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Guillaume PFUND

Territorialisation et logique de filière de l’eau thermo-minérale à Spa et Chaudfontaine : ressource et usages multiples

(79 (2022/2) - Varia)
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Résumé

Notre analyse porte sur le développement territorial de la filière Eau Minérale Naturelle en situation d’usage multiple (embouteillage et thermalisme). Seulement 2 sites sont concernés en Belgique, pour 15 sites en France. A partir de la notion d’économie de proximité, l’étude porte sur les liens entre les acteurs locaux, leurs stratégies, les modes de valorisation de la ressource et les trajectoires de développement qui en résultent. Cette analyse apporte un regard transversal sur la filière EMN, en transcendant les découpages sectoriels et en privilégiant l’entrée territoriale. Cette vision originale du dessous des cartes offre un nouvel éclairage distancié sur les interactions historiques publiques-privées qui restent au cœur de nos sociétés.

Index de mots-clés : eau minérale naturelle, eau thermo-minérale, embouteillage, thermalisme

Abstract

Our analysis focuses on the territorial development of the Natural Mineral Water sector in a situation of multiple use (bottling and hydrotherapy). Only 2 area are concerned in Belgium, for 15 area in France. Based on the concept of the local economy, the study focuses on the links between local actors, their strategies, the methods of valuing the resource and the resulting development trajectories. This analysis provides a transversal look at the THERMO-MINERAL WATER sector, transcending sectoral divisions and favoring territorial entry. This original vision of the underside of the maps offers a new, distanced light on the historical public-private interactions that remain at the heart of our societies.

Index by keyword : natural mineral water, thermo-mineral water, bottling, thermalism

Table des matières


Introduction

1L’Eau Minérale Naturelle est une ressource naturelle du sous-sol. Elle est un élément d’attractivité pour l’implantation d’activités humaines. Les avantages que peut offrir ce type de ressource en eau sont multiples : vertus médicales et de bien-être, alimentaires, énergie thermique… Cette ressource est exploitée par deux usages majeurs que sont l’embouteillage d’EMN et le thermalisme ou tourisme thermal. Les deux usages sont présents dans notre quotidien au travers de la mise en valeur commerciale des produits et services. Cela passe notamment par les campagnes médiatiques régulières des minéraliers ou centres thermaux des grandes marques.

2Notre analyse se focalise sur les sites accueillant ces deux usages en France (15 sites) et en Belgique (2 sites). L’article s’intéresse plus particulièrement à la place des sites de Spa et Chaudfontaine par-rapport aux sites en France, en proposant une approche territorialisée des usages de l’EMN. La filière EMN est un segment de niche en Belgique. Le pays est sorti du thermalisme médical en 1991 pour des considérations économiques de remboursement de la sécurité sociale. Seulement 2 établissements alimentés en eau thermo-minérale sont encore exploitation. La fédération thermale de Belgique est toujours active pour représenter ce secteur restreint. L’embouteillage est représenté par la Fédération Royale de l’Industrie des Eaux et des Boissons. Selon le Service Public Fédéral Belge, seulement 19 usines exploitent 25 marques d’EMN. La production nationale est de 1.4 milliards de litre d’EMN embouteillée par an (1.5 milliards de bouteilles), dont 460 millions de litre à l’export (500 millions de bouteilles). Par opposition, la France est au troisième rang européen en nombre d’établissements thermaux (115 établissements dans 89 villes thermales) d’après le Conseil National des Exploitants Thermaux. La France est aussi le troisième producteur d’EMN embouteillée d’Europe. Selon le ministère de la santé, 57 usines exploitent 93 marques. La production représente 7.75 milliards de bouteilles (7.26 milliards de litre d’EMN embouteillée). La France est surtout le premier exportateur mondial d’EMN embouteillée, avec près de 40 % de part de marché mondial soit un tiers de la production (3.1 milliards de bouteilles ou 2.9 milliards de litres par an).

3La problématique initiale de l’analyse est de comprendre dans quelle mesure l’eau thermo-minérale peut devenir une ressource territoriale spécifique et ainsi contribuer, par le jeu d’acteurs, à construire des trajectoires de développement singulières. La réflexion s’articule sur 3 points majeurs. La première question porte sur le rapport au gisement et à la ressource en EMN que les acteurs locaux entretiennent que ce soit au travers de la maîtrise de la ressource en EMN et les interactions et enjeux financiers qui en résultent ; des spécificités locales des terroirs géologiques ; et enfin la mobilisation des outils réglementaires et politiques partenariales de protection. Le second point porte sur les liens entre territoire et usages de l’EMN, au travers de l’imprégnation identitaire du territoire, la mise en scène de l’EMN et ses usages, ainsi que la participation des usages à la mise en tourisme du territoire. Le dernier axe repose sur l’investigation du mode de valorisation de la ressource EMN et le niveau d’avancement de l’offre de site.

I. Rapport au gisement et à la ressource en EMN : des spécificités locales variables entre Spa et Chaudfontaine et une forte mobilisation des acteurs sur la protection des gisements

4Le premier point porte sur la question du rapport au gisement et à la ressource en EMN. La maîtrise de la ressource en EMN est un élément central permettant de comprendre le jeu d’acteurs à l’œuvre à l’échelle locale, entre les propriétaires de la ou des parcelles sur lesquelles sont situées les émergences d’EMN exploitées, et les exploitants des deux usages.

A. La maîtrise de l’accès à la ressource en eau : l’impact sur les interactions entre les acteurs et les formes de proximité construites

1. Des liens verticaux entre les acteurs qui structurent le jeu à l’échelle locale

5Deux situations opposées sont historiquement présentes à Spa et à Chaudfontaine. Sur le site de Spa, l’ensemble de la ressource en EMN est propriété de la ville de Spa. La propriété et l’accès à la ressource en EMN s’inscrit donc dans un modèle public, comme c’est également le cas sur d’autres sites en France (Evian, Vichy, Vals, Thonon, Luchon, Niederbronn, Divonne, Cilaos). Par opposition, sur le territoire de Chaudfontaine, l’accès à la ressource en EMN est historiquement privatisé. Aujourd’hui, Coca Cola maîtrise l’ensemble des forages en EMN. Ce modèle privé se retrouve également sur certains sites en France, dont la situation résulte d’un héritage historique (Nestlé Water à Vittel et Contrexéville), soit le fait d’une privatisation récente avec le retrait d’acteurs publics (Saint Amand). Même si la situation n’existe pas en Belgique, la mixité de propriétaire public et privé sur la ressource en EMN selon des usages concerne également un tiers des sites en France.

6De ces choix historiques des acteurs locaux découlent des règles de jeu différent selon les sites. Fort de sa propriété sur la ressource en EMN, la collectivité locale spadoise a choisi de confier l’exploitation de la ressource en EMN à Spa Monopole dans le cadre d’une concession unique. C’est-à-dire que l’ensemble des usages de l’EMN dépendent d’un seul acteur. Ce modèle ancien, tend à disparaitre dans le temps, est encore présent en France sur 2 sites à Evian (Danone), et Vichy (Compagnie de Vichy). Le modèle de concession unique, reposant sur la maîtrise publique de l’accès à la ressource en EMN, permet aux collectivités locales d’imposer des règles du jeu particulières et de cadre la stratégie de développement de grands groupes comme Spadel (la compagnie Spa Monopole se structure en groupe en 1980 avec la création de Spadel dont le siège est basé à Bruxelles ; à l’origine de la création du groupe, Spa Monopole est aujourd’hui filiale, berceau et vaisseau amiral du groupe), Danone ou la Compagnie de Vichy. De plus, la structuration du jeu d’acteurs s’est ajustée dans le temps. Si Spa Monopole exploite en directe l’usine d’embouteillage, depuis 2002 la société a délégué l’exploitation des thermes à Eurothermes avec l’autorisation de la ville de Spa. Des schémas similaires se retrouvent à Evian et à Vichy. Danone a confié l’usine d’embouteillage à la SAEME, mais a délégué les thermes, l’hôtel Royal et le Casino à sa filiale Evian Resort. Centrée sur les thermes, la Compagnie de Vichy a depuis longtemps confié les usages d’embouteillage, de cosmétique, de pastillerie à d’autres sociétés.

7Le contexte est différent à Chaudfontaine, puisque la ville n’a pas le même rôle. Pour autant, une spécificité réglementaire locale, absente en France, confie à la collectivité locale un droit de regard central au travers du Monopole de droit de puisage accordé sur la commune à Coca Cola. Malgré ce point, l’exploitation des deux usages reste totalement distincte entre l’embouteilleur et le château des thermes, comme dans la majorité des sites en France.

8Il découle de ces situations des rapports de force et des interactions locales spécifiques entre acteurs publics et privés. Dans certains cas, la relation verticale de « fournisseur – client » sur la ressource en eau peut se doubler par un lien de « propriétaire – locataire » du bâti thermal comme c’est le cas à Spa et Chaudfontaine. Le lien entre les deux usages est inscrit dans les conventions de Monopole. Les minéraliers sont tenus contractuellement d’alimenter en EMN les thermes de Spa d’une part, la Château des thermes et piscine thermale municipale de Chaudfontaine d’autre part. L’observation des interactions indique que les liens verticaux marchands entre acteurs publics et privés génèrent l’activation d’une proximité organisationnelle et facilitent grandement l’apparition de liens horizontaux de partenariats sur la mise en tourisme du territoire. Des liens denses et multiples existent donc entre tous les acteurs (ville, usine, thermes, office de tourisme) sur les sites à concession unique de Spa, Evian et Vichy. Le schéma relationnel reste cependant incomplet à Chaudfontaine en raison des faibles liens horizontaux qu’entretien le Château des Thermes avec les autres acteurs du territoire.

2. Des enjeux financiers particuliers localement

9En Belgique, le système de prélèvement sur l’activité d’embouteillage diffère de la France. Les redevances peuvent être de deux types. Historiquement, une redevance au titre du Monopole de puisage est versée par l’industriel à la commune de Spa et à la commune Chaudfontaine. Ce revenu représente 800 000 € par an à Chaudfontaine. L’enjeu financier reste marginal pour la ville de Chaudfontaine (2,7 % des recettes de fonctionnement). En Belgique comme en France, si la commune est propriétaire du foncier où se situe le forage d’EMN, une redevance supplémentaire est instaurée pour l’alimentation en eau. A Spa, le revenu cumulé de la redevance de Monopole et la redevance d’alimentation en EMN versé par le groupe Spadel à la ville représente 6 millions d’euros par an (pour 426 millions de litre). L’enjeu pour la ville de Spa est donc plus impactant (22,2 % des recettes de fonctionnement) sur les finances publiques locales.

10En l’absence de revenu sur le Monopole de puisage comme en Belgique, les communes françaises bénéficient d’un prélèvement fiscal : la surtaxe indirecte d’embouteillage. Créée dès 1920, cette dernière est facultative et ne s’applique qu’aux ventes réalisées sur le marché intérieur (hors export). Le conseil municipal de chaque commune, sur laquelle est située une émergence d’EMN exploitées pour l’embouteillage, peut choisir de percevoir une surtaxe, et d’en définir le montant, dans la limite maximum de 0,58 € par hectolitre. A l’origine, la surtaxe d’embouteillage avait pour but de financer les charges exceptionnelles des communes sur lesquelles sont implantés un ou des établissements thermaux, sans en faire supporter le coût à la population permanente. Seules 3 communes françaises perçoivent une surtaxe de plus 1 million d’euros: Vittel, Evian et Contrexéville, avec un impact significatif sur les finances locales (28 % des recettes de fonctionnement à Vittel et (27,4 % des recettes de fonctionnement à Contrexéville). En cumulant surtaxe d’embouteillage, et redevance du contrat de concession unique, la commune d’Evian perçoit 8.2 millions d’euros par an, soit jusqu’à 30 % de ses recettes de fonctionnement. Ces grandes villes d’eau françaises tirent donc un revenu significatif dans les mêmes proportions que la ville de Spa. Par opposition, Chaudfontaine est plutôt aligné sur des montants peu importants, au même titre que des villes comme Vals ou Luchon en France.

