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Transformation urbaine des villes démilitarisées : l’exemple de Metz-Métropole
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En Europe, la professionnalisation des armées a entraîné la démilitarisation de nombreux espaces urbains. Avec la réduction et le redéploiement des forces armées, les métropoles militaires ont dû renoncer au modèle de la ville de garnison et recycler l’héritage militaire aliéné, ce dernier étant à la fois accepté, contraint et/ou subi. Ainsi, pour la ville de Metz (France), la démilitarisation a laissé en héritage d’importantes structures témoins de l’hyper-militarisation de la ville. La rétrocession des infrastructures militaires à la ville a permis de construire des dynamiques patrimoniales et urbanistiques. En cela il s’agit d’une transformation et d’une transition. Elles sont les produits d’une coévolution entre une gouvernance institutionnelle et multiscalaire et une appropriation privée. Cette association s’était traduite par un projet inabouti de classement UNESCO destinée à faciliter la gestion des héritages du complexe militaro-urbain dans un contexte de décroissance urbaine.
In Europe, the professionalization of armies has led to the demilitarization of many urban spaces. With the reduction and redeployment of the armed forces, military metropolises have had to abandon the garrison city model and recycle the alienated military legacy, the latter being at the same time accepted, coerced and/or suffered. Thus, for the city of Metz (France), demilitarization has left a legacy of important structures that bear witness to the hyper-militarization of the city. The retrocession of military infrastructure to the city has made it possible to build heritage and urban planning dynamics. In this sense, it is a question of transformation and transition. They are the products of a co-evolution between institutional and multiscalar governance and private ownership. This association resulted in a UNESCO classification project designed to facilitate the management of the legacies of the military-urban complex in a context of urban shrinking.
Table of content
Introduction
1Depuis la fin du XIXe siècle, l’enchaînement des grands conflits en Europe a entraîné une hyper-militarisation urbaine. Cette dernière est la conséquence spatiale de déploiements militaires et à l’empilement d’une multitudes d’infrastructures. Ainsi, de grandes villes de garnison s’organisent avec le gonflement des effectifs des armées. Elles sont parfois ceinturées d’enceintes fortifiées, se transformant alors en de grands camps militaires retranchés verrouillant les frontières. Ces pôles militaires sont, le plus souvent, établis en miroir de part et d’autre de dyades contestées. L’urbanisme militaire est destiné à affirmer la puissance souveraine. Les quartiers militaires, les forts, les palais militaires sont souvent des réalisations architecturales soignées et destinées à souligner cette puissance. L’urbanisme militaire, imposé et contraint, a produit une multitude d’îlots militaires grands dévoreurs d’espace. Ces derniers débordent de la ville, se déploient à la périphérie, amorçant alors des phénomènes périurbains et des dynamiques urbaines pour des communes constituant encore la ceinture nourricière de la ville. La géographie militaire a opéré un changement d’échelle, passant de la ville à la métropole militaire. Cette dernière est animée de dynamiques centrifuges qui éloignent progressivement les grands quartiers militaires et repoussent les infrastructures défensives vers les périphéries.
2Avec la fin de la Guerre froide (1947-1991), les enjeux militaires en Europe ont décru et la conscription, expression de l’armée de masse, a cédé la place aux armées professionnelles. Le modèle urbain hyper-militarisé est désormais obsolète et les infrastructures militaires sont progressivement rétrocédées aux municipalités. Ce phénomène d’aliénation des quartiers de casernes constitue une opportunité dans le processus de fabrique de la ville. En effet l’existence d’une culture et d’une identité militaire facilite les processus de construction d’un récit opératoire puisant ses racines dans la mémoire urbaine et facilitant la patrimonialisation. L’appropriation de la ville militaire relève d’un double processus qui concerne, d’une part l’ouverture et le désenclavement de l’espace militaire rendu à la vie civile et d’autre part la promotion de l’héritage militaire. Dans le cadre d’un projet collectif de rénovation urbaine à l’échelle d’une agglomération, il s’agit d’un facteur de promotion identitaire et de marketing territorial qui, en appropriant tout ou partie de ce que l’armée abandonne, en fait des lieux de reconquête de la ville. Il faut considérer que cet héritage est un patrimoine destiné, non pas à entrer seulement dans une démarche conservatoire par une mise sous cloche, mais à devenir un outil destiné à soutenir une politique urbaine. Elle peut avoir plusieurs finalités comme le souligne V. Veschambre : « le patrimoine a donc un usage interne, décliné en terme « d’identité locale », « d’intégration », de « lien social » et de « vivre ensemble ». Il a également un usage externe : à travers le patrimoine, il s’agit de rendre désirable une localisation et d’attirer les investisseurs, la main d’œuvre qualifiée et les touristes […] » (Veschambre, 2008, p81).
3Dans le cas de Metz et de la Communauté d’Agglomération de Metz-Métropole1, à l’histoire militaire complexe, productrice d’une identité qui tire ses racines d’un passé à la fois glorieux et douloureux car symbole des rivalités franco-allemandes, le processus de démilitarisation a restitué depuis plusieurs décennies un héritage militaire multiforme (casernes, entrepôts, bâtiments civilo-militaires, forts, base aérienne). En 2008, l’emprise militaire couvrait encore 1 800 hectares dont 700 ha de sites occupés. À titre de comparaison, la superficie de la ville de Metz est de 41,94 km² et celle de Metz-Métropole est de 324,1 km². La réforme de juillet 2008 du plan national de modernisation de la Défense a entraîné le départ de plus de 5 000 emplois2 militaires et civils, impactant plus particulièrement sept communes de Metz-Métropole. La perte démographique liée à ces fermetures a été estimée à 12 000 habitants. En tout ce sont 500 hectares de sites militaires occupés qui sont en cours de cession et qui doivent être intégrés dans le projet urbain de l’agglomération.
Figure 1. Les emprises militaires rétrocédées à Metz-Métropole.
4Pour Metz-Métropole, le retraitement de ces espaces militaires constitue l’enjeu d’une reconversion économique et fonctionnelle de la ville. Le projet territorial, qui se traduit par une démarche patrimoniale est multiscalaire :
5• à échelle locale, elle s’appuie sur l’opportunité foncière et patrimoniale qui permet de reconstruire la ville en tenant compte des concepts de la ville durable,
6• à échelles régionale et nationale, il s’agit de redynamiser l’économie urbaine et de rendre la ville plus attractive. Il faut pour cela renforcer l’image de Metz en effaçant l’identité de ville de militaires pour affirmer celle de ville militaire. Ainsi, la demande de classement UNESCO déposée en 2014 portait d’abord sur la « ville impériale » construite durant l’annexion par l’Allemagne (1871-1914), puis s’est étendue à la ville historique.
