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Enjeux et contraintes augmentées du développement touristique patrimonial urbain en Haïti : le cas du cap-haïtien et de Milot
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En se concentrant sur deux villes proches, Cap-Haïtien et Milot, situées dans le département du Nord d’Haïti, l’objectif de cet article est d’identifier les freins au développement du tourisme patrimonial urbain à Haïti. Le choix de ces deux centres-villes comme objet d’analyse se justifie par le fait qu’il s’agit de la région urbaine comprenant la plus forte densité de patrimoine culturel national et mondial, support de la touristicité culturelle haïtienne. Dans cette optique, la réflexion porte sur les défis du tourisme urbain des sites du patrimoine culturel de Cap-Haïtien et Milot. Cet article se base sur une analyse textuelle (bibliographie et analyse de rapports), et une analyse de données statistiques sur le tourisme et le patrimoine des deux villes. L’objectif est de mettre en évidence les nombreux problèmes rencontrés par le secteur du tourisme, et d’arriver à esquisser des pistes de solutions. Il en ressort que les défis sont énormes pour (re)positionner globalement Haïti dans le concert du tourisme mondial. En effet, quelle(s) stratégie(s) mettre en œuvre quand les besoins prioritaires et fondamentaux des habitants ne sont pas satisfaits ?
Abstract
By focusing on two nearby cities, Cap-Haitian and Milot, located in the North Department of Haiti, the objective of this article is to identify the obstacles to the development of urban heritage tourism in Haiti. The choice of these two city centers as the object of analysis is justified by the fact that it is the urban region with the highest density of national and world cultural heritage, which supports Haitian cultural tourism. In this perspective, the reflection focuses on the challenges of urban tourism of the cultural heritage sites of Cap-Haitian and Milot. This article is based on a textual analysis (bibliography and analysis of reports), and an analysis of statistical data on tourism and heritage of the two cities. The objective is to highlight the many problems encountered by the tourism sector, and to outline possible solutions. It emerged that the challenges are enormous to (re)position Haiti globally in the concert of world tourism. Indeed, what strategy(ies) should be implemented when the priority and fundamental needs of the inhabitants are not met?
Inhoudstafel
INTRODUCTION
1La mise en tourisme du patrimoine s’entend dans quasiment tous les pays du monde comme une stratégie efficace en termes de valorisation territoriale et développement économique, social et culturel. Pour certaines villes, elle devient même une partie indispensable du produit intérieur brut (PIB). Le tourisme urbain est devenu polymorphe, il repose sur une variété d’activités possibles et d’attractions, allant des monuments historiques aux animations culturelles, permettant d’associer la ville diurne et nocturne (Lahav et al., 2013). Selon les travaux de Lussault et Stock (2007), et Bernié-Boissard (2008), l’essence même du tourisme est fondamentalement et profondément liée à la culture urbaine. Dans ce contexte, le patrimoine contribue largement à la fabrique touristique de la ville, il est envisagé dans les politiques visant la rentabilité et le développement économique. Pour William Logan (2007), la valorisation des sites historiques doit être inscrite à l’agenda des politiques urbaines et des partenariats entre pouvoirs publics et initiatives privées afin de consolider les actions de requalification des villes.
2Le patrimoine, à la fois matériel (sculptures, peintures, maisons, châteaux, complexes urbains, églises, places ...) et immatériel (évènements populaires, cultes, musique, coutumes ...) (Sullivan, 2016 ; UNESCO, 2020b) est à la fois un point d’ancrage identitaire des lieux et un médiateur entre le passé et le présent. Sa valeur est capitale en termes d’histoire, de mémoire, de culture, de socialisation urbaine, de développement voire de croissance économique. La co-construction patrimoine et tourisme alimente la croissance des pratiques touristiques culturelles, stimulant un univers de visites, d’expériences, de découvertes, reposant toutefois au premier chef sur la nécessité d’une planification des villes d’accueil.
3Au fur et à mesure que la valorisation et le développement de ces lieux culturels prennent de l’importance et que les offres deviennent attractives, le complexe urbain, au regard des pratiques culturelles associées, tend à se modifier dans sa diversité spatiale et scalaire. Avec des consommateurs de plus en plus exigeants, dans le secteur du tourisme, les tendances du marché influencent également les services et les visites qu’offrent les villes. Cela signifie que le tourisme n’est pas toujours à l’abri des changements en lien avec la mondialisation, la métropolisation, l’individualisation ou l’hybridation des goûts (Gravari-Barbas et Fagnoni, 2013). Cela passe par un processus de restructuration de la vie quotidienne, au commun, à la contextualisation du séjour, aux interactions sociales, aux expériences authentiques (Pine et Gilmore, 1998 ; Andersson, 2007), comme en certifie le développement du couchsurfing (Priskin et Sprakel, 2008).