11Enfin, en Belgique comme en France, les communes thermales restent indirectement liées à la présence historique des casinos. Propriété des villes, par la règlementation, les casinos génèrent également des revenus supplémentaires indirectement liés à la filière EMN. En Belgique, la redevance d’exploitation des casinos rapporte respectivement à Spa et Chaudfontaine 0,4 % à 2,7 % du budget des recettes de fonctionnement. Ces revenus à la marge sont similaires à d’autres villes françaises (Dax, Vittel, Contrex, Vichy). En revanche, ces revenus peuvent être majeurs en France, notamment pour la ville d’Evian (13 % des recettes de fonctionnement : 3.5 millions d’euro), Aix-les-Bains ou Saint-Amand-les-Eaux.

B. Un rapport au gisement variable et dépendant des terroirs hydrogéologiques

12Le rapport au gisement qu’entretiennent les acteurs locaux est également dépendant des spécificités des terroirs hydrogéologiques locaux. Les deux usages peuvent être situés dans un même lieu géographique en tant que limite administrative (sur une même commune, ou sur une même intercommunalité). Toutefois, ce découpage administratif peut différer de la zone géographique du gisement hydrominéral. Un gisement peut couvrir plusieurs parties d’un ban communal, ou plusieurs gisements peuvent se situer sur un même ban communal. Ainsi, ces usages peuvent soit utiliser un gisement similaire, soit utiliser un gisement distinct. Enfin, spatialement il peut y avoir une dissociation communale entre le lieu de localisation de l’usage (usine d’embouteillage et thermes) et la zone des émergences d’EMN. Le rapport au territoire recouvre deux dimensions qui sont liées par la ressource EMN. La première dimension correspond à la zone souterraine du gisement, c’est-à-dire la zone de transit du gisement. La seconde dimension renvoie à la zone en surface, composée à la fois de la zone d’impluvium et de la zone des émergences au sein du gisement, mais également les sites de localisation des usages. L’interface entre la zone souterraine et la zone de surface est spécifique à chaque territoire et dépend notamment de la particularité des terroirs géologiques. La configuration, la taille et le fonctionnement d’un gisement hydrominéral étant très variable d’un territoire à l’autre, il en résulte également un nombre et un étalement géographique changeant des points d’accès à la ressource en EMN selon les sites. Le rapport au territoire de la filière EMN est un construit social, une adaptation des acteurs locaux vis-à-vis des particularités du terroir géologique local.

13Dans la très grande majorité des cas (70 % des sites à doubles usages) il y a une situation d’un même gisement pour les deux usages, sur plusieurs communes. C’est le cas du site de Spa. La zone d’impluvium concerne 6 communes, dont majoritairement la commune de Spa. Les EMN exploitées par Spa Monopole sont situées dans le massif de Stavelot. L’infiltration des eaux de chaque source se fait de manière étagée. Jusqu’à une altitude de 400-440 m, l’eau d’infiltration trouve très peu d’éléments susceptibles de passer en solution, ce qui explique les eaux très faiblement minéralisées de type Spa Reine. Entre la côte 440 et 540m, les eaux se chargent légèrement en ions dissous (eau de type Barisart). La remontée d’eau minérale ferrugineuse carbo-gazeuse correspond à la remontée d’eau profonde (eau de type Marie-Henriette). Depuis 2004, les bassins des thermes sont alimentés en EMN depuis la source Clémentine situé sur la commune voisine de Theux (5 km). L’usine d’embouteillage est alimentée par 3 sources sur la commune de Spa, à savoir : la source Marie Henriette (3km au Nord-Est), la source Reine (3 km au Sud-Est), et la source de Barisart (2 km au Sud).

14Le nombre de forages en exploitation est donc variable dans le temps, de même que les limites du territoire de la filière EMN au gré des campagnes de prospection hydrogéologique pour couvrir les besoins de l’usage d’embouteillage. La commune de Spa possède 300 résurgences naturelles d’EMN et 18 pouhons aménagés. Seulement 4 forages sont en exploitation pour couvrir les besoins des usages. La campagne de prospection hydrogéologique à Theux par Spa Monopole sur 2-4 ans va probablement élargir le territoire de la filière EMN.

15Le gisement hydrominéral de Chaudfontaine a la particularité de tenir entièrement dans les limites administratives de la commune. Cela correspond à une réalité depuis la fusion en 1977 de 6 villages. Les frontières administratives se sont adaptées aux frontières de la filière EMN. La zone d’impluvium, qui représente seulement 250 ha, est située sur le massif ardennais de Charrié, sur les hauteurs d’Embourg et Beaufays. L’eau des précipitations s’infiltre dans l’aquifère des calcaires frasniens, puis descend dans les calcaires carbonifères via le réseau karstique et à la faveur de la zone faillée à 300-400m de profondeur. Les eaux d’infiltration descendent jusqu’à une profondeur de 1600 m pour atteindre la température de 55°C à une pression de 160 bars, ce qui favorise les échanges de minéraux. Les roches filtrantes (calcaires) et protectrices (schistes) souterraines forment un circuit fermé (nappe captive). Chargée de CO² cette eau remonte naturellement pour émerger à 37°C. Les datations au tritium ont confirmé qu’il s’agissait d’eaux anciennes au long parcours souterrain de 60 ans. La zone des émergences se répartit sur la section de Chaudfontaine et sur la colline Ninane. Sur les 5 forages en exploitation, seul le forage P12 est dédié au Château des Thermes (3 km) et à la piscine thermale. Les 4 autres forages (Astrid, Charlemagne, Philippe et Graulich) sont dédiés à l’embouteillage (600 m) (Figure 1).

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Figure 1. Schéma d’exploitation du gisement d’EMN à Spa et Chaudfontaine (source G. Pfund, 2020)

16Au-delà des différences de terroir hydrogéologique, les décalages se renforcent par une dissymétrie des connaissances hydrominérales. Seuls les sites ayant des enjeux économiques majeurs ont su acquérir des connaissances sur leur gisement. En dehors des 4 sites d’embouteillages de Spa, Chaudfontaine, Evian, et Vittel-Contrexéville, les connaissances des frontières du gisement hydrominéral sont partielles ou inexistantes. La qualité des connaissances hydrogéologiques du gisement de Spa est le fruit de nombreuses analyses de l’Université de Liège et l’Institut Henri Jean (groupe Spadel) depuis 1970. Toutefois, la zone de Theux est l’un des espaces géologiques les plus controversés de Belgique. étudiée par de nombreux géologues depuis plus d’un siècle, la structure complexe de la fenêtre de Theux (dépression semi-circulaire) fait l’objet de débats toujours ouverts. Cette zone a fait l’objet du projet First Doctorat Entreprise menée en collaboration avec Spa Monopole, la Région Wallonne et l’Université de Liège et fait aujourd’hui l’objet d’une campagne de prospection hydrogéologique pour 2 à 4 ans par Spa Monopole et l’Université de Liège. Le processus d’acquisition de connaissances hydrogéologiques se rapproche de celui d’Evian, qui résulte de la collaboration entre l’Université de Savoie et le Centre International de l’Expertise de l’Eau (groupe Danone).

17Forts de ces connaissances, les acteurs de ces territoires ont su mobiliser des outils réglementaires et des politiques partenariales de protection du gisement EMN.

C. Une forte mobilisation des outils et des politiques partenariales de protection

1. Les outils réglementaires activés par les minéraliers

18En Belgique la situation réglementaire est comparable à la France jusqu’au début des années 1990. Le premier périmètre de protection belge a été créé à Spa en 1889 sur 34 hectares, afin de préserver les sources Pouhon Pierre-le-Grand (usage thermal). Comme en France (Vichy notamment), ce périmètre de protection visait à sanctuariser la ressource en EMN sur le plan quantitatif et dans une certaine mesure sur le plan qualitatif. Depuis le décret de 1990, la région wallonne permet de déterminer de manière facultative plusieurs zones de prévention en nappe captive. L’initiative de Spadel a permis d’ajouter à cette législation la possibilité de créer une zone de surveillance facultative bénéficiant également d’une réglementation dès 1991. La législation belge permet donc la création de 4 zones de protection pour la ressource EMN contre seulement 2 en France. La zone I correspond à la zone de prise d’eau, c’est-à-dire un espace concentrique de 10 m autour de l’émergence qui est clôturée. Cette protection est l’équivalent du PSE (Protection Sanitaire de l’émergence) en France. La zone II correspond à la zone de prévention. Cette dernière comprend deux espaces distincts. La zone IIa est la zone de prévention rapprochée qui est délimitée par un temps d’écoulement d’eau souterrain de 24h jusqu’à l’ouvrage ou 3 m minimum. La zone IIb est la zone de prévention éloignée. C’est la zone d’appel de la prise d’eau, mais qui est limitée à un temps d’écoulement d’eau souterraine de 50 jours jusqu’à l’ouvrage. Enfin la zone III, dite zone de surveillance correspond au bassin d’alimentation des zones de prise d’eau. Cette protection est l’équivalent du PP (Périmètre de Protection) en France. Au-delà des dénominations et du nombre d’espaces de protection, l’écart fondamental entre les législations française et belge réside sur la réglementation au sein de ces zones. La réglementation belge de 1991 sur la zone de surveillance va en effet au-delà de la réglementation française sur les périmètres de protection, et donc conserve davantage l’aspect qualitatif de l’EMN. Un ensemble de mesures et d’interdictions sont appliquées dans la zone IIa et IIb, pour assurer la pérennité des EMN. Ces mesures couvrent l’interdiction ou la réglementation de diverses activités : épuration individuelle, usage d’hydrocarbures, activités agricoles, décharges, cimetières, terrains de sports, utilisation de substances polluantes. Dans la zone III, les épandages d’effluents d’élevage, d’engrais azotés et de pesticides ne peuvent dépasser certaines doses.

19Les acteurs des 4 sites de Spa (zone IIb de 5163 ha sur la commune de Spa, zone III de 13 177 ha sur 6 communes), Chaudfontaine (zone III de 250 ha à Chaudfontaine), Evian (PP de 1600 ha sur 7 communes) et Vittel-Contrexéville (PP de 4000 ha sur 7 communes) ont en commun d’avoir su mobiliser les outils réglementaires facultatifs permettant de protéger les gisements d’EMN potentiellement vulnérables. Ces outils ont été mobilisés par la suite sur d’autres sites, notamment par Spadel à Stoumont, à proximité de Spa, où l’EMN Bru est conditionnée. Que ce soit la zone de surveillance en Belgique ou le périmètre de protection en France, il s’agit d’outil réglementaire fort, mobilisé de manière volontaire par le propriétaire de la ressource en EMN et l’exploitant, qui contraint fortement les tiers (habitants, entreprises…) (Figure 2).

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Figure 2. Zones de protections des EMN à Spa et Stoumont ; Zone de surveillance de l’aquifère thermo-minéral de Chaudfontaine (Source Région Wallonne, 2014 et 2016)

20En complément de la mobilisation de ces outils réglementaires facultatifs, les acteurs de ces territoires ont mis en place des gouvernances partenariales locales, dont les formes d’organisation sont définies par la structuration du jeu d’acteurs.

2. Gouvernance partenariale construite autour de la vulnérabilité de la ressource EMN

21Deux grands types de gouvernance existent selon le type d’acteur qui domine la coordination territoriale : la gouvernance privée, et la gouvernance mixte. Sur les sites de Spa et d’Evian, les acteurs locaux ont mis en place une gouvernance mixte publique-privée très innovante. Ce construit local est l’aboutissement de nombreux échanges entre les acteurs locaux, qui sont aujourd’hui des exemples.