7Les deux démarches étaient complémentaires et soulignaient la transformation d’anciens espaces dominés en vitrine dans le cadre d’un marketing territorial. Metz-Métropole s’inscrivait dans un projet territorial qui cherche à construire une ville durable, c’est-à-dire en reprenant la définition d’Y. Veyret et al. (2011) : « Une ville, pour être durable, doit disposer d’un environnement de qualité - notamment en ce qui concerne la nature -, tendre vers l’équité entre ses habitants, et ses usagers et être espace viable de production de richesse ». L’analyse sur un temps long des paysages, de l’aménagement urbain et des phénomènes d’appropriation des espaces militaires doit permettre de montrer les contraintes et l’identité ancienne de la métropole militaire (Gaymard, 2014, Mathis et Mathis, 2014). Cette dernière fut longtemps méconnue dans le cadre du retraitement des espaces militaires délaissés, entraînant le plus souvent des processus d’effacement ou de remplacement sans réelle appropriation. Désormais, cette stratégie apatrimoniale est aujourd’hui partiellement abandonnée. L’appropriation du patrimoine militaire est devenue un facteur de renouvellement urbain et le moteur de projets de redynamisation de la métropole post-militaire.
I. Comment les contraintes de la métropole militaire produisent une identité de la ville de garnison ?
8Dès le XVIe siècle, Metz a été transformée en ville militarisée, surimposant à la ville médiévale remparée une place forte bastionnée avec citadelle. De nouvelles constructions traduisent cette évolution contrainte car liée à l’occupation puis au rattachement à la France3. La ville de Metz débute alors sa phase d’urbanisme militaire avec la construction du « magasin aux vivres » en 1559. Toutefois, l’urbanisme militaire se nourrit également de recyclage comme Saint-Pierre-aux-Nonnains4 transformée en entrepôt militaire. Cette militarisation de l’espace messin se poursuit car « si les autres places du royaume couvrent la province, Metz couvre l’Etat »5. Ainsi, à la fin du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle, les ingénieurs militaires : Vauban (1633-1707), Louis de Cormontaigne (1695-1752) militarisent la ville avec la réalisation des premiers ouvrages détachés (Fort de Bellecroix, Fort Moselle, redoute de la Seille). Les premières casernes sont édifiées aux frais de la ville et de l’évêque6. Metz a une capacité d’accueil de 10 000 soldats et 2 000 cavaliers. Cette sur-militarisation imposée par la raison d’État forge l’identité et la fierté des messins. Metz est alors la première place du royaume et gagne ce surnom de « Metz la pucelle » car la ville n’a encore jamais été prise.
9Au XIXe siècle, la militarisation de l’espace messin se poursuit et déborde désormais de l’emprise urbaine car cette dernière est fortement contrainte, enclose par les remparts médiévaux et soumise aux servitudes des forts et bastions. En 1867/1868 débutent les travaux des grands ouvrages détachés (forts de Saint-Quentin, de Plappeville, de Saint-Julien…). L’Empire Allemand, nouvellement proclamé, annexe Metz et le département de la Moselle7, l’unissant à l’Alsace dans le « Reichsland Elsass-Lothringen ». La formation de cette nouvelle dyade constitue un glacis destiné à cimenter le IIe Reich (1871-1918). Le territoire annexé subit un important renforcement de son déploiement militaire. Les autorités militaires allemandes occupent les infrastructures militaires françaises et renforcent celles-ci. Metz et dans une moindre mesure Strasbourg, s’hyper-militarisent. Metz peut alors être considéré comme une vaste métropole militaire. L’annexion à l’espace impérial allemand génère également une phase d’essor et d’urbanisation, donnant naissance à des quartiers modernes qui accompagnent l’urbanisme militaire.
Figure 2. La création d’une nouvelle dyade frontalière par l’Annexion de l’Alsace-Moselle à l’Empire Allemand (1871-1918).
Figure 3. La militarisation du Reichsland Elsass-Lothringen : la création des métropoles militaires occidentales de l’Empire Allemand.
10Le système urbain est totalement soumis, inséré, incorporé à cette agglomération militaire qui contraint l’espace urbain et participe à forger son identité. La ceinture fortifiée débutée par la France durant le Second Empire est achevée et complétée par la nouvelle administration militaire. En 1899, compte tenu des progrès de l’artillerie et de l’importance de la place de Metz, il est décidé d’adjoindre une seconde couronne fortifiée. Cette dernière organise, suivant les modèles conceptuels de Hans Von Bielher8 (1818-1886), neuf groupes fortifiés ou « Festen »9 autour de Metz. Huit ouvrages seront seulement réalisés entre 1899 et 191610. Les deux enceintes fortifiées totalisent dix-neuf ouvrages d’infanterie et points d’appui et dix-sept batteries de canons sur affûts cuirassés.
Figure 4. La double ceinture fortifiée messine : contrainte et servitude d’une métropole militaire.
11Pour garder la nouvelle frontière, la garnison atteint plus de 25 000 hommes en 1914, imposant sa présence, son organisation et ses contraintes à la ville. Pour loger cette population au sein d’une ville de 80 000 habitants, il faut poursuivre la militarisation de l’espace urbain et s’étendre sur les communes périurbaines (Longeville-lès-Metz, le Ban-Saint-Martin, Montigny-lès-Metz…). Dix-sept grands casernements sont construits entre 1877 et 1905 dans l’espace de la métropole militaire messine. Ces quartiers constituent un paysage architectural hétérogène : néo-classique, wilhelmien, néo-renaissance rhénan, villa italienne… Les matériaux utilisés évoluent également de la pierre de taille en provenance des carrières de Jaumont, propre au style messin, à des constructions de briques, voire des colombages. Le rythme de construction des grands quartiers militaires n’empêche pas une réalisation soignée. L’urbanisation militaire allemande devait illustrer la puissance de l’Empire que le nouveau palais du gouverneur militaire en forme d’aigle, la tête tournée vers la France, les ailes protégeant la ville, matérialise parfaitement.
Figure 5. La métropole militaire messine, un espace urbain influencé et contraint.
