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La ville portuaire européenne moyenne, un territoire particulier ?
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Avec la mutation du commerce international et la révolution de la conteneurisation, le port s’est spatialement éloigné de la ville. Si, dans les grandes villes portuaires, on assiste à une déconnexion fonctionnelle progressive entre la ville et son port, qu’en est-il réellement dans les villes portuaires moyennes ? Après avoir proposé dans un premier temps une définition et une typologie des villes portuaires moyennes à l’échelle européenne, l’analyse textuelle d’une vingtaine d’entretiens réalisées auprès des principaux acteurs de six places portuaires européennes (Le Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, Klaipeda, Kotka-Hamina et Gdynia) a permis dans un second temps de proposer une caractérisation fonctionnelle de la ville portuaire européenne moyenne dans un cadre territorial (gouvernance).
Abstract
Since of the transformation of international trade and the revolution of containerization, the port has moved spatially away from the city. If in the big port cities there is a gradually functionnal disconnection between the city and its port, what is the situation in the medium port city ? Firstly, we propose a definition and a typology of the medium port city in Europe. Secondly, the words analysis of more twenty interviews conducted with the main stakeholders in six european ports (Le Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, Klaipeda, Kotka-Hamina and Gdynia) has made it possible to perform a functional characterization of the european medium-sized port city in a territorial framework (governance).
Inhoudstafel
Introduction
1Historiquement, les relations entre la ville et le port ont toujours été fortes (Vigarié, 1979). En effet, dès l’antiquité, les premiers échanges commerciaux ont permis l’essor de cités portuaires où ville et port sont étroitement liés dans leurs développements respectifs. Ces villes portuaires sont devenues au fil du temps des nœuds commerciaux du transport de marchandises en vrac (charbon, ciment, céréales, vin, hydrocarbures, etc…) ainsi que du transport de passagers. Cependant, avec l’arrivée du conteneur dans les années 1960, une déconnection fonctionnelle progressive s’est opérée entre la ville et le port (Ducruet, 2005 ; 2008) qui est en quête de vastes espaces afin de pouvoir accueillir de grandes infrastructures dédiées au conteneur (terminaux, entrepôts logistiques, etc). Le modèle Anyport développé par Bird (1963) dès avant la révolution du conteneur est d’ailleurs le premier témoin de la sortie progressive des fonctions portuaires du territoire urbain vers la périphérie au Royaume-Uni.
2Plus récemment, la construction de porte-conteneurs de plus en plus gros en termes de capacité a engendré une compétition portuaire mondiale et régionale (voire locale) féroce entre les ports capables d’accueillir les géants des mers et ceux qui ne le peuvent pas (Bourdin et Cornier, 2015). Cette systématisation du conteneur (Alix et Carluer, 2014) contribue largement au développement portuaire actuel en engendrant une concurrence spatiale avec le développement urbain (Norcliffe et al., 1996) à l’interface ville/port (Hayuth, 1982). Cette interface en tant que zone de contact constitue un espace de conflits d’usage entre les projets portuaires et les projets urbains (Merk et al., 2011) mais également un espace d’enjeu de requalification urbaine des friches portuaires (Vigarié, 1990). Aussi, les activités portuaires sont la source de nuisances environnementales (bruit, pollution, etc…) et engendrent parfois des tensions avec les riverains ainsi que les associations écologiques. Dans ce contexte, les externalités négatives prennent le pas sur les externalités positives (Wang et Olivier, 2003). Dès lors, le conflit devient un indicateur intéressant des mutations sociales à l’œuvre ainsi que des procédures de gouvernance (Pham et Torre, 2012) et la « gouvernance territoriale » un concept particulièrement utile dans l’analyse des jeux et des processus décisionnels.
3Dans cet article, nous nous focaliserons sur les villes portuaires moyennes à l’échelle européenne où la ville et le port entretiendraient des liens particulièrement forts. En effet, leur degré d’interdépendance y parait plus élevé que dans les grandes villes portuaires comme Anvers, Rotterdam, Brême, Marseille ou Barcelone et les impacts réciproques des dynamiques portuaires et urbaines apparaissent avec davantage d’intensité, en se traduisant parfois par des conflits d’usage (Merk et al., 2011). À partir de ce postulat de départ, nous nous poserons la question suivante : Est-ce que la ville portuaire moyenne est un territoire particulier en termes de liens entre le port et la ville et quelle caractérisation fonctionnelle pouvons-nous dégager ? Après avoir effectué un cadrage théorique des relations ville-port dans un contexte territorial (gouvernance) et avoir proposé des éléments de définition de la ville portuaire moyenne à l’échelle européenne, nous tenterons de caractériser la ville portuaire moyenne à travers une analyse textuelle originale de vingt-huit entretiens réalisés auprès des principaux acteurs de six places portuaires européennes (Le Havre, Dunkerque et Nantes-Saint-Nazaire en France ainsi que Klaipeda en Lituanie, Kotka-Hamina en Finlande et Gdynia en Pologne). Nous étudierons avec attention les processus de gouvernance considérés comme un moteur essentiel de développement territorial (Torre, 2018).Enfin, nous discuterons des résultats de cette étude en les mettant en perspective avec nos recherches en cours et à venir.