22Sur le site de Spa, dès 1967 une première forme de coopération partenariale est née sur la Fagne de Malchamps. à l’origine, l’objectif était de prendre en compte des actions particulières dans le plan d’exploitation sylvicole des bois domaniaux au Sud de Spa, gérés par l’administration forestière de la DNF (Département de la Nature et des Forêts) de la Région de Wallonie. Ce n’est qu’à partir de 1988 et 2000 que la gouvernance des acteurs locaux s’est étendue aux autres sources de pollutions potentielles sur la ressource en EMN. La gouvernance partenariale prend la forme d’une convention qui est signée entre tous les partis qui est dénommée Modus Vivendi. Cette expression latine, qui signifie manière de vivre, se comprend comme un accord permettant aux partis prenants de s’accommoder d’une situation en trouvant un compromis. Le premier Modus Vivendi signé en 1967 ne portait que sur un accord entre la DNF et Spa Monopole pour le maintien en zone ouverte de la Fagne de Malchamps - qui est un plateau de 359 ha constitué de landes, de tourbières et de forêts – ainsi que la limitation du boisement des résineux sur 450 ha de bois domaniaux, et d’adapter l’exploitation sylvicole sur les 1300 ha de forêt publique. Ce dernier espace étant composé de 1000 ha de forêt domaniale de la Région et de 300ha de bois communaux dont la gestion sylvicole a été confiée à la DNF. La gestion du risque de pollution anthropique lié à l’activité agricole a été gérée hors modus vivendi, par une stratégie d’acquisition foncière par Spa Monopole. Cette stratégie a été possible car il n’y avait que quelques exploitations agricoles sur des espaces limités, implantées sur des terres peu fertiles en Fagne de Malchamps. L’accord du Modus Vivendi a été révisé tous les 10 ans en moyenne. En 1978, des actions de déboisements d’épicéas autour des captages ont été ajoutées. En contrepartie, le Modus Vivendi prévoit que Spa Monopole cède à la Région les anciens terrains et bâtiments agricoles en 1979, dont le domaine de Bérinzenne sur 17 ha. La gestion des terrains a été confiée à l’administration forestière de la Région, c’est-à-dire la DNF.

23Deux évolutions majeures vont impacter directement la gouvernance territoriale. En 1988, un nouvel accord du Modus Vivendi confie la gestion des bâtiments du domaine de Bérinzenne à une Association Sans But Lucratif (ASBL) qui accueille depuis 1981 le musée de la Forêt de Bérinzenne-Spa. En contrepartie, la DNF s’engage à interdire toute nouvelle construction sur le domaine de Berinzenne, à faire les raccordements au réseau d’égouttage, à mettre hors service les fosses septiques, à faire respecter la vocation naturelle du site et à valoriser la fonction didactique en relation avec la forêt et l’hydrogéologie locale. Toutes les activités de loisir de masse et/ou impliquant l’utilisation d’engins mécaniques est interdite. Cette négociation a également permis d’inclure progressivement la ville de Spa dans cette gouvernance. L’ASBL du domaine de Bérinzenne est aujourd’hui un lieu où s’exerce la gouvernance territoriale, puisque le conseil d’administration est composé d’un représentant de la DNF, d’un représentant de Spa Monopole et des élus communaux. Le Modus Vivendi actuel n’a pas été modifié depuis 2001. Ce dernier dépasse l’étendue territoriale de la Fagne de Malchamps et s’étend à l’ASBL du Domaine de Bérinzenne et la ville de Spa, propriétaire des captages d’EMN en forêt communale. Depuis cette date, le Modus Vivendi rassemble 4 partenaires qui se rencontrent 3 à 4 fois par an au domaine de Bérinzenne pour faire le point sur les actions communes et les conditions à respecter dans le document du Modus Vivendi lui-même. C’est un compromis entre le DNF (représentant du propriétaire forestier et gestionnaire), la Ville de Spa (propriétaire forestier et des captages), l’ASBL du Domaine de Bérinzenne (Maison de la Nature, Musée de la forêt, Life, CRIE) et Spa Monopole (embouteilleur d’EMN). La négociation en 2001 a généré de nouveaux engagements sur des actions communes comme la réalisation de déshuileurs sur les parkings, la limitation du drainage aux voiries forestières, la réalisation de l’alimentation en eau du Domaine de Bérinzenne, l’augmentation de la proportion de feuillus par rapport aux résineux dans les périmètres de protection, l’interdiction des fertilisants, herbicides et pesticides, l’interdiction du sel de déneigement sur les routes, l’utilisation d’huile biodégradable pour la sylviculture… . Chaque partenaire s’engage financièrement sur les actions. Par exemple, la ville de Spa s’engage à financer l’achat et le placement des bornes incendies Spa Monopole s’engage à financer l’aménagement des conduites d’eau potable pour alimenter les systèmes de lutte contre l’incendie en Fagne de Malchamps, le domaine de Bérinzenne, le restaurant de la Source de Géronstère, le chalet de la piste de ski, et le village voisin de Cour. De manière générale, le Modus Vivendi actuel a étendu ses actions sur 4 axes : protéger le patrimoine hydrogéologique, gérer des biens forestiers notamment en fonction du premier objectif, gérer de manière concertée les domaines de Bérinzenne et la Fagne de Malchamps, et enfin conserver et valoriser l’image environnementale. Une des actions emblématiques de la gouvernance territoriale à Spa est la gestion du plan d’urgence et d’intervention des sources. Projet porté par le Modus Vivendi dès 1999, le plan d’urgence est un plan d’intervention spécifique en cas de pollution de surface accidentelle ou d’incendie dans la zone de surveillance de l’impluvium. Régulièrement, des exercices sont réalisés pour tester ce plan en situation d’urgence et s’améliorer en permanence. Il s’agit d’un schéma de fonctionnement prédéfini en fonction de 3 types de pollution : la pollution par hydrocarbure suite à un accident routier, un incendie ou un accident d’avion de tourisme. Différentes cellules de crise sont mobilisées notamment les pompiers, la protection civile, la police de l’environnement, la ville de Spa, la DNF et Spa Monopole. Ce plan de crise répond à une organisation dans la chaîne de décisions, de façon à anticiper les risques sur la ressource en EMN. Les pompiers qui interviennent ont 3 degrés de gravité par rapport au type de pollution pour y associer des moyens de réponse. Ils transfèrent les informations à l’ensemble des acteurs pour que tout se passe de manière coordonnée. En moyenne ce plan d’urgence et d’intervention est déclenché 10 fois par an. Sans être une structure avec des salariés dédiés, la convention du Modus Vivendi, signée par les parties prenantes, agit comme un organe qui met les acteurs autour d’une table chaque année et permet de se fixer des règles. De là sont nés beaucoup de projets. Comme pour le site d’Evian/Publier, le site de Spa bénéficie donc de deux instances de gouvernances territoriales au sein du conseil d’administration de l’ASBL de Bérinzenne et le comité de suivi du Modus Vivendi. Une troisième instance de gouvernance territoriale liée à la protection du gisement d’EMN a été créée en 2018. Parmi les projets initiés par le comité d’accompagnement du Modus Vivendi figure celui de parc naturel des sources de 14 832 hectares dont 3 974 hectares sur la commune de Spa. La gestion de ce parc est assurée par une nouvelle ASBL baptisée Parc Naturel des Sources, dont le conseil d’administration est chapeauté par 4 partenaires qui sont l’ASBL du domaine de Bérinzenne, les partenaires communaux de Spa et Stoumont, et Spa Monopole. Que ce soit au sein des deux ASBL Parc Naturel des Sources et Domaine de Bérinzenne, ou du Modus Vivendi, la gouvernance territoriale mixte des acteurs publics-privés est à l’œuvre sur le territoire de la filière EMN à différentes échelles. La proximité géographique est activée par ces acteurs localisés par le biais une proximité organisationnelle.

24La forme de gouvernance mixte mise en place par les acteurs à Spa est proche de celle créée à Evian en 1992. Cette dernière porte sur des actions de protection du gisement sur 13 communes (4 communes d’émergence, et 9 communes de l’impluvium de 35 400 ha dont le cœur se situe sur le plateau de Gavot). La coopération s’articule autour d’une structure associative baptisé APIEME où adhèrent les 13 communes et la SAEME. Parmi les nombreuses actions menées (espace forestier, zones humides, espaces naturels, espace urbain…), l’APIEME a entrepris une logique incitative avec les agriculteurs pour changer les pratiques, en y associant l’INRA.

25La seconde forme de gouvernance, de type privé, a été mise en place à Vittel, puis par extension à Contrexéville. La création d’Agrivair en 1992 (filiale de Nestlé Water) a pour objectif de mener des actions de protection des gisements des EMN de Vittel/Hépar (6000 ha) et de Contrex (5400 ha). Sur ce territoire, le minéralier a opté pour une politique de rachat du foncier agricole et de mise à distribution des agriculteurs après signature d’une charte de bonne pratique agricole construite avec l’INRA. Dans une moindre mesure, le minéralier de Chaudfontaine se rattache également à une gouvernance de type privée en menant à très petite échelle des actions de protection du gisement (politique incitative agricole auprès de 2 exploitations, réaménagement du système d’assainissement verrouillé innovant…)

26Que ce soit au travers d’outils réglementaires ou par une politique partenariale de protection, le rapport au gisement est particulier pour les acteurs locaux sur les territoires de Spa et Chaudfontaine. Ces dynamiques de protection sont à l’origine des minéraliers, sans participation de l’usage thermal, mais qui bénéficie de la protection du gisement. L’ensemble des acteurs locaux reconnaissent que les minéraliers défendent le label qualité et dépensent beaucoup pour préserver de l’environnement au sein du gisement, afin d’éviter des pollutions anthropiques. Pour autant, l’intervention atypique des minéraliers dans l’espace public local peut néanmoins soulever des interrogations sur les limites du lien public-privé.

27La politique partenariale de protection du gisement d’EMN doit donc avant tout être perçue comme un compromis territorial. Sur le gisement de Spa et de Chaudfontaine, l’outil juridique de la zone de surveillance interdit à titre préventif toute activité de loisir de masse et/ou impliquant l’utilisation d’engins mécaniques, tout comme la création de nouveaux campings. Cette limitation des activités touristiques à Spa reste pourtant ouverte à la location de la piste de ski en forêt domaniale à une association locale. Si Spa Monopole est un véritable partenaire pour la commune de Spa, la construction d’un compromis se réalise sur le long terme. Dans ce processus, les moments de désaccords ponctuels sont autant d’étapes pour la mise en adéquation des intérêts de chaque acteur par rapport à l’intérêt commun de l’EMN. Dans la zone de surveillance du gisement de Spa, deux activités portent un risque de pollution anthropique. L’aérodrome de Spa – la Sauvenière et la piste de formule 1 de Spa-Francorchamps sont situés respectivement à 700m et moins de 6 km de la source Spa Reine. Ces points d’accroche entre la ville de Spa et l’embouteilleur portent principalement sur les sports mécaniques. Il existe une tradition autour du sport moteur à Spa, notamment avec le circuit automobile de Spa-Francorchamps aménagé en 1921. Tous les ans le circuit accueille le Grand Prix de Belgique de Formule 1, les 24 heures de Spa et des courses internationales. Cette tradition n’est pas en adéquation avec la première spécificité du territoire de Spa, qui est l’EMN en tant que berceau du thermalisme européen et surtout de l’embouteillage. L’organisation de rallye d’anciens véhicules à Spa a été abandonnée volontairement en 2015. Ce choix correspond à une sélection des acteurs locaux qui souhaitaient garder une cohérence d’image et un centrage sur le capital naturel de l’EMN. L’arrêt des rallyes automobiles a été une décision collective difficile de privilégier avant tout l’exploitation de la ressource en EMN par rapport à la tradition locale des sports mécaniques.

28Le second point de notre analyse porte sur les liens entre territoire et usages de l’EMN, au travers de l’imprégnation identitaire du territoire, la mise en scène de l’EMN et ses usages, et la participation des usages à la mise en tourisme du territoire.

II. Des liens mouvants entre territoire et usages de l’EMN à Spa et Chaudfontaine : imprégnation identitaire, mise en scène et participation forte à la mise en tourisme du territoire

A. L’imprégnation de l’identité des territoires par les usages

29La toponymie est le reflet d’une histoire spécifique qui résulte d’apports successifs. Les noms de lieux permettent d’identifier très précisément un détail géographique localisé, attribué par l’homme dans un souci de description de son environnement et d’évocations d’activités. Le toponyme a la double fonction de désigner un lieu et d’en décrire la nature. En Belgique, seuls les noms de Chaudfontaine ou de Spa font aussi référence à l’EMN. Que ce soit au travers d’une racine de mot latin ou de langue régionale, ces noms de lieux appartiennent au patrimoine national, et renvoient à une distinction particulière de manière volontaire. Ces constructions de noms de lieux sont anciennes.