12L’hyper-militarisation de l’espace messin est relayée par une grande phase de rénovation de la ville : c’est l’origine de la ville Impériale. Elle se déploie sur l’espace dégagé de la vieille ceinture des remparts médiévaux désormais effacée. Seuls quelques éléments sont conservés, essentiellement le long de la Seille avec la monumentale Porte des Allemands, la Porte du Diable et la Tour Camoufle. Ce « ring » se prolonge au niveau de la nouvelle gare où sont édifiés des quartiers modernes aux styles architecturaux éclectiques. Son paysage urbain est fortement décrié, notamment par les milieux intellectuels français. Ainsi Maurice Barrès (1909, p.8) dans son roman, Colette Baudoche, dénigre ces nouveaux quartiers : « On tombe sur un quartier tout neuf où des centaines de maisons chaotiques […] une folie des grandeurs déchaîne d’énormes caravansérails et des villas bourgeoises, encombrés de sculptures économiques et tapageuses… tout ce quartier neuf vise à la puissance et à la richesse, n’est que mensonge, désordre et pauvreté de génie ». Ce jugement péjoratif bien qu’atténué, reste résilient. Ainsi Fr. Roth (1986, p. 371), dans l’Histoire de Metz, évoquait encore « la modernité agressive » bien qu’estompée de la « ville neuve ». La Ville Impériale, comme les casernes, offre une diversité architecturale exceptionnelle. La fabrique de la ville wilhelmienne produit de multiples approches stylistiques : néo-romane, néo-gothique ou encore néo-renaissance, qui tranchent avec la permanence d’un urbanisme classique français que maintiennent certaines familles messines, témoignant dans ce choc culturel leur attachement à la France. Aujourd’hui ce paysage urbain hybridé constitue la Neue Stadt, qualifiée également de ville impériale. D’autre part, la permanence non exclusive de la pierre de Jaumont dans les constructions traduit une continuité esthétique dans l’urbanisme messin.
13La ville militaire n’a pas fait l’objet de réelles destructions identitaires après 1918 et le rattachement de la Moselle à la France. Certes, on peut noter un iconoclasme ornemental qui concerne blasons, aigles et autres productions décoratives impériales car ils symbolisaient dans la mémoire collective messine et française l’humiliation et la souffrance de l’annexion. Toutefois, l’armée française se coule dans les casernes nées de la fabrique militaire allemande.
14Ce rapide exposé souligne qu’une grammaire de l’armée s’est imposée à la ville avec ses contraintes et ses servitudes. Cependant, la ville s’est également associée à l’armée, construisant par symbiose, un complexe militaro-urbain. Son départ, même incomplet, fragilise la ville, rompt l’organisation territoriale qui est désormais inadaptée et conduit à une transition avec des transformations urbaines. Ces dernières peuvent s’inscrire dans un processus d’effacement, de mutation fonctionnelle ou de valorisation/patrimonialisation.
II. Le retraitement opportuniste : de l’effacement au remplacement
15Il convient de rappeler que si le processus s’est intensifié à partir de la fin de la Guerre froide, le processus de démilitarisation a concerné Metz dès l’après Seconde Guerre mondiale. Le déplacement en Allemagne du glacis protecteur national organisé par le déploiement des Forces Françaises en Allemagne (FFA) placent désormais Metz en pivot du déploiement militaire français, dans une situation moins exposée. Aussi, la démilitarisation concerne les infrastructures les moins adaptées ou devenues inutiles. Elles sont rétrocédées à la ville et à l’époque, il n’y a pas de projet de reconversion, les délaissés de l’armée n’ont pas vocation à constituer un patrimoine urbain.
A. Le retraitement apatrimonial des forts : une gestion de l’espace à urbaniser
16Le processus de démilitarisation des forts messins débute en 1954 et concerne les ouvrages de la première ceinture fortifiée. Par la loi n°54-364 de 1954, les forts Bellecroix, Saint-Julien, des Bordes, Saint-Privat, Decaen, les batteries de la Horgne (Sablon) et du Canal de Montigny, ainsi qu’un certain nombre d’ouvrages et d’abris secondaires passent du domaine public militaire au domaine privé de l’État. Ce déclassement de la ceinture fortifiée permet à l’espace urbain de s’affranchir des contraintes et des zones de servitudes autour des forts11. Durant l’Annexion, sur décision impériale, la ville avait pu s’étendre entre la Porte Serpenoise et la Moselle, avec notamment la réalisation du quartier de la gare. Toutefois, la ville étouffe, les servitudes militaires de la première ceinture bloquent toute extension urbaine et périurbaine. La levée des servitudes permet donc d’exploiter la ressource foncière libérée sans définir de véritables enjeux patrimoniaux. En cela, le processus de fabrique de la ville est apatrimonial. Les forts, difficilement effaçables, sont isolés, enclavés dans le tissu urbain qui les enveloppe, les englobe et les délaisse, les destinant à la friche et à la ruine. Interstice dans la ville, le fort est un isolat, d’abord terrain vague squatté et vandalisé, il constitue une zone d’insécurité bien que son environnement se transforme de la friche à une forêt de reconquête.
17La levée des servitudes autour du Fort de Queuleu12 permet de réaliser un centre pénitentiaire en 1979. Sur l’espace militaire du glacis a été également construit le quartier des Hauts-de-Queuleu au début des années 2000. Le foncier militaire est une ressource pour un urbanisme opportuniste. Aucune réflexion n’est alors menée sur la valeur paysagère et patrimoniale de ces sites. Comme l’ont souligné A. Reichert-Schick et I. Eberle (2011), la question du retraitement des espaces fortifiés dans la Grande Région (Saarlorlux), varie suivant les états et ne s’organise encore que suivant un angle culturel. La non valorisation des forts est flagrante et se retrouvait finalement dans la gestion des casernes. Elle s’inscrivait le plus souvent dans une politique urbaine de remplacement et de substitution.
B. Une politique urbaine de remplacement
18Pour reprendre l’expression du Président Nicolas Sarkozy, « l’armée n’a pas vocation à aménager le territoire »13. Cette expression a choqué les collectivités touchées par les restructurations militaires ; toutefois, elle reflète une vision trop réduite des armées. La géographie militaire et ses déploiements répondent uniquement aux besoins stratégiques. Aussi lorsque l’armée rétrocédait ses infrastructures à la ville, elle se préoccupait peu de leur devenir. Comme pour les forts, les villes connaissant les phases de la démilitarisation des quartiers militaires considéraient ces derniers comme une ressource foncière exploitable dans un contexte d’extension urbaine. En 1946, le conseil municipal reprend les casernes du Fort Moselle, les casernes Chambière, Féraudy et Krien, ainsi que les bâtiments-entrepôts déjà à forte valeur historique et patrimoniale comme Saint-Pierre-aux-Nonnains.