4Haïti, bien qu’elle ait été une destination touristique populaire très prisée dans les années 1980 (CTO, 2015), a connu au cours des vingt dernières années un ralentissement des flux de touristes. La ville historique (Cap-Haïtien) qui possède plusieurs sites du patrimoine national et la ville de Milot qui détient quant à elle un site du patrimoine mondial pourraient peut-être aider au processus de retour d’Haïti sur le marché touristique dont le pays a besoin. Pour ce faire, ces villes doivent être réécrites (ou en partie), restructurées et réadaptées stratégiquement par de multiples nouvelles pratiques de développement urbain à partir d’une modélisation de la ville qui, comme l’affirment Fagnoni et Buccianti-Barakat (2006), prend en compte les questions sociales, spatiales, économiques, urbaines, culturelles, et patrimoniales. Toutefois, ces deux villes – Cap-Haïtien et Milot – rencontrent des difficultés principalement liées aux infrastructures et assainissements qui compromettent le développement du tourisme. De ce fait, avant de penser à stimuler et développer des activités touristiques, il est avant tout nécessaire de résoudre ou d’intégrer ces besoins fondamentaux au(x) projet(s) de réhabilitation en tant que partie essentielle de l’environnement urbain. Cela est possible, dans la mesure où l’on considère ces villes comme des circuits complexes formés sur des piliers spatiaux fonctionnels de l’économie, de la politique, de la géographie et du social (Fagnoni et Buccianti-Barakat, 2006).
5En plus de ce contexte haïtien spécifique, la pandémie de COVID-19 qui a provoqué une crise mondiale de l’industrie du tourisme dans le monde entier, causée principalement par sa dépendance à la mobilité humaine (Yang et al., 2020) a fortement touché Haïti qui comptait sur des perspectives de croissance économique du secteur touristique pour la période 2013-2022, une contribution de 5,8 % par an du PIB total du pays (FPH-HAITI, 2014). Aussi, il apparaît aujourd’hui capital de réfléchir à des actions stratégiques à envisager pour lancer ou relancer le tourisme urbain dans le contexte actuel en focalisant sur les sites patrimoniaux haïtiens situés dans les centres-ville du Cap-Haïtien et de Milot.
I. LA RÉGION D’ÉTUDE : UN POTENTIEL EN DEVENIR
6Haïti occupe les deux tiers de l’île d’Hispaniola dans sa partie occidentale, qu’elle partage avec la République Dominicaine. Le pays s’étend sur 27 750 km2 et compte 11,5 millions d’habitants en 2020 (World Population, 2020). Sur le plan administratif, le pays est divisé en 10 départements et 145 communes, les langues parlées et officielles sont le français et le créole haïtien. La gourde est l’unité monétaire d’Haïti, mais il est également possible d’utiliser le dollar américain sur le marché intérieur. Concernant la région d’étude – communes Cap-Haïtien et Milot (Figure 1) – elle est localisée dans le département du Nord formé de 19 communes et représentant environ 10 % de la population nationale. La commune du Cap-Haïtien s’étend sur 53 km2 et compte une population estimée à 274 404 d’habitants dont 170 994 vivent dans le centre urbain du Cap-Haïtien selon les données démographiques de l’IHSI en 2015. La commune de Milot pour sa part s’étend sur un territoire d’environ 76 km2 et compte une population estimée à 31 992 habitants parmi lesquels 8 619 vivent dans la ville de Milot (IHSI, 2015). Cap-Haïtien et Milot sont distantes de 17 km, Milot est la ville la plus visitée, à la fois par les touristes haïtiens et les touristes étrangers, notamment en raison de son patrimoine inscrit depuis 1982 au patrimoine mondial de l’humanité (MEF, 2016). La région Nord d’Haïti est considérée comme une grande zone mémorielle, marquée par les premières villes de la colonisation.
Figure 1. Haïti, département du Nord, et les communes Cap-Haïtien et Milot (2017). Source : données cartographiques MINUSTAH, 2017, donnée populationnelle, IHSI, 2015. Réalisation : auteurs, 2021
7En 2011, l’ISPAN a répertorié 200 sites historiques à hautes valeurs culturelles dans le pays sans pour autant donner de précision sur ceux qui sont localisés réellement dans les centres urbains. Cela est lié d’une part à un manque de valorisation du patrimoine urbain et, d’autre part, à une politique discutable de gestion des biens classés. Cela est préjudiciable pour le développement touristique, car selon Séraphin (2018) les touristes se déplacent de plus en plus dans les villes, aussi, des informations sur les sites, les équipements disponibles, ou encore les infrastructures touristiques existantes pourraient et devraient les guider. Un bon système d’information doit être pensé et mis en place en Haïti pour attirer plus de visiteurs.
II. RETOUR SUR LE TOURISME HAÏTIEN (1987-2019)
8On souligne souvent que les flux touristiques d’Haïti fluctuent rapidement. Ils sont liés à des périodes de turbulences politiques, sociales, économiques et écologiques (Trevelyan, 2013). Avant 1987, le pays a connu quelques moments de succès avec des afflux de touristiques importants, qui lui ont même permis à Haïti de concurrencer le pays voisin, à savoir la République Dominicaine. En 1986, le renversement du Président de la République d’Haïti depuis 1970, Jean-Claude Duvalier, a engendré une augmentation de la criminalité et a fait d’Haïti l’un des pays les plus dangereux au monde, représentant un obstacle majeur au développement du tourisme. Pendant ce temps, la République Dominicaine en a profité pour construire une économie touristique solide. Depuis cette époque, Haïti n’a pas vraiment réussi à (re)créer un environnement sûr pour les touristes internationaux. Par ailleurs, un retard important a été pris dans la construction des infrastructures de base ; cette situation n’a pas créé les conditions favorables et nécessaires pour attirer les capitaux internationaux. Les données du Tableau 1 présentent l’évolution du nombre de touristes en Haïti de 1987 à 2019. Il s’agit de données annuelles tous milieux confondus. Plus de 70 % des touristes arrivés en Haïti proviennent des États-Unis. Cela s’explique non seulement par la proximité d’Haïti avec ce pays, mais également par l’importance de la communauté haïtienne résidant aux États-Unis (Le Patriote, 2020).