30Sur la majorité des territoires à double usage (70 %), il existe une similitude entre le toponyme communal, la marque commerciale d’EMN embouteillée et des thermes. Dans ce cas de figure, on parle de ville-marque. Selon C. Delfosse, par sa dénomination de type géographique, le produit sert de carte de visite au territoire auquel il fait référence. Il porte au loin le nom de la petite patrie. Rien d’étonnant alors à ce que les collectivités territoriales contribuent à la mise en valeur du produit et cherchent en retour à profiter de sa renommée. Dans les villes marques, on peut s’interroger sur la persistance d’un décalage entre identité locale et notoriété extérieure.

31Le territoire de Spa revendique une identité spécifique en tant que ville thermale à part entière, berceau historique du thermalisme européen. Pour les acteurs, les thermes et les sources font partie de cette identité et sont l’atout majeur de la destination. L’identité locale s’est plus imprégnée de l’activité thermale au regard de son empreinte historique, que de l’embouteillage. Cette identité thermale fait tellement partie intégrante de l’ADN de la ville, que lorsque le gouvernement a acté la fin du thermalisme médical en 1991, la ville de Spa a décidé de réinventer le thermalisme, contrairement à Ostende qui a choisi l’arrêt de l’activité thermale. Il était inimaginable pour ces derniers que Spa n’ait plus de thermes. Cette forme d’identité locale perçue par les acteurs se rapproche des sites de Spa, de Vichy, de Saint Amand et d’Aix-les-Bains. Le classement UNESCO permettra de renforcer l’image du thermalisme à l’extérieur du territoire.

32à l’inverse, à Chaudfontaine, les acteurs locaux s’accordent à dire que l’identité locale est davantage façonnée par l’idée générale de ville d’eau car l’usage d’embouteillage est prépondérant. Cependant, l’usage thermal historique reste important dans l’inconscient collectif local. Cet état également est partagé à Vittel/Contrexéville et Evian. La particularité historique de Chaudfontaine se caractérise également par une interruption de l’usage thermal pendant plus de 30 ans. Pour autant, l’usage des bains renvoi à la genèse du bourg de Chaudfontaine grâce à la découverte des sources chaudes, avec l’appellation de la violette des stations thermales au XIXe siècle. Là encore, la notoriété du nom Chaudfontaine est aujourd’hui surtout portée à l’extérieur par la bouteille d’eau.

33Les liens entre territoire et usages de l’EMN, se matérialisent également par la mise en scène de l’EMN et ses usages en local

B. Mise en scène de l’EMN et ses usages à l’échelle locale

1. Visibilité et libre accès à l’EMN sur les sites

34Dans la majorité des cas (65 %), l’EMN est visible sur un ou plusieurs endroits de la commune. Seule une minorité de site n’ont plus d’accès gratuit à l’EMN et n’ont pas mené d’action pour rendre visible l’EMN dans l’espace public. Cependant, La directive européenne 2003/40/CE du 13 mai 2003 a pour conséquence la fermeture par les Agence Régionale de la Santé en France des fontaines d’EMN jusque-là en libre accès. Cette directive, qui fixe de nouveaux seuils au-delà desquels une consommation prolongée des EMN représente un risque pour la santé (limite maximale pour 16 constituants naturels présents dans l’EMN), durcit les conditions d’accès à la ressource en EMN. Les EMN faiblement minéralisés comme Spa, ou Chaudfontaine ne sont pas impactés par ce cadre réglementaire. Le degré de visibilité et de mise en scène de l’EMN n’est pas homogène entre ces territoires. Sur les 3 sites de Vichy, Evian et Vals, les acteurs locaux ont mis en œuvre un programme architectural important de mise en scène de l’EMN en multipliant les lieux où cette eau est visible. Les sites de Spa et Chaudfontaine se rattachent à une catégorie de sites bénéficiant d’une mise en scène plus modeste et ponctuelle.

35La ville de Spa dispose d’un lieu emblématique au sein du centre-ville : le Pouhon de Pierre le Grand. Portant le nom du Tsar qui séjourna à Spa au XVIIe siècle, le pavillon a été construit en 1880 par l’architecte Victor Besme. L’édifice abrite la fontaine aux dauphins. Géré par l’Office de Tourisme, l’accès au site est payant pour les visiteurs, sauf pour les Spadois qui peuvent remplir des bouteilles. Plusieurs Pouhons et émergences naturelles non aménagées sont également visibles et en libre accès à l’extérieur de la ville en milieu forestier. Une partie de ces lieux est mis en valeur par l’OT au travers du parcours des sources. Parmi ces lieux figurent la source de la Sauvenière, la source Géronstère, ou la fontaine Tonnelet (Figure 3).

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Figure 3. Pouhons Pierre le Grand, Sauvenière, Géronstère, et Tonnelet à Spa (Source : OT)

36Sur le territoire de Chaudfontaine, l’EMN est en libre accès sur un lieu appelé Belles Fontaines à proximité des anciens thermes. L’OT parle de la survie d’une tradition locale. L’EMN de ruissellement coule en continu, sans contrôle qualité. Si l’affichage légal Eau Non Potable est nécessaire pour une raison de responsabilité, beaucoup de gens viennent remplir des bouteilles. L’EMN peut également être visible lors de la visite guidée du forage Astrid sur la colline Ninane. Une vasque permet de récupérer de l’EMN afin de pouvoir la voir, la sentir, la toucher et goûter l’eau chaude qui est encore ferrugineuse quand elle sort du sol. à l’origine, le pavillon Fourmarier abritait la source thermale Prince Albert dans le Parc des Sources. Construit en 1961, le pavillon est décoré d’une mosaïque ornée de poissons, symbole de vie naissant de l´onde. Il est aujourd’hui transformé en site d’exposition (Figure 4).

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Figure 4. Pouhons des sources Belle Fontaine et Fourmarier, forage Astrid (source : OT)

2. Empreinte des usages en local : le reflet des choix de mise en valeur ?

37Le travail de visibilité du lieu géographique des deux usages témoigne du choix des acteurs d’une mise en valeur locale, et donc de l’importance accordée à rendre visible le site pour autrui en plus de la visibilité du produit sur le marché. Seulement 7 sites bénéficient d’une bonne visibilité du bâti des deux usages dont Spa et Chaudfontaine.

38Si l’ancien établissement thermal est au centre-ville de Spa, le nouveau bâti bénéficie également d’une bonne visibilité. Installé au milieu de la nature sur la colline Anette et Lubin, l’établissement est en situation promontoire avec une vue panoramique sur le centre-ville. Le lien avec le centre-ville est conservé grâce au funiculaire. L’usine d’embouteillage bénéficie également d’une très bonne visibilité par sa localisation en entrée de ville, sur une emprise importante de 12ha. Cette visibilité est doublée d’un marquage de l’espace public. Une grande bouteille stylisée, avec le personnage de Pierrot au sommet, a été aménagée en 2015 sur un rond-point.

39La configuration étroite de la vallée de la Vesdre (300 m de large) a nécessairement orienté l’implantation des usages sur la commune de Chaudfontaine. L’usine est localisée sur la plus grande terrasse plane de la vallée depuis 1926, au centre du village, à 100 m de la piscine publique thermale et face au Casino, et de la fontaine. Cette concentration spatiale facilite l’accentuation du caractère de ville d’eau. La visibilité de l’usine d’embouteillage prime sur celle du Château des Thermes. L’identification de la marque Chaudfontaine est aisée depuis la route, grâce aux logos sur l’entrepôt, aux drapeaux devant l’usine et par 2 petits panneaux à l’entrée de l’usine. Le Château-des-Thermes étant avant tout un hôtel haut de gamme avec spa thermal, la visibilité extérieure est volontairement plus discrète (Figure 5).

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Figure 5. Visibilité des usages de la filière EMN à Spa et Chaudfontaine (Source : G. Pfund, 2020)

40Le couplage patrimoine et savoir-faire productif par le tourisme est de manière générale une pratique ancienne, qui s’est progressivement démocratisée ces dernières années. Les activités productives, qui ont fait le choix de s’associer au secteur du tourisme, optent cependant pour des positionnements différents.

C. Participation à la mise en tourisme du territoire : l’ouverture des entreprises sur leur l’environnement local, une preuve de l’ancrage territorial

1. Une valorisation par le tourisme d’entreprise

41Plusieurs formes de mise en tourisme sont mises en œuvre par les minéraliers. Le premier type correspond au tourisme industriel. Cette mobilisation est limitée à 3 sites dont Spa, Chaudfontaine et Evian. Ces derniers ont mis en place un tourisme d’entreprise avec un programme de visite organisé et régulier du grand public. Spa Monopole et la SAEME d’Evian ont choisi le concept de circuit au-dessus des lignes de production adossé à un espace d’exposition. Baptisé l’Eaudycée de Spa, le parcours didactique de découverte des EMN de Spa a été rénové en 2013. Cet espace au sein de l’usine d’embouteillage est géré par 2 salariés de Spa Monopole et accueille 15 000 personnes par an. En parallèle, Spa Monopole est directement impliqué en partenariat avec la ville de Spa et la Région Wallonne sur la gestion du musée du domaine de Bérinzenne et le projet de parc naturel. Les acteurs locaux ont également travaillé sur le packaging de plusieurs produits touristiques liés à la filière EMN, avec la valorisation de l’architecture thermale du centre-ville. L’OT occupe une place importante dans la structuration de l’offre packagée. Il propose plusieurs programmes de visite de groupes à la journée comprenant une visite de l’usine d’embouteillage et de l’Eaudyssée de Spa, le parcours des sources en milieu forestier et au centre-ville, ainsi que le musée d’histoire de la ville d’eau dans la Villa royale Marie-Henriette ou le musée de la forêt du domaine de Bérinzenne.

42Le concept retenu par Chaudfontaine Monopole est légèrement différent. Ce dernier a contribué à la création d’un espace de découverte de l’EMN dans un espace dédié hors de l’usine d’embouteillage. En 2003, un projet public-privé réunissant Chaudfontaine Monopole et la ville a abouti à la création d’un centre d’interprétation sur la découverte de l’eau thermale. Baptisé SourceOrama, le centre d’interprétation propose un parcours didactique sur le parcours de l’EMN, personnalisé par un personnage en forme de goutte d’eau. Aménagé et géré pendant 10 ans par une société dont la ville et l’usine d’embouteillage étaient actionnaires, l’exploitation est réalisée par l’OT depuis 2011. Cet espace de découverte est associé à un programme de visite guidée, assuré par les salariés du syndicat d’initiative, comprenant la visite de l’usine d’embouteillage et la visite du bâtiment abritant le forage de la source Astrid depuis 2006. La fréquentation annuelle est de près de 10 000 visiteurs par an, dont 50 % de scolaire et 50 % de public familial.

43Les minéraliers ont mis en pratique le concept de marketing expérientiel dans une démarche de tourisme d’entreprise. Evian Expérience, l’Eaudycée de Spa ou SourceOrama proposent une immersion totale du consommateur dans une expérience originale. L’objectif étant de faire l’expérience de la marque, sur place. Le territoire de la marque prend donc une place importante en considérant le lieu d’origine de l’EMN. Sur ces sites, les thermes ne bénéficient pas de la dynamique de tourisme d’entreprise. A Spa et Evian, les minéraliers ont fait le choix de limiter le tourisme d’entreprise des thermes à une porte ouverte annuelle, sans organiser de visite technique régulière. Pour les exploitants, ce choix est justifié par la tranquillité des clients. à Chaudfontaine, l’exploitant des thermes est complètement en dehors de la dynamique de tourisme d’entreprise, car il s’inscrit dans une logique de gestion privée hôtelière qui offre des séjours de haut de gamme (Figure 6).

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Figure 6. L’Eaudycée de Spa et SourceOrama à Chaudfontaine (source : OT, 2020)

44Le niveau d’ancrage territorial des usages peut à ce titre être apprécié au regard de la participation et de l’organisation à l’évènementiel local.