19Toute politique de préservation est difficile à mettre en œuvre compte tenu du nombre d’espaces à reconvertir et de la nécessité de trouver une nouvelle fonctionnalité. La caserne Féraudy désaffectée est détruite pour laisser la place à la caserne des sapeurs-pompiers de Metz construite entre 1953 et 1960. Une partie des casernes Chambière est rasée. Seules les portes inscrites à l’inventaire des monuments historiques sont conservées. L’espace urbain dégagé est réoccupé par des logements et des services publics « dévoreurs d’espace » qui cherchent à disposer de foncier pour se déployer.
20Progressivement, et alors que la pression foncière diminue notamment pour les espaces péricentriques messins, les délais de retraitement des quartiers augmentent. Si les villes commencent à tenir compte de la valeur architecturale, elles peinent à trouver des projets de remplacement et mènent une politique au cas par cas. Ainsi, les casernes Roques à Longeville-lès-Metz, désaffectées en 1970, sont réhabilitées et rebaptisées « Résidence Saint-Quentin ». Elles accueillent depuis le début des années 1980 des chambres étudiantes, des logements universitaires et des logements sociaux. La démarche de réhabilitation a fait le choix de conserver l’ensemble de l’ancien quartier d’infanterie ainsi que sa structure considérée comme un patrimoine bâti de qualité. En 1984, les casernes Grandmaison à Queuleu sont transformées en maison d’accueil et en logements pour personnes âgées. La réutilisation des vastes bâtiments s’inscrit dans une démarche symbolique liée à l’image sécurisante de l’îlot militaire.
21La réaffectation reste une stratégie urbaine qui se manifeste également au quartier Bridoux, désaffecté en 1990, il est réhabilité en 1993 pour répondre aux besoins d’espace de l’Université de Lorraine. Le casernement évolue en locaux d’enseignement, bâtiments administratifs, logements universitaires, équipements sportifs. Toutefois, la mutation fonctionnelle engage un processus de conservation, non de patrimonialisation. Si la reconversion des espaces militaires s’organise par remplacement et mutations fonctionnelles, l’absence de besoins et l’image dégradée peuvent conduire à des échecs comme ce fut le cas initialement pour les casernes Steinmetz.
C. Patrimonialisation conservatoire, patrimonialisation opportuniste
22Les enjeux de conservation et de protection s’inscrivent encore dans une idéologie nationale et ne concernent finalement que les déploiements militaires français. Les casernes allemandes, comme la plupart des réalisations de la période de l’Annexion, sont ignorées ou simplement minorées. Le cas le plus emblématique concerne la gare de Metz, symbole de la Metz allemande, magnifiée par l’empereur Guillaume II (1888-1918). Cette construction de style néo-roman germanique n’a été inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques qu’en 1975 et uniquement par fragments : la façade et la toiture sur la place (à l’exception de la verrière), le hall de départ, le salon d’honneur et le buffet. Le retraitement patrimonial a donc concerné les grandes infrastructures de l’ancienne citadelle telles que Saint-Pierre-aux-Nonnains, le Magasin aux Vivres, l’Arsenal. Leur retraitement patrimonial et fonctionnel a déjà été un long chemin pour une ville comme Metz. Ainsi, si l’ancien Arsenal a été reconverti en salle de spectacles, en revanche le Magasin aux Vivres souligne les limites de cet exercice pour la municipalité. Ce vaste bâtiment construit en 1569 a été occupé par l’armée jusqu’en 1970. Après plusieurs projets, il n’a pu être transformé par la ville, a été revendu pour finalement être transformé en hôtel de luxe et en restaurant gastronomique qui assurent la continuité d’usage et la reconversion du site en préservant sa marque architecturale et l’esthétisme des espaces militarisés anciens. Bien que ponctuelle, cette opération qui se retrouve avec la reconversion du Fort de Saint-Julien dont les anciennes casernes ont été réaménagées en restaurant, illustre une appropriation opportuniste s’appuyant sur la valeur architecturale des anciens sites militaires.
23Les emprises militaires urbaines ont été considérées comme des opportunités foncières, qui progressivement entrent dans une démarche de patrimoine paysager urbain (Grandvoinnet, 2011 ; Meillerand, 2011). Au sein même du processus de patrimonialisation qui traduit une forme d’appropriation par conservation « il devient difficile de distinguer l’idéologie patrimoniale et l’idéologie territoriale » (Di Méo, 1995). En effet, dans le cadre de la démilitarisation messine, la politique patrimoniale permet d’affirmer une identité.
III. La ville post-militaire : l’appropriation du patrimoine militaire producteur d’identité
24Le départ massif de l’armée des villes militaires est perçu comme un déclassement (Mathis, 2011 ; Mathis et Mathis, 2014). Le retraitement des casernes constitue un épisode difficile dans le contexte de l’hémorragie démographique liée à la restructuration nationale des forces armées. Le risque de décroissance urbaine (urban shrinking) s’associe à une crise identitaire et souligne une perte des fonctions urbaines imposée par le désengagement de l’État (Wolff et al., 2013). Pour l’agglomération messine, le départ de la population militaire, famille incluse, nécessitait une réaction rapide que le Contrat de Redynamisation des Sites de Défense (CRSD) était censé accompagner. « Les CRSD constituent la mesure la plus lourde du dispositif compensatoire. Ils forment le cadre de l’élaboration de projets de développement territorial sur les espaces concernés qui enregistrent une perte supérieure à 200 emplois ou en grande fragilité socio-économique. » (Ginet, 2011). Pour Metz-Métropole, le déménagement de l’armée libère brutalement une surface foncière considérable. Les municipalités attendent du retraitement de ces espaces un effet de levier permettant de redynamiser les quartiers ou la ville (Lotz-Coll, 2017).
A. Le retraitement patrimonial des anciens quartiers militaires : une démarche de valorisation
25À Metz, les départs de l’armée ont sécrété très régulièrement des friches militaires. Le recyclage urbain, comme souvent pour des espaces en déshérence, est un lent processus politique qui s’organise et parfois se joue entre la ville et la communauté urbaine, la région et le département, l’État. Chacun de ces acteurs participe à la redéfinition de projets urbains, parfois concurrents, et contribuent financièrement à leurs réalisations. Par le passé, la lente maturation des projets de retraitement a souvent conduit à l’effacement pur et simple des structures héritées lors du départ de l’armée, surtout lorsque ces dernières sont abandonnées depuis de nombreuses années. Dégradées ou squattées, elles n’offrent apparemment plus de réelle valeur, l’îlot est alors perçu par les riverains comme une verrue au sein de l’espace urbain, qu’il est nécessaire de détruire pour des raisons sécuritaires. La friche militaire est une ressource qui offre à la ville une opportunité foncière sur laquelle installer, après pacification, un nouveau quartier (Hecker, 2012). Ce schéma messin a également concerné de multiples espaces militaires en France et en Europe.