Tableau 1. Arrivées de touristes internationaux de 1987 à 2019. Source : au départ de données de UNWTO, 2016, CTO, 2015, World Bank, 2020
Années |
Arrivées touristes |
1987 |
239 200 |
1995 |
145 369 |
1996 |
150 147 |
1997 |
148 735 |
1998 |
146 837 |
1999 |
143 362 |
2000 |
140 492 |
2001 |
141 632 |
2002 |
140 112 |
2003 |
136 031 |
2004 |
96 439 |
2005 |
112 267 |
2006 |
107 683 |
2007 |
386 060 |
2008 |
258 070 |
2009 |
387 219 |
2010 |
254 732 |
2011 |
348 755 |
2012 |
334 184 |
2013 |
419 736 |
2014 |
465 174 |
2015 |
515 804 |
2016 |
445 000 |
2017 |
467 000 |
2018 |
444 000 |
2019 |
938 000 |
9Le nombre de touristes en 1987 était de 239 200 contre 107 683 en 2006. Durant cette période, l’année 2004 a enregistré le plus faible nombre d’arrivées (96 439 touristes). Entre 2006 et 2010, on observe aussi une diminution des arrivées due tant aux catastrophes naturelles qui ont frappé le pays qu’aux instabilités politiques. Les ouragans de 2008 et le tremblement de terre de 2010 sont les deux évènements naturels majeurs qui ont violemment frappé Haïti et ont détruit l’économie d’un tourisme déjà considéré comme « boiteuse ». Des sites patrimoniaux urbains ont été détruits tels que la Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption à Port-au-Prince, le Palais National, des hôtels de grande catégorie ont été également endommagés. Les arrivées de touristes en 2009 (387 000) ont montré qu’Haïti était en croissance, alors qu’en 2010 le volume est retombé à 254 732. Selon les données d’Hugues Séraphin (2016), avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010, Haïti comptait environ 2 000 chambres d’hôtel. À la suite du séisme, il ne restait que 40 % de l’hôtellerie dans tout le pays. Paradoxalement, il est important de noter qu’après la catastrophe majeure de 2010, on a observé une croissance continue du nombre de touristes dans le pays.
10En effet, entre 2011 et 2016, le gouvernement a mis en œuvre une politique et des actions pour encourager le tourisme, entre autres la construction de 2 000 chambres d’hôtel, la formation de cadres, l’aménagement et la promotion des sites touristiques, et la mise en œuvre d’une règlementation du secteur. Un plan d’action qui aura amélioré le nombre d’arrivées après 2010. En effet, le nombre de touristes est passé de 254 000 en 2010 à 348 000 en 2011, avant de diminuer en 2012 à 334 000 et d’augmenter à nouveau en 2013 dépassent les 400 000 touristes (419 000 exactement). Il semble que les visiteurs étaient alors curieux de venir in situ, voir Haïti après le tremblement de terre, alimentant le phénomène du dark tourism, phénomène théorisé dans les années 1990 par deux chercheurs américains, Malcolm Foley et John Lennon, désignant les dérives voyeuristes du tourisme.
11Les flux touristiques avaient effectivement diminué auparavant, à savoir en 2012 en raison, d’une part, d’une longue période de transition gouvernementale et des élections agitées, et, d’autre part, en raison de l’ouragan Sandy (dix-huitième cyclone tropical de la saison cyclonique 2012 dans l’océan Atlantique Nord) qui a touché le pays et l’a laissé en proie au choléra. Par ailleurs, une augmentation légère, mais à un rythme plus régulier peut être observée de 2013 à 2015 (Tableau 1). Mais entre 2016 et 2018, le nombre d’arrivées a à nouveau diminué, cela est surtout dû aux instabilités politiques, au climat insécuritaire (kidnapping) et également à l’ouragan de 2016 qui a ravagé le pays, en particulier la péninsule sud du territoire. En 2019, le pays a accueilli 938 000 touristes, une croissance à considérer, car cela ne s’était pas produit depuis 2006 (World Bank, 2020). La contribution du secteur au PIB en 2019 est de 8,3 %, à savoir une croissance de 5,3 % par rapport à 2018 (Knoema, 2021) une valeur importante pour l’économie du pays ainsi que pour la création d’emplois selon le Ministère du Tourisme.
12Il serait donc souhaitable de relancer le tourisme qui pourrait contribuer au développement d’une économie plus stable, améliorer les infrastructures, créer des possibilités d’emploi et assurer plus de stabilité sociale dont le pays a tant besoin. Haïti était autrefois considérée comme la plus riche colonie française (Higate et Henry, 2009 ; Girault, 2010) et aujourd’hui c’est l’état le plus pauvre de l’Amérique avec un PIB par habitant de 797 $ EU par an. Le secteur du tourisme est tout à fait stratégique pour aider à faire redécoller l’économie du pays en profitant des patrimoines situés dans les centres urbains et sans doute ailleurs, les sites historiques étant le principal facteur attractif (Providence, 2012).
III. DÉFIS TOURISTIQUES DANS LES MILIEUX URBAINS DU CAP-HAÏTIEN ET DE MILOT
13Pour étudier les sites patrimoniaux urbains à Haïti, il importe de prendre en compte les énormes défis rencontrés par le secteur dans les villes historiques. Les touristes sont exigeants et fréquentent des lieux qui correspondent à leur intérêt, et qui attirent leur attention. L’objectif de cette troisième partie est de présenter les principaux sites patrimoniaux des centres urbains du Cap-Haïtien et de Milot, des villes appréciées par les visiteurs pour leur histoire et leur culture.