2. Organisation et participation active des entreprises à l’évènementiel local

45L’ensemble des minéraliers réalisent du sponsoring d’évènements par des dotations en bouteilles d’EMN et en mettant à disposition des visuels de la marque. Ces actions s’inscrivent dans une stratégie d’entreprise, pour des évènements compatibles avec les valeurs de la marque (sport, musique, culture…). Cependant, très peu d’acteurs participent activement à des évènements locaux. Le modèle de référence en la matière est celui d’Evian, qui se démarque nettement des autres sites par son implication atypique. Véritable moteur du tourisme local, Evian Resort organise 4 évènements majeurs culturels (festival Jazz à la Grange depuis 2016, les Rencontres Musicales d’Evian depuis 1976) et sportifs (Evian ChampionShip depuis 1994, le trail des crêtes du Chablais depuis 2013). L’ensemble de ces événements sont accueillis dans les locaux d’Evian Resort (Casino, Golf, salle de spectacle la Grange au Lac). Seul le Trail des crêtes du Chablais est organisé en direct par la SAEME. Au-delà des budgets alloués par Danone sur ces événements majeurs, c’est également une implication locale importante dans les évènements organisés par la ville et l’office de tourisme, avec la mise à disposition du personnel du service communication. Sur la base de ce modèle hors norme, Spa Monopole a également intégré dans sa stratégie d’entreprise un plan évènementiel récemment. Depuis 2016, Spadel organise une course à pied familiale appelée Spa Vertical Race, impliquant le personnel des thermes et de Spa Monopole.

46La participation des acteurs de la filière EMN à la mise en tourisme du territoire de Spa est encore renforcée suite au classement UNESCO dans le cadre d’une gouvernance institutionnelle.

3. Candidature et classement UNESCO : une valorisation internationale

47Le classement Unesco a la caractéristique d’être un projet multisite : 11 villes thermales d’Europe Occidentale dans 7 pays. Parmi ces villes thermales figurent Spa pour la Belgique et Vichy pour la France. L’adhésion à ce projet est une initiative locale. A Spa, c’est un groupe citoyen qui a pensé à ce projet en 2006. Pour chaque pays, il a été décidé de ne présenter que les villes les plus pertinentes par rapport aux critères Unesco. Cette pré-sélection a été faite par un groupe d’experts européens - composé notamment d’historiens de l’art, d’architectes, d’urbanistes et experts du thermalisme - auprès des ministères de la culture de chaque pays. La sélection des 11 villes thermales a été faite suite à une étude comparative sur 45 villes thermales européennes par rapport aux critères Unesco. Le format classique de candidature Unesco comprend notamment un dossier de plan de gestion de chaque ville thermale à classer. L’élaboration de ce dossier donne lieu à une gouvernance institutionnelle au sein de chaque ville thermale dès 2016.

48La concertation au sein de chaque territoire est d’autant plus incontournable que l’Unesco précise que le plan de gestion doit être participatif. Ce qui est exigé dans le cadre d’une candidature Unesco, c’est que chaque ville mette en place une organisation qui permette aux experts de vérifier de quelle manière sera préservé l’authenticité et le patrimoine thermal. La ville de Spa a créé un comité de gestion de 40 acteurs touristiques, économiques, culturels et sportifs pour 7 thématiques à étudier lors des ateliers de travail. Parmi ces acteurs étaient représentés les thermes de Spa, Spa Monopole, l’office de tourisme, Aqualis, et la Division Nature et Forêt de la Région Wallonne, Aqualis étant une société publique intercommunale constituée en 1999 pour porter le projet de création des nouveaux de Thermes de Spa. La gouvernance locale a été un temps fort d’échanges et de co-constructions pour les acteurs du territoire, qui a donné lieu à une rencontre tous les 15 jours durant 2 ans, jusqu’au dépôt du dossier en 2017. Le classement Unesco ayant abouti en 2021, la gouvernance institutionnelle du comité de gestion est pérennisée dans le temps à Spa, afin de suivre les objectifs fixés. L’enjeu étant une augmentation de la fréquentation touristique de 15 % grâce à un rayonnement international, en valorisant une nouvelle ressource territoriale : l’architecture thermale.

49Le dernier point de notre analyse repose sur l’investigation du mode de valorisation de la ressource EMN et le niveau d’avancement de l’offre de site.

III. Du mode de valorisation spécifique au niveau d’avancement de l’offre de site

A. Niveau de différenciation de la valorisation de la ressource

50Le niveau de différenciation des sites est analysé au travers de savoir-faire innovant liée à l’EMN et à la valorisation de l’épaisseur historique de l’usage à l’origine de la notoriété.

1. Quelle spécificité au travers de savoir-faire ?

51En Belgique, la sortie du thermalisme médical en 1991 ne signifie pas la disparition des savoir-faire autour des soins thermaux et produits dérivés à base d’EMN. Dans les pays d’Europe, la création du thermalisme social dès 1945 a entrainé une uniformisation des savoir-faire par l’application à tous les centres thermaux, ayant une même orientation thérapeutique, une grille nationale de soins remboursés par la Sécurité Sociale. Même si ces soins à base d’EMN sont issus d’innovation sur quelques grandes stations thermales, la spécification locale s’en trouve dissoute et reproductible ailleurs. Pour autant, le retour au thermalisme de bien-être en Belgique, et l’ouverture à la diversification en France n’implique pas non plus une garantie sur le maintien de spécificité locale de manière majoritaire. En effet, aujourd’hui sur les sites de Spa et Chaudfontaine, comme dans d’autre Spa thermaux en France, les soins de bien-être sont majoritairement génériques et similaires à ceux proposé dans un institut classique. Plus de 94 % des soins proposés sont génériques à Chaudfontaine, car ils correspondent à la demande des clients. Il n’y a que 3 soins avec de l’eau thermale proposés au château des thermes.

52Les thermes de Spa conservent davantage une tradition du soin thermal. Ces soins spécifiques sont inclus dans la formule tradition d’eau. Cela comprend les bains carbogazeux dans les baignoires en cuivre des anciens thermes, les bains de tourbe, les douches thermales, les douches sous affusion, et massages subaquatiques. Les thermes bénéficient d’une connaissance et d’un savoir-faire particulier. Ces soins d’antan qui ont fait la réputation des thermes de Spa sont tous faits à l’eau de la source Spa Marie Henriette. Cette eau est une marque liée à la tradition thermale. Tout en faisant le choix de garder l’authenticité du thermalisme Spadois et de mettre ce savoir-faire spécifique en avant, il existe aujourd’hui un décalage entre cette image d’authenticité et la réalité commerciale. Depuis que les soins par l’eau thermale ne sont plus prescrits par des médecins thermaux, il y a eu la nécessité économique de développer une offre générique. Même si les vertus des soins à l’eau thermale sont connues et appréciées, aujourd’hui les clients consomment surtout des massages et des soins esthétiques génériques qu’on peut retrouver partout. Proportionnellement, les soins par l’eau thermale ne représentent que 30 % des soins à Spa. Cependant de manière confidentielle, les thermes accueillent encore des adultes et enfants pour des cures libres de 1 semaine, sans prescription médicale et non remboursées par la Sécurité Sociale. Il s’agit du reliquat de patientèle médicale qui connait les vertus et bienfaits de l’eau thermale. Les bains carbogazeux ont des effets bénéfiques sur les problèmes d’hypertension et pour les grands brûlés, alors que les bains de tourbe des Fagnes mélangée à l’eau thermale soulagent les problèmes d’arthrose. Enfin, l’exemplarité des thermes de Spa tient à la pérennité de l’usage d’une boue thermale maturée spécifique (péloïde) d’origine locale. Seuls quatre sites perpétuent encore cette tradition Spa et en France (Dax, Vichy, Saint Amand). Spa utilise une boue noire. Le substrat est extrait des tourbières locales des Hautes Fagnes en zone forestière. Au sein des thermes, la tourbe est mélangée à l’EMN carbogazeuse Marie-Henriette et réchauffée à 40°C. Sans pour autant avoir développé les produits dérivés à base d’EMN comme à Vichy, Dax ou Evian, les thermes de Spa se sont néanmoins associés à la société cosmétique Sothys depuis 2003 afin de réaliser une étude dermatologique hospitalière sur la reconstruction de l’épiderme par l’EMN Marie-Henriette. Cela a permis de développer une gamme de produits dermo-cosmétiques à base d’EMN depuis 2005.

53Au-delà des savoir-faire thermaux, le site de Spa est aujourd’hui reconnu à l’échelle internationale pour son caractère d’innovation culturelle et sociale du thermalisme, qui a influencé un phénomène en Europe occidentale. En effet le classement Unesco reconnaît l’architecture thermale des villas et des infrastructures, l’aménagement des pouhons, la typologie urbaine des villes d’eaux, le paysage des parcs thermaux, et le cosmopolitisme culturel et artistique, comme ayant une valeur universelle particulière. La dernière spécificité exemplaire de Spa relève de la politique partenariale du Modus Vivendi, qui est clairement identifiés par l’ensemble des acteurs locaux et à l’international, comme un savoir-faire particulièrement innovant sur la protection de la ressource en eau.

2. Epaisseur historique et usage à l’origine de la notoriété : un marqueur de spécificité

54L’épaisseur historique et l’usage à l’origine de la notoriété constitue un critère important de spécificité pour les acteurs locaux. Cette idée d’antériorité renvoie à une projection d’énergie et d’informations particulières sur le territoire. La dimension historique des territoires constitue un socle identitaire commun. En considérant le territoire comme un construit social, l’antériorité historique permet l’émergence d’entités territoriales par rapport à des usages existants. Ce partage d’une histoire commune est le fondement d’une communauté de destins. Sur les territoires de la filière EMN, l’antériorité historique est considérée comme un gage de qualité. Les sites de Spa et Chaudfontaine font partie des quelques villes thermales très en vogue au XVIIIe et XIXe siècle qui sont devenus des villes d’eau où l’usage majeur est devenu l’embouteillage. Les minéraliers mobilisent fortement cette antériorité comme valeur supplémentaire spécifique pour l’EMN. La tradition thermale de Spa et Chaudfontaine a plus de 300 ans. Les premiers thermes et l’embouteillage à Spa remonte au XVIe siècle. A Chaudfontaine, le premier hôtel des bains a été construit en 1714 et l’embouteillage pour les baigneurs a débutée en 1729. Cette histoire donne une image différenciante. En Belgique, Spa et Chaudfontaine sont de grands noms pour l’eau. Dans l’esprit des Belges, ce sont des EMN supérieure, parce qu’il y a de manière complémentaire des thermes et de l’embouteillage. Les gens viennent aux thermes car ils savent que les établissements sont alimentés en EMN. Dans les thermes, les gens disent qu’ils veulent faire des soins parce que c’est de l’EMN de Spa et de Chaudfontaine (Figure 7).

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Figure 7. Frise chronologique d’origine des usages de l’EMN à Chaudfontaine et à Spa (Source : G. Pfund, 2020)

55L’analyse du mode de valorisation de la ressource constitue avant tout un choix stratégique entre les mains des acteurs locaux.

B. Les choix stratégiques des acteurs dans le mode de valorisation de la ressource

1. Stratégie individuelle des exploitants dans la valorisation spécifique des marques-produits-services toponymes et limites associés

56La stratégie individuelle de chacun exploitants des deux usages a un rôle essentiel dans le choix du mode de valorisation de la ressource EMN. Sur les territoires de Spa et Chaudfontaine, les minéraliers ont fait le choix d’une valorisation produit uniquement sous des marques de fabricants (MDF) toponymes spécifiques. Ce choix, similaire à d’autres sites en France (Evian, Vittel-Contrex, Vichy-Saint Yorre), exclu la valorisation de l’EMN de manière générique sous marque distributeur (MDD). Cette situation existe néanmoins sur plusieurs sites en France. Ces MDF comptent parmi les plus anciennes en France et en Belgique. Seule la MDF Chaudfontaine n’a émergé qu’en 1950, avec la fermeture de la seconde usine d’embouteillage d’EMN et la signature avec la ville de la convention de Monopole.