Figure 6. Le paysage urbain dégradé et squatté des anciennes casernes Steinmetz, (photographie D. Brion, A. Mathis, 2014).
26Ainsi, le recyclage des casernes Steinmetz (1878-1880) constitue un des projets de reconversion patrimonial et identitaire messine parmi les plus aboutis. L’îlot de casernes et l’ancien magasin à blé encadraient le boulevard de Trèves, une entrée de la ville qui enregistrait quotidiennement le passage de 40 000 véhicules. Cet espace militaire en déshérence était un point noir de l’urbanisme messin depuis son abandon dans les années 1980. Adossées au fort et à la colline de Bellecroix, les casernes abandonnées et délabrées étaient squattées, les grandes façades monumentales salies et sans fenêtres donnaient une image négative et répulsive qui s’additionnaient à celle du quartier de grand-ensemble de Bellecroix classé Zone Urbaine Sensible (ZUS). Les casernes semblaient ne pas avoir d’avenir et étaient menacées de destruction. Pourtant, c’est un opérateur privé qui choisit de réhabiliter ces bâtiments. La forte valeur architecturale constitue un atout dans l’opération d’urbanisme qui cherche à produire 4 000 m² de commerces et 12 000 m² de bureaux. L’opération d’urbanisme entraîne une nouvelle dynamique et l’opération dépasse le simple cadre de la réhabilitation des bâtiments et leur mise en scène dans le paysage urbain. En effet, Metz-Métropole profite de cette requalification pour transformer totalement cette entrée de ville. La structure viaire est redimensionnée en créant dessertes et stationnement pour les commerces. De cette façon l’axe principal ne souffre pas des ralentissements ni de la gêne du stationnement urbain.
Figures 7 et 8. Le nouveau Boulevard de Trèves après réhabilitation de la première caserne et du magasin à blé : une mise en scène du patrimoine militaire (photographies D. Brion, A. Mathis, 2014).
27La réhabilitation patrimoniale a transformé le boulevard et a généré un processus de gentrification permettant d’envisager sous de meilleurs auspices le processus de réhabilitation et de désenclavement de la ZUS de Bellecroix. En effet, les études et projets urbains concernant la rénovation de ce grand ensemble proposaient de relier la ZUS au nouveau boulevard, profitant d’un effet de levier. Cependant les deux îlots sont séparés par les imposants contreforts de l’ouvrage de Bellecroix qui, bien que démilitarisé, n’a pas fait l’objet d’un retraitement spécifique. Ainsi, il aurait été nécessaire d’assurer une sécurisation des lieux et de favoriser la création d’axes traversants afin de gommer la frontière urbaine qui constitue une ségrégation socio-spatiale. L’emprise du fort, en partie forestière était vu comme un atout dans la mise en scène de la nature en ville. Cependant, la régénération patrimoniale du boulevard de Trèves est restée limitée à ce quartier. La réhabilitation du second casernement en résidence étudiante (student factory) en 2021 finalise la reconversion du quartier. D’anciens bâtiments militaires ont aussi fait l’objet d’opérations d’urbanisme transitoires, avant de s’institutionnaliser. C’est le cas des anciens entrepôts frigorifiques, construits en 1896 à proximité de la Porte des Allemands, à l’arrière du boulevard de Trèves. Longtemps abandonnés, enclavés entre la Seille et la voie ferrée, cernés de végétation, ces 1000 m² à demi enterrés dans un talus peinaient à trouver une nouvelle vocation ou un acquéreur. La situation se débloque en 2019 après une première série de travaux partiels menés par la municipalité, qui loue l’espace à une association pour animer et festiviser le site. La configuration expérimentale se veut citoyenne et solidaire, autour d’une guinguette estivale et d’animations en extérieur. Forte de la réussite de l’expérimentation (25 000 personnes accueillies en 2022 sur 86 jours), la municipalité souhaite pérenniser l’activité du site. En 2021, un nouvel appel à projet pour rénover le reste du bâtiment et y accueillir le public en intérieur est lancé autour d’une volonté de développer un « food court » qui fonctionnerait toute l’année. En 2023, les travaux sont en cours. L’urbanisme transitoire, local et solidaire, déjà partiellement institutionnalisé, se complète ainsi d’un volet commercial plus traditionnel, avant peut-être de céder définitivement la place.
28Les casernes n’étaient que des friches attendant d’entrer dans un cycle de démolition et de reconstruction. Les bâtiments sauvegardés, recyclés et requalifiés ont été les fondations d’un nouveau quartier. Ce dernier conserve sa fonction d’entrée de ville, mais elle est reconfigurée en un lieu de vie produisant un nouvel habiter. La caserne est devenue l’élément symbolique et identitaire de cette rénovation. La démarche de rénovation a considéré que les constructions militaires déclassées avaient un avenir et qu’elles pouvaient entrer dans un nouveau cycle urbain. De cette façon, l’îlot militaire a été pérennisé au sein de la ville, bien que construit par une puissance occupante ; il est désormais considéré par la population messine comme un héritage collectif à valoriser voire à patrimonialiser.
B. Le recyclage des friches militaires : une opportunité pour des projets urbains ambitieux
29Le recyclage des friches militaires permet de construire de vastes projets urbains à l’échelle de l’agglomération, de la ville ou de ses ceintures périurbaines. Le CRSD soutient un certain nombre de projets destiné à faciliter la transition de la ville militaire à la ville post-militaire tel que le projet de requalification du château de Mercy. Ce dernier est incorporé au patrimoine militaire messin à partir de 1940. Hôpital militaire pour l’armée allemande, il accueille ensuite l’État-Major de l’aviation royale du Canada jusqu’en 1966. Propriété de l’armée française en 1968, il se voit affecté comme siège du Commandement de la 1ère Armée Française en 1990, puis à l’État-Major de la Brigade de Renseignements et de la Guerre Électronique, il est cédé en 2000 à la Communauté d’Agglomération de Metz-Métropole. La ville renonce à rénover le château mais construit sur les terrains de l’ancienne base l’hôpital de Mercy. Il traduit le mouvement centrifuge des hôpitaux messins, destiné à la création d’un pôle hospitalier public et à développer un cluster médical et paramédical au sein de la Zone d’Aménagement Concerté de Mercy (Artioli, 2016). Cependant si le foncier entourant la base a été rapidement réoccupé, la conversion du château de Mercy qui devait débuter en 2012 n’a commencé qu’en 2023. Les travaux de restauration du château finalisent la reconversion de l’ancienne base militaire qui a intégré des démarches mixtes public-privés.
Figure 9. Les espaces militaires messins retraités.