A. Les espaces concernés
14Les principaux sites patrimoniaux des espaces urbains du Cap-Haïtien et de Milot tiennent une place importante dans l’histoire et la société haïtienne. Ils préservent la mémoire et l’identité historiques du peuple. Ils sont ancrés dans la mémoire de l’architecture des villes et sont perçus comme des éléments symboliques de l’histoire locale. Dans un contexte global, les patrimoines historiques permettent de reproduire les expériences construites pas une société : les influences, la culture, l’économie, la gestion du travail, le développement et d’autres facteurs. Si l’on regarde l’histoire de grandes civilisations comme Rome, l’Égypte, on aura une vision plus juste de l’importance et la nécessité de préserver la mémoire et le patrimoine. Aujourd’hui quelques ruines permettent de raconter l’histoire de ce qui était autrefois synonyme de puissance économique, de résistance et de valeur. Le Parc National Historique (PNH) de Milot, la Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption et la place Notre-Dame du Cap-Haïtien, permettent d’interroger et de connaître les caractéristiques de la civilisation haïtienne liées principalement à la période de l’indépendance.
1. Parc National Historique
15Le Parc National Historique – Citadelle, Sans Souci, Ramiers (PNH-CSSR) (Figure 2) est situé en marge du centre urbain de Milot. Le parc occupe une superficie de 27 km2 et se compose de trois bâtiments : la Citadelle Laferrière, les ruines du Palais Sans Souci et le Complexe des Ramiers. Il est inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial depuis 1982 par le Comité du Patrimoine Mondial (CPM-UNESCO) (MT, 2013 : 61). C’est un symbole universel de liberté, un symbole de résistance pour un peuple qui a conquis sa liberté dans la souffrance en 1804 et est devenu le premier peuple noir libre au monde. Le PNH contient les premières structures construites par les esclaves noirs sous les ordres de Jean-Jacques Dessalines (empereur qui a proclamé l’indépendance d’Haïti en 1804) (UNESCO, 2020a). À l’origine, la Citadelle a été conçue comme un point d’observation et de défense pour le département du Nord en prévision d’éviter un éventuel retour des Français après l’indépendance de 1804. Elle a été bâtie sur une période de quinze ans avec l’aide de 20 000 travailleurs. Située à 900 mètres d’altitude, la Citadelle Laferrière (Figure 2C) est la plus grande forteresse des Caraïbes, elle permet d’observer presque toute la région nord et propose aux visiteurs un témoignage captivant d’un passé frénétique et intimement lié à l’histoire du pays. Des canons, existants depuis plus de deux siècles, sont toujours en place et parfaitement conservés formant une collection unique au monde (ISPAN, 2010 ; MEF, 2016). L’organisme spécialisé de l’État, l’ISPAN, est responsable de l’administration du parc. Depuis 2014, l’ISPAN a constitué une structure de gestion intérimaire dont la mission principale est d’élaborer le plan de gestion du PNH-CSSR et la structure définitive de sa gestion.
16Bien que le PNH soit un patrimoine mondial, les problèmes auxquels il est confronté laissent à penser qu’il n’est sous aucune gestion rigoureuse. Selon un rapport réalisé sur la situation du parc par le ministère de l’Économie et des Finances (2013), on y distingue d’énormes difficultés, parmi lesquelles le déboisement apparu en tête de liste comme la principale cause de dégradation de l’environnement du parc. Des espèces d’oiseaux sont devenues très rares à cause de la forte pression exercée sur les ressources environnementales du parc. Dans le passé, les heures de la journée des Milotiens étaient souvent rythmées par le chant des tacots, actuellement ils ne volent plus sur la ville. Ensuite, dans ce même rapport, on identifie le problème sérieux de l’eau. En effet, les points d’eau du parc alimentent les habitants du centre-ville de Milot, ils avaient jadis des débits importants tout au cours de l’année, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. À certaines périodes de l’année, les habitants du parc, tout comme les touristes, ont du mal à s’approvisionner en eau (MEF, 2013). De surcroit, on rapporte que lors des périodes de pluies intenses, d’importantes quantités d’eau infiltrent les bâtiments du Palais Sans Souci et de la Citadelle Laferrière (Figure 2), ce qui représente une menace pour la stabilité précaire des ruines, en particulier au niveau des fondations. Parmi les difficultés figurent également l’inadéquation des attractions aux exigences spécifiques des expériences touristiques, des motivations culturelles et l’insertion de la population locale dans l’activité économique, afin de garantir la préservation et la durabilité du parc lui-même (Thelus, 2012). Cela serait possible si l’on facilitait l’ouverture du commerce touristique par la population locale et l’organisation des évènements culturels de sensibilisation et d’implication avec l’éveil du sens de la préservation.