57De plus, le modèle de concession unique (Spa, Evian, Vichy) ou de concession de Monopole de puisage (Chaudfontaine et Spa) a largement orienté la stratégie marketing des exploitants. Un mode particulier de valorisation porte sur l’association d’une même marque produit et services, associée à un toponyme local. Ces 4 sites se caractérisent par des marques uniques ou des marques déclinées, liées au modèle de concession unique. En la matière, le site de Vichy est historiquement un modèle incontournable, qui a su exploiter au mieux la marque Vichy Etat®, déclinée sous licence de marque : Thermes de Vichy (Les Dômes et Callou), Les Célestins Vichy Spa Hôtel, Vichy Célestins (EMN embouteillée), Vichy Laboratoires (l’Oréal Cosmétique active) et enfin Pastille Vichy (Eurazéo). Récemment vendu par l’Etat à la ville de Vichy avec son immense patrimoine thermale, les revenus associés à la licence de marque bénéficient à la Compagnie de Vichy. De la même manière, la marque Spa® a été déclinée en Thermes de Spa®, la marque Chaudfontaine® a été développé en Château des Thermes Chaudfontaine®, tout comme la marque Evian® a été étendu en Evian les thermes®, Evian Resort® pour la destination golfique, et Evian Affinity® pour les cosmétiques. Pour l’ensemble de ces sites, le thermalisme reste fortement tributaire de la vitalité des marques d’EMN embouteillées.

58Si l’encastrement du positionnement des marques est un atout dans la commercialisation d’un produit et d’un service de la filière EMN, certaines limites peuvent exister dans la diffusion d’un nom. C’est notamment le cas du phénomène d’antonomase, c’est-à-dire lorsqu’un nom propre est utilisé comme un mot commun ou inversement. Dans certain cas, il est possible de citer directement une marque pour désigner une substance, comme pour l’EMN. Aux Pays Bas pour désigner une EMN pétillante, on dit Spa Rood, même si ce n’est pas de l’eau de Spa. La Spa blauw c’est de l’EMN plate pour un néerlandais. C’est devenu du langage commun. Le même phénomène d’antonomase a été identifié pour la marque Vichy. Il y a une telle réussite de la marque Vichy Célestins, que dans les Pays Hispaniques, l’eau de Vichy désigne de manière générique une EMN. Le nom de la marque est devenu l’emblème même du produit. Une problématique similaire se pose pour de manière générale avec le mot Spa. Par son utilisation très répandue dans le monde, la marque Spa a de grandes difficultés à être protégée. La société de droit belge Spa Monopole a déposé la dénomination Spa, en France auprès de l’INPI, dans 18 classes comme les boissons, les centres de bien-être, les services de santé et de cure, ou les produits cosmétiques. Fort de ce dépôt de marque, Spa Monopole a multiplié les oppositions contre les dépôts de marque composée du mot Spa. Un refus d’enregistrement a par exemple été fait à l’Oréal pour la création de la marque Spa Expérience. Cependant, cette protection éphémère a été remise en cause par une jurisprudence en France. Depuis 2015, l’INPI reconnait officiellement le caractère faiblement distinctif du mot Spa pour la classe cosmétique. Selon l’INPI, le mot Spa n’est donc plus distinctif puisqu’il est devenu usuel. Il sert aujourd’hui à désigner des usages génériques sans eau thermale comme un institut de beauté et de massage. La protection du mot Spa reste cependant active en Europe sur la classe boisson.

2. Stratégie individuelle des collectivités locales dans la valorisation des marques de destination et la promotion touristique

59Souvent minimisée ou oubliée, la stratégie individuelle des collectivités territoriales est également très impactant dans les choix de valorisation de la ressource. Ces dernières s’impliquent de plus en plus dans le marketing territorial avec la création de marque de destination. La ville et l’office de tourisme ont par exemple créés la marque Spa Authenti’City® en 2012, et qui intègre un réseau d’ambassadeurs depuis 2016, sous le vocable, Les Accros du Peignoir, en signe de soutien de la candidature Unesco. D’autres marques de destination ont ensuite été créés : Evian Destination® et Luchon Pyrénez-vous® en 2013, Aix-les-Bains Riviera des Alpes® en 2016, Destination Vittel-Contrexéville® en 2017, Vichy Destination® et Destination Grand Dax® en 2018.

60Les collectivités territoriales ont également un rôle primordial dans la promotion du tourisme, avec un choix stratégique du maintien de la compétence tourisme à l’échelon communal ou de la délégation à plus grande échelle. Le conseil des échevins de Spa et des municipalités d’Evian et Thonon ont décidé de maintenir un office de tourisme communal pour poursuivre la promotion à cette échelle sous ce vocable. La délégation de la compétence tourisme à l’échelle intercommunale sur les territoires de Vittel-Contrex, Vichy ou Aix-les-Bains a permis de maintenir le nom de la ville-marque et le siège de l’office de tourisme. Cependant, en fonction du contexte géographique, en cas de regroupement avec plusieurs territoires, une ville d’eau peut se retrouver avec d’autres territoires urbains plus importants et perdre sa dénomination. C’est par exemple le cas de Chaudfontaine en Belgique, ou de Meyras, Cilaos et Châteauneuf-les-Bains en France. Depuis 2017, le commissariat général au tourisme de Wallonie a souhaité rationaliser davantage les maisons du tourisme. La promotion de Chaudfontaine est aujourd’hui noyée parmi les 13 autres communes du groupement régional économique Ourthe-Vesdre-Amblève (ASBL GREOVA).

3. Encastrement des stratégies individuelles des acteurs locaux

61L’encastrement (mettre une référence scientifique liée à Embeddedness ?) des stratégies individuelles des exploitants des deux usages et des collectivités territoriales permet d’identifier la volonté par les acteurs de converger vers une stratégie collective pour valoriser la ressource EMN de manière spécifique. Cet encastrement peut être apprécié au travers des stratégies de marques des acteurs locaux, de l’adéquation des positionnements produits et services liés à l’EMN, et l’emboitement des échelles de dynamique.

62En Belgique, seul de site de Spa présente une situation d’encastrement complet de l’ensemble des stratégies de marque des acteurs locaux. Ce choix d’alignement permet de démultiplier un message simple et cohérent, de la même manière qu’à Evian, Vichy et Vittel-Contrex. En revanche, l’encastrement reste en partie incomplet à Chaudfontaine en raison de l’absence de marque de destination et de promotion à cette échelle. De plus, au-delà de la construction marketing voulu par Chaudfontaine Monopole et la ville, un écart de conception de gestion d’activité existe entre un hôtelier haut de gamme ayant une piscine alimentée en EMN, par-rapport à un groupe spécialisé dans le thermalisme tel qu’Eurothermes à Spa. Dans ces villes marques, le choix a été fait de juxtaposer la marque de destination par rapport à la marque produit plus connu que le territoire. Cette dynamique permet au lieu géographique d’exister en tant que territoire par-rapport à la marque produit. Inversement, cette synergie est également importante aux yeux du minéralier qui ont tout intérêt à ce que la destination soit dans un positionnement cohérent avec la marque produit-service. Selon les acteurs locaux, le besoin stratégique revendiqué par Spadel, Danone et l’Oréal, est de parler de leur lieu de naissance, pour donner du corps à leur propre produit, en montrant que derrière la bouteille d’eau, ou le produit cosmétique, il y aussi un territoire qui est le berceau de l’EMN.

63L’encastrement des stratégies passe également par l’adéquation des positionnements produits et services liés aux deux usages de l’EMN. Dans le cadre des concessions uniques à Spa, Evian et Vichy, et le Monopole de Chaudfontaine, le positionnement du produit-service a été volontairement orienté sur le haut de gamme, avec un objectif d’image de marque unique. L’adéquation des thermes par-rapport à la bouteille d’EMN est surtout possible avec un positionnement à dominante bien-être. C’est le choix stratégique des thermes d’Evian, qui ont volontairement réduit l’activité médicale tout en développant la vitrine de l’EMN sur l’activité bien-être. Un positionnement à dominante médicale comme certains établissements thermaux en France (Saint Amand, Luchon, Cilaos) est en opposition avec l’image de marque de fabrique toponyme voulu par les minéraliers. Selon les acteurs locaux, cette adéquation a été davantage possible en Belgique depuis l’arrêt du thermalisme médical en 1991. Le rapprochement s’est accéléré avec la construction des nouveaux Thermes de Spa en 2004 et le Château des Thermes à Chaudfontaine en 2001. Le retour des baigneurs a permis d’élargir la cible de clientèle, de démocratiser l’usage des bains d’EMN sans nécessité curative, et donc de se rapprocher du profil des consommateurs d’EMN embouteillée.

64D’autre part, l’emboitement des échelles de dynamique donne des renseignements intéressants sur les synergies mobilisées entre les usages. à Spa et Chaudfontaine, les deux usages ont une dynamique résolument régionale en s’orientant sur le marché du Benelux, c’est-à-dire l’Union Economique entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. à Spa (450 millions de bouteilles), l’usine d’embouteillage est leader sur les eaux minérales aux Pays Bas et en Belgique. Le grand export reste volontairement limité à 2 % de la production, vers les Antilles Néerlandaises, les Pays de l’Est, et le Qatar. Cette prédominance régionale concorde avec les thermes de Spa. Sur les 185 000 entrées bien-être par an aux thermes, près de 80 % sont originaires de Belgique, et plus de 92 % du Benelux. Aujourd’hui, l’EMN Chaudfontaine a un rayonnement similaire, puisque l’eau de Chaudfontaine (422 millions de bouteilles) est la seconde EMN vendue en Belgique derrière l’EMN de Spa. Près de 90 % de la production est commercialisée sur le Benelux. Seulement 5 % de la production est commercialisée en Région frontalières des Hauts de France. L’export à l’international, reste ponctuel et épisodique. Cette échelle d’attractivité est également celle du château des thermes, puisque son offre de séjour haut de gamme attire plus de 90 % de sa clientèle de la région wallonne. De manière ponctuelle, les deux usages peuvent transcender cette échelle. Par l’intermédiaire de la ville de Chaudfontaine, l’Agence Wallonne à l’exportation a organisé la promotion du château des thermes et de l’EMN Chaudfontaine en Chine et au Japon. Ces emboitements de dynamique échelle contrastent avec certains sites en France. Le minéralier Evian (55 % de la production vendu à l’export) ou le laboratoire l’Oréal de Vichy (80 % de la production vendu à l’export) sont des moteurs à l’échelle internationale, qui tire les autres usages de l’EMN traditionnellement tournés vers le marché national.

65Au regard de l’ensemble des indicateurs de valorisation de la ressource EMN, nous proposons d’investiguer le niveau d’avancement de l’offre de site, de comprendre les liens qui unissent les deux usages et permettent de justifier du sentiment d’appartenance à une même filière.

C. De la filière à l’offre de site : quelle pertinence de projection ?

66La question du sentiment d’appartenance à une même filière se pose. Les entretiens auprès des acteurs locaux ont permis de vérifier l’existence d’éléments communs ou distincts entre les deux usages et de les mettre en perspective par-rapport à des indicateurs concrets.

1. Entre appellation juridique commune et évolutions historiques

67Le cadre juridique définit, en France et en Belgique, le creuset d’évolution commun à la filière. Dès le XVIIe siècle, le pouvoir central est intervenu sur le plan juridique afin de fournir les premiers règlements administratifs pour encadrer les activités issues des eaux minérales. N’étant pas un pays ayant fortement développé l’activité thermale, la législation belge est restée proche de la France. Selon la législation française et belge, la qualité Eau Minérale Naturelle est définie au regard des propriétés favorables à la santé reconnue par l’Académie de Médecine ou l’Académie Royale de Médecine, après analyse de sa composition et de sa stabilité physico-chimique. Cette mention, qui renvoie directement à la qualité intrinsèque du produit, est reprise comme argument sur les étiquettes des EMN embouteillées. L’EMN se distingue donc officiellement des autres eaux. L’attribution de cette appellation est indépendante du taux de minéralisation, des normes de potabilité ou de la température de l’eau. Ainsi, certaines eaux sont très peu minéralisées comme Spa Reine (33 mg/l), Evian (309 mg/l), par rapport à d’autres qui sont très minéralisées comme Vichy Célestin (3325 mg/l) ou Contrex (2078 mg/l). Au Canada par exemple, l’appellation eau minérale est attribuée en fonction d’un seuil de concentration en minéraux minimum qui est de 500 mg/l jusqu’à 3000 mg/l1. Au regard de ces critères de classement, certaines grandes marques d’eau embouteillée françaises et belges ne bénéficieraient pas du statut EMN.