Figure 10. Les projets urbains soutenus par le CRSD de Metz-Métropole.
30La réhabilitation - requalification - rénovation de l’ancien quartier militaire Vauban à Freiburg-am-Breisgau (Allemagne) a été pionnière dans le processus de valorisation, de revitalisation et de régénération des friches militaires. La patrimonialisation militaire reste modeste et se limite à la préservation de quelques bâtiments mais l’écoquartier Vauban est, pour les acteurs publics et les aménageurs, une solution à transposer pour reconvertir des friches militaires (Mathis et Mathis, 2019). Ainsi pour l’agglomération messine et l’Établissement Public Foncier de Lorraine (EPFL)14 qui apporte son concours ou dirige et finance les études technique, la solution écoquartier est inscrite dans le CRSD pour les Quartiers Lizé et Reymond (Montigny-lès-Metz) mais aussi, en changeant d’échelle, la Base Aérienne 128 (EcoCité 128). Pour le Quartier Desvallières (Devant-lès-Ponts), le Quartier Dupuis (Ban-Saint-Martin), les reconversions programmées restent floues et s’inscrivent dans des démarches de recompactage urbain et de rénovation.
31En fait, il s’agit d’une réponse immédiate, liée au déménagement de l’État et au risque d’urban shrinkage. Elle est destinée à assurer la programmation du retraitement des espaces militaires. Il s’agit d’affirmer la volonté de résorber au plus vite, et notamment pour les communes péri-centriques telles que Montigny-lès-Metz ou le Ban-Saint-Martin, des friches urbaines. Le départ de l’armée est donc positivé pour remodeler la ville. Ainsi, les projets urbains cherchent en premier lieu à retisser les liens au sein des espaces urbains et à réduire la notion d’îlot militaire. Cette nécessité d’ouverture de l’espace militaire est importante mais pas totalement fondamentale. Elle permet cependant d’atténuer la fragmentation territoriale héritée. Ainsi, à Montigny-lès-Metz, les quartiers militaires Lizé et Reymond coupaient la ville en deux îlots : Montigny Haut et Montigny Bas. Les quartiers militaires sont cédés en 2014, le projet mené conjointement avec l’ex-EPFL avait pour objectif d’établir la continuité de la ville avec la construction/reconstruction de 700 à 800 logements, le développement d’équipements publics et de services. Les objectifs affichés de la production d’écoquartiers sont la mixité sociale, le développement économique et le respect de l’environnement. La mise en valeur de l’héritage militaire n’est pas oubliée, mais les critères patrimoniaux affirmés restaient vagues. Pour le quartier Lizé, le bâtiment qui a accueilli le colonel De Gaulle en 1938 devait être conservé. Si l’affichage écoquartier est affirmé, il s’agit également d’une restructuration à échelle municipale d’une petite ville périurbaine.
32La cession de terrains militaires, souvent au cœur de petites villes périurbaines de l’agglomération, permet un recompactage par le renforcement ou la création d’un péricentre. Cette logique se retrouve également pour l’ancienne caserne Dupuis (Ban-Saint-Martin). Ainsi, le Plan Local d’Urbanisme (PLU) évoque : « une remarquable opportunité de construire un véritable centre-ville au Ban-Saint-Martin. Il s’agit d’un vaste terrain d’environ 2 hectares localisé au cœur géographique de la ville, parfaitement connecté à l’artère majeure qu’est l’Avenue de la Liberté, mais aussi au champ de manœuvre, qui pourrait être reconverti en parc, et situé à proximité de divers organes de centralité traditionnelle : mairie, commerces, écoles… Ces organes s’éparpillent aujourd’hui sur un vaste périmètre sans créer de convergence, ni d’intensité urbaine. »15. L’opportunité foncière a prévalu et la démolition des bâtiments a été la solution retenue en raison de la difficulté d’assurer leur réhabilitation. Pour la caserne Desvallières, située au cœur du quartier résidentiel de Devant-les-Ponts, l’étude technique menée par l’EPFL, propriétaire du site de 6,1 hectares pour le compte de la Ville de Metz, envisage la destruction de tout ou partie des bâtiments car la reconversion semble difficilement réalisable. Pourtant, les habitants de Devant-les-Ponts souhaitent préserver les éléments architecturaux préférant une mise en scène du paysage. Cette demande locale a amené pour l’instant un statu quo du projet et la mise en œuvre de travaux de protection de l’intégrité physique des bâtiments. Ces travaux de prétraitement sont jugés indispensables à la requalification du site ou du moins à sa conservation et sa sécurisation. Un programme d’aménagements a été co-construit entre la Ville et le Comité de quartier de Devant-les-Ponts. Cette démarche citoyenne avait remis en cause pour l’instant les recommandations de l’EPFL et permis de conserver le site en vue de prévoir un retraitement ultérieur. L’exemple de Desvallières montre que les réhabilitations des friches militaires relèvent de jeux d’acteurs parfois complexes.
33L’un des plus gros dossiers de reconversion pour Metz-Métropole concerne la Base Aérienne 128 de Frescaty (BA 128, 350 hectares). C’est au sein du projet ÉcoCité que s’organisait la transformation et sa transition. Cependant le projet est aujourd’hui en dormance. Lancée en novembre 2009 dans le cadre du plan d’action Ville durable, la démarche ÉcoCité devait permettre de mener une réflexion concernant des projets urbains innovants et démonstrateurs de ce que sera la ville de demain. Il incarnait un des treize projets d’ÉcoCité en France et devait être la vitrine du « Plan Ville durable ».
34Les reconversions des anciennes bases aériennes militaires constituent généralement un enjeu majeur car les surfaces à traiter sont importantes (de 300 à 800 hectares). Le réaménagement en 2011 de l’ancienne base aérienne de Toul-Rosière (BA 136) en une grande centrale photovoltaïque est un modèle que de nombreuses collectivités cherchent à imiter. Pour l’ÉcoCité 128 à Metz, l’espace militaire libéré était une ressource foncière pour un nouveau projet urbain inscrit dans la démarche de fabrique durable de la ville. Le projet devait redynamiser cette ceinture des communes d’Augny, de Marly et de Moulins-lès-Metz, particulièrement touchée par la fermeture de la base aérienne16. Ainsi 200 000 m² de bâtiments devaient être réhabilités et pour partie transformés en 8 000 logements destinés à l’accueil de 20 000 nouveaux habitants. Il s’agissait d’une redensification sans toutefois créer une ville-dortoir puisqu’il était prévu environ 760 000 m² d’activités (artisans, commerçants) avec 500 emplois directs et indirects.