I. Les relations ville-port au prisme de la gouvernance territoriale : cadrage théorique
4Les relations entre la ville et le port sont multiples et parfois complexes à caractériser. La gouvernance territoriale constitue un cadre d’analyse intéressant car elle permet de mettre en exergue différents processus socio-spatiaux à l’œuvre au sein d’un territoire, à travers notamment la mobilisation de la théorie des proximités et l’interrogation des rapports conflictuels entre acteurs. Si le mode de gouvernance portuaire en Europe diffère selon les pays, on constate un renforcement de la place du privé dans la gestion portuaire ainsi que l’apparition de nouveaux acteurs au sein de la gouvernance.
A. Définition de la gouvernance territoriale
5La gouvernance territoriale est un cadre institutionnel et un outil pour les acteurs afin de répondre aux enjeux du développement territorial. En effet, le développement territorial suppose la mise en relation de divers acteurs (public et privé) dans la construction et/ou gestion d’un projet, à travers des mécanismes de concertation, de coordination et de décision. De ce fait, la gouvernance est destinée à faciliter ces prises de décision et l’adoption d’actions publiques (Mermet, 2006). Dans son mode de fonctionnement, la gouvernance territoriale a évolué progressivement vers une implication de plus en plus active d’acteurs locaux, ce qui pose la question de la « bonne » échelle de gouvernance territoriale dans un contexte de globalisation économique.
6La gouvernance territoriale peut se définir comme étant un « processus dynamique de coordination (hiérarchie, conflits, concertation) entre des acteurs publics et privés aux identités multiples et aux ressources (au sens très large : pouvoirs, relations, savoirs, statuts, capitaux financiers) asymétriques autour d’enjeux territorialisés visant la construction collective d’objectifs et d’actions en mettant en œuvre des dispositifs (agencement des procédures, des mesures, des connaissances, des savoir-faire et informations) multiples qui reposent sur des apprentissages collectifs et participent des reconfigurations/innovations institutionnelles et organisationnelles au sein des territoires » (Rey-Valette et al., 2010, p 4). En effet, par exemple en France, de la Loi dite Bouchardeau en 1983 (Loi relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement) à la Loi dite Vaillant en 2002 (Loi relative à la démocratie de proximité), la gouvernance territoriale a évolué au fil du temps vers plus de démarches participatives (instauration de la Commission nationale du débat public, enquêtes publiques, commissions consultatives des services publics, etc) et en impliquant des acteurs au profil plus varié (élus, entreprises, syndicats, associations, habitants, riverains, etc). La gouvernance est devenue alors un mode de coordination territoriale des acteurs où elle permet de rendre possible l’action publique d’une part (Le Galès, 1995 ; Gaudin, 2002) et où se combinent plusieurs formes de proximités d’autre part (Leloup et al., 2005).
7Aussi, la gouvernance territoriale est inter-scalaire et multi-niveaux (Bache et Flinders, 2004). Dans le cadre d’une gouvernance type « public-privé », elle implique des acteurs politico-administratifs à plusieurs échelles géographiques (État, région, département, intercommunalité, commune voire quartier), des entreprises, possiblement d’autres acteurs publics (CCI, Chambres d’Agriculture, etc) ainsi que des personnes de la société civile regroupées au sein d’associations aux ancrages géographiques souvent localisés. Dans un contexte de décentralisation politique (impulsée par les lois de 1982 et de 2003) mais également de compétitivité économique, la gouvernance territoriale doit savoir imbriquer ses niveaux de décision du local vers le global (Torre, 2011). D’ailleurs, depuis la création des intercommunalités dans les années 90 en France, l’échelle locale a vu sensiblement augmenter le nombre de structures décisionnaires et porteuses de politiques publiques (ibidem).
B. L’analyse du jeu complexe des relations entre acteurs par la théorie des proximités
8La gouvernance territoriale peut être analysée à travers la théorie des proximités développée dans un numéro spécial de la R.E.R.U. en 1993 (Bellet et al., 1993) puis par la suite par Rallet et Torre en 1995 appliquée dans un cadre économique. En effet, la gouvernance territoriale y est vue comme un « jeu complexe que se joue la mobilisation des relations de proximité, dont l’objectif est de peser sur les processus de développement local ou territorial, et plus particulièrement de mettre en place des processus de gouvernance des territoires, afin de favoriser la mise en œuvre des projets de développement territorial » (Torre, 2011, p.4).
9On distingue deux grandes catégories de proximités, à savoir la proximité géographique et la proximité organisée (Torre, 2009). La proximité géographique, définie par la distance spatiale entre plusieurs acteurs, peut être choisie ou subie. En effet, si des acteurs souhaitent volontairement se rapprocher ou au contraire s’éloigner – par exemple - d’autres acteurs ou d’infrastructures particulières, on parle de proximité géographique choisie (Torre, 2009). Dans le cadre de la gouvernance territoriale, ses différents acteurs sont localisés au sein d’un même territoire et sont tenus par des relations de proximité géographique choisie (Torre, 2011). A contrario, lorsque des acteurs subissent géographiquement des nuisances particulières d’autres acteurs (infrastructures, odeurs, bruits, etc), on parle alors de proximité géographique subie (ibid). Par exemple, une entreprise de logistique qui déciderait de s’implanter à proximité d’un noeud de transport comme un échangeur autoroutier bénéficiera d’une accessibilité optimale afin d’assurer la circulation et la distribution des marchandises jusqu’aux consommateurs (Savy, 2006). Cependant, si par exemple un pôle logistique créé ex-nihilo par une collectivité territoriale venait à se développer à proximité également de ce nœud autoroutier, il entraînera une hausse du trafic routier avec un risque de congestion de plus en plus importante. La proximité géographique vue au début comme choisie par cette entreprise de logistique sera perçue au final comme subie. Par ailleurs, ces deux types de proximité géographique dite « permanente » peuvent aussi être « temporaires » (Torre, 2009). Par exemple, la proximité géographique peut être activée de manière temporaire dans le cadre de l’organisation d’un séminaire entre différents acteurs économiques d’une même place portuaire.
