Introduction
À haut niveau, la place de l’entraîneur et sa relation avec l'athlète sont des paramètres importants à prendre en compte, car ils jouent un rôle dans la performance de l'athlète (Lorimer & Jowett, 2009 ; Pena-Sarrionandia et al., 2015). Jowett et Cockerill (2002, p.19) définissaient la relation entraîneur-athlète comme une « situation dans laquelle les pensées, sentiments et comportements d’un athlète et d’un entraîneur sont interdépendants ». La dimension émotionnelle est également très présente dans la vie sportive et impacte fortement les athlètes, du point de vue de leurs performances et de leur confiance en eux (Hwang, Feltz & Lee, 2013 ; Thelwell, Lane, Weston & Greenless, 2008). Nous parlerons ici d’Intelligence Emotionnelle (IE), représentant « la capacité à écouter nos propres émotions et celles des autres, pour les différencier entre elles et utiliser l’information pour guider nos propres pensées et actions » (Salovey & Mayer, 1990, p189). La littérature met en lumière différents liens avec l’IE. Laborde, Dosseville et Allen (2016) soulignent que les athlètes présentant un haut niveau d’IE performent davantage. D’autre part, ils expliquent qu’un haut niveau de trait d’IE est associé à un usage plus fréquent des habiletés mentales comme la motivation en vue d’une compétition sportive, dialogue interne, imagerie mentale, contrôle émotionnel, activation, fixation d’objectifs, relaxation.
Ainsi, cette étude a pour objet d’investiguer les effets des composantes de l’IE des membres de la dyade entraîneur-athlète sur la qualité de leur relation. Nous nous basons sur le modèle 3C+1C (Jowett, 2006) conceptualisant la qualité de la relation entraîneur-athlète, qui définit quatre construits : (1) la proximité, consistant à se sentir émotionnellement proche dans la relation, reflétant les croyances mutuelles, le respect et l’appréciation des deux protagonistes ; (2) l’engagement, représentant l’intention de maintenir la relation sur le long terme ; (3) la complémentarité, qui représente les interactions coopératives entre entraîneur et athlète ; (4) la co-orientation, concerne les perceptions que chaque membre de la dyade a de l’autre. Nous considérons également le modèle tripartite de l’IE (Mikolajczak, 2009) qui réunit trois niveaux : la connaissance, l’habileté et trait de personnalité.
Différents travaux portent sur l’aspect relationnel, en lien avec les émotions. Pena-Sarrionandia et al. (2015) rappellent que les émotions facilitent la lecture de réponses comportementales et guident les interactions interpersonnelles. Chan et Mallet (2011) expliquent que les sentiments et émotions contribuent à la qualité des relations interpersonnelles, et que la perception des émotions permet à l’entraîneur de prédire les comportements des athlètes et d’intervenir au plus tôt, dans l’optique d’optimiser la performance. Ils suggèrent également qu’un entraîneur émotionnellement intelligent a la capacité d’identifier et comprendre les émotions des athlètes.
Cependant, la littérature met en lumière un manque d’études menées à propos du lien entre l’IE et la relation entraîneur-athlète (Laborde et al., 2016 ; Hwang et al., 2013). Par conséquent, investiguer les liens entre IE et la relation entraîneur-athlète apparaît comme original et nécessaire pour mieux comprendre la relation. Nous nous demandons ainsi quels sont les liens entre les composantes de l’IE de l’entraîneur et de l’athlète et la qualité de leur relation. Au vu de la littérature, nous émettons les hypothèses qu’il existe un lien positif entre l’IE et la qualité de la relation entraîneur-athlète, ainsi qu’un lien positif entre l’IE et la co-orientation de la relation.
Méthodologie
Un échantillon de 74 athlètes et 10 entraîneurs âgés d’au moins 16 ans et en relation depuis au moins 1 an, a participé à l’étude. Chacun a répondu à 4 questionnaires. Les trois premiers permettaient de mesurer le niveau d’IE selon les trois niveaux (Mikolajczak, 2009) : le niveau des connaissances d’IE était recensé avec le Situational Test of Emotionnal Understanding – Brief (STEU-B) (Allen et al., 2014), puis, l’habileté d’EI était mesurée avec le Situational Test of Emotionnal Management – Brief (STEM-B) (Allen et al. 2015). Ces deux tests ont été traduits en français. Enfin, le trait d’IE était mesuré grâce à la version française du Trait Emotional Intelligence Questionnaire (TEIQue) (Petrides, 2009). Le dernier questionnaire du document présenté aux participants était le Coach-Athlete Relationship – Questionnaire (CART-Q) (Jowett & Ntoumanis, 2004), permettant de mesurer l’interdépendance de la relation entraîneur-athlète. Les entraîneurs devaient remplir un exemplaire du questionnaire CART-Q par athlète entraîné. Les athlètes le remplissaient une seule fois et par rapport à leur entraîneur. Le traitement statistique a été réalisé à l’aide de tests non-paramétriques (U de Mann Whitney et corrélations de Spearman).