35A l’échelle de la ville, l’ÉcoCité est une petite ville écologique aménagée dans une démarche globale avec protection d’espaces naturels, production d’énergie, agriculture urbaine… Toutefois, si le projet a été validé par le Ministère de l’Écologie et du Développement Durable, ce dernier a rejeté, en avril 2014, le projet de la société de production d’énergie messine UEM de développement d’une centrale photovoltaïque (12 mégawatts) sur l’emprise de la BA 128 malgré le soutien et l’intervention d’unités de recherche et de valorisation telles que l’Institut Lafayette et l’université Georgia Tech Lorraine. Le renoncement à la centrale rend difficile les objectifs énergétiques de l’ÉcoCité. Ce choix fait apparaître les conflits d’acteurs entre Metz-Métropole et l’État. Donner vie à une ÉcoCité est une démarche d’aménagement purement local et finalement sans véritable soutien national, bien qu’elle engage l’action de services de l’État. La décision du Ministère souligne que Metz-Métropole doit effectuer sa mutation seule pour poursuivre la construction de sa constellation d’écoquartiers. Si l’armée n’a pas vocation à aménager le territoire, l’État, en organisant son déménagement, provoque de profondes ruptures qu’il ne parvient pas à atténuer. Metz a profité du CRSD lors de la mise en œuvre d’un réseau de Transports en Commun en Site Propre (TCSP) et place l’ancienne BA128 comme une réserve foncière en continuité avec le tissu urbain existant. Le périmètre opérationnel prolonge le quartier réhabilité de l’Amphithéâtre.
C. Démarche mémorielle et trame verte
36Les vieilles ceintures fortifiées sont une opportunité dans la dynamique environnementale et patrimoniale de la ville. En effet, les vastes territoires dépendant des ceintures fortifiées sont des espaces naturels partiellement préservés et protégés par l’armée. La démilitarisation des forts et leur aliénation partielle rendent difficile une mise en œuvre globale comme nous l’avons constaté pour certains ouvrages de la première ceinture. Leur effacement ou leur isolement ont longtemps été la solution de retraitement la plus évidente. La prise en compte de cet héritage a souvent été le fruit d’associations patrimoniales. Mais pour le site du Mont-Saint-Quentin, on a assisté à une démarche originale. Le Mont-Saint-Quentin point culminant surplombant la ville de Metz, porte le groupe fortifié dit du Mont-Saint-Quentin. Il est composé des ouvrages de Plappeville et les forts Diou et Girardin. Cet héritage rétrocédé en grande partie est un géosymbole de l’agglomération messine.
Figure 11. Le Fort de Plappeville sur les hauteurs des Côtes de Moselle, photographie A. Humbert-CERPA, 2009.
37Pour le Saint-Quentin le recyclage ne peut se construire que sur une approche purement paysagère, touristique et muséographique, ce qui se révèle complexe à mettre en œuvre. Ainsi, la reconversion du site militaire (200 hectares) débute en 2009. Metz-Métropole veut transformer ce promontoire en poumon vert de l’agglomération. Tel un sémaphore visuel, il doit afficher la symbiose entre un environnement de qualité et un patrimoine militaire préservé. La signature militaire ne doit pas faire oublier que le mont, une ancienne pelouse calcaire, a été classé en réserve naturelle17 en 1994 (675 hectares sur les 1 375 hectares du plateau). L’EPFL a conseillé Metz-Métropole (2005) pour aménager et sécuriser les lieux afin d’en faire un lieu de promenade, de mise en valeur du patrimoine architectural militaire et de protection de l’environnement. Les travaux de sécurisation du site et des anciens bâtiments militaires, débutés en 2009, ont pris des formes diverses (débroussaillages et sondages destinés ensuite à mettre en œuvre la dépollution pyrotechnique). Ce travail de dépollution concerne la plupart des sites militaires messins et, comme pour le retraitement des sites industriels, il ralentit la mise en œuvre des projets d’aménagement.
38En fait, le réaménagement du plateau, avec la mise en valeur des éléments de la fortification, renforce ainsi l’offre paysagère et la ceinture verte des groupes fortifiés. Le fort est une ressource dans la construction paysagère d’un site à valeur environnementale. Celle-ci s’inscrit dans une scénographie qualitative des Côtes de Moselle marquée également par la renaissance et la promotion du vignoble mosellan, confirmée par l’obtention d’une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) en 2010. Le mont, sanctuarisé du point de vue environnemental et paysager s’inscrit dans un processus d’agrégation à l’espace urbain et non comme une coupure et un glacis limitant l’urbanisation. Le glissement sémantique de l’un à l’autre reste subtil et fonction des interprétations par les acteurs. Ainsi, pour les communes périurbaines, il s’agit de borner l’étalement urbain colonisant les versants du Mont, alors que Metz veut faire du site un espace naturel public multifonctionnel intégré à la ville. Le site du Mont-Saint-Quentin doit être un élément majeur de la future trame verte, il constitue également un élément de l’axe mémoriel qui s’établit entre la Maison Robert Schuman à Scy-Chazelle, paysages des champs de bataille de 1870, nécropoles franco-allemandes, Musée de la guerre de 1870 et de l’Annexion à Gravelotte.
Figure 12. Le Mont-Saint-Quentin : un futur lieu multifonctionnel et symbolique de l’espace urbain messin.
39Cette dernière correspond à une démarche marketing forte qui se prolonge avec la demande de classement UNESCO de la ville de Metz. Cette demande de classement se réfère à l’affirmation de pouvoir et de puissance et se présente sous la thématique « Metz Royale et Impériale, enjeux de pouvoir, confrontations stylistiques et identité urbaine »18. Elle a été soumise à examen en avril 2014 et marque une étape dans l’appropriation, par la ville ainsi que sa métropole, de son passé architectural multiforme. Toutefois, le dossier n’a pas encore abouti.
