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Charlotte BERNIER & Jean-Marie HALLEUX

Intentions de mobilité résidentielle des futurs diplômés en Province de Liège

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Résumé

Les diplômés de l’enseignement supérieur étant couramment considérés comme une plus-value pour le développement d’une région, comprendre ce qui détermine leurs intentions de migration est devenu un enjeu pour de nombreux territoires. C’est le cas des régions semi-périphériques telles que Liège. Cet article examine si les étudiants de la province de Liège ont l’intention de rester dans l’Eurégion Meuse-Rhin ou non, ainsi que leur destination privilégiée. Des données d’enquête permettent d’étudier le rôle et l’importance dans l’intention de migration, des caractéristiques individuelles, des facteurs de localisation directs et indirects ainsi que des facteurs sociaux, à l’aide de statistiques descriptives et d’une régression logistique multinomiale. Il apparait que les intentions de mobilité sont principalement liées à la perception de la qualité de vie, aux perspectives de carrière et aux liens sociaux.

Index de mots-clés : migration, migration hautement qualifiée, mobilité résidentielle, capital humain, futurs diplômés, Eurégion Meuse-Rhin, Liège

Abstract

As higher education graduates are commonly considered as an added value for the development of a region, understanding what drives their migration intentions has become a challenge for many territories. This is the case for semi-peripheral regions such as Liège. This article examines whether students from the province of Liège intend to stay in the Meuse-Rhine Euregion or not, as well as their preferred destination. Survey data are used to study the role and importance in migration intention of, individual characteristics, direct and indirect location factors as well as social factors, using descriptive statistics and a multinomial logistic regression. It appears that mobility intentions are mainly linked to the perceptions of the quality of life, to career opportunities and to social ties.

Index by keyword : migration, highly skilled migration, residential mobility, human capital, prospective graduates, Euregio Meuse-Rhin, Liège

Introduction

1Capter des diplômés de l’enseignement supérieur est couramment considéré comme une plus-value pour les territoires, tant en termes d’économie de la connaissance (créativité, innovation, technologie) que d’économie résidentielle (dépenses pour la vie sur place), ou encore en termes de participation sociale à la société (Guex et Crevoisier, 2017). Le fait d’attirer ou de retenir cette population de diplômés représente donc un enjeu pour de nombreux territoires.

2Cet enjeu est également valable pour Liège, certaines études ayant en effet fait le constat d’une migration relativement importante de la population depuis les villes secondaires (telles que Liège, Mons, Namur) vers les régions métropolitaines (en particulier Bruxelles pour les jeunes entre 20 et 29 ans) (Mérenne-Schoumaker et al., 2000 ; Charlier et al., 2016, pp. 49, 55, 60). Il semble donc opportun de déterminer quels sont les déterminants de la migration en province de Liège. La littérature identifie de nombreux facteurs ayant un impact sur le choix d’un lieu de résidence, tels que les opportunités de carrières et de revenus, mais également une certaine qualité de vie, des facteurs sociaux tels que la proximité des amis et de la famille, ainsi que les caractéristiques individuelles de chacun. Tous ces facteurs font l’objet d’une attention croissante dans les études sur les déterminants de la migration et d’un lieu de résidence (Florida, 2002, 2003 ; Faggian et al., 2007 ; Pethe et al., 2009 ; Venhorst et al., 2011 ; Sykes, 2012 ; Musterd et Gritsai, 2013 ; Sleutjes, 2014).

3La prise en compte de l’échelle de l’Eurégion Meuse-Rhin1 (EMR) pour cette question est intéressante au vu de la stratégie EMR2020, qui œuvre à l’amélioration de la qualité de vie dans l’ensemble de l’Eurégion et pointe la nécessité de prévenir la « fuite des cerveaux » et d’intégrer davantage le marché du travail eurégional afin de capter un maximum de son potentiel énorme en capital humain (Euregio Meuse-Rhine Foundation, 2013). Or, il existe un grand nombre d’institutions d’enseignement supérieur dans l’EMR, et les réseaux entre ces institutions, les industries et les gouvernements constituent une source d’innovation et de développement régional bien supérieure à celui de la province de Liège seule. L’échelle d’action de l’EMR semble donc adéquate pour agir, mettre en commun et valoriser les ressources de l’Eurégion pour prévenir cette « fuite de cerveaux », pour peu que les mêmes processus aient cours dans ses différentes sous-régions. Grâce à une analyse des déterminants des intentions de migration des futurs diplômés de l’enseignement supérieur dans l’EMR, Hooijen et al. (2017) ont pu montrer que c’est certainement le cas. De ce fait, des stratégies de développement communes à l’ensemble de l’EMR peuvent être envisagées.

4Cette étude n’a cependant pas pu être menée dans la province de Liège et ces résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble de l’EMR. L’objectif de notre étude a donc été de compléter l’analyse de Hooijen et al. (2017) en reproduisant leur méthodologie pour la province de Liège et en comparant leurs résultats aux nôtres. L’ensemble des résultats de cet article repose sur l’analyse de données récoltées à l’aide d’une enquête. Vis-à-vis de l’étude de Hooijen et al. (2017), nous avons ajouté une dimension spatiale (en termes de lieu d’origine et destination par exemple), non abordée dans leur étude et rarement abordée dans la littérature sur le sujet des déterminants de la migration. Celle-ci apparaitra pourtant primordiale pour expliquer certains résultats. Ce travail a été réalisé en collaboration avec l’Université de Maastricht et les auteurs de la première étude.

5La question de recherche de cet article, similaire à celle de Hooijen et al. (2017), est la suivante : qu’est-ce qui détermine les préférences résidentielles des futurs diplômés de l’enseignement supérieur et les fait rester dans l’Eurégion Meuse-Rhin après avoir obtenu leur diplôme ? Pour répondre à cette question, cet article propose le développement suivant : dans un premier lieu un état de l’art, qui permet d’identifier les facteurs de la migration à tester ; vient ensuite l’analyse de la spatialité des intentions de migration ; ensuite une analyse descriptive suivie par une analyse de régression sur des données d’enquête. Ces données permettent de spécifier ce qui, des facteurs de localisation directs, indirects, sociaux, ou des caractéristiques individuelles, influencent le plus la décision de migration des futurs diplômés en province de Liège. Elles permettent également de déterminer si les mêmes processus ont cours dans les différentes sous-régions de l’EMR.

I. Littérature et aspects théoriques

A. Généralités

6Il existe depuis quelques années un engouement pour la recherche des déterminants de la migration ou de la mobilité résidentielle de la main d’œuvre hautement qualifiée, ces populations étant de plus en plus considérées comme les vecteurs de l’innovation, du développement et donc du succès économique d’une région (Corcoran et al., 2010 ; Dermine, 2011 ; Rérat, 2014a).

7La mobilité résidentielle désigne couramment une réalité tangible et mesurable, c’est-à-dire « les déplacements des individus […], ayant pour effet de transférer leur résidence d’un lieu à l’autre » (Baccaïni, 2015). Ce concept se rapproche fortement de celui de migration résidentielle. Cependant « le concept de migration désigne en général un changement durable entre deux lieux distants physiquement, culturellement et socialement » (Baccaïni, 2015), tandis que la mobilité résidentielle a un sens plus large et « inclut également les déménagements entre deux logements proches l’un de l’autre » (Baccaïni, 2015). En pratique, on peut définir que la différence conceptuelle entre la mobilité résidentielle et la migration est le franchissement d’une frontière administrative. Dans cette étude, on parlera dans les faits plutôt de mobilité résidentielle au sens large, c’est-à-dire comme des aspirations à la mobilité des individus. Cependant, puisque la limite entre les concepts de migration et de mobilité résidentielle est ténue, ils sont généralement utilisés l’un et l’autre dans la littérature, sans vraiment qu’une différenciation claire soit établie. De ce fait, et parce que la zone d’étude de l’EMR est à la fois relativement peu étendue et internationale, les deux termes sont utilisés de manière indistincte dans la suite de cet article.

