- Home
- 57 (2011/2) - Questionner le tourisme rural
- Éditorial : Questionner le tourisme rural
View(s): 1464 (19 ULiège)
Download(s): 532 (3 ULiège)
Éditorial : Questionner le tourisme rural
Attached document(s)
original pdf file1Le tourisme, on le sait, est une activité économique des plus importantes aujourd’hui. Dans certains états, il constitue la première activité économique en termes d’emplois, de valeur ajoutée et/ou de rentrées de devises. Il est également un objet d’étude et de recherche en plein essor, qui ne souffre plus du regard condescendant qu’il suscitait encore il y a deux décennies chez de nombreux chercheurs en sciences sociales. Les publications consacrées au tourisme (articles, ouvrages, numéros thématiques de revues généralistes, revues spécialisées), sont nombreuses et recoupent des disciplines variées quant elles ne se réclament pas d’une nouvelle discipline. Le tourisme est donc aujourd’hui un secteur de recherche bouillonnant au sein duquel émergent de multiples interrogations, qui portent tant sur les ressorts des pratiques touristiques, les logiques de développement et de transformation de l’offre que les multiples incidences du déploiement des activités touristiques dans les espaces récepteurs.
2Le tourisme rural n’échappe pas à ces interrogations. Si les campagnes européennes accueillaient une part substantielle des nuitées touristiques peu après la Deuxième Guerre mondiale, elles ont connu ensuite une forte érosion de leurs parts de marché dans le cadre d’une massification du tourisme polarisée par les destinations littorales. à partir des années 1980, les tendances se sont inversées. Une part croissante des touristes s’est détournée des accumulations balnéaires estivales, pour trouver dans le monde rural des possibilités originales d’activités ou de non activités et un dépaysement relativement nouveau. Très vite, toutefois, il s’est avéré que l’offre touristique rurale présentait d’importantes lacunes aux yeux de consommateurs plus exigeants qui, riches d’expériences variées et de documentations nombreuses fournies par la télévision, l’Internet ou par les rayons « voyages » des librairies, savent dorénavant ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas et s’attendent à un produit sur mesure. Dès lors, l’adéquation plus ou moins réussie, entre les attentes des visiteurs et les ressources et infrastructures touristiques des campagnes s’est imposée comme un enjeu majeur du tourisme rural.
3Jadis appelé tourisme vert par opposition aux tourismes bleu (du littoral) et blanc (des sports d’hiver), le tourisme rural conserve et développe ce lien privilégié avec l’environnement naturel. La part importante des espaces non bâtis, souvent perçus comme « naturels », la modestie des nuisances sonores, la faiblesse du trafic routier, …, contribuent à l’attrait du monde rural, en particulier auprès des populations urbaines et périurbaines, devenues très largement majoritaires en Europe. Les acteurs touristiques ruraux l’ont bien compris, comme en témoigne la mise en avant systématique de ces dimensions dans leur communication. Dans la même optique, le développement durable est fréquemment mobilisé aujourd’hui pour orienter si ce n’est les projets touristiques eux-mêmes, en tout cas la promotion qui en est faite.
4Une des caractéristiques du tourisme rural est qu’il intervient dans des espaces généralement peu denses qui accentuent son impact socio-économique. Revenus supplémentaires, nouveaux emplois, regain démographique, nouveaux équipements, mise en valeur du patrimoine rural et culturel sont des conséquences espérées d’un développement touristique. Mais ces développements comportent également, et particulièrement en milieu rural, des menaces sur les équilibres entre les activités économiques avec des influences du développement touristique sur le marché de l’emploi, sur les prix immobiliers, avec des risques de dénaturation du paysage et de la culture locale, avec des problèmes de circulation routière accrue.
5En raison même de ses retombées économiques, le tourisme est souvent présenté aveuglément comme une solution magique de développement régional ou local. En milieu rural, à voir se multiplier les initiatives, on pourrait penser qu’il est l’avenir pour toutes les campagnes. Les projets fleurissent souvent soutenus par les politiques de développement rural tel que le programme Leader dans l’Union européenne. Il est vrai que le développement touristique peut générer de nombreux emplois qui sont peu délocalisables, les services étant prestés là où sont les touristes et qu’à côté des retombées directes, ce secteur d’activités repose sur de nombreux produits, services et équipements ; il dynamise ainsi toute l’économie d’une région. Néanmoins, l’accueil de populations issues d’autres cultures, ne fussent que des populations urbaines en milieu rural, nécessite des compétences et des capitaux qu’il n’est pas si aisé de posséder et d’activer. De plus, toutes les régions ne sont pas égales face aux développements touristiques, la nature et l’histoire n’ayant pas fourni les mêmes curiosités à visiter partout, les accessibilités par rapport aux foyers de touristes potentiels étant un autre élément fondamental d’iniquité en matière de potentialité de développement touristique. Un produit touristique doit être appréhendé comme un assemblage de services, qui inclut des équipements et des services qui ne sont pas uniquement touristiques. Il y a le produit primaire, cette ressource particulière et localisée qui encourage le touriste à faire le déplacement. Il y a ensuite l’important et trop souvent négligé produit secondaire qui permet au touriste de se restaurer, d’être hébergé et d’acheter un souvenir ; et selon un autre point de vue, à la région de retirer un profit de la visite du touriste. Combien de régions ou de municipalités veulent mettre en valeur leur patrimoine pour développer le tourisme et négligent le développement de ce produit secondaire. Enfin, il y a tout le contexte organisationnel : la promotion, la réservation, l’information, le transport, etc. sans oublier le contexte social à savoir les attitudes des populations vis-à-vis des visiteurs, leurs connaissances linguistiques, etc.