10Outre la dimension géographique, la proximité peut aussi être organisée. Elle se base sur des logiques d’appartenance et de similitude entre acteurs (Gilly et Torre, 2000). La logique d’appartenance fait référence à des acteurs ou groupes d’acteurs qui nouent des interactions au sein d’un même réseau (club professionnel, association, etc). La logique de similitude quant à elle repose sur l’adhésion et le partage de mêmes savoirs, valeurs ou encore normes. Pecqueur et Zimmermann (2004) distinguent au sein des proximités organisées une proximité organisationnelle et une proximité relationnelle. D’après eux, les relations et échanges entre acteurs d’une même organisation (organisationnelle) différèrent de celles d’acteurs d’organisations différentes (relationnelle). En ce point, la proximité relationnelle ne s’apparente pas aux logiques d’appartenance développées par Gilly et Torre (2000) car les acteurs sont souvent insérés dans de multiples groupes plus ou moins organisés. Bouba-Olga et Grossetti (2008) parlent eux de proximité cognitive qui renvoie aussi aux logiques de « similarité ou complémentarité des valeurs » (p. 8) et se traduit par des actions et des discours - à travers la langue ou encore les normes – qui sont potentiellement activées dans une logique de coordination entre acteurs. D’ailleurs, proximité « cognitive » et proximité « géographique » peuvent être corrélées et activées par des acteurs géographiquement proches et ayant les mêmes idées. Dans le cas contraire où ces deux formes de proximité activées se réduisent ou se désactivent, des liens économiques classiques comme la ville et son port peuvent se découpler.
11Ces proximités sont mobilisables de façon temporaire ou pérenne par les acteurs et peuvent être également choisies ou subies selon les situations (Torre, 2009). En croisant ces deux types de proximité, nous obtenons la formation de proximités territoriales qui permettent d’améliorer l’analyse et la compréhension des gouvernances (Torre et Beuret, 2012).
C. La conflictualité : rapports de proximités difficiles entre différents usagers de l’espace
12La diversité et la multiplicité des acteurs dans les instances de gouvernance engendrent une montée de la contestation et de la conflictualité (Torre, 2011). C’est notamment le cas des conflits d’usages qui permettent, d’une part, de mettre en exergue les difficultés et tensions dans les rapports entre acteurs, et d’autre part, d’engendrer des formes de résistance de la part d’acteurs qui s’opposent à des décisions dont une grande partie de population locale ne veut pas (Darly et Torre, 2013). Dès lors, le conflit devient un indicateur intéressant des mutations sociales à l’œuvre ainsi que des procédures de gouvernance (Pham et Torre, 2012).
13D’abord, une tension devient progressivement un conflit lorsque « apparaissent des divergences de points de vue ou d’intérêts entre agents utilisateurs ou groupes d’usagers différents de l’espace, plus précisément en cas d’engagement d’une des parties, qui se conçoit comme la mise en œuvre d’une menace crédible » (Caron et Torre, 2004, p.3). Ce début de conflit peut se traduire par des engagements visibles par un public plus élargi comme le recours en justice, la médiatisation devant la presse ou encore la production de signes physiques comme des barrières ou panneaux interdisant l’accès à un lieu par exemple (Caron et Torre, 2006). Puis ensuite, le conflit peut aboutir à des débats, des luttes et ainsi possiblement déboucher sur des arrangements et des accords entre les deux parties. Pour Caron et Torre (2004), le conflit n’est alors pas une dégradation des relations et une fatalité mais une phase (négative) de coordinations parfois nécessaires pour l’aboutissement d’un projet. Ces tensions peuvent être « créatrices » (Offner, 2006) lorsque les tractations entre deux parties deviennent source de coopération territoriale et d’innovation exemple, révélant alors la positivité des conflits (Simmel, 1999).
