niveau de difficulté trop important perçu par les étudiants peut constituer un véritable frein à la sensation de plaisir liée à la réussite. Dans les propositions formulées, un fond musical de manière plus régulière serait véritablement apprécié.
En termes d’apprentissage moteur, 10 étudiants certifient avoir consolidé les habiletés de base de la discipline ; 6 soulignent la progressivité du processus mis en place et 5 ont apprécié l’apprentissage en autonomie. Seuls 3 étudiants mentionnent une évaluation négative du principe lié à l’apprentissage sur l’échelle de Likert. D’après les étudiants, plusieurs facteurs influencent positivement l’apprentissage moteur lors du cycle étudié : la formulation d’objectifs précis, l’apprentissage différencié, la mise en place d’activités ludiques et l’autonomie. A contrario, d’autres éléments ont été identifiés par le groupe comme nuisant à l’apprentissage : la difficulté de la discipline, le temps de pratique limité et le manque d’ateliers spécifiques pour certaines habiletés.
Les étudiants semblent bien conscients du caractère intermittent de la discipline où les efforts brefs et intenses sont entrecoupés de périodes de repos. D’après eux, la discipline réduit intrinsèquement le mouvement et le temps d’engagement moteur. Ils soulignent également le fait que, n’ayant pas l’habitude de ce type d’effort, ils pensent avoir besoin d’un temps de récupération plus important par rapport à un gymnaste. Cependant, l’engagement personnel est un facteur important dans le sens où ils sont eux-mêmes à la manœuvre pour réguler leur activité (n=10). Les transitions rapides représentent également un facteur favorisant le mouvement. Au niveau de l’estimation du temps d’engagement moteur, seuls 4 étudiants estiment être en-dessous de la barre des 50% du temps programmé.
Le ressenti par les étudiants des interactions qu’ils entretiennent avec l’enseignant est évalué positivement avec une évolution favorable du premier au second quadrimestres (3 étudiants évaluent cet aspect négativement lors du Q1 contre 0 au Q2). Ils considèrent l’intervenant comme disponible, directement ou suite à leur demande. Les travaux de groupes, les actions de manipulation aux agrès, l’identification des défauts… renforcent les échanges (n=16). A côté de cela, 13 étudiants soulignent également les interactions positives liées à l’ambiance de travail tandis que 15 considèrent toutes ces interactions comme primordiales : « …alors que l’enseignant va nous donner tout ce qui est plus théorique, les étudiants vont plutôt me dire comment ils ont cherché à apprendre par eux-mêmes et cela m’aide aussi » (Et.14).
Les étudiants qui évaluent le PAMIA via les échelles de Lickert sont toujours plus positifs que l’enseignant. Ce dernier est quant à lui plus positif avant les cours qu’après les séances. La séance la plus appréciée par la population est une séance de préparation aux évaluations pratiques où l’autonomie a été fortement mise en avant. D’après Normand (2014), cette liberté renforce la responsabilité des étudiants dans leurs apprentissages. L’enseignant doit cependant veiller à bien poser le cadre de travail pour soutenir les étudiants (Dopeux, 2016).
Conclusion et implications pratiques
Aux yeux des étudiants, le principe PAMIA représente un outil intéressant pour l’enseignement obligatoire et les enseignants en début de carrière, avec un accent particulier sur la notion de « plaisir ». Les étudiants ont un avis positif quant au respect du PAMIA lors des cours pratiques de gymnastique à l’ULiège. La séance la plus appréciée laisse une place importante à « l’autonomie ». Des propositions ont été formulées telles que l’ajout plus régulier d’un support musical, la mise en place d’un plus grand nombre d’ateliers, l’intégration d’un plus grand nombre de nouvelles technologies… dans le but d’améliorer encore les apprentissages et la motivation des participants. Quelques perspectives intéressantes à donner à ces constats seraient d’étendre nos recherches à un plus grand nombre d’étudiants et de consulter directement les élèves des 2e et 3e degrés de l’enseignement obligatoire. La transposition des outils et approches utilisés dans d’autres disciplines peut également s’avérer pertinente. Une étude similaire est d’ailleurs en cours de finalisation dans le cadre du cours de handball proposé au cours de l’année académique en 2019-2020.