68La législation française et belge précise également que l’Eau Minérale Naturelle se distingue par la constance des paramètres physicochimiques dans le temps. Une variation de 10-15 % est communément acceptée. En cas de variation de ces paramètres, le ministère de la Santé est contraint de modifier l’autorisation d’exploitation à l’émergence. Il existe donc une dépendance d’une usine d’embouteillage et d’un établissement thermal au statut juridique Eau Minérale Naturelle. Enfin, l’EMN ne doit pas subir de traitement chimique. Ce point est encore une particularité européenne, par opposition à la conception hygiénique anglo-saxonne. La législation distingue l’EMN des autres eaux. En cela une considération spécifique lui est attribuée afin de la différencier de l’eau de source et l’eau rendue potable par traitement. Malgré cette appellation juridique officielle commune aux établissements thermaux et aux usines d’embouteillage, d’autres dénominations sont utilisées couramment par les professionnels de ces deux secteurs sans qu’il y ait de consensus. Les eaux utilisées sont couramment nommées eau minérale, eau thermale, ou eau thermo-minérale. Cette variété de noms révèle l’hétérogénéité des particularités, ou d’habitudes locales. Sur la commune de Chaudfontaine par exemple, les acteurs locaux utilisent le mot eau thermale pour soulignée que cette dernière est naturellement chaude à son émergence. Regroupant des eaux chaudes, froides, fortement et faiblement minéralisées, le statut EMN ne permet pas de prendre en compte les particularités locales de chaque source. En plus de l’appellation juridique commune, sur certains sites comme Spa et Chaudfontaine, le sentiment d’appartenance à la même filière est renforcé par l’utilisation d’un nom commun, une même marque produit-service toponyme, et donc géographiquement localisé. Le toponyme commun de Spa et Chaudfontaine est associé à une image, un positionnement et une marque. Sur ces sites, les thermes sont vus comme une continuité de l’usine d’embouteillage. Derrière les thermes il y a la bouteille d’EMN.

69Malgré l’appellation juridique commune et la marque toponyme, des cycles d’éloignement et de rapprochement ont marqué les interactions entre les deux usages dans le temps. A l’origine du thermalisme européen, les baigneurs venaient prendre les eaux dans les établissements thermaux et réalisaient des cures de boisson. Sur certains sites, dès le XVIe siècle, des ateliers d’embouteillage artisanaux sont créés au sein des établissements thermaux. L’objectif était de prolonger la cure à distance après le séjour aux thermes. Avec l’augmentation des demandes d’exploitation d’embouteillage, la législation favorise progressivement la commercialisation des EMN en pharmacie au XIXe siècle. Dans ces grandes stations de villégiature touristique, la cure de boisson occupe une place centrale (entre 60 % et 80 % de la fréquentation). Cependant, un premier éloignement s’opère entre les deux usages dès les années 1920-1930, où le secteur de l’embouteillage d’EMN évolue fortement sur le plan technologique. Le groupe d’embouteillage permet une production en ligne d’opération mécanisée dans un même bâtiment dédié. En sortant physiquement des établissements thermaux, les ateliers artisanaux se transforment en unité de production industrielle dédiée. Le véritable schisme s’opère en 1947 avec l’avènement du thermalisme médical en Europe. Reconnus officiellement comme une pratique thérapeutique, les soins thermaux sont pris en charge par la Sécurité Sociale. Si le thermalisme social apporte aux stations une légitimité médicale, la nouvelle conception du thermalisme montre une rupture par rapport à la période précédente. Cela marque la fin d’une période où la réputation des stations thermales françaises et belges s’est construite comme des lieux de villégiature touristique grâce à un phénomène social et culturel. Ce changement de règles génère également un nouveau type de clientèle et une augmentation de la fréquentation due à la démocratisation des soins. Un nouveau public plus diversifié remplace les catégories sociales élevées, mais il s’accompagne également d’un appauvrissement du pouvoir d’achat. à l’intérieur des thermes, comme dans la station thermale, les équipements adaptés aux baigneurs ne correspondent plus aux besoins des curistes. Cela explique la disparition progressive de l’hôtellerie de luxe, et du parc hôtelier en général. Le schisme du thermalisme social de masse s’explique par une orientation du secteur thermal vers une activité médicalisée pour accueillir des curistes et non plus des baigneurs. L’écart entre les deux usages s’est encore davantage creusé avec la dérèglementation progressive de l’EMN embouteillée. Avec le développement des Grandes et Moyennes Surfaces (GSM) entre 1960 et 1970, l’EMN quitte progressivement les pharmacies au profit des rayons des supermarchés, et se démocratise. Dans les années 1970, les prix de l’EMN sont dérèglementés. Actuellement, l’usage thermal et d’embouteillage évolue sur deux marchés parallèles, mais en fonction des sites, les liens ne sont pas forcément coupés. La Belgique est d’ailleurs sortie progressivement du thermalisme social dès 1987 en diminuant le montant des remboursements par la Sécurité Sociale et les prestations hospitalières. L’arrêt total du thermalisme social est effectif en 1991 en Belgique. Parmi les deux établissements thermaux en exploitation, Ostende ferme définitivement ses portes et Spa doit réinventer une nouvelle forme de thermalisme pour revenir vers les baigneurs. Le thermalisme français reste rattaché au domaine médical, mais la diversification des thermes vers l’activité bien-être tend à libéraliser une partie du marché du thermalisme. Cette évolution constitue une particularité puisque la majorité des pays de l’UE s’inscrivent toujours dans le modèle du thermalisme social, tout en recherchant des activités de diversification vers le bien-être.

2. Une même matière première pour les deux usages ?

70Au-delà de l’utilisation du même gisement hydrominérale, la question se pose du recourt à la même matière première pour les deux usages. La réponse revêt une certaine complexité en fonction des situations locales. Ces éléments sont d’ailleurs peu mis en valeur auprès du grand public. De manière générale, il est possible de considérer qu’une même matière première est utilisée pour les deux usages sur les sites de Spa, Chaudfontaine, Evian et Thonon. Sur certains sites, l’EMN embouteillée est exactement la même que celle utilisée dans les thermes. C’est le cas par exemple d’Evian ou de Chaudfontaine. Issu de différents forages, le mélange Cachat est utilisé pour le conditionnement, les produis cosmétiques et les thermes pour l’ensemble des soins médicaux et de bien-être. A Chaudfontaine, l’EMN émerge sur différents forages dédiés à chaque usage (274 000 m3 de prélèvement par an, dont 81 % pour l’embouteillage et 19 % pour les usages de bain). Pour autant il s’agit bien d’une même EMN naturellement chaude, avec un faciès similaire (bicarbonatées calciques et faiblement minéralisées). Selon le laborantin, qui suit les analyses minéralogiques, les mesures sont pratiquement similaires entre les EMN des différents usages, avec un écart de 1 ou 2 mg/l sur certains éléments. Cette situation est similaire à Thonon depuis la distinction de forages dédiés en 2013.

71La situation est légèrement différente à Spa. Les deux usages utilisent bien des EMN hypothermales avec un faciès proche (très faiblement et faiblement minéralisées, carbo-gazeuses). Cependant, les EMN des forages (616 500 m3 d’EMN par an, dont 87 % pour l’usage d’embouteillage et 13 % pour l’usage thermal) ont des variations de composition légèrement plus importante au niveau des cations et des anions. D’autre part, depuis 2004, les bassins des nouveaux thermes de Spa sont alimentés depuis le forage Clémentine à Theux. Les EMN Spa Marie Henriette, Spa Reine et Spa Barisart, qui sont embouteillées alimentent toujours la buvette des thermes. Les soins sous EMN sont néanmoins toujours réalisés avec l’EMN Spa Marie Henriette. Cette situation est comparable à celle des thermes de Vittel et des thermes de Contrexéville, vis-à-vis de l’usine d’embouteillage Nestlé Water. La tradition de la cure de boisson constitue dans tous les cas, encore aujourd’hui, pour le grand public et les acteurs locaux, un élément de complémentarité en Belgique et en France. L’alimentation en EMN nécessite d’autre part un lien physique par un réseau dense de canalisations souterraines reliant les émergences et les différents usages entre eux. Ce sont les fontainiers de l’embouteilleur qui s’occupent de l’ensemble des canalisations et des forages à Spa et Chaudfontaine (de même qu’à Evian, Vittel/Contrexéville et Vals).

72Selon les acteurs locaux, Spa Monopole était très attaché à ce que le hall des nouveaux thermes soit alimenté par l’EMN Spa Reine, Spa Marie Henriette et Spa Barisart, en termes d’image. C’était la volonté du PDG de Spadel, Marc Dubois, d’amener ces EMN aux thermes, même si cela impliquait l’aménagement de canalisations coûteuses. Il était indispensable que des filets d’EMN coulent à la fontaine des thermes, parce que ces eaux ont toujours été utilisées en cure de boisson (Tableaux 1 et 2).

Chaudfontaine

Embouteillage

Piscine thermale et Château des Thermes

Bronn

P12

Calcium

65

65

Magnésium

18

18

Sodium

44

44

Potassium

2,5

2,5

Chlorure

35

35

Sulfates

40

40

Bicarbonates

305

305

Nitrates

0,1

0,1

Fluor

0

0

Silicium

18

18

Résidus secs

385

385

pH

7

7

T° émergente

36,6

36,6

Gaz

Adjonction CO2

Plate

Tableau 1. Composition physicochimique des EMN de Chaudfontaine. (Source : G. Pfund, 2020)

Spa

Embouteillage

Embouteillage et Thermes

Thermes

Spa Barisart

Spa Reine

Spa Marie Henriette

Clémentine (Theux)

Calcium

5,5

4,5

11

69,1

Magnésium

1,5

1,3

6,5

11

Sodium

5

3

7

9,87

Potassium

0,5

0,5

1

1,62

Chlorure

5,5

5

5

11,2

Sulfates

7,5

4

8,5

12,8

Bicarbonates

18

15

70

248

Nitrates

1,5

1,9

0,2

8,54

Fluor

0

0

0

0

Silicium

10

7

8

9,1

Résidus secs

49

33

80

300

pH

6

6

6

7

T° émergente

11

11

11

11

Gaz

Adjonction CO2

Plate

Naturellement

gazeuse

Naturellement gazeuse

Tableau 2. Composition physicochimique des EMN de Spa. (Source : G. Pfund, 2020)

73La situation est variable d’un site à l’autre, même en France. à Vals, une partie des émergences communes aux deux usages. Cinq sources (18 % des émergences) sont utilisées à la fois pour le conditionnement et pour remplir le bassin des thermes. Cependant, les soins thermaux sont réalisés avec des EMN au faciès très différent. à Vichy, seulement 3 sources (14 % des émergences) sont utilisées pour plusieurs usages, avec des variations importantes dans le temps. L’utilisation de la même matière première est un point important. Sur certains sites, l’utilisation d’EMN très différente entre les deux usages renforce le schisme (Dax, Niederbronn, Meyras). Pour autant, l’analyse des sites permet de souligner qu’au-delà de l’utilisation d’une même matière première, le sentiment d’appartenance est un construit social qui résulte surtout des stratégies d’acteurs. Sur certains sites, l’EMN est similaire sans qu’il y ait de sentiment d’éléments en commun (Saint Amand, Châteauneuf).

74La pertinence de parler d’une filière EMN fait sens sur plusieurs sites à usage multiples, notamment à Spa et Chaudfontaine. Sur ces territoires, il est donc possible de se poser la question du niveau d’avancement de l’offre de site et de la structuration du panier de bien

3. Une offre de site au travers d’un panier de biens

75La notion de panier de biens correspond à une forme de spécification de la ressource territoriale particulièrement aboutie. La spécification de la ressource EMN est réalisée autour d’un produit fondamental par une ou plusieurs entreprises qui partagent une interdépendance étroite et complexe. Le panier de biens peut également prendre la forme d’un ou quelques produits et services leaders, sur lesquels viennent se greffer d’autres produits ou services complémentaires. Si cet ensemble est géré de manière cohérente, l’offre de site permet alors de renforcer l’image positive, la notoriété du territoire, et contribue à la différenciation. La mise en cohérence de produits et de services, ancrés sur un même territoire, permet de créer un effet de renforcement mutuel. La combinaison des constituants du panier de biens permet d’acquérir de nouvelles caractéristiques qu’ils n’ont pas lorsqu’ils sont pris isolément. La définition de l’offre du lieu dépasse l’addition ou la juxtaposition de toutes les offres individuelles des usages sectoriels. En contrepartie, la ressource contribue donc à la qualification du territoire où elle est localisée, dans la mesure où cela renforce l’image et la réputation du territoire. L’offre de site résulte de l’agglomération de plusieurs usages locaux non rivaux, qui s’associent par une combinaison originale de compétences complémentaires. En tant que produit du terroir, l’EMN est analysée au travers de sa faculté à valoriser le territoire et à construire un panier de biens. Cependant, la place et le rôle joué par les EMN dans la construction de ces paniers diffèrent selon les territoires.