17À l’heure actuelle, le parc fonctionne sans système d’enregistrement informatique, ce qui fait qu’il est difficile d’obtenir des données touristiques disponibles. Pour une bonne pratique touristique du PNH-CSSR (Figure 2), il est urgent de réaliser un inventaire et d’enregistrer les équipements anciens et nouveaux, les services et attractions touristiques, ainsi que le potentiel des ressources touristiques non (encore) reconnues. L’une des solutions serait la création d’un système intégré de gestion du tourisme, pour faciliter la maintenance de l’inventaire et normaliser l’insertion des données sur les sites patrimoniaux, en vue de soutenir les processus opérationnels et décisionnels du parc. En avril 2020, un incendie a eu lieu dans la Chapelle royale de Milot (Figure 2A), classée également patrimoine mondial à l’intérieur du parc. Cette catastrophe est-elle liée à la négligence des gestionnaires du parc ? La question demeure sans réponse, de toute façon cela a suscité l’indignation générale des Milotiens, de tous les Haïtiens et des représentants du secteur privé, des institutions socio-professionnelles et universitaires qui ont publié une lettre de critique ouverte à l’administration actuelle (ONU-Habitat, 2012a). Toutefois les effets se font attendre.
18Ce sont en fait des défis majeurs pour les administrations publiques du tourisme et du patrimoine culturel de Milot. Il faut initier des projets de revitalisation du PNH-CSSR, car pour l’heure l’existant ne parvient pas à promouvoir des changements significatifs pour attirer plus de touristes sur le site. S’ajoute à ce problème la question du gaspillage des ressources financières ; cela met en évidence l’urgence d’enquêter sur les sujets qui rendent très difficile le développement du tourisme du parc.
Figure 2. Parc National Historique – Citadelle, Sans Souci, Ramiers (PNH-CSSR). (A) La Chapelle Royale de Milot ; (B) Le Palais de Sans-Souci ; (C) La Citadelle ; (D) Ramiers. Source : Ministère du Tourisme Haïti, 2014 ; ISPAN, 2017
1.1. Défis touristiques pour la ville de Milot
19Du côté du secteur public et du secteur privé, différents projets de restructuration du parc visant à le valoriser se multiplient pour améliorer les points négatifs qui empêchent le décollement du tourisme du PNH-CSSR. Cependant, on aurait tort de croire que le centre-ville de Milot est structuré pour augmenter son volume de touristes par le biais du parc. Selon Thelus (2012), le tourisme à Milot est une opportunité, mais aussi un danger, car la ville n’est pas organisée : comment pourra-t-elle répondre à un flux important de touristes ? En outre, le centre urbain de Milot présente bien des obstacles propres à décourager le tourisme : dans le Tableau 2, établies à partir des données du Ministère du Tourisme, nous présentons quelques suggestions pour améliorer les principales ressources touristiques existantes de la ville.
Tableau 2. Centre urbain de Milot, infrastructures ressources touristiques. Source : Ministère du Tourisme, 2013 ; Historic Haïti, 2020
Milot |
||
Infrastructures |
Quantité |
Observation |
Hébergement touristique |
1 |
Augmenter le nombre d’hôtels et de chambres, encourager la création de maisons d’hôtes, qui s’adresseraient notamment à des familles tout en essayant d’améliorer la question de la formation du personnel. |
Services bancaires |
0 |
Il faudrait insérer les agences bancaires dans des espaces appropriés et surtout sécurisés tant pour les touristes que pour les habitants. |
Sécurité |
1 |
Augmenter le nombre de policiers et leur fournir l’équipement nécessaire. |
Service hospitalier |
1 |
La ville dispose d’un grand hôpital de référence (Hôpital Sacré-Cœur), mais il est nécessaire d’améliorer les services d’urgences en augmentant le nombre de médecins et en se procurant plus d’équipements. |
Routes/accès au Patrimoine |
2 |
Itinéraire 1 (Milot vers La Citadelle). Tronçon de route carrossable de l’entrée du Palais de Sans-Souci au parc de stationnement : 5,1 km. Tronçon de route non carrossable du parc de stationnement à la Citadelle : 1,7 km. Distance totale de l’entrée du Palais à La Citadelle : 6,8 km. Itinéraire 2 (Dondon vers La Citadelle en passant par le carrefour 16). Tronçon de la route nationale 3 – sortie du bourg de Dondon à Carrefour 16 : 3,49 km, tronçon actuellement non carrossable de Carrefour 16 au parc de stationnement : 2,16 km. |
Transport |
4 |
Améliorer l’offre de transports (public et privé) pour les touristes (taxis, mototaxis, ...). |
Restaurant |
1 |
Il faut multiplier les restaurants afin d’offrir une offre variée aux touristes et augmenter la capacité d’accueil. |
Boutique de souvenirs |
0 |
Il faudrait identifier et encourager les artisans locaux à produire et à vendre des produits artisanaux traditionnels et créer des boutiques adaptées. |
20La ville de Milot a la chance de posséder le Parc National Historique. Sa position en marge du centre-ville, constitue la porte d’entrée et un passage obligé pour avoir accès au parc arrivant du Cap-Haïtien. Cependant, la ville elle-même fait face à de sérieux problèmes élémentaires qui sont considérés comme des freins au développement du tourisme urbain, comme ceux identifiés dans le Tableau 2. Si l’on prend la question de la sécurité (entre autres) liée notamment à l’absence de services bancaires sécurisés, cela concerne au premier chef la population locale, et bien évidemment, par répercussion, les touristes. Il en est de même de la mauvaise gestion des déchets ou encore le manque d’électricité.