14Ces conflits d’usage sont les témoins de rapports de proximités difficiles entre différents acteurs géographiquement proches. En effet, une proximité géographique choisie par certains acteurs peut devenir une proximité géographique subie (donc non voulue) pour une autre partie des usagers de l’espace qui se sentent importunés (par exemple les riverains d’un projet d’extension portuaire). S’ils n’ont pas les moyens financiers ou sont dans l’incapacité de déménager, ces acteurs opteront pour la voie du conflit avec des prises de paroles qui auraient été habituellement négligées par les instances de gouvernance du projet (Caron et Torre, 2004). Cela renvoie au modèle d’exit-voice développé par Hirschman (1970, 1986) où l’individu ou groupe d’individus mécontent possède trois options en fonction de la mobilisation ou non des proximités géographique et organisée (Bouba-Olga et al., 2009) : soit l’exit spatial (la fuite : proximité géographique subie), soit la voice-confrontation (absence de fuite mais volonté d’aller au conflit sans concertation : proximité organisée non activée) ou soit la voice-concertation (absence de fuite mais volonté d’aller au conflit avec concertation : proximité organisée activée). Par ailleurs, à travers les discussions et les décisions entre acteurs, le conflit peut aussi faire émerger d’autres acteurs intéressés par le projet mais pas toujours inclus initialement. Dès lors, le conflit a la capacité de modifier les rapports de proximités et des relations entre les acteurs territoriaux au sein d’un projet (Nadou et Demazière, 2018). Dans le cadre urbano-portuaire, l’interface ville-port est souvent source de conflits entre les usages du port et ceux des riverains et plus largement des habitants alentours car elle mobilise de nombreux enjeux de développement dans un contexte de concurrence spatiale (Norcliff et al., 1996).
D. Les modes de gouvernance portuaire en Europe : quelle place pour la ville ?
15La gouvernance portuaire en Europe diffère selon les pays avec des modes de gestion qui tendent vers un renforcement progressif de la place du privé.
16En France, si la majorité des ports relève de la gestion des régions, des départements, des communes, voire des syndicats mixtes (ports décentralisés), les anciens plus grands Ports Autonomes maritimes ont évolué vers le statut de Grands Ports Maritimes (GPM) avec la réforme portuaire du 4 juillet 2008, dans une logique d’accroissement de leur autonomie malgré la tutelle de l’État (Debrie et Lavaud-Letilleul, 2009 ; Guillaume, 2012). Ce sont des établissements publics avec une gouvernance publique et privée. De ce fait, ils se rapprochent du modèle du landlord port (impulsé par la Banque Mondiale) avec une gouvernance de type libéral (Debrie et Ruby, 2009). Ce modèle repose sur la cession de l’exploitation portuaire à des opérateurs privés dans une logique de « terminalisation » des ports (Slack, 2007). Dans cette terminalisation, les ports sont divisés en autant de sous-ports (terminaux) qu’il y a d’opérateurs privés (Charlier et Lavaud-Letilleul, 2013). En effet, alors que le secteur public garde la gestion du patrimoine foncier, l’outillage et la main d’œuvre sont désormais légués à des concessionnaires privés (Figure 1). De ce fait, le développement du modèle de landlord port avec comme corollaire un processus de globalisation des activités manutentionnaires pose comme enjeu la gestion et la maîtrise stratégique du développement urbano-portuaire (Foulquier, 2016). La gouvernance portuaire des GPM français est articulée autour de trois structures. Au sommet de la pyramide, le Directoire est chargé de porter la direction et la gestion de l’établissement et est composé d’un président nommé par décret ainsi que de deux ou trois autres personnes selon les ports (Directeur Financier, Directeur des Ressources Humaines, Directeur de l’Aménagement, etc…). Ensuite dans la hiérarchie, le Conseil de Surveillance a pour mission d’arrêter les orientations stratégiques de l’établissement et d’exercer un contrôle permanent de la gestion menée par le Directoire. Il est composé de cinq représentants de l’État (le Préfet départemental, un représentant du Ministère en charge des ports maritimes, un représentant du Ministère de l’Environnement, un représentant du Ministère de l’Économie et des Finances, un représentant du Ministère du Budget), de cinq collectivités territoriales (deux membres du Conseil Régional, un membre du Conseil Départemental, un membre de l’intercommunalité et le maire de la commune où est implanté le port), de cinq personnalités qualifiées (Président de la CCI locale, des représentants de la SNCF et/ou de la SNCF réseau , etc), de trois salariés de l’établissement (dont au moins un représentant du syndicat majoritaire portuaire), de deux commissaires gouvernementaux et d’un contrôleur général. Enfin, le Conseil de Développement est une instance consultative et a pour mission de rendre des avis sur le projet stratégique et la politique tarifaire du port. Ce conseil est généralement composé d’une trentaine de personnes impliqués dans le développement portuaire (représentants de la place portuaire, entreprises exerçant dans le port, collectivités territoriales, syndicats, association environnementale, etc…) représentés au sein de plusieurs collèges.
Figure 1. Le Terminal de France situé dans le port du Havre est géré par l’armateur CMA-CGM via sa filiale d’opérateur Terminal Link (Photo : équipe DEVPORT)
17La gouvernance des autres ports européens diffère selon le modèle portuaire adopté. En effet, on distingue plusieurs modèles de gestion portuaire où les rôles du public et du privé évoluent :
18- Le service port (port de service public) est un port entièrement public (propriété foncière, administration portuaire, infra- et superstructures, manutention, etc) sauf au sein des services de remorquage/lamanage ou de dragage/pilotage qui peuvent être délégués en partie à des entreprises privées. Ce modèle repose sur un centralisme politique où l’État contrôle sa stratégie portuaire afin de mieux asseoir ses prétentions notamment à travers le service public dispensé aux usagers (Lavaud-Letilleul et Parola, 2011). En Europe, ce sont dans des ports principalement latins que l’on observe ce modèle portuaire (Tourret, 2014).