8Il est généralement admis que les migrations interrégionales et internationales dépendent principalement des différences en termes de revenus et d’opportunités d’emplois. Cependant, de nombreuses études menées ces dernières années ont démontré que cela reflète de manière très limitée les causes de (non) migration. Ainsi, dans la plupart des cas, les migrants ne se déplacent pas simplement des régions les plus pauvres vers les plus riches. Il existe d’autres incitations à la mobilité ou à l’immobilité, telles que les valeurs et les expériences individuelles, qui expliquent pourquoi certains individus préfèrent ne pas migrer malgré les avantages comparatifs de la migration, tels que des salaires plus élevés ou de plus intéressantes opportunités de carrière (Castles et al., 2014 ; Korfalı et Sert, 2015). Les quelques études sur l’absence de migration démontrent que la non-migration peut notamment dépendre de : l’aversion au risque, la fidélité et les valeurs d’attachement à un lieu, l’adaptation à l’environnement et au marché du travail avec des atouts et capacités non transférables vers d’autres sites, le manque de compétences linguistiques nécessaires pour vivre à l’étranger ou simplement changer de région linguistique, la discrimination à l’égard des immigrants dans les pays de destination, etc. (Korfali et Sert, 2015). Ce phénomène de non-migration n’est pas à négliger, en particulier dans le cadre de cette étude. En effet, un grand paradoxe au sein de l’Union Européenne est que la plupart de ses citoyens restent immobiles, et cela malgré d’importantes disparités nationales et régionales persistantes. En effet, la migration entraînerait une perte des atouts et des capacités spécifiques à un lieu. Ces avantages liés au lieu ne sont pas seulement économiques, mais aussi et peut-être d’abord culturels, linguistiques, sociaux, politiques et en lien avec le travail et les loisirs (Tassinopoulos et Werner, 1999).

9Pour correspondre aux catégories utilisées par Hooijen et al. (2017), les déterminants de la migration ont été regroupés en quatre catégories de facteurs : les caractéristiques individuelles, les facteurs de localisation directs, les facteurs de localisation indirects et les facteurs sociaux. Notons que ces quatre catégories servent uniquement à faciliter l’analyse et doivent être considérées comme complémentaires et non pas incompatibles et mutuellement exclusives (Castles et al., 2014 ; Massey et al., 1993), la migration étant le résultat de l’interaction complexe de facteurs économiques, sociaux, fonctionnels, culturels et politiques (Hooijen et al., 2017).

B. Facteurs déterminants de la migration chez les jeunes diplômés

1. Caractéristiques individuelles

10Prendre en compte cette catégorie de facteurs vise à déterminer certaines caractéristiques clés pour lesquelles une corrélation avec certains comportements migratoires pourrait être établie. Ces caractéristiques sont bien sûr nombreuses, mais on peut en isoler quelques-unes qui devraient avoir plus d’importance que d’autres dans le cas des futurs jeunes diplômés. Celles-ci sont liées au caractère, aux goûts, aux normes et valeurs sociales, au type de socialisation et donc à l’habitus social des individus.

11En premier lieu, l’âge est souvent un facteur majeur. Plusieurs études montrent qu’à mesure que l’âge augmente, la tendance à la migration diminue (Faggian et al., 2007 ; Charlier et al., 2016). Il semblerait que les individus auraient la plus forte propension à migrer au début de la vingtaine, une fois diplômés et à la recherche de leur premier emploi, et que cette propension diminuerait par la suite, à cause de leur famille et de l’acceptation d’un emploi plus permanent (Venhorst et al., 2011). Ce résultat ressort également de l’étude de Charlier et al. (2016) en Wallonie (Belgique). Dans l’étude d’Hooijen et al. (2017), les futurs diplômés un peu plus âgés ont davantage tendance à vouloir rester ou à être incertains.

12En second lieu vient le genre. Alors que, dans l’esprit des gens, les hommes sont souvent supposés et imaginés plus mobiles que les femmes, certaines études démontrent que les femmes diplômées sont plus mobiles que les hommes, et plus particulièrement en termes de migrations internes. L’explication avancée est qu’elles utilisent la migration pour accéder à des opportunités d’emploi plus nombreuses et de meilleures qualités afin de compenser les discriminations fondées sur le sexe, et non pas parce qu’elles suivraient un partenaire éventuel (Faggian et al., 2007 ; Venhorst et al., 2011).

13Un troisième facteur pertinent est le diplôme obtenu. Tout d’abord, le domaine d’étude a une influence non négligeable sur la mobilité des diplômés, dans la mesure où la répartition spatiale des opportunités d’emploi est susceptible de varier d’un secteur à l’autre. Ainsi, certaines disciplines permettent aux diplômés d’être assez flexibles en termes de secteurs dans lesquels des opportunités d’emploi appropriées peuvent être trouvées (droit, économie, ingénierie), tandis que d’autres sont plus restrictives (santé, enseignement). Cela peut donc entraîner des différences selon le domaine d’étude quant à la propension à la migration et à la mobilité spatiale en général. De plus, il semblerait que les étudiants diplômés de l’enseignement supérieur non-universitaire soient moins mobiles que les diplômés des universités (Coniglio et Prota, 2008 ; Venhorst et al., 2010 ; Venhorst et al., 2011 ; Sykes, 2012 ; Rérat, 2014b).

14Le nombre de migration déjà vécues aurait également un impact sur la propension à migrer. Certaines études montrent en effet que la migration ultérieure est fortement corrélée au comportement de migration antérieur (Faggian et al., 2007) et que le fait d’avoir eu une expérience de longue durée à l’étranger augmente la propension à migrer (King et Shuttleworth, 1995). De ce fait, il semble logique que les étudiants étrangers et ceux qui étudient loin de chez eux soient davantage susceptibles de migrer après l’obtention de leur diplôme (Pethe et al., 2009 ; Venhorst et al., 2010 ; Haapanen et Tervo, 2012). La région d’origine des futurs diplômés et le nombre de migrations déjà effectuées au cours de la vie de l’étudiant semblent donc être d’autres facteurs pertinents à tester.

15Il existe également des différences relevant davantage de l’ordre de la psychologie et du caractère qui font que certaines personnes préfèrent ne pas migrer, tandis que d’autres sont plus enclines à se risquer à un déménagement et à vivre dans un nouvel environnement (Hansen et al., 2003). Il y aurait tout d’abord un lien avec la propension d’un individu à prendre des risques. Les personnes les moins enclines à prendre des risques dans la vie en général serait également les moins enclines à migrer (Moss et Frieze, 1993 in Hansen et al., 2003 ; De Haas, 2010 ; Venhorst et al., 2011 ; Korfalı et Sert, 2015). De Haas (2011) lie également cela au concept de « home preference ». Pour lui, « most people, given the choice, prefer to stay at home » [la plupart des gens, s’ils ont le choix, préfèrent rester chez eux], ce qui expliquerait que, malgré les importantes inégalités économiques mondiales, les taux de migration soient très faibles et dépassent rarement les 3 % de la population d’une région (De Haas, 2014).

16Pour finir, Venhorst (2013) invoque ce qu’il appelle des « familiarités régionales », c’est-à-dire les liens que les personnes acquièrent au fil de leurs trajectoires personnelles avec les lieux où elles sont nées, ont grandi, ont vécu avec leur parents ou amis, les lieux où elles ont étudié, etc. (Musterd et Gritsai, 2013). Ces « familiarités régionales » jouent un rôle important dans les choix de destination des individus et des diplômés récents (Venhorst, 2013 ; Rérat, 2014b), mais Rérat (2014b) souligne que l’attachement à une région serait en fait principalement lié aux liens sociaux. Il est également probable que les jeunes ayant fait leurs études tout en résidant au domicile familial aient plus tendance à y rester une fois leurs études terminées, et à ne déménager que lors d’une mise en ménage ultérieure (Bendit et al., 2009).

2. Facteurs de localisation directs

17Cette catégorie contient des facteurs de localisation assez classiques et comparables aux « aspects économiques traditionnels » ou « hard locational factors » de la théorie de la localisation de la géographie économique, imaginée à l’origine pour théoriser la localisation des entreprises (Mérenne-Schoumaker, 2011 ; Sleutjes, 2013). Dans le cas des migrations résidentielles, les facteurs sont principalement la disponibilité d’emplois, l’importance des revenus, l’accessibilité et la langue (Hooijen et al., 2017).