21(…) Milot fonctionne sans plan de drainage et d’assainissement. Les riverains déversent les déchets de maison sous un pont à proximité du Palais Sans Souci. Face à ce problème, la Mairie reste impuissante faute de moyen. Ce problème d’assainissement se pose aussi à l’intérieur du parc. En effet, le parc historique de Milot abrite, selon le Directeur de l’Environnement, environ 5 000 familles dont une forte proportion ne dispose pas de latrine familiale. Par conséquent, certains font leur besoin à même le sol ou à proximité des sources d’eau, ce qui peut incommoder les visiteurs et poser un problème de santé publique (…) (MEF, 2013 : 26).
22Autre élément majeur et nécessaire au développement du tourisme – comme pour toute destination – c’est l’hébergement. À Milot se trouve un seul hôtel de huit chambres de classe III (Historic Haïti, 2020) (Tableau 2). Selon le Ministère du Tourisme, cette classe est destinée aux établissements qui :
23(…) respectent de 30 à 40 % les critères suivants : accès plus ou moins facile, places de stationnements, professionnalisme, réputation/notoriété, électricité régulière, réseau Internet accessible, confort du client, calme de l’endroit, environnement extérieur et intérieur agréable, grande capacité d’accueil (en moyenne 30-40 personnes), douche et toilette standardisées par chambre, eau courante dans les lavabos et dans les toilettes, petit déjeuner, services aux chambres, demandes des clients résolues rapidement (…) (MT, 2013 : 94).
24L’offre d’hôtels a diminué dans la ville entre 2013 et 2020, passant de trois à un, ce qui était déjà faible. Est-il nécessaire qu’un touriste utilise les hôtels du Cap-Haïtien pour se loger ? Certes le Cap n’est pas très loin de Milot, mais le touriste devrait pouvoir avoir la possibilité de choisir son lieu.
25En termes de transport, les options dans la ville de Milot et dans le PNH sont limitées. Deux routes d’accès relient les municipalités du Cap-Haïtien et de Dondon au parc. Il est commun que, sur le trajet à l’intérieur du parc entre le Palais Sans Souci et la Citadelle, les touristes se déplacent à cheval, car il s’agit d’un trajet long et surtout escarpé. Bien que ces routes soient plus accessibles à partir de certains points, il est nécessaire de revoir leur condition d’utilisation tout au long du parcours. L’amélioration qualitative de l’offre de transports est indiscutablement liée à la mise en tourisme. Selon Brazidec (2010), l’investissement dans le transport entraine un accroissement de la fréquentation touristique, cela permet un élargissement géographique de la provenance des visiteurs et concède globalement une plus grande liberté de déplacement.
26Ces principaux facteurs affectent l’attraction du tourisme dans la ville et dès lors, les retombées économiques escomptées sont loin d’être garanties si rien n’est fait en matière d’infrastructures pour donner plus de choix aux visiteurs. Si les décideurs du secteur touristique d’Haïti en général, et de Milot en particulier, veulent développer, comme le font beaucoup d’autres, le marché du tourisme patrimonial urbain, ils doivent faire bien plus que simplement ouvrir les lieux historiques et raconter les histoires de la civilisation haïtienne.
2. Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption du Cap-Haïtien
27La cathédrale Notre-Dame de l’Assomption du Cap-Haïtien (Figure 3) est située au centre de la capitale historique d’Haïti (originellement Cap Français, construite par les Français en 1660). Elle se localise sur la Place d’Armes de la ville construite également par l’ancienne colonie française, en 1724. La cathédrale elle-même a été bâtie en 1670, mais a été sérieusement endommagée plusieurs fois comme lors d’un tremblement de terre en 1842. De nombreuses réparations se sont succédées en conséquence. Son apparence actuelle est donc principalement due aux changements majeurs qui ont été apportés en 1941 et 1942. Elle est classée comme patrimoine historique national d’architecture religieuse (ISPAN, 2017). Le bâtiment mesure 66,30 mètres de long et 26,95 mètres de large (Jean-Claude, 2020).
28La Cathédrale Notre-Dame située sur la Place d’Armes du Cap (Figure 3) attire des touristes locaux, nationaux et internationaux durant toute l’année, surtout lors des principaux attraits culturels et commémorations historiques. Parmi les événements qui attirent des foules, on citera d’abord la fête Notre-Dame de l’Assomption (15 août) célébrée par une messe solennelle chantée en l’honneur de la patronne de la ville (Clément, 2013), mais aussi la célébration de la fête du drapeau le 18 mai (commémoration de la création du drapeau haïtien), la célèbre messe de 18 novembre (en mémoire des héros de l’indépendance de la bataille de Vertières), la fête du carnaval (23, 24 et 25 février) et aussi la fête de l’agriculture et du travail, le 1er mai. Sur la Place d’Armes en face de l’église, on trouve la statue de Jean-Jacques Dessalines, héros de l’indépendance, sa statue est perçue comme un symbole pour la communauté capoise, il garde un œil sur la place et sur l’église et rappelle le passé de la ville. C’est également sur cette même place que fut proclamée la libération des esclaves noirs, le 29 août 1793 (Jean-Claude, 2020).
29Le patrimoine historique culturel Notre-Dame de l’Assomption du Cap-Haïtien est en bon état, la dernière réparation remonte à moins de 5 ans. Ses murs sont préservés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Malgré les petites retouches lors des maintenances, rien n’a changé dans l’architecture globale de l’édifice (Jean-Claude, 2020).