6Le tourisme rural pose également des problèmes d’organisation car nombre de touristes qui optent pour une destination rurale ne sont pas ou plus très friands de se rendre dans des stations ou des villages de vacances pourtant bien organisés. Ils recherchent des structures plus « authentiques », plus petites avec des possibilités de contacts avec les habitantset l’environnement. Les locations de meublés, les chambres d’hôtes, les gîtes, le camping à la ferme proposent de plus en plus des services de qualité hôtelière avec un accueil jugé plus « authentique » et personnalisé. Néanmoins, la petite taille de ces unités d’accueil et leur dispersion dans le milieu rural soulèvent des problèmes en matière d’organisation, de gestion du temps et des contacts avec le marché. En milieu rural plus qu’ailleurs, la sous-traitance de la promotion et de la réservation, la mise en réseau des différents acteurs gravitant autour du tourisme semblent des voies quasi nécessaires au succès d’une entreprise.
7Le tourisme en milieu rural soulève également des problèmes de cohabitation, tant avec des usages anciens des campagnes, comme l’agriculture, qu’avec des usages nouveaux, comme la fonction résidentielle. Aux conflits avec les agriculteurs et forestiers se sont ainsi ajoutés aujourd’hui de nécessaires arbitrages avec de nouvelles fonctions de la campagne. Nouvelles confrontations dues également à de nouvelles pratiques touristiques comme le tourisme aventure : alors que les naturalistes s’opposent, parfois très vivement, aux touristes motorisés, les nouveaux résidents (néo-ruraux) et visiteurs d’un jour luttent pour la même quiétude ou le même plein de sensations fortes qu’il est difficile à partager avec d’autres. Car comme pour le paysage qui ne peut plus être vu quand trop d’observateurs bouchent l’horizon, la campagne est susceptible d’être profondément transformée là où se concentrent les consommateurs-touristes.
8Questionner le tourisme rural va donc bien au-delà d’un problème de définitions : à savoir ce qu’est le rural et à partir de quand on devient un touriste. Nous laisserons à d’autres le soin de déterminer si le tourisme d’affaire aussi présent en milieu rural ou les excursionnistes d’un jour doivent être intégrés dans les statistiques de fréquentation et dans les bilans des incidences économiques du secteur touristique. Questionner le tourisme rural, c’est se poser la question des particularités de celui-ci notamment liées à sa dispersion, à ses difficultés d’organisation en une « destination », à ses représentations idylliques, à ce patrimoine plus ou moins commun, plus ou moins privatisé, que le touriste consomme, aux difficiles questions du partage des revenus du développement touristique, aux problèmes des équipements et surtout de l’accessibilité par transports individuels et collectifs de ces zones excentrées.
9Autour de quelques collègues soucieux de partager leur enthousiasme pour la recherche, nous avons convié des doctorants à partager dans le cadre d’une journée de l’école doctorale thématique en géographie auprès du Fonds National de la Recherche Scientifique, leurs interrogations et leurs premières investigations. Ce numéro thématique rassemble les principales contributions à cette réflexion commune, en proposant une étude de l’utilisation de l’autoroute pour développer des produits touristiques à proximité d’un flux important de personnes (Mallet, 21-35), une analyse de la mise en tourisme d’un produit de terroir et de la manière d’en faire une ressource clé du tourisme régional (De Myttenaere, 37-51), une recherche sur les images et représentations d’une destination rurale et leur utilisation pour développer l’accueil et la promotion (Mazuel et Bonniot, 7-19), une enquête sur le rôle des associations intercommunales et des municipalités dans le développement des entreprises touristiques en milieu rural (Vanneste et Ryckaert, 53-71), une réflexion sur la complexité des polémiques autour des loisirs motorisés (Haye et Mounet, 73-84) et enfin une lecture critique de textbooks anglais qui permet de constater le chemin fait et le chemin qui reste à faire pour réellement passer des monographies à des théories du tourisme sensibles aux particularités du milieu rural (Dubois, 85-94).
To cite this article
About: Serge Schmitz
Laplec –Département de géographie
Université de Liège
Allée du 6 Août, 2
4000 Liège
About: Jean Michel DECROLY
IGEAT
Université Libre de Bruxelles
CP 246 – Campus de la Plaine
Boulevard du Triomphe
1050 Bruxelles