18De nombreuses études internationales et européennes sur les migrations et intentions de migrations de personnes diplômées du supérieur montrent la grande importance du facteur « opportunité d’emploi » dans la décision de migration (Sykes, 2012 ; Musterd et Gritsai, 2013 ; Rérat, 2014b ; Pethe et al., 2009 ; Rérat, 2016) et sur l’attractivité d’une région (Coniglio et Prota, 2008 ; Corcoran et al., 2010).

19Ces aspects sont considérés comme les principaux déterminants de la migration dans les théories traditionnelles fonctionnalistes qui suggèrent que la migration résulte de différences entre l’offre et la demande de travail entre les régions et que la décision de migrer repose rationnellement sur la comparaison des coûts et des avantages de la migration. Ces théories, bien qu’à ne pas négliger, ne reflètent pas suffisamment la complexité du processus de migration (De Haas, 2010 ; Korfalı et Sert, 2015 ; Hooijen et al., 2017). On sait par exemple qu’au sein de l’Union Européenne, les différences de salaires entre les régions et les pays ne suffisent généralement pas à déclencher à elles seules la migration (Tassinopoulos et Werner, 1999).

20L’accessibilité en termes de facilité d’accès au lieu de travail et de faible coût de transport est également déterminante pour le choix d’un lieu de résidence. Cet aspect renvoie à l’arbitrage entre un déménagement et un mouvement pendulaire de plus ou moins longue distance. Un certain nombre d’auteurs (Lawton et al., 2013 ; Musterd et Gritsai, 2013 ; Rérat, 2014b) se sont intéressés aux perceptions de la qualité des réseaux de transport pour les déplacements au sein de leur zone d’étude (bus, trains…) et ont observés un impact significatif de ceux-ci. Sykes (2012) et Hooijen et al. (2017) se sont quant à eux plutôt intéressés à une échelle plus vaste, en interrogeant les individus sur leurs perceptions de la qualité des réseaux de transport « internationaux » dans leur zone d’étude. Ils interrogent ainsi plutôt la qualité et la facilité d’accès aux réseaux de transport tels que l’avion ou le TGV. Hooijen et al. (2017) se concentrent sur cette catégorie de transport car l’EMR s’étend sur plusieurs pays et régions. Ils souhaitent ainsi considérer les transports favorisant les mouvements vers des pôles comme Aachen, Bruxelles ou Paris, par exemple, en considérant qu’un accès à un réseau de qualité vers ces pôles d’emplois permet aux individus de résider dans une région tout en travaillant dans une autre, voir dans un autre pays. En se concentrant sur cette échelle de transport, ils ne montrent cependant pas d’impact significatif de ce facteur sur les intentions de (non) migration des futurs diplômés.

21La langue est également considérée comme un facteur de localisation fort en matière de migration. On s’écarte en cela des facteurs de localisation « classiques ». La maîtrise correcte de la langue officielle de la région de destination est souvent une condition nécessaire et préalable à l’entrée des migrants sur le marché du travail local, mais également à l’intégration dans la société et la vie sociale. Les individus sont donc plus susceptibles de s’installer dans un pays s’ils en parlent la langue officielle (Adserà et Pytliková, 2015 ; Hooijen et al., 2017). Le manque de compétences linguistiques peut également être le facteur principal dans la décision de ne pas migrer, supplantant les facteurs économiques classiques (Korfalı et Sert, 2015). Il semblerait toutefois que l’impact de la langue soit moins important dans le cas de la maitrise de l’anglais et au sein des lieux de travail où la lingua franca est l’anglais (entreprises internationales, universités, etc.) (King et Shuttleworth, 1995 ; Hooijen et al., 2017).

22Notons pour finir qu’étant donné que les individus n’ont pas accès à l’information dans son entièreté et n’ont donc pas une connaissance parfaite de l’état du marché, les perceptions individuelles concernant le marché du travail influencent plus les intentions de mobilités que les opportunités réelles d’emploi, et cela particulièrement en fonction des facteurs sociaux et des caractéristiques individuelles (domaine d’étude par exemple) (Davies, 2008 ; Pethe et al., 2009 ; De Haas, 2010 ; Hooijen et al., 2017). Cette tendance est a priori applicable pour l’ensemble des facteurs de localisation et il semble donc plus pertinent d’étudier les perceptions qu’ont les individus de ces facteurs que des données « réelles » sur ceux-ci.

3. Facteurs de localisation indirects

23Il est considéré que les facteurs de localisation indirects (« soft locational factors ») influent indirectement sur le processus de décision de la migration. Ils sont moins tangibles et l’on ne peut que les estimer. Comme pour les facteurs de localisation directs, un même facteur peut exercer des influences diverses en fonction des individus et de leurs caractéristiques personnelles. De ce fait, les individus considéreront ces facteurs comme plus ou moins importants.

24Avec l’arrivée des théories telles que celle de la classe créative de Florida2, l’attention des chercheurs se porte de plus en plus sur ces facteurs « indirects ». Il ressort d’ailleurs de l’étude de Hooijen et al. (2017) qu’en comparaison, les facteurs de localisation indirects et les facteurs sociaux semblent avoir plus de « pouvoir explicatif » dans leur modèle de régression que les facteurs de localisation directs ou classiques. Plus concrètement, ces facteurs sont les aspects de la décision de migration liés au cadre de vie, à la qualité de vie et aux équipements de loisirs disponibles. Ils incluent des considérations qui ont plutôt trait au style de vie, telles que les caractéristiques d’une région, le climat, les activités de loisirs, les opportunités culturelles, etc. (Hansen et al., 2003). Dans le cas d’une étude sur la « fuite des cerveaux » de la région de Pittsburgh (USA), Hansen et al. (2003) soulignent que, pour les jeunes diplômés, ces « commodités » incluaient également la présence d’une population jeune et d’une culture diversifiée. Lawton et al. (2013) ajoutent à cela des éléments tels que l’ambiance du quartier (avec des considérations telles que la tolérance et l’ouverture d’esprit) et la disponibilité en espaces ouverts.

25Certaines études montrent cependant que la théorie des 3Ts de Florida ne correspond pas à la réalité dans une grand nombre de cas, en particulier en dehors des USA. En effet sa théorie n’est fondée que sur des données états-uniennes, mais les résultats obtenus sont souvent traités et utilisés comme s’ils étaient universels (Musterd et Gritsai, 2013 ; Nathan, 2015). De plus, dès 2003, Hansen et al. soupçonnent que le salaire et les opportunités d’emplois sont en réalité plus importants que ne le pensent les répondants ou qu’ils ne souhaitent parfois l’admettre. Les auteurs pensent en effet que dans notre société axée sur la consommation, le salaire définit dans de nombreux cas le mode de vie et le statut social.

26Le projet ACRE (Accomodating Creative Knowledge) a ainsi testé la théorie de la classe créative simultanément dans treize villes d’Europe. Les résultats révèlent que la théorie de Florida s’applique de manière très limitée à ces villes et que les facteurs de localisation directs restent, souvent après les facteurs sociaux, les facteurs décisifs pour attirer les travailleurs qualifiés. Les facteurs de localisation indirects tels que la tolérance, l’ouverture, la diversité, ainsi que les « commodités » ne semblent donc pas primordiaux en Europe pour attirer les diplômés mais joueraient un rôle plus important dans la rétention du capital humain. Il a donc été démontré que les concepts de Florida doivent être utilisés avec prudence en Europe (Musterd et Gritsai, 2013 ; Carrier et Hamdouch, 2019). C’est en particulier le cas lorsque les facteurs de localisation directs liés à la région de destination et à la région d’origine sont très similaires (Sleutjes, 2013 ; Hooijen et al., 2017), ce qui semble correspondre à notre cas d’étude sur l’EMR et la province de Liège.