19- Le tool port (port-outil) est un port où l’autorité portuaire relève du public (à l’image du service port) mais dont la manutention est exercée par des sociétés privées. Ce modèle permet à l’autorité portuaire de bénéficier d’une gestion public-privé tout en réduisant les risques encourus par des opérations d’investissements financiers (Burns, 2014). Les Grands Ports Maritimes français s’inscrivent actuellement dans ce modèle de tool port même s’ils évoluent progressivement vers une plus forte présence du secteur privé dans leur fonctionnement et leur gouvernance.
20- Le landlord port (port-foncier) est un modèle portuaire qui tend à s’imposer dans la majorité des grands ports européens (Verhoeven, 2010 ; Serry et Loubet, 2019) avec un partenariat public-privé plus important. En effet, contrairement au modèle du tool port, les superstructures mais aussi parfois les infrastructures sont déléguées à des opérateurs privés dans une logique de « terminalisation » des ports (Slack, 2007). L’autorité portuaire perd donc la responsabilité de ses outillages dont elle disposait dans le modèle du tool port (Brooks et Cullinane, 2007). La configuration hanséatique (qui fut à l’origine une association de villes portuaires marchandes bordant la mer du Nord et la mer Baltique) se rapprocherait par exemple du landlord port avec son mode de gouvernance de proximité qui intègre aussi bien les instances publiques que le privé (Tourret, 2014).
21- Le private service port (port-privé) est un port majoritairement voire exclusivement privé avec la privatisation de son administration portuaire. Cette ouverture du capital de l’autorité portuaire a comme conséquence l’apparition de sociétés portuaires privées. Ce modèle tend à se développer dans certains pays européens comme en Angleterre où les ports ne reçoivent plus d’argent public. Cependant, l’État britannique assure toujours les missions de sécurité et de sûreté et émet toujours une politique portuaire nationale (Valero, 2018).
22Le mode de gouvernance territorial diffère donc selon les pays et structure les relations entre le port et la ville et plus généralement entre le port et le territoire (dans un rapport public-privé). Mais qu’en est-il en fonction de la taille de la ville portuaire ? Nous prenons le cas de la ville portuaire « moyenne » où l’analyse textuelle des relations ville-port permettra de proposer une caractérisation fonctionnelle.
II. Les villes portuaires moyennes européennes : définition et typologie
23Si le concept de « ville portuaire » a déjà été étudié dans diverses études scientifiques (Chaline, 1993 ; Collin, 2003 ; Rozenbat, 2004 ; I.R.S.I.T., 2004 ; Prelorenzo, 2010, 2011 ; etc), il n’existe pas de définition consensuelle à son égard, variant selon les disciplines et les approches théoriques (Ducruet, 2004). Cependant, ses fonctions urbano-portuaires dans l’espace géographique sont bien identifiées en tant que nœud de circulation (marchandises, personnes) à l’interface terre/mer et constituent une unité pertinente pour étudier les points de rencontre et les relations à différentes échelles géographiques (du local au global). Alors que les recherches sur le transport maritime se concentrent majoritairement autour des grands ports, les ports moyens se caractérisent par leur desserte d’hinterland (arrière-pays) moins étendue et parfois par leur réception de navires feeder effectuant des rotations sur de courtes distances avec de grands ports hub (où s’opèrent les transbordements entre les géants des mers et les feeder). Par conséquent, le port de taille plus modeste mérite un regard et des analyses plus approfondis quant à son inscription territoriale et son intégration dans le système maritime régional et/ou mondial.
24En isolant d’un côté « ville moyenne » et de l’autre côté « port moyen », il est possible de définir la ville portuaire moyenne en se basant sur plusieurs typologies existantes puis en les croisant. D’abord, concernant la définition stricto sensu de la ville moyenne, elle reste difficile à circonscrire et cela pose problème dans le cadre de comparaisons internationales (Demazière, 2014). Alors que les classifications démographiques utilisées en France font généralement varier la ville moyenne entre 20 000 et 200 000 habitants (entre 20 et 100 000 habitants pour l’Association des Maires de France, entre 30 000 et 200 000 habitants pour la DATAR1, etc…), les études à l’échelle européenne la font plutôt varier entre 100 000 et 500 000 habitants (Giffinger et al., 2007). Mais pour définir la ville moyenne, il faut également prendre en compte ses rôles et ses fonctions au sein de leurs territoires (agglomération, région, etc). Puis ensuite, le port moyen peut se caractériser à partir de plusieurs critères (Bird, 1971), comme l’étendue de ses installations, mais ces indicateurs ne sont pas représentatifs de ses trafics ou de ses activités (Comtois et al., 1993). L’Association Européenne des Ports Maritimes définit les ports moyens par un trafic compris entre 10 et 50 millions de tonnes (Verhoeven, 2010). Cependant, la notion de grandeur diffère selon les façades maritimes et il convient donc d’être prudent avec cette classification. En conséquence, utiliser comme indicateur le tonnage pour distinguer les ports de grande taille de ceux de moyenne taille doit se faire dans un contexte spécifiquement régional (Comtois et al., 1993).