30Figure 3
2.1. Défis pour le tourisme dans la ville de Cap-Haïtien
31Cap-Haïtien, ville portuaire, connue sous le nom de Capitale historique d’Haïti, est classée comme la deuxième ville de la république depuis 1946 (IDEA, 2010). La ville est fondée en 1670 par la colonie française, à l’époque elle fut surnommée, le « Paris de Saint-Domingue » étant donné sa splendide architecture patrimoniale (Historic Haïti, 2020). Cap-Haïtien représente réellement l’immortalisation de la mémoire collective haïtienne, une simple visite guidée au niveau du centre-ville et de ses périphéries permet de découvrir son potentiel historique et architectural qui témoigne du passé glorieux et historique (Historic Haïti, 2020). L’agglomération du Cap-Haïtien est sans nul doute faite pour être une attraction touristique magistrale en raison de son paysage montagneux, ses œuvres d’art historiques exposées dans ses rues, ses fêtes populaires, sa cuisine qui permet à n’importe quel visiteur d’apprécier l’identité du peuple capois.
32Malgré la structure architecturale magistrale de la ville, des problèmes spécifiques s’opposent au développement touristique du patrimoine à Cap-Haïtien. Dans le Tableau 3, tout comme pour la ville de Milot, nous identifions quelques suggestions pour améliorer les principales ressources liées au développement du tourisme qui sont disponibles dans la ville.
33Concernant la ville du Cap-Haïtien, il est possible d’identifier de réelles ressources pour accueillir des touristes. En matière d’hébergement, on y trouve plus de 38 hôtels (Tableau 3), la majorité étant de standard international (Historic Haïti, 2020). Arrivant de l’aéroport international du Cap-Haïtien ou à la gare des autobus (arrivée de Santiago ou de Port-au-Prince), les options de transport sont nombreuses : taxi, mototaxi, bus touristique, location de voiture avec ou sans chauffeur sont largement offerts aux visiteurs (Historic Haïti, 2020). Les moyens de transport permettent une fluidité, dans et hors de la ville.
34Les freins au développement du tourisme sont les mêmes qu’à Milot, ils concernent en premier lieu le fonctionnement urbain, à savoir la disponibilité de l’eau courante et l’accès limité à l’eau potable. De plus, la mauvaise gestion des ordures pose de sérieux problèmes sanitaires autant pour les résidents que pour les touristes, comme le déversement de fatras dans les canaux de drainage ou tout simplement déposés sur les trottoirs. Cette pratique engendre une réelle pollution urbaine et augmente le risque d’inondations dans la ville. En outre, le manque d’énergie et l’insécurité régnante à Cap-Haïtien sont une préoccupation majeure autant pour les Capois que pour les visiteurs. Divers facteurs favorisent le développement de cette insécurité, comme le manque de gestion du développement urbain, dû à l’insuffisance de moyens ; la promiscuité dans certains quartiers situés à l’entrée nord et sud de la ville (Laforsette, Barrière Bouteille), le chômage généralisé, la pauvreté extrême et le manque de présence policière (ONU-Habitat, 2012b).
35On aurait tort de penser que les administrations de la ville de Milot et du Cap-Haïtien ont la capacité économique pour résoudre tous ces problèmes basiques en même temps. Cependant, il est de fait capital de rappeler que ces aménagements fondamentaux sont le préalable indispensable au développement et au fonctionnement urbain et touristique, tant au Cap, qu’à Milot. Ces deux villes ont un potentiel touristique (fondé sur le patrimoine) ; les décideurs peuvent s’en servir intelligemment pour attirer plus de touristes, profiter des recettes pour résoudre les problèmes des services élémentaires et faire de ces centres-ville une destination touristique en (re)construction.
IV. REPENSER LES VILLES PATRIMONIALES DE MILOT ET DU CAP-HAÏTIEN, COMMENT le faire ?
36Repenser les villes du Cap-Haïtien et de Milot pour mieux les adapter au tourisme urbain est la question engagée dans ce travail. Cela doit fondamentalement commencer par la régularisation des services de base, avant de passer à la restructuration qui permettra de mieux valoriser les sites patrimoniaux. Les décideurs haïtiens du secteur touristique ne doivent surtout pas ignorer que la consommation touristique d’un espace en tant qu’attraction culturelle ne dépend pas seulement de sa valeur artistique et historique, mais aussi de la manière dont les espaces de visite sont gérés (plans urbains, plans de réhabilitation urbaine, instruments de planification territoriale, entre autres), à travers la gestion des flux de visites (zonage, mobilité), les limites des capacités d’accueil, l’accueil de la population locale, le type d’offre touristique dans l’univers virtuel et l’image construite (Donaire Benito, 2012).
37Cela doit commencer par l’identification des motifs qui amènent les gens à pratiquer le tourisme dans les villes : facilité d’accès, facilité d’arriver sur les sites touristiques, de partir et de se déplacer entre les attractions. En outre, des efforts devraient être faits pour varier les attractions, c’est-à-dire offrir plusieurs options dans la ville par la valorisation d’autres sites historiques. Il serait bon de diversifier les possibilités d’hébergement, de restauration, de bars pour tous les goûts et pour tous les budgets. En matière de sécurité, ce point est capital, afin d’éviter stress et inquiétude. Il serait donc nécessaire d’avoir des corps spéciaux placés dans les zones stratégiques.