27Il reste tout de même opportun de tester l’impact de certains de ces facteurs indirects sur la décision de migrer ou non, en particulier dans le cadre de cette étude, puisqu’il semblerait que les jeunes migrants attribuerait une valeur plus grande à ces aspects (Florida, 2002). On peut par exemple citer le cadre de vie, qui fait principalement référence au logement et au bâti (qualité architecturale et esthétique) et à l’environnement naturel (proximité à la nature, milieu de vie d’aspect rural), et qui est généralement un des facteurs les plus importants et couramment invoqué (Marlet et Van Woerkens, 2005 in Hooijen et al., 2017 ; Rérat, 2014b ; Sykes, 2012). Eggerickx et Sanderson (2019) soulignent « les atouts socioculturels des villes rencontrent les aspirations de nombreux jeunes adultes au moment de leur émancipation du domicile des parents, alors que les communes périurbaines rencontrent davantage les attentes (logements plus vastes et indépendants, accès à la propriété, cadre champêtre, etc.) des couples âgés de 30-45 ans et de leurs enfants ». Ce type de facteurs est cependant complexe à appréhender puisque difficilement mesurables. Il est en effet particulièrement sujet à la subjectivité et dépendant des caractéristiques individuelles, telles que les lieux où l’on a vécu, qui influencent fortement les perceptions (Rye, 2011 ; Castles et al., 2014).

4. Facteurs sociaux

28Plusieurs études mettent en avant l’importance cruciale que revêtent les facteurs sociaux dans les choix liés au processus de migration (Hansen et al., 2003 ; Lawton et al., 2013 ; Musterd et Gritsai, 2013 ; Rérat, 2014b). Ces facteurs sociaux peuvent revêtir différentes formes. Il s’agit classiquement des réseaux et liens personnels (amis, famille, partenaire, etc.) et des relations professionnelles et sociales (Musterd et Gritsai, 2013). C’est également le cas pour les personnes diplômées (Pethe et al., 2009 ; Rérat, 2014b). Comme pour le reste de la population, il apparait selon une étude réalisée dans cinq pays européens que les décisions des diplômés sont impactées par le fait de rester proche de ses relations personnelles, et plus particulièrement de la famille et des amis (Sykes, 2012). Sleutjes (2014) ajoute à cela que le fait de suivre son partenaire serait un facteur décisif dans le choix du lieu de résidence, ce que confirme également Rérat (2014b). Le statut « conjugal » (célibataire, en couple, en couple avec enfants…), le fait de vivre ou non avec son partenaire, et le lieu de résidence du partenaire ont ainsi probablement un rôle important dans la décision de migration et l’éventuelle destination de cette migration.

29Le projet ACRE met particulièrement en évidence l’importance de cet aspect quant au choix de migrer ou non, et quant à la destination d’une migration. Ainsi, il montre que, même dans une métropole comme Toulouse, caractérisée par une industrie de l’aéronautique florissante au niveau international et attirant un grand nombre de travailleurs hautement qualifiés, 75 % des managers entretenaient des liens personnels avec la région avant de venir y travailler (Musterd et Gritsai, 2013). Dans leur étude consacrée à Dublin, Lawton et al. (2013) observent un comportement similaire chez les étudiants internationaux, que l’on pourrait pourtant supposer moins contraints par les liens sociaux.

C. Analyse de la spatialité : situation connue en province de Liège

30Afin de comparer les tendances migratoires observées et d’ainsi poser des hypothèses concernant les tendances d’intention de migration, un état des lieux succinct est nécessaire. Notons que nous travaillons principalement à l’échelle de la province de Liège, qui est la sous-régions de l’EMR principalement étudiée ici.

31Dans le contexte belge, la région de Bruxelles joue le rôle de métropole urbaine et attire une population importante tant dans la ville que dans ses périphéries proches et éloignées. Elle est particulièrement attractive pour les populations âgées de 20 à 29 ans et de manière non négligeable pour la population de Liège et de sa périphérie (Charlier et al., 2016). La Ville de Liège est quant à elle, malgré tout, attractive pour les 15-24 ans, en provenance de sa périphérie mais pas uniquement, probablement du fait de son offre en enseignement supérieur. Elle est cependant délaissée par les 25 à 64 ans, au profit de sa périphérie (Charlier et al., 2016).

32Selon une étude de Mérenne-Schoumaker et al. (2000) sur des données datant de 1997, l’Université de Liège attire principalement des étudiants issus de la province de Liège et du nord de la province de Luxembourg. Sur les 78 % d’étudiant originaire de la province, seuls 60 % y trouveraient un emploi. Il apparait que pour l’arrondissement de Liège, l’équilibre y est presque atteint. La fuite de la main d’œuvre s’opère plutôt à partir des arrondissements de Huy, Verviers et Waremme, à destination principalement de Bruxelles et du Brabant. Ce sont ainsi 26 % des diplômés liégeois qui sont employés dans la région de « Bruxelles-Wavre » (voir Figure 1), dont 19 % dans Bruxelles-Capitale, alors que seul 3 % de ces étudiants sont issus de cette région. Ces chiffres confirment le poids conséquent de la capitale sur le marché de l’emploi du pays, en particulier pour les emplois très qualifiés. Bien entendu, le fait de travailler en région bruxelloise n’implique pas forcément une migration. Cependant, en associant ces résultats sur le marché du travail à ceux de Charlier et al. (2016), qui soulignent l’attractivité de Bruxelles et de sa périphérie comme lieu de résidence, cela le laisse présupposer.

II. Méthodologie

A. Hypothèses

33L’objectif principal de l’étude présentée dans cet article est d’identifier les principaux déterminants des intentions de migration des futurs diplômés de la province de Liège une fois leurs études terminées, à l’instar de ce qu’ont fait Hooijen et al. (2017) pour le reste de l’EMR. Pour rappel, la population ciblée par cette recherche est celle des étudiants en fin d’étude.

34Les hypothèses formulées se basent sur la littérature précédemment exposée et se répartissent selon les quatre groupes de facteurs identifiés. L’ordre dans lequel ces hypothèses sont formulées n’a pas de lien avec leur importance relative. L’objectif est de suivre une méthodologie suffisamment similaire à celle utilisée par Hooijen et al. (2017), afin de comparer leurs résultats aux nôtres. Parallèlement, quatre hypothèses supplémentaires seront testées. Deux d’entre elles permettent d’analyser la spatialité des intentions de migration en s’intéressant aux destinations envisagées. Une autre permet d’étudier l’impact de la propension à prendre des risques et la dernière s’intéresse au rôle du domaine d’étude dans la décision de migration.

1. Facteurs de localisation directs

35Une perception positive des perspectives de carrière et des réseaux de transport au sein de l’EMR augmente la probabilité que les futurs diplômés aient l’intention d’y rester après avoir terminé leurs études.

2. Facteurs de localisation indirects

36• Une perception positive de la qualité de vie dans l’EMR augmente la probabilité que les futurs diplômés aient l’intention d’y rester ;

37• Une perception positive de l’ouverture d’esprit dans l’EMR augmente la probabilité que les futurs diplômés aient l’intention d’y rester.

3. Facteurs sociaux

38Avec l’éloignement croissant des proches, des amis et des partenaires, la probabilité que les futurs diplômés aient l’intention de rester dans l’EMR diminue.

4. Caractéristiques individuelles

39• Il est attendu que l’intention de migrer diminue avec l’âge, qu’elle soit plus élevée chez les femmes, qu’elle augmente avec le niveau d’instruction et qu’elle soit plus élevée chez les diplômés universitaires que chez les diplômés de l’enseignement supérieur non-universitaire ;

40• Les diplômés nés dans l’EMR et qui y vivent ont plus de probabilités d’y rester et la mobilité augmente avec l’expérience de migration antérieure ;

41• Les diplômés ayant une plus grande propension à prendre des risques ont plus de probabilités de souhaiter partir que de rester ;

42• Il est attendu que l’intention de migrer soit plus élevée pour les étudiants issus des filières de droit, d’économie ou d’ingénierie, et moins élevée pour ceux issus des filières de la santé ou de l’enseignement.