25Les typologies des villes portuaires sont donc multiples et l’approche de Marcadon (1997) qui repose, à la fois, sur la variation de taille et la complexité des organismes portuaires selon leurs relations avec l’environnement urbain, offre une grille de lecture intéressante et pertinente pour notre étude. Ce dernier classe les ports en trois catégories, à savoir le « port métropolitain » (vocation de transbordement, gamme complexe d'activités tertiaires et industrielles), le « port de taille moyenne » (fonctions moins puissantes mais qui participe néanmoins aux grands flux grâce à un passé de grande ville maritime) et le « port secondaire » (fonction de collecte de la marchandise et relative absence d’environnement urbain aux fonctions diversifiées). Par ailleurs, une autre typologie, cette fois-ci des villes portuaires, est tout aussi intéressante. Celle-ci intègre l’échelon régional et prend en compte les dynamiques économiques (Hesse, 2010). L’auteur distingue (i) les grandes villes diversifiées avec un déclin des fonctions portuaires et de porte d’entrée, (ii) les villes portuaires stables, avec cependant un déclin du port dans l’économie régionale, (iii) les villes portuaires qui expérimentent un déclin constant de la concentration portuaire (iv) et les villes portuaires en gain de compétitivité et développant des stratégies d’alliance ou des changements institutionnels.
26Nous avons de ce fait choisi de croiser ces deux typologies (urbaine et portuaire) afin de définir les villes portuaires moyennes européennes (Figure 2) dans une approche ciblée. Par conséquent, nous retenons la typologie des villes portuaires suivantes : (i) Les villes entre 100 000 et 250 000 habitants ayant un trafic maritime supérieur à 10 millions de tonnes (ii) et les villes de plus de 20 000 habitants et de moins de 500 000 habitants ayant un trafic portuaire entre 10 et 50 millions de tonnes.
27Cette classification de la ville portuaire moyenne déterminée à partir de seuils d’importance est sujette à discussion car l’on constate que plusieurs ports aux trafics importants comme Le Havre (France, 11e port européen en tonnage en 2016), Southampton (Royaume-Uni, 13e port européen à conteneurs en 2017) ou Trieste (Italie, 14e port en tonnage en 2016) y sont intégrés. Cependant, même si Le Havre est considéré comme une ville-port majeure par l’OCDE (2014) avec un hinterland couvrant une large partie du territoire français (Charlier, 1990) et que Southampton ainsi que Trieste font partie des vingt plus importants ports européens, la taille de leur agglomération respective plus modeste au regard de leur trafic portuaire ne leur permet pas d’être classés comme villes portuaires majeures. Nous prendrons dans le cadre de cette étude six villes portuaires moyennes européennes, à savoir Le Havre, Dunkerque et Nantes-Saint-Nazaire en France, Klaipeda en Lituanie, Kotka-Hamina en Finlande et Gdynia en Pologne (Tableau 1). Le choix de ces terrains d’étude s’est fait en fonction de l’avancée de la réalisation de notre campagne d’entretiens dans le cadre du projet PORTERR2 qui doit, à son terme, englober la majorité des villes portuaires moyennes européennes (voir Figure 2).
Tableau 1. Le détail des trafics portuaires dans les six villes portuaires moyennes étudiées
Figure 2. Les villes portuaires moyennes en Europe (Cartographie : équipe DEVPORT)
III. Méthodologie
28Pour caractériser la ville portuaire moyenne européenne, nous proposons à travers cet article une analyse textuelle du discours des acteurs de la gouvernance portuaire afin d’identifier les relations ainsi que la force des liens entre le port et la ville (et plus généralement le territoire environnant). Pour cela, nous avons mené une campagne d’entretiens semi-directifs auprès des principaux acteurs de la gouvernance portuaire de six villes portuaires moyennes européennes. Au total, 29 entretiens ont été réalisés auprès de différents types d’acteurs (élus, représentants des autorités portuaires, responsables de CCI, universitaires, professionnels portuaires, etc…) des places portuaires du Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, Klaipeda, Kotka-Hamina et Gdynia (Tableau 2). Par ailleurs, cette étude est avant tout exploratoire et n’a donc pas vocation à être exhaustive dans la représentation des contextes urbano-portuaires européens. Néanmoins, la présence de quatre pays différents parmi les villes portuaires analysées rend possible ce travail de caractérisation selon la nature des relations entre acteurs portuaires et acteurs territoriaux, et ce dans des contextes nationaux et internationaux variables.
Tableau 2. Le profil des acteurs enquêtés dans les six villes portuaires étudiées
29Le guide d’entretien utilisé pour cette enquête (versions française et anglaise) se compose de plusieurs sous-parties communes à tout type d’acteurs, à savoir le rôle et la place de l’acteur au sein de la place portuaire, les impacts de l’activité municipale/intercommunale sur l’organisation et les activités de l’acteur (ou le cas échéant les impacts de l’activité portuaire sur l’organisation et les activités de l’acteur), le processus décisionnel au sein de la gouvernance portuaire, la nature des forces en présence dans le cadre de l’organisation portuaire, les relations avec les autres territoires. En effet, l’objectif de ces entretiens est d’analyser les relations ville-port ainsi que leurs impacts sur le développement urbain.