Résultats
Les résultats (tableau 1) mettent en évidence un lien significatif, positif et de taille modérée entre l’IE-connaissance des athlètes et celle des entraîneurs (r = 0,33, p < .05), l’IE-connaissance et IE-habileté des entraîneurs (r = 0.36, p <.05), et l’IE-connaissance et IE-habileté des athlètes (r = 0,33, p < .05). Ils mettent aussi en évidence un lien négatif et de taille modérée entre l’IE-connaissance des athlètes et l’IE-trait des entraineurs (r = -0,35, p < .05). Concernant la co-orientation de la relation, nous observons un lien positif avec l’IE-trait (r = 0,42, p < .05), et un lien négatif avec l’IE-connaissance (r = -0,53, p < .05) des dyades.
Tableau 1 : Corrélations des Rangs de Spearman entre les Composantes de l’Intelligence Émotionnelle, les Évaluations de la Relation Entraîneur-Athlète et la Durée de la Relation
Variables |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
10 |
11 |
12 |
13 |
1. QA |
1 |
||||||||||||
2. QE |
.28 |
1 |
|||||||||||
3. Co-Or. |
.23 |
.53* |
1 |
||||||||||
4. TA |
.06 |
.21 |
.30 |
1 |
|||||||||
5. CA |
- .02 |
- .19 |
- .37* |
- .17 |
1 |
||||||||
6. HA |
.07 |
.03 |
.09 |
.07 |
.33* |
1 |
|||||||
7. TE |
- .30 |
.37 |
.44* |
.14 |
- .35* |
.00 |
1 |
||||||
8. CE |
.31 |
- .53 |
- .46* |
.08 |
.33* |
.27 |
-.27 |
1 |
|||||
9. HE |
.17 |
.23 |
- .32* |
- .05 |
.26 |
.18 |
-.26 |
.36* |
1 |
||||
10. TD |
- .10 |
.25 |
.42* |
.90* |
- .22 |
.13 |
.48* |
- .07 |
- .24 |
1 |
|||
11. CD |
.29 |
- .27 |
- .53* |
- .03 |
.83* |
.37* |
- .44* |
.78* |
.40* |
- .20 |
1 |
||
12. HD |
.15 |
.00 |
- .18 |
.07 |
.33* |
.63* |
- .04 |
.46* |
.84* |
- .05 |
.47* |
1 |
|
13. D |
.23 |
.17 |
.25 |
.01 |
- .12 |
.10 |
.40 |
.24 |
.04 |
.11 |
- .25 |
0.08 |
1 |
Note. * p < .05 ; QA = degré d’interdépendance de la relation Entraîneur-Athlète pour l’athlète; QE = degré d’interdépendance de la relation Entraîneur-Athlète pour l’entraineur; Co-Or. = co-orientation de la relation entraineur-athlète ; TA = trait d’IE de l’athlète ; CA = connaissances d’IE de l’athlète ; HA = habileté d’IE de l’athlète ; TE =trait d’IE de l’entraineur ; CE = connaissances d’IE de l’entraineur ; HE = habileté d’IE de l’entraineur ; TD = trait d’IE de la dyade ; CD = connaissances d’IE de la dyade ; HD = habileté d’IE de la dyade ; D = durée de la relation entraineur-athlète. Comme indiqué dans la présentation de l’échantillon, les nombres d’athlètes, d’entraîneurs et de dyades sont différents. Par conséquent, les degrés de libertés des analyses de corrélations peuvent différer.
Discussion
L’absence de liens significatifs entre l’IE-trait et la perception de la qualité de la relation entraîneur-athlète, et entre l’IE-habileté et cette même perception, est inattendue si nous prenons en considération la littérature. En effet les travaux de Chan et Mallet (2011) nous laissaient penser que de hauts niveaux d’IE-trait ou habileté de l’entraîneur seraient liés positivement à la qualité de la relation. Car les entraîneurs avec un haut niveau d’IE rapportent un style de leadership plus efficace, tout comme un meilleur soutien social et des feedbacks positifs, ce qui devrait ainsi impacter positivement la relation. L’absence de corrélations pourrait être expliquée en partie par la faible cohérence interne des réponses aux tests STEU-B et STEM-B, ainsi que par une mauvaise compréhension des participants.
Le lien positif entre l’IE-trait et la co-orientation de la dyade nous suggère que la personnalité des deux acteurs de la dyade, notamment leur propension à gérer leurs émotions et celles de l’autre, contribue à l’amélioration de leur perception de la relation, et leur permet de mieux déterminer la perception que l’autre a d’eux même. Nous pensons que de hauts traits d’IE dans les dyades permettent d’être plus lucides et de mieux analyser ses propres besoins ainsi que ceux de l’autre.
Au vu des résultats, nous pouvons penser que seul un haut niveau d’IE-connaissance des dyades ne contribue pas à la qualité des relations entre les deux membres. Néanmoins, nous imaginons que cette qualité pourrait être plus élevée si l’IE-connaissance était associée à un niveau d’IE-habileté élevé. En effet, les entraineurs et athlètes peuvent très bien avoir conscience de leurs émotions et de celles de l’autre, mais cependant ne pas savoir les gérer dans des situations émotionnelles, conduisant ainsi à une dégradation de la qualité de la relation qu’ils entretiennent. En ce sens, il serait utile de tester l’effet d’interaction IE-connaissance x IE-habileté sur la qualité de la relation entraîneur-athlète.
Conclusion
Ces résultats mettent en avant la notion de transmission de l’IE et l’intérêt du développement du trait d’IE des deux acteurs grâce à des programmes d’entraînement, afin d’optimiser l’interdépendance de leur relation sur le long terme.