5. Spatialité

43• Au vu des résultats de Hooijen et al. (2017), il est attendu qu’il y ait peu d’intention de mouvement entre les sous-régions de l’EMR ;

44• Au vu des résultats de Mérenne-Schoumaker et al. (2000) et Charlier et al. (2016), il est attendu qu’une proportion importante d’étudiants souhaitant rester en Belgique aient l’intention de migrer vers la région métropolitaine de Bruxelles.

B. Données

45Pour récolter des données comparables avec celles utilisées par Hooijen et al. (2017), il a donc été décidé d’utiliser une enquête similaire, traduite en français et parfois adaptées aux spécificités du contexte belge. Aucune question n’a été supprimée, mais certaines ont été ajoutées pour, par exemple, mieux appréhender l’aspect spatial de cette problématique de l’intention de migration.

46Cette étude a utilisé des données d’enquête datant de 2019. L’enquête a été envoyée par courrier électronique à l’ensemble des étudiants de l’Université de Liège (ULiège), y compris les étudiants des implantations de Gembloux et d’Arlon (Belgique). L’enquête a également été diffusée auprès des étudiants de la Haute Ecole de la Province de Liège (HEPL), de la Haute Ecole Libre Mosane (HELMo) et de deux autres établissements d’enseignement supérieur non-universitaire. Ces données, collectées de février à mars 2019, inclues des informations sur 1275 individus (ULiège = 1156, HEPL = 70, HELMo = 36, autres = 8). Certaines de ces réponses étaient complètes, d’autres non. Seules les réponses complètes à l’enquête ont pu être utilisées pour la régression logistique.

47Puisque cette étude s’intéressait aux futurs diplômés, seules les réponses des étudiants actuellement en phase finale d’études ont été utilisées. Ce choix s’est opéré car ces étudiants sont supposés être plus susceptibles de terminer leurs études supérieures et d’avoir déjà réfléchi à leur futur lieu de résidence en comparaison des étudiants n’en étant qu’au début de leurs études. Les étudiants des implantations se situant hors de l’EMR (Arlon et Gembloux) ont également été écartés. Cela limite l’échantillon utilisé pour la régression logistique à 513 personnes (Tableau 1). Notons que les proportions de réponses par établissement restent sensiblement les mêmes, malgré la mise à l’écart d’un grand nombre d’individus.

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Tableau 1. Répartition de l’échantillon par type d’établissement d’enseignement supérieur

48La région de Liège accueille environs 57 000 étudiants de l’enseignement supérieur, dont environ 25 000 à l’ULiège (43,8 %) et 32 000 (56,2 %) dans un établissement d’enseignement supérieur non-universitaire (Liege Together, 2023). Pour obtenir un échantillon représentatif des étudiants de cette région, il est donc nécessaire de disposer d’un minimum de 382 réponses, avec une marge d’erreur de 5 % et un niveau de confiance de 95 %. Pour disposer d’une représentativité statistique au niveau des sous-groupes il serait ici nécessaire de disposer des réponses de 167 étudiants pour ULiège et de 215 pour les autres institutions. Il y a donc une surreprésentation des étudiants de l’université dans notre échantillon pour qu’il soit représentatif de l’ensemble des étudiants de la région de Liège. Notre échantillon est en revanche représentatif pour l’ULiège en termes de genre (avec 61 % de femmes dans notre échantillon pour 59 % d’étudiantes dans l’université) (ULiège, 2023). En termes de domaine d’étude, les proportions d’étudiants sont relativement similaires entre l’échantillon et l’ensemble des étudiants en fin de parcours à l’ULiège. La représentativité n’est cependant pas parfaite et il y a un manque d’information concernant la filière pédagogique, qui est dispersée au sein des facultés (Tableau 2).

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Tableau 2. Répartition des étudiants selon leur domaine d’étude au sein de l’échantillon et au sein de l’ULiège (RADIUS, 2023)

C. Traitements

49La variable dépendante de cette étude, qui est l’intention de migration, a trois résultats possibles selon que les étudiants aient l’intention (1) de rester dans l’EMR, (2) de quitter l’EMR ou (3) sont incertains quant à leur futur lieu de résidence après l’obtention de leur diplôme.

50Les variables indépendantes utilisées pour expliquer les intentions de mobilité des diplômés sont réparties selon les quatre groupes identifiés précédemment : les caractéristiques individuelles, les facteurs de localisation directs, les facteurs de localisation indirects et les facteurs sociaux.

51Les traitements ont été divisés en trois parties : une analyse de la « spatialité » de certains aspects, qui permet une certaine contextualisation des résultats ; une analyse purement descriptive des réponses à l’enquête et une analyse de régression sur une sélection de variables. Dans tous les cas, l’ensemble de la méthodologie de Hooijen et al. (2017) a été suivie et adaptée, si nécessaire, aux spécificités statistiques de notre échantillon (normalité, hétéroscédasticité, etc.), lors du choix des tests statistiques effectués, par exemple.

52L’analyse descriptive est préliminaire et sert à déterminer, à l’aide de tests Chi² et de Kruskal-Wallis, s’il existe des différences significatives entre les trois groupes d’intention de migration (rester dans l’EMR, partir de l’EMR, être incertain) pour chaque catégorie de déterminants de la migration.

53L’analyse de régression a vu la réalisation de modèles de régressions logistiques multinomiales afin de réaliser une analyse des divers facteurs « toute chose étant égale et par ailleurs ». Cette analyse, qui permet d’affiner les profils d’intention de migration dressés lors de l’analyse descriptive, a été réalisée de manière itérative, en ajoutant au fur et à mesure un nouveau groupe de variables à la régression. Cette démarche a l’intérêt d’identifier des variables soumises à un effet de composition une fois toutes les autres variables prises en compte, et celles qui n’ont que peu d’influence ou sont trop complexes pour avoir été appréhendées correctement par nos analyses. Elle permet également de faciliter l’analyse en la décomposant. En premier lieu, les caractéristiques individuelles ont été ajoutées, puis les facteurs de localisations directs, les facteurs de localisation indirects et, finalement, les facteurs sociaux.

D. Variables

1. Caractéristiques individuelles

54Les variables relatives aux caractéristiques individuelles concernent ici le genre, l’âge, le lieu de naissance et de résidence principale. On distingue à la fois les lieux à l’intérieur et à l’extérieur de l’EMR, mais également les pays et régions en Belgique concernées. Une variables catégorielle supplémentaire et non traitée par Hooijen et al. (2017) permet d’indiquer le type de logement principal des répondants. Les catégories sont « en logement étudiant », « au domicile familial » et « autre », catégorie qui inclue majoritairement des individus vivant dans la maison de leur conjoint ou dans leur propre logement.

55La propension à prendre des risques est étudiée à l’aide de deux variables qualitative ordinale. La première variable catégorielle est relative à la prise de risque du répondant dans une question de risque monétaire introduite dans l’enquête. La deuxième variable catégorielle résulte de l’évaluation propre des répondants de leur propension à prendre des risques sur une échelle allant de 1 à 8.

56En outre, une variable qualitative ordinale relative à la satisfaction de la vie en général du répondant a été étudiée en demandant au répondant d’évaluer cet aspect sur une échelle de 1 à 15.

57Des données liées au parcours d’éducation des répondants sont également utilisées. Nous examinons ainsi si les répondants étudient dans une université ou un établissement d’enseignement supérieur non-universitaire. Le fait que les répondants souhaitent obtenir un bachelier (études supérieures de cycle court), un master ou un doctorat est également pris en compte. Le groupe des étudiants souhaitant réaliser un bachelier est utilisé comme groupe de référence lors des régressions logistiques multinomiales. Une variable binaire est utilisée pour identifier les étudiants appartenant au top 25 % des meilleurs étudiants sur la base leur moyenne lors de leur dernière session d’examen (moyenne supérieure ou égale à 15/20). De plus, les domaines d’études sont pris en compte. Sur la base de la classification « ISCED » recommandée par l’UIS (2014), nous distinguons : la filière pédagogique (sciences de l’éducation) ; philosophie et lettres, enseignement supérieur artistique ; sciences sociales ; sciences économiques et de gestion ; droit ; sciences, mathématique, informatique ; sciences appliquées, ingénierie, architecture et construction ; agronomie et sciences vétérinaires ; médecine, sciences médicales. Une variable catégorielle spécifie si les répondants envisagent de travailler, de poursuivre leurs études/de faire un doctorat ou s’ils ont d’autres projets une fois leurs études terminées. Enfin, une variable binaire indique si le répondant a ou a eu une activité professionnelle qu’il considère comme un tremplin pour le futur ou non.