30Une fois ces entretiens enregistrés (voire traduits pour ceux réalisés en langue anglaise), ils ont été intégrés dans deux logiciels d’analyse textuelle (NVIVO et ALCESTE). Pour NVIVO, le but est de construire un nuage de mots les plus utilisés sur l’ensemble des entretiens afin d’identifier ceux faisant référence aux liens ville-port dans un cadre territorial élargi. De ce fait, il a fallu préalablement coder l’ensemble du discours des acteurs afin de ne pas prendre en compte les questions posées. Puis concernant ALCESTE, l’ensemble des entretiens ont été compilés sous la forme d’un corpus afin de faciliter son intégration dans le logiciel. L’avantage de ce logiciel est qu’il permet de traiter un volume important de données textuelles et qu’il propose un large choix de traitements analytiques de ces données. D’abord, le logiciel découpe le texte en unités de contexte élémentaires (UCE) en fonction de la ponctuation et du nombre de mots. Puis ensuite, ces UCE sont automatiquement regroupées en unités de contexte (UC) afin de faciliter la classification de mots. Par ailleurs, il a fallu nettoyer l’ensemble du corpus avant son intégration dans le logiciel pour éviter de décomposer certains mots composés et d’intégrer des mots inutiles à l’analyse. L’objectif, à travers l’utilisation d’ALCESTE, est de créer des réseaux de formes autour de trois mots clés : « ville », « port » et « gouvernance » afin d’identifier les mots les plus reliés avec eux dans le discours.
IV. Résultats
31Á partir du logiciel NVIVO, nous avons réalisé un nuage des mots les plus fréquemment utilisés par les acteurs urbano-portuaires enquêtés (Figure 3). Nous avons opté pour la constitution de termes-synonymes (automatisés par le logiciel) afin d’éviter la dispersion de mots, notamment conjugués, ayant le même sens. Par exemple, les mots « travaillant », « travaillent », « effort » et « travail » seront regroupés au sein du terme-synonyme « travail ». Parmi les 30 termes-synonymes les plus fréquemment utilisés, on constate d’abord que c’est celui d’« État » qui ressort le plus fortement, s’expliquant par la gestation étatique des ports en France mais aussi en Lituanie et en Pologne (seul le port de Kotka-Hamina en Finlande est géré par l’échelon municipal). Ensuite, on peut constater la présence de plusieurs termes faisant référence à la gouvernance territoriale (« gouvernance », « conseil », « surveillance », « président », « commission », « représentants », etc) avec la présence de plusieurs acteurs portuaires (« industriels », « syndicats ». Des termes faisant référence à la ville et au territoire local sont également présents (« urbaine », « collectivités » et « communauté »), confirmant l’importance des dimensions portuaire et urbaine dans le discours porté par les acteurs interrogés. Cependant, l’orientation du questionnaire vers les relations ville-port au sein de la gouvernance portuaire invite à la prudence quant à l’interprétation de ces résultats.
Figure 3. Le nuage des mots les plus utilisés par les acteurs urbano-portuaires
32De ce fait, il apparait intéressant d’identifier les mots les plus reliés aux mots-clés de notre étude au sein du discours des acteurs, à savoir les mots « gouvernance », « port » et « ville ». En effet, les réseaux de formes proposés par le logiciel ALCESTE permettent de mettre en exergue la proximité entre deux mots dans le discours à travers leur co-occurrence. La longueur du trait correspond au nombre d’UCE dans lesquelles les deux termes sont présents, pondéré par le nombre de mots qui les sépare dans l’UCE. Donc, plus le trait est court, plus la co-occurrence entre les deux mots est élevée. Le réseau de formes du mot « port » avec les quinze mots les plus fortement reliés (Figure 4) fait apparaître les co-occurrences les plus élevées avec le mot « ville » dont la quasi-totalité des verbatims font état de relations communes positives :
33- « Je pense donc que la collaboration entre la ville et le port dans le développement urbain et portuaire a été jusqu’à présent bonne » (Directrice des Relations Internationales du port de Klaipeda, Lituanie).
34- « Je parlais tout à l’heure des débats publics dans CAP 2020, un des points sur lequel est revenu la commission de débat public au printemps et une de leurs préconisations était de créer un port center, un outil de dialogue, en gros, entre la ville et le port » (Déléguée Générale de l’association des ports des Hauts de France Norlink Ports, France).
35- « Alors, ces décisions sont prises en commun entre la ville et le port et donc, j’ai cité beaucoup d’exemples, c’est ce qui nous a permis d’aménager les Docks Vauban, c’est ce qui nous a permis d’aménager le bassin Vauban en port de plaisance, c’est ce qui nous permet aussi d’ailleurs de faire fonctionner le vieux port de plaisance, c’est ce qui nous permet d’aménager un campus à proximité des bassins sur des terrains portuaires » (Maire-Adjoint de la municipalité du Havre, France).
Figure 4. Le réseau de formes du mot « Port »
36Ce résultat va dans le sens du postulat de départ de notre étude, à savoir des liens particulièrement étroits entre la ville et le port au sein des villes portuaires moyennes. Cependant, la présence de plusieurs questions relatives aux relations ou à l’interface ville-port dans le guide d’entretiens engendre possiblement un biais et il convient donc d’être prudent quant à l’interprétation de ce résultat. En outre, on peut également observer des co-occurrences importantes entre le mot « port » et les mots « territoire » et « région », témoignant de relations parfois fortes entre le port avec le territoire local et régional.