38Mais le développement du tourisme urbain accroit sans doute les difficultés, car il faut en plus de la valorisation des sites patrimoniaux, développer des hôtels en des lieux spécifiques, lutter contre d’éventuelles congestions du trafic et l’utilisation exagérée des monuments et des lieux. De ce fait, le plan stratégique du tourisme urbain devrait être élaboré comme une partie intégrante du plan d’urbanisme global ou comme un plan de revitalisation des quartiers urbains. De cette manière, le tourisme pourrait être bien intégré dans le tissu urbain, et les problèmes de désaccords liés à l’utilisation des terres pourraient être minimisés (Mansfeld et Pizam, 2006). Car il faut le rappeler, la conservation et la valorisation des sites patrimoniaux dans les villes sont d’une importance capitale dans les plans de développement touristique (UNESCO, 2006).
39La mise en valeur des ressources patrimoniales apparaît ainsi comme une source de revenus et d’emplois d’autant plus importante que bien des villes ont vu leur base économique bouleversée. Le patrimoine urbain constitue la première ressource visible. Le tourisme urbain traditionnel, essentiellement consacré au commerce ou aux affaires, ne disparait pas, mais il tend à se fondre dans une montée généralisée du tourisme culturel ou patrimonial (…) (Greffe, 2000).
40En outre, cela doit se faire dans les normes et le respect des populations locales. La modernisation des infrastructures du patrimoine culturel vise à revaloriser les territoires du patrimoine pour une destination touristique. Mais on ne peut guère oublier que les patrimoines ont des valeurs propres, identifiées et portées par une société particulière. Ce sont des biens matériels et immatériels qui ont un contenu symbolique significatif, ce qui les rend dignes d’une protection spéciale non seulement en termes de conservation, mais également de l’usage qui peut en être fait (Harrison, 1994).
CONCLUSION
41Le rappel de l’évolution du tourisme haïtien de 1987 à 2019 a permis de montrer clairement les différentes phases de succès liées aux flux touristiques d’Haïti. Puis, l’industrie touristique, qui avait progressivement réussi à effacer l’image d’un pays meurtri par le séisme de 2010, se trouve aujourd’hui au bord de l’agonie. Cette réflexion menée à partir de deux centres-villes (communes du Cap-Haïtien et de Milot) révèle les défis touristiques à maitriser.
42Dans les villes d’Haïti, le tourisme souffre des multiples problèmes rencontrés par le pays. C’est donc un autre défi que les décideurs doivent relever. Il est clair que le développement du tourisme peut être bénéfique pour l’économie des villes (et du pays). Mais comment le repenser à côté de toutes les autres activités économiques ? Idéalement, chaque centre urbain devrait avoir son propre plan directeur avec de grandes lignes directrices. Dans ce plan, nous insistons sur la nécessité de donner plus de priorité, au départ, aux problèmes élémentaires (électricité, agences bancaires, gestion de déchets, sécurité, transport plus adéquats) surtout à Milot.
43Le développement du tourisme culturel urbain dépend d’une planification qui favorise l’activation du patrimoine culturel et sa mise en valeur conséquente. Il faudrait aussi favoriser la rénovation urbaine, car le patrimoine est un bien culturel et la ville doit être valorisée pour ses fonctions culturelles en plus d’être capable de répondre aux besoins du citoyen. Le patrimoine haïtien a un potentiel à exploiter, mais cela dépend directement de la capacité à pouvoir résoudre toutes les difficultés mentionnées dans cet article. Dans la zone caribéenne, les îles de la Caraïbe constituent un bassin touristique dynamique et en constante évolution, dominé par la clientèle nord-américaine et les flux européens portés individuellement vers leurs anciennes possessions, le tourisme constitue globalement l’un des moteurs de relance économique de la zone ; à Haïti, l’enjeu est de taille, mais les faiblesses structurelles – notamment de la région Nord, véritable région patrimoniale – rendent indiscutablement la (re)mise en tourisme très difficile.
44Au terme de cette contribution, nous retenons deux remarques fondamentales à propos du tourisme culturel à Haïti. La première - paradoxalement aux catastrophes mettant en péril l’activité touristique - porte au contraire sur les années de crue touristique affichant une résilience transitoire, ces années correspondent pour beaucoup à des mouvements de « voyeurs » : aller voir in situ les sites après le tremblement de terre. La seconde porte sur le constat persistant d’une mise en tourisme très difficile. En effet, entre contextes conjoncturels et structurels, il faut bien reconnaître - pour ce qui concerne les recommandations du Ministère du Tourisme, recueillies dans les Tableaux 2 et 3 - qu’il s'agit évidemment de vœux pieux de technocrates bien au chaud dans leur poste !
45Le tourisme dans la Caraïbe, et particulièrement en Haïti, est confronté à de nombreux défis. Considéré comme un moteur de la relance économique de l’île, des pistes de réflexion, certes timides mais pertinentes et encourageantes semblaient enfin se (re)dessiner, toutefois, la République d’Haïti venant de connaître un nouveau drame avec l’assassinat du Président Jovenel Moïse dans la nuit du 7 juillet 2021 dans sa propre résidence, projette le pays dans un nouveau chaos. Cette tragédie conforte malheureusement un contexte géopolitique très instable, vulnérable et quasi chronique, et s’entend comme un nouveau coup dur en termes de stabilité sociale, de développement économique en général et de développement touristique en particulier.
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Om dit artikel te citeren:
Over : Weldy SAINT-FLEUR
Université Laval Québec Canada, Département de Géographie, Faculté de Foresterie, de géographie et de géomatique, WSAF1@ulaval.ca
Over : Laís Stefany DE CARVALHO FALCA LIMA
Université Laval Québec Canada, Département des Sciences Historiques, Faculté des Lettres et des sciences humaines, LSDEC@ulaval.ca