58Trois variables indépendantes sont liées au comportement migratoire antérieur du répondant. Une variable quantitative indique le nombre de changement de lieu de résidence depuis son seizième anniversaire. Deuxièmement, une variable binaire indique si les répondants ont déménagé pour leurs études ou non. Pour finir, une variable catégorielle indique si les répondants ont vécu à l’étranger pour une expérience professionnelle, les études ou la scolarité, si elles ont d’autres expériences à l’étranger, ou s’ils elles n’en n’ont jamais eu.

2. Facteurs de localisation directs

59Il a été demandé aux répondants d’évaluer l’importance de certains facteurs lors du choix d’un lieu de résidence et la perception qu’ils en ont dans la région d’étude. L’importance est évaluée sur la base d’une échelle de valeur allant de 1 (pas important) à 5 (très important) et la perception sur une échelle de valeur allant de 1 (très mauvais) à 5 (très bien).

60Six variables qualitative ordinale reprennent simplement la valeur indiquée par le répondant dans le questionnaire. Trois de ces variables indiquent l’importance que porte le répondant aux opportunités de carrière, au réseau de transport (international), et à la maîtrise de la langue officielle du pays, et trois autres de ces variables indiquent la perception que le répondant a de ces facteurs dans la province de Liège.

61De la même manière, une autre variable qualitative ordinale allant de 1 à 5 spécifie l’évaluation par les répondant de leurs connaissances en anglais.

3. Facteurs de localisation indirects

62Dans ce cas, il a été demandé aux répondants d’évaluer l’importance lors du choix d’un lieu de résidence et la perception dans la région d’étude du cadre de vie, des activités culturelles et sociales, de la qualité esthétique de la région, de son mode de vie, de sa diversité ethnique, de la tolérance et de la facilité de contact avec les locaux. L’importance est évaluée à l’aide d’une échelle de valeur allant de 1 (pas important) à 5 (très important) et la perception sur une échelle de valeur allant de 1 (très mauvais) à 5 (très bien).

63Sur la base d’une analyse factorielle (ACM) et d’évaluation de l’alpha de Cronbach des catégories proposées par l’ACM, ces variables ont été regroupées, à la manière de Hooijen et al. (2017), en deux variables qualitatives ordinales. La première, appelée « perception de la qualité de la vie », regroupe les données relatives au cadre de vie, aux activités culturelles et sociales, à l’attrait esthétique de la région et au mode de vie. La seconde, appelée « perception de l’ouverture », concerne la diversité ethnique, la tolérance et la facilité à établir des contacts avec les locaux.

64Sur la base d’une autre analyse factorielle (ACM) et d’évaluation de l’alpha de Cronbach, les données sur l’importance de ces éléments sont regroupées de la même manière. Il en découle ainsi deux variables qualitatives ordinales supplémentaires.

4. Facteurs sociaux

65Il a été demandé aux personnes interrogées d’indiquer l’importance des amis et de la famille lors du choix de leur résidence. L’importance est évaluée sur la base d’une échelle de valeur allant de 1 (pas important) à 5 (très important)

66Sur la base d’une nouvelle analyse factorielle (ACM), les réponses des deux questions sur le sujet ont été fusionnées en une seule variable, appelée « liens sociaux », indiquant si les répondants considèrent les liens sociaux comme importants dans le choix de leur lieu de résidence. Il en résulte une variable qualitative ordinale.

67De plus, l’enquête a permis la récolte d’informations sur l’état des relations des répondants et la proximité du lieu de résidence de leur partenaire. Ces informations ont été fusionnées en une seule variable appelée « distance au partenaire ». Il existe quatre modalités possibles à cette variable, à savoir « aucun partenaire », « vivre ensemble », « vivre dans la même localité ou région » et « habiter dans le même pays ou dans un autre pays ». La catégorie des étudiants vivant avec leur partenaire est utilisée comme catégorie de référence lors des régressions logistiques multinomiales.

5. Variables spatiales

68Pour disposer de ces variables, il a été demandé aux participants de renseigner certaines informations comme le code postal de leur lieu de naissance, leur lieu de vie principal, etc. Les répondants ont également dû renseigner leurs destinations privilégiées à l’échelle des sous-régions et des pays pour l’EMR. À l’échelle de la Belgique, les répondants ont renseigné leur destination privilégiée à l’aide d’une carte intégrée dans le questionnaire et inspirée d’une cartographie des aires de téléphonie mobile en Belgique réalisée par Blondel et al. (2010). Ces aires téléphoniques ont été choisies car elles permettent un découpage de la Belgique sans aucun présupposé géographique de distance ou de centralité, en se concentrant principalement sur des pratiques de l’espace autres que les différences socio-économiques, telles que les différences sociales et culturelles (Blondel et al., 2010). Des modifications de ce découpage ont été effectuées au niveau de la province du Luxembourg et de Liège pour mieux correspondre aux objectifs de cette étude. L’objectif est de pouvoir différencier les zones de Marche-en-Famenne, Libramont et Arlon, ainsi que la Communauté germanophone, qui est une région avec une identité propre au sein de l’EMR (voir Figure 1, point IV.A).

III. résultats

A. La spatialité des résultats

1. À l’échelle de l’EMR

69Sur les 156 personnes qui pensent rester dans l’EMR, 143 ont l’intention de rester en province de Liège (dont 4 en Communauté germanophone) et 3 dans la province du Limbourg néerlandais (voir Figure 1). Parmi les 203 personnes incertaines, 96 envisagent de rester dans la province de Liège, 89 sont réellement incertains de leur future destination, et 18 au total envisagent de rester dans une autre sous-région de l’EMR. Ces résultats indiquent donc que les « destinations » privilégiées des répondants sont soit la province de Liège, soit des destinations en dehors de l’EMR. Cela confirme le constat de Hooijen et al. (2017) selon lequel il y a très peu de mouvements de migration entres les sous-régions de l’EMR. Cela indique également un résultat très important pour l’ensemble de ce travail : une analyse des intentions à l’échelle de l’EMR est en fait quasi équivalente à une analyse à l’échelle de la province de Liège. En effet, seules 3 personnes sur les 156 qui désirent rester dans l’EMR souhaitent se rendre dans une autre sous-région (le Limbourg néerlandais, une seule y résidant déjà). Il est par ailleurs frappant qu’il n’y ait aucune intention de migrer vers l’Allemagne de la part des étudiants originaires de la Communauté germanophone.

70Sur les 513 répondants, 104 sont d’origine étrangère. 11 % des répondants sont français, 4 % proviennent du reste de l’Europe, 4 % de d’Afrique et 2 % du reste du monde. Un grand nombre des ressortissant africains et espagnols envisagent de rester en région de Liège plutôt que de partir de l’EMR.

71La France est la destination étrangère privilégiée par les répondants, avec 25 % des personnes ayant l’intention de partir de l’EMR qui souhaitent s’y rendre. Les étudiants de la province de Liège semblent avoir plus de liens avec la France qu’avec les autres sous-régions de l’EMR, certainement du fait de la proximité culturelle et de la langue. Les autres destinations étrangères favorites sont le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni. De plus, la plupart des étudiants originaires d’un autre pays souhaitent par la suite y retourner ou se rendre dans un autre pays que ceux de l’EMR (c’est-à-dire l’Allemagne et les Pays-Bas). Par exemple, sur 55 répondants originaires de France, 22 souhaitent y rentrer par la suite. Il y a également plus d’étudiants d’origine belge certains de se rendre par la suite au Grand-Duché du Luxembourg (N=7) ou en France (N=14) que dans les autres sous-régions de l’EMR. Une faible proportion d’étudiants français souhaite rester en Belgique (aucun de la filière sciences médicales).