76L’analyse multicritère des sites permet d’affirmer qu’une offre de site est active sur 3 territoires de la filière EMN, à savoir : Spa, Evian et Vichy. Dans cette première catégorie de sites, la structuration de l’offre et le degré de spécification sont très forts. Les produits et services mobilisés au sein du panier de biens sont multiples. Ils comprennent à la fois des produits phares comme les EMN embouteillées et les soins thermaux spécifiques. à cela s’ajoute une destination qui commercialise des visites guidées, parcours libres et espaces muséographique sur le thème de l’EMN et le thermalisme. Les minéraliers à Spa et Evian s’impliquent directement dans cette stratégie de mise en tourisme. Certains écarts perdurent cependant. Le panier de biens de Spa propose moins de produits dérivés qu’à Vichy et Evian par exemple. De manière générale, Spa s’inscrit dans une trajectoire haute où la valorisation est fortement spécifique. La proximité géographique est activée par des formes d’organisation de proximité, et un fonctionnement territorialisé de la coordination. Cette construction collective, qui mobilise des dimensions institutionnelle et organisationnelle de proximité, permet d’initier une dynamique d’ancrage territorial des activités. L’enracinement des acteurs économiques, et de leurs produits et services, génère la création de valeur ajoutée. Cependant, les évolutions historiques nous rappellent que cette offre de site n’est pas immuable dans le temps. Sur les sites de Vittel-Contrexéville et Saint Amand, les offres de sites sont en phase de déconstruction, respectivement depuis 2001 et 1997, avec un arrêt de la participation des acteurs à la mise en tourisme du territoire. Sur d’autres territoires, l’offre de site est incomplète en raison de la juxtaposition d’offre individuelle sans dynamique collective réelle. Si une dynamique collective fonctionne à Chaudfontaine, elle n’est que partielle, car elle regroupe uniquement l’embouteilleur, la ville et le syndicat d’initiative. Le gestionnaire du Château des Thermes restant à part dans le schéma relationnel. Ce dernier ne participe pas à la structuration de l’offre de site. Cette offre privatisée hors sol ne s’appuie pas sur une spécification de l’offre de service. Le niveau d’avancement dans la construction d’une offre de site est donc différent en fonction des sites. Il dépend notamment de la stratégie des acteurs locaux, mais aussi de l’existence d’autres produits et services spécifiques des territoires en plus de l’EMN (Figure 8).

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Figure 8. Schéma de niveau d’avancement dans l’élaboration d’une offre de site. (Source : G. Pfund, 2020)

Conclusion

77La problématique initiale de notre analyse était de comprendre dans quelle mesure l’eau thermo-minérale peut devenir une ressource territoriale spécifique et ainsi contribuer, par le jeu d’acteurs, à construire des trajectoires de développement singulières. Notre analyse approfondie, sur les territoires marqués par un double usage thermal et d’embouteillage, a permis de démontrer que l’eau thermo-minérale peut devenir une ressource territoriale spécifique uniquement sur certains sites, et sous certaines conditions. Si le jeu d’acteurs est une variable importante, c’est avant tout la création d’une stratégie collective ou à minima l’encastrement de l’ensemble des stratégies individuelles qui joue un rôle dans le mode de valorisation de la ressource EMN à l’échelle locale. Si sur l’ensemble des sites, les choix des acteurs locaux tracent des trajectoires de développement particulier, de grandes tendances apparaissent. Sur certains territoires, la centralité de la filière l’EMN a permis la construction d’une véritable offre de site. Le niveau d’avancement de cette dernière reste cependant variable. Cela peut comprendre par exemple une offre aboutie en phase d’amélioration (Spa, Evian, Vichy), ou une offre incomplète (Chaudfontaine, Thonon, Cilaos, Luchon, Aix-les-Bains).

78Les deux thèmes principaux qui traversent l’ensemble de notre analyse et qui ont éclairé notre réflexion sont les liens publics-privés entre les acteurs et leurs choix stratégiques en lien avec leurs différents niveaux de perception. C’est au travers de ces thèmes transversaux que nous proposons de remettre en perspective les apports de cette recherche que ce soit en termes d’identification de phénomènes méconnus, ou de points de vue originaux.

79Le premier thème central est celui des liens entre les acteurs publics-privés. Le partenariat public-privé est inhérent et historique au sein de la filière EMN depuis plusieurs siècles. Cette tradition perdure encore aujourd’hui et se manifeste de plusieurs manières. La maîtrise de l’accès à l’EMN est un élément central de compréhension du jeu d’acteurs à l’échelle locale, au même titre que d’autres ressources naturelles. L’implication des acteurs publics communaux reste importante, que ce soit en tant que propriétaire unique ou qu’il y ait une mixité de propriétaires public-privés avec une prépondérance publique. L’accès à la ressource en EMN totalement privatisé reste minoritaire. Cependant, une partie de la ressource en EMN est également privatisée sur un des deux usages, surtout pour l’embouteillage. Dans un contexte de difficulté financière des communes, le phénomène de privatisation de la ressource en EMN tend à augmenter au fur et à mesure de la réalisation des nouveaux forages. Les différentes trajectoires de ces territoires dans le temps incitent notamment à s’interroger sur les conséquences de la privatisation de la ressource en EMN au travers de la cession du patrimoine hydrominéral. Les acteurs publics ont un rôle stratégique à jouer sur le maintien au moins d’une partie de la ressource en EMN dans le domaine public. Cette situation est à l’origine d’interactions publiques-privées fécondes. Les liens verticaux marchands, fortement dominés par l’accès à la ressource en EMN génèrent une proximité organisationnelle. Ces liens marchands se prolongent plus facilement vers des liens horizontaux de partenariat entre les acteurs publics-privés. Si la maîtrise de la ressource en EMN par le public n’implique pas automatiquement une valorisation spécifique de la ressource en EMN et l’émergence d’une offre de site, elle favorise son émergence dans la plupart des cas. Par opposition, la privatisation de l’ensemble de la ressource en EMN des deux usages ne permet pas de protéger l’intérêt des collectivités territoriales. Davantage dépendantes des stratégies d’entreprises, sur ces territoires les offres de sites sont déconstruites sans possibilité d’intervention des acteurs publics. Ce rôle stratégique est particulièrement important sur certains territoires dont le niveau de dépendance à la filière EMN est élevé, et donc très structurant pour le territoire. La dépendance de certains territoires à la filière EMN est aussi marquée au niveau des recettes de fonctionnement communal par le biais des redevances de Monopole de puisage, d’alimentation en EMN des forages ou des casinos, comme à Spa. La réflexion autour du lien public-privé a notamment permis de mettre en valeur le modèle de la concession unique, même s’il ne s’agit pas du seul modèle d’exploitation possible avec un partenariat public-privé. Le modèle de concession unique est une configuration ancienne qui tend à disparaître dans le temps au profit d’une sectorisation des usages. Autrefois courant, le modèle de la concession unique est aujourd’hui conservé par la volonté des communes d’Evian-les-Bains et de Spa, mais également par l’Etat à Vichy. Si ce modèle peut renforcer un rapport de force entre les deux usages au niveau de la concentration des investissements, il permet également de maintenir des liens entre les deux usages de la filière EMN et de vendre une offre de site cohérente à l’échelle du territoire local. Le lien public-privé transparaît également dans les formes de gouvernance au sein des territoires, qu’elles soient participatives avec la création d’une proximité institutionnelle. La gouvernance collaborative est construite à Spa autour de la protection de la ressource en EMN et autour du classement Unesco. Ces formes de gouvernance, particulièrement exemplaire, renforcent encore davantage les liens public-privé à l’échelle locale.

80Le second thème transversal est celui des choix stratégiques des acteurs en lien avec leurs différents niveaux de perception. Là encore, le contrôle de la ressource en EMN par un acteur public semble créer un rapport de force suffisant avec l’exploitant privé pour influer sur ces choix stratégiques. C’est par exemple le cas à Spa ou Evian, dont la convention d’exploitation unique de l’EMN précise un certain nombre de contraintes intériorisées, par la suite dans la stratégie d’entreprise de Spadel et Danone. Cet élément central explique les différences fondamentales d’orientation stratégique entre les territoires Spa et Evian, par-rapport à ceux de Chaudfontaine et Vittel-Contrexéville. La stratégie individuelle des acteurs locaux est un élément clé de la compréhension des liens entre les acteurs et des formes de proximité. Les choix stratégiques des acteurs locaux sont également guidés par le type d’acteur en présence. Les logiques, les objectifs visés et donc les choix stratégiques ne sont pas les mêmes entre un groupe spécialisé dans le secteur thermal et un hôtelier. Les acteurs publics ont également toute leur place en matière de stratégie de valorisation de la ressource en EMN. Par leurs choix stratégiques, les collectivités locales peuvent initier des dynamiques collectives et structurer des éléments du panier de biens pour créer une offre de site. La place accordée aux OT par les collectivités locales est en effet primordiale. Par ces choix stratégiques, les collectivités locales orientent la politique touristique. A l’échelle de chaque territoire, l’encastrement des choix stratégiques individuels ou collectifs des acteurs dessine une trajectoire de développement singulière. Ces encastrements touchent à la fois au mode de valorisation de la ressource EMN, aux stratégies des marques et au positionnement marché des produits et services. Les différentes formes d’encastrement de stratégie de marque apportent des éléments de réponse sur l’asymétrie entre les sites où la filière EMN fait territoire ou non. Si une mise en cohérence des stratégies de marques sont recherchées sur certains territoires engagés dans une valorisation spécifique de la ressource EMN, sur d’autres la juxtaposition des stratégies individuelles prime sur un ensemble qui ne fait pas l’objet d’une réflexion particulière. Seuls quelques territoires, disposent d’un encastrement complet des stratégies de marques, et des positionnements de produit-service, dont Spa.

NOTE

811A. Demers, Rapport sur la situation de l’industrie de l’eau embouteillée au Québec, Eau Secours, 2005, pp. 4-5.

NOTE DE L’AUTEUR

82Cet article est issu d’une thèse de doctorat soutenue le 15 décembre 2021 à l’Université de Lyon 2, avec pour intitulé « Territorialisation et logique de filière de l’eau thermo-minérale : Ressource, Usages et Enjeux. Approche comparée de sites à usages multiples en France et en Belgique ». Le mémoire et les annexes sont accessibles en archives ouvertes sur HAL.

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111Roux, J.-C. (2006). Aquifères et eaux souterraines en France. BRGM Editions.

112Vigouroux, Ph. (2005). Guide qualité pour la ressource en eau minérale et thermale, BRGM.

Entretiens téléphoniques réalisés en 2018-2019

113Entretien avec le chef du cantonnement de Spa à la DNF

114Entretien avec le directeur de l’usine d’embouteillage Spa Monopole

115Entretien avec la Directrice des Thermes de Spa

116Entretien avec le directeur d’Aqualis

117Entretien avec la Première Echevine de Spa

118Entretien avec la directrice de l’Office de Tourisme de Spa

119Entretien avec le Directeur de l’usine d’embouteillage Chaudfontaine

120Entretien avec le Gérant du Château des thermes de Chaudfontaine

121Entretien avec le Premier Echevin de Chaudfontaine

122Entretien avec le Directeur de l’Office de Tourisme de Chaudfontaine

Pour citer cet article

Guillaume PFUND, «Territorialisation et logique de filière de l’eau thermo-minérale à Spa et Chaudfontaine : ressource et usages multiples», Bulletin de la Société Géographique de Liège [En ligne], 79 (2022/2) - Varia, 19-47 URL : https://popups.uliege.be/0770-7576/index.php?id=6775.

A propos de : Guillaume PFUND

Dr en Géographie Economique

Manager au sein du cabinet de conseil Abington Advisory

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