37Cependant, si l’on analyse le réseau de formes du mot « ville » (Figure 5), outre la présence des mots « port » et « portuaire » en première place qui témoigne de proximités fonctionnelles importantes entre le port et la ville, on retrouve des mots faisant référence à des rapports conflictuels comme « problème », « décision » voire « habitant ». Plusieurs verbatims vont dans ce sens :
38- « L’interface ville/port aujourd’hui est un problème de décisions mais moi, à part mon territoire ici qui est le bâtiment dans lequel vous êtes, si la ville a des problèmes ou le port a des envies de développement, je n’ai pas de raison à être impacté » (Directeur Général Adjoint de la CCI Seine-Estuaire, France).
39- « Mais n’oublions pas ceci car, à ce moment-là, ça touchait l’environnement et le cadre de vie des habitants, notamment de la partie ouest de la ville, qui seront directement impactés par le projet » (Chargé des relations portuaires à la Communauté Urbaine de Dunkerque, France).
Figure 5. Le réseau de formes du mot « Ville »
40Il est intéressant de voir apparaître le mot « région » fortement associé au mot « ville » au sein du réseau de formes (en quatrième position). D’ailleurs, si l’on analyse le réseau de formes du mot « gouvernance » (Figure 6), on constate également que le mot « région » y est également fortement associé (troisième position). Ces co-occurrences élevées entre la gouvernance et la région s’expliquent, notamment, par le projet de loi sur la régionalisation des Grands Ports Maritimes en France (proposition de loi déposée en 2018) et par la place de plus en plus prépondérante de la collectivité régionale au sein du processus décisionnel comme à Dunkerque :
41- « Il y a la grande interrogation sur la question de la place respective que doivent avoir dans ces instances de gouvernance l’État et la Région puisque la Région est de plus en plus appelée à cofinancer des projets d’infrastructure et la place de la Région dans la gouvernance n’est pas encore fixée » (Maire-Adjoint de la municipalité du Havre, France).
42- « En tout cas, Xavier Bertrand était très présent quand j’étais sur Dunkerque à l’époque mais est-ce que « présence », ça veut aussi dire « décision » au sein de la gouvernance ? » (Chercheuse spécialiste des enjeux environnementaux sur le Port de Dunkerque, France).
Figure 6. Le réseau de formes du mot « Gouvernance »
43Il est également intéressant de noter qu’au regard des places portuaires étudiées, on retrouve celle du Havre qui est fortement reliée avec les termes « ville », « port » et « gouvernance » alors que ce n’est pas le cas pour les autres places portuaires (sauf pour Kotka-Hamina avec le terme « ville » ainsi que Nantes-Saint-Nazaire, Dunkerque et Klaipeda avec le terme « port »). Ces proximités sémantiques posent la question de la force des relations ville-port dans des contextes urbano-portuaires différents. Par exemple, si l’on prend l’exemple du Havre, le poids du port par rapport à la ville (premier port à conteneurs de France et plus de 30 000 emplois dans le complexe industrialo-portuaire3) tend à diminuer ces dernières années avec notamment l’inscription du centre-ville reconstruit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005 qui s’est accompagnée d’un regain touristique significatif et a permis au port de croitre son accueil de passagers et croisiéristes (triplement de l’accueil de navires de croisières entre 2005 et 20194).
Conclusion
44Dans cet article, nous avons proposé une caractérisation originale de la ville moyenne portuaire à travers une analyse textuelle d’une vingtaine d’entretiens auprès d’acteurs de six places portuaires européennes. Même si cette étude a comme vocation d’être exploratoire, nous avons pu tester l’hypothèse d’une interdépendance forte entre la ville et le port en mettant en évidence des relations particulièrement importantes entre ces deux entités dans un cadre territorial. Nous avons pu également mettre en avant la place de plus en plus prégnante de la collectivité régionale au sein de la gouvernance portuaire, notamment dans un contexte de régionalisation des ports maritimes français. Cependant, il serait intéressant d’étendre l’enquête à d’autres villes portuaires moyennes en Europe afin de prendre en compte une plus grande diversité de dynamiques portuaires et urbaines. Ces premiers résultats permettent de lancer plusieurs pistes de réflexion quant aux caractéristiques mais aussi aux rôles des villes portuaires moyennes en Europe au sein de la compétition portuaire mondiale, régionale voire locale. Dans le projet de recherche que nous menons (PORTERR), il s’agira d’identifier et de qualifier les interactions entre la ville et le territoire dans une perspective d’évolution des modes de gouvernance urbano-portuaire. L’interface ville/port constituera une clef d’entrée pour l’analyse de ces relations entre la ville et le port.
Notes
451Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, transformée en 2014 en Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).
462Le projet PORTERR (PORTS ET TERRITOIRES) est porté par Lilian Loubet et Arnaud Serry (UMR CNRS IDEES 6266, Université du Havre, France) et financé par le RIN Recherche (Région Normandie).
473Source : INSEE (2013). 32 000 emplois sur le complexe industrialo-portuaire du Havre. Lettre d’Aval, n°132.
484145 navires de croisières accueillis dans le port du Havre en 2018 contre 55 en 2005 (source : Le Havre Étretat Normandie Tourisme).
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