72Sur les 39 personnes envisageant de migrer vers la France à l’issue de leurs études, 16 (6 français, 10 belges) sont dans la filière sciences médicales et 10 (6 français, 3 belges) dans la filière agronomie et sciences vétérinaires. La Suisse (3 personnes) et le Canada (5 personnes), autres destinations potentiellement francophones, sont les secondes destinations étrangères privilégiées par ces étudiants.

73Notons que 59 % des étudiants en médecine – sciences médicales souhaitant partir de l’EMR, ou étant incertains, envisagent une destination étrangère plutôt que belge. Ce pourcentage est le plus élevé, toute filière confondue, avec celle d’agronomie et sciences vétérinaires. Il apparait également que pour la Faculté de médecine de l’Université de Liège, une proportion importante d’étudiants provient de l’étranger, entre autres de France. Et de fait, sur les 134 étudiants en médecine – sciences médicales interrogés, 31 viennent de l’étranger, dont 21 de France. Pour la plupart, ces étudiants souhaitent repartir ou rentrer dans leur pays d’origine une fois leurs études terminées. Il apparait également que les étudiants belges des filières médicales souhaitent plus souvent partir de l’EMR que ceux des autres filières, et le plus souvent à destination de la France.

2. À l’échelle de la Belgique

74Comme l’indique la Figure 1, la zone de Liège est la destination favorite de la majorité des étudiants liégeois, et un grand nombre d’entre eux envisagent d’y rester. La région de Bruxelles-Wavre comprend très peu de réponses « confirmées » (N=5), mais est la deuxième destination envisagée (N=37) après Liège (N=168). Il apparait donc que Bruxelles exerce un potentiel attractif supérieur par rapport aux autres « sous-régions » de la province de Liège, c’est-à-dire Huy, Verviers-Malmédy et Eupen. La plupart des étudiants originaires d’autres régions que la province de Liège (en Belgique ou ailleurs) privilégie en premier lieu de rester dans la zone de Liège ou en deuxième lieu de se rendre dans la région de Bruxelles-Wavre. De plus, la plupart des étudiants étrangers souhaitant quitter la province de Liège, tout en restant en Belgique, souhaitent se rendre dans la région de Bruxelles-Wavre. Ce résultat confirme l’hypothèse posée selon laquelle la région métropolitaine de Bruxelles bénéficie d’une attractivité relativement importante sur les jeunes diplômés liégeois, bien qu’un nombre assez réduit d’entre eux en soit originaire. Notons qu’en comparaison, seuls onze individus ont indiqué envisager se rendre au Grand-Duché du Luxembourg, ce qui est étonnant au vu des niveaux de salaires qui y sont notoirement pratiqués.

75En comparaison de la situation observée par Mérenne-Schoumaker et al. (2000) quant aux 26 % de diplômés liégeois occupés dans la région de « Bruxelles-Wavre » (voir ci-dessus au point II.C), nos résultats témoignent d’un pouvoir de rétention plus fort de la région de Liège et d’une attractivité plus limitée de la région de Bruxelles-Wavre. Nous interprétons cette discordance comme la conséquence d’une vision approximative du marché de l’emploi de la part des étudiants interrogés. Ainsi, on peut supposer que certaines des personnes indécises ou même ayant l’intention de rester en province de Liège finiront par partir vers Bruxelles en raison des meilleures opportunités sur les marchés de l’emploi. Ce constat ouvre des perspectives de recherches supplémentaires sur les diplômés afin de comparer, d’une part, les intentions lors des études et, d’autre part, les mouvements effectifs lors des périodes d’activités professionnelles.

76L’Université de Liège attire principalement des étudiants issus des provinces de Liège, du Luxembourg et de Namur. Une proportion importante des étudiants vivant dans la région de Huy, Verviers-Malmédy et Liège habitent de manière permanente au domicile familial, tandis que ceux originaires des autres régions vivent majoritairement en logement pour étudiant ou en appartement. Il apparait qu’une plus grande proportion de répondants étant originaires (domicile familial ou lieu de naissance) des régions de Huy, Verviers-Malmédy, Namur-Dinant, Marche-Bastogne et Arlon ont tendance à envisager d’y retourner ou d’habiter à Liège plutôt que d’habiter à Bruxelles-Wavre. Les répondants qui envisagent le plus facilement de se rendre à Bruxelles-Wavre sont étrangers. Ce résultat confirme l’importance de la familiarité régionale et de la « préférence au foyer », ainsi que l’importance des liens sociaux, que l’analyse de régression a particulièrement mis en avant (voir ci-dessous).

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Figure 1. Destinations des personnes qui ne souhaitent pas quitter la Belgique (destination « confirmée », 189 individus) et des personnes qui considèrent y rester (destination envisagée, 313 individus dont les 189 individus précédents)

B. Analyse descriptive

77Les Tableaux 3 et 4 offrent une synthèse des statistiques descriptives d’une sélection de variables d’intérêt. Notons pour la suite que N = nombre de répondants concernés ; M = Moyenne ; p = p-valeur.

78En examinant de manière purement descriptive les intentions de migration des futurs diplômés de la province de Liège (Tableau 3), on constate que 30,4 % d’étudiants souhaite rester dans l’EMR. Cette proportion est plus importante que les 26,8 % obtenus dans l’étude de Hooijen et al. (2017)). Tout comme dans cette étude, la plupart des étudiants interrogés par nos soins n’a cependant pas encore pris de décision quant à leur projet de migration ou non après l’obtention de leur diplôme, même lorsqu’ils se situent en fin de parcours étudiant (39,4 % d’indécis en province de Liège contre 40,6 % dans le reste de l’EMR).

79Comme le montre le Tableau 3, on trouve qu’une plus grande proportion des répondants souhaitant rester dans l’EMR y vivent (98,6 %), y sont nés (81,4 %), sont des femmes (65,4 %, p>.05), ont un partenaire (64,7 %, p>.05), appartiennent aux 25 % des meilleurs étudiants (33,6 %), ont une plus faible disposition à prendre des risques (M=6,7) et sont plus satisfaits de leur vie en général (M=10,8). Le groupe des personnes souhaitant rester comprend également la plus faible proportion d’étudiants vivant en logement étudiant (31,1 %), d’universitaires (86,5 %), de personnes ayant déménagé pour leurs études (46,2 %) et ont en moyenne le moins d’expériences de migrations antérieures (M=1,3).

80En revanche, une proportion plus importante des personnes souhaitant partir sont universitaires (94,8 %), poursuivent un master (68,2 %), ont déjà déménagé pour leurs études (74,0 %), ont en moyenne plus d’expérience de migrations antérieures que les autres (M=2,3), ont une plus grande disposition à prendre des risques (M=9,8) et sont en moyenne moins satisfaits de leur vie en général (M=9,6). On y trouve également la plus faible proportion d’étudiants vivant au domicile familial (31,2 %). Ce groupe a également la moyenne d’âge la plus élevée (M=25,3).

81Parmi le groupe « incertain », on trouve la plus grande proportion d’étudiants vivant en logement étudiant (55,2 %), poursuivant un bachelier (9,9 %) ou un doctorat (19,7 %). Ce groupe a la moyenne d’âge la plus faible (M=24,2).

82Pour ce qui est des facteurs importants lors du choix d’un lieu de résidence, les personnes souhaitant rester considèrent en moyenne les liens sociaux comme plus importants (M=4,0) que ceux souhaitant partir (3,6) ou étant indécis (3,7). Il en va de même pour la maitrise de la langue officielle (M=3,9 ; p>.05). Les répondants souhaitant partir considèrent en moyenne la qualité de la vie (M=3,8 ; p>.05) et l’ouverture (M =3,5) comme plus importante que les autres groupes. Pour ce qui est des personnes indécises, elles estiment en moyenne les opportunités de carrière (M=4,3) et le réseau de transport (M=3,5 ; p>.05) comme plus important que les autres groupes. Ces résultats sont similaires à ceux de Hooijen et al. (2017), hormis dans le cas du réseau de transports.