Conclusion
40Démilitariser la ville constitue pour les métropoles militaires européennes et pour les petites villes de garnison, une transition dans leur histoire et leur développement et fragilise leur identité et leur dynamique. La symbiose ville-armée qui a organisé l’habiter et la vie urbaine pendant des décennies est remise en cause avec le départ de l’armée (disruption). La fonction militaire de l’espace urbain a été extrêmement prégnante car elle produit un espace urbain fermé et spécifiquement dévolu à l’armée. Elle a influencé et marqué également le développement de la ville stimulant, à la périphérie des quartiers militaires, la construction d’infrastructures diverses et de logements. L’armée a produit plus qu’une ville dans la ville, elle a généré une identité et en quelque sorte, elle s’est approprié la ville. Avec la démilitarisation, le départ des militaires et de leur famille, il ne reste que des infrastructures délaissées, témoins muets d’un passé qui a participé à façonner le développement de la ville. Aujourd’hui l’exemple de Metz-Métropole souligne le choix de réaffirmer et de prolonger cette identité et de transformer la ville-militaire en ville d’héritage et de patrimoine militaire. Toutefois, la démarche est complétée par la confrontation de ce projet au paradigme de la ville durable. Il ne s’agit pas, comme dans les anciennes places fortes héritées des XVIe - XVIIIe siècles ou certaines villes militaires contemporaines, de patrimonialiser la citadelle, quelques bastions et casernes et d’intégrer ces derniers dans des espaces verts et des parcs, mais bien de faire muter, à l’échelle d’une agglomération, une constellation d’infrastructures militaires pour en faire le pivot d’une politique de reconversion. Cette dernière a pris deux axes : la ville durable, la ville patrimoniale. La marque de l’armée est le vecteur de ce projet urbain qui traite globalement, et à l’échelle de la Communauté d’Agglomération, l’ensemble des friches urbaines. La demande de classement UNESCO constituait à ce titre une démarche de marketing urbain.
41Pour Metz, il s’agissait d’afficher une nouvelle image et de rompre avec l’immobilisme de la ville de garnison. Cette démarche globale devait permettre de transformer la ville traditionnelle en ville durable tout en faisant le lien entre passé et futur. Il s’agissait d’une démarche projective et prospective. L’exemple de l’Eurométropole souligne les dynamiques urbaines qui actuellement concernent de nombreuses villes européennes. La démilitarisation est une opportunité pour conduire des opérations majeures de remodelage urbain et inscrire ces dernières dans un processus d’appropriation de leurs anciennes friches militaires afin d’éviter leur effacement ou leur abandon. C’est également un des enjeux de la ville durable, à savoir la conservation d’identités et non la production de quartiers stéréotypés dont l’écocitoyenneté est le seul facteur identitaire. L’exemple du projet messin, bien qu’imparfait, s’inscrit dans les démarches de nombreuses villes européennes qui aujourd’hui recyclent et s’approprient leurs héritages militaires qui symbolisent des souverainetés multiples. C’est le cas notamment des villes de Poznań, Cracovie, Przemyśl, Torun (Pologne), Metz, Strasbourg (France), Vérone, Udine (Italie)…
NOTES
421La Communauté d’Agglomération de Metz-Métropole a été créée le 1er janvier 2002, et regroupe 230 000 habitants et 46 communes. Elle est devenue l’Eurométropole le 10 mai 2023. Les dossiers ont été portés par Metz-Métropole, nous conserverons cette dénomination.
432Au terme de la réforme, il doit rester 4 000 personnels civils et militaires occupant encore 200 hectares. L’emprise militaire restante n’est pour l’instant pas totalement recensée.
443La ville de Metz a été occupée de facto en 1552, mais elle n’est rattachée à la France qu’en 1648 lors de la signature des Traités de Westphalie.
454Saint-Pierre-aux-Nonnains est à l’origine une ancienne palestre intégrée à un ensemble thermal de la fin du IVe siècle. Au VIIe siècle, le bâtiment est réemployé et devient le cœur d’une abbaye bénédictine. En 1556, la basilique est transformée en entrepôt militaire.
465Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707), architecte militaire du roi Louis XIV.
476Au Fort Moselle caserne d’infanterie (1732-1734), caserne de cavalerie (1742-1753), caserne Chambière (1732-1743).
487Le département de la Moselle a été redécoupé lors de cette annexion. Il intègre au sud des arrondissements du département de la Meurthe (Château-Salins et Sarrebourg) et rétrocède à la France les arrondissements de Briey et de Longwy.
498Hans von Biehler, général prussien, responsable des services du génie militaire à partir de 1873, puis inspecteur général des forteresses de l’Empire Allemand (1885-1886), promoteur des systèmes de forts détachés organisant les grands camps urbains retranchés frontaliers.
509Les ouvrages détachés dits « Festen » sont des ensembles d’une ou plusieurs « casernes fortes » enterrées sur trois côtés et ne présentant qu’une façade en pierre ou en béton aux parements le plus souvent soignés. Elles peuvent accueillir jusqu’à 2 000 hommes. Elles sont protégées par des blockhaus et des batteries d’artillerie cuirassées, reliées par des réseaux de tunnels souterrains. Le dispositif est complété de fossés sous forme généralement de douves sèches et de réseaux de barbelés.
5110La ligne fortifiée de la Moselle (Moselstellung), intégrant la place militaire de Thionville, prolonge au nord jusqu’à la frontière luxembourgeoise le dispositif défensif messin.
5211Autour des forts, il existait trois zones de servitudes. Dans un rayon de 250 m, il était impossible de construire. Une seconde zone de 237 m, où les constructions devaient être en bois et devaient être démolies en cas d’attaque. Enfin, une troisième zone de 487 m, où les constructions étaient soumises à l’autorisation du Génie qui établissait également la trame viaire.
5312Le Fort de Queuleu a été pendant la Seconde Guerre Mondiale un lieu d’internement. C’est aujourd’hui un lieu de mémoire de la Résistance.
5413Discours de M. le Président de la République, Vœux aux Armées, Saint-Dizier - Mardi 4 janvier 2011.
5514Aujourd’hui Etablissement Public Foncier du Grand Est (EPFGE).
5615AGURAM (2012). Plan local d’urbanisme, modification n°2, 33p, http://mc.moselle.gouv.fr/data/doc-283/20140224/169817_1.pdf
5716Selon les sources du commandement de la BA128, la perte démographique (personnels militaires et familles) est de 4 455 habitants. Source : Contrat de Redynamisation du Site de Défense de METZ et son agglomération, (2010), 76p, http://www.datar.gouv.fr/sites/default/files/datar/crsd-metz-8-07-10.pdf.
5817Le site abrite des chauves-souris comme le grand Murin qui ont trouvé refuge dans les forts, mais aussi la chouette hulotte ou le hibou moyen duc. La pelouse calcaire comporte également des spécimens d’orchidées (Marguerite de la Saint Michel ou l’orchis Singe).
5918« Metz Royale et Impériale, enjeux de pouvoir, confrontations stylistiques et identité urbaine » http://whc.unesco.org/en/tentativelists/5882/
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75Veschambre. V, (2008). Traces et mémoires urbaines, Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 315p.
76Wolff, M., Fol, S., Roth, H. et Cunningham-Sabot, E. (2013). Shrinking Cities, villes en décroissance : une mesure du phénomène en France, Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Aménagement, Urbanisme. URL : http://cybergeo.revues.org/26136
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