83Pour ce qui est des perceptions des facteurs de localisation directs et indirects dans la province de Liège, les personnes souhaitant rester ont en moyenne toujours le point de vue le plus positif, et les personnes souhaitant partir le point de vue le moins favorable pour l’ensemble des facteurs/catégories, c’est-à-dire la qualité de vie, l’ouverture, le réseau de transports et les opportunités d’emploi. Ces différences entre les trois groupes sont toutes statistiquement significatives. Ces résultats sont identiques à ceux de Hooijen et al. (2017).

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Tableau 3. Statistiques descriptives de variables d'intérêts (à l'échelle de l’EMR)

C. Analyse de régression

84Les Tableaux 4 et 5 présentent les résultats de régressions logistique multinomiales à l’échelle de l’EMR ainsi que leur significativité statistique. Des modèles de régression ont été réalisés de manière itérative pour faciliter l’analyse des résultats et pour identifier d’éventuels effets de composition entre les variables introduites successivement. Les caractéristiques individuelles sont introduites en premier lieu (modèles 1 et 2), puis les facteurs de localisation directs (modèle 3), indirects (modèle 4) et enfin les facteurs sociaux (modèle 5). Des variables de prise de risque et de lieu de vie principal, non intégrées dans les modèles de Hooijen et al. (2017) mais pertinentes à prendre en compte selon l’analyse descriptive et la littérature, sont ajoutées dans le modèle 6. Les odds ratio (OR), disponibles dans le package R « multinom », sont utilisés ici à la place des relative risk ratio (RRR), indisponible dans « multinom », utilisés par Hooijen et al. (2017) car, bien qu’ils n’aient pas la même signification, leur interprétation est similaire. La modalité de référence choisie pour la variable dépendante, à laquelle les deux autres seront comparées, est l’intention de quitter l’EMR après avoir terminé ses études. Le Tableau 4 compare donc l’intention de rester avec celle de partir et le Tableau 5 le fait d’être incertain avec celle de partir. Ainsi, une valeur d’OR significativement supérieure à 1 dans le Tableau 4, pour un des facteurs déterminants testé, signifierait que ces individus concernés par ce facteur ont significativement plus de probabilité de souhaiter rester plutôt que de partir, et dans le Tableau 5, significativement plus de probabilités d’être incertain que de souhaiter partir.

85Notons qu’afin de permettre la comparaison des modèles entre eux, il a été nécessaire de ne les appliquer que sur des réponses complètes, c’est-à-dire sans aucun oubli de la part des répondants. Cela a réduit l’échantillon à 368 individus. Les proportions par genre et par domaine d’étude restent similaires à celles présentées au point III.B. La représentativité de l’échantillon est un peu affectée par la réduction de la taille de l’échantillon puisque nous disposons de 368 réponses contre 382 nécessaires pour une marge d’erreur de 5 % et un niveau de confiance de 95 %.

1. Modèle 1: Caractéristiques individuelles

86Ce modèle comprend uniquement des informations sur les caractéristiques individuelles très générales : le genre, l’âge, le lieu de vie et de naissance (dans ou hors EMR), le fait d’avoir déménagé pour réaliser ses études et les migrations précédentes.

87À l’inverse des résultats de Hooijen et al. (2017), ce modèle ne montre pas d’effet significatif de l’âge des futurs diplômés interrogés mais, à l’instar de leurs résultats, le fait de vivre dans l’EMR pendant les études (p<.05) et d’y être nés (p<.001) est associé à une probabilité accrue de rester dans la région. De même, les futurs diplômés sont plus susceptibles de souhaiter rester s’ils n’ont pas déménagé pour leurs études et ont réalisé peu de migrations antérieures. Ces derniers résultats ne sont cependant jamais statistiquement significatifs (p>.1).

88Tout comme dans l’article de Hooijen et al. (2017), aucun des six modèles ne révèle d’effet du genre sur le fait de rester dans l’EMR. Cependant, il apparait que les femmes sont moins « incertaines » que les hommes, puisque les modèles montrent que les femmes ont significativement moins de probabilités d’être incertaines que les hommes (p<.1 à p<.05 selon le modèle). Cela peut être dû à des différences d’éducation et/ou de mentalité entre hommes et femmes, faisant par exemple en sorte qu’elles aient davantage tendance à planifier que les hommes. Pour ce qui est du manque d’effet de genre sur le fait de rester, une explication possible, avancée par Hooijen et al. (2017), est que lors de leurs études, les femmes interrogées ne sont pas conscientes des éventuelles discriminations sur le marché du travail fondées sur le sexe. Une autre hypothèse plus optimiste est que les discriminations sexistes (ou la perception des discriminations sexistes) sont moins problématiques dans l’EMR que dans les régions où cet effet de genre a été observé.

2. Modèle 2 : Caractéristiques individuelles

89Le modèle 2 ne comprend toujours que des informations relatives aux caractéristiques individuelles. Des informations concernant l’éducation (type d’établissement et de diplôme, appartenance au top 25 % des meilleurs étudiants, domaine d’étude) et l’expérience de travail (à l’étranger et projets futurs) ont ainsi été ajoutées aux variables du premier modèle.

90Contrairement à Hooijen et al. (2017), mais de manière conforme à nos hypothèses, il semblerait que les étudiants réalisant un master ou un master complémentaire soient plus enclins à partir que ceux réalisant un bachelier. Par ailleurs, les étudiants réalisant un doctorat ont une plus grande probabilité de souhaiter rester. Ces résultats ne sont cependant pas statistiquement significatifs (p>.1). En revanche, on constate que les étudiants réalisant un master ont moins de probabilité d’être incertains que ceux réalisant un bachelier (p<.05). Ces résultats restent similaires dans les modèles suivants, même avec l’ajout de variables supplémentaires.

91Le fait de travailler (travail étudiant ou autre) et de considérer ce travail comme un tremplin pour sa future carrière est en lien direct avec le fait de vouloir rester dans l’EMR. Ce résultat est valable pour l’ensemble des modèles (p<.05 à <.01 selon le modèle). Les individus qui considèrent leur travail comme un tremplin ont plus de chances d’être incertains (p<.1). Ce résultat n’est cependant que marginalement significatif et il change lors de l’ajout de variables supplémentaires dans les modèles suivants. Des résultats similaires peuvent être observés chez Hooijen et al. (2017). Ceux-ci n’étaient cependant jamais significatifs, à la différence des nôtres.

92Au contraire des résultats de l’article de Hooijen et al. (2017), les étudiants en droit (p<.1, uniquement pour ce modèle) et en sciences médicales et de la santé (p<.1 à <.05 selon le modèle) ont une propension plus forte pour le choix de quitter l’EMR que pour les deux autres choix (rester ou être incertain). Ce résultat pour les sciences médicales est à l’opposé des résultats de Hooijen et al. (2017) et d’autres recherches selon lesquelles les diplômés de la filière « santé » sont peu mobiles (Venhorst et al., 2010). Les analyses de la spatialité des intentions présentées précédemment permettent de poser l’hypothèse explicative suivante : puisque les étudiants de médecine souhaitent quitter la Belgique et pas seulement l’EMR, qu’ils soient nés en Belgique ou à l’étranger, il est plausible que cette tendance résulte d’un effet de composition dû au contexte belge. Cela pourrait, par exemple, être lié à l’accès compliqué à la profession de médecin, mais également de tout autre raison liée à cette profession, tels que de meilleurs salaires à l’étranger, etc.

93Dans leur article, Hooijen et al. (2017) trouvent dès ce deuxième modèle que les répondants ayant eu des expériences de vie à l’étranger, liées au travail ou aux études, ont moins de probabilités de souhaiter rester dans l’EMR après avoir obtenu leur diplôme. Ce résultat n’est cependant significatif que pour les expériences de travail. Dans notre étude, la tendance observée est similaire mais n’est significative dans aucun des modèles.

94Pour ce qui est des projets futurs, dans les résultats de Hooijen et al. (2017), les étudiants qui envisagent de poursuivre leurs études ont deux fois plus de chances de rester dans l’EMR que les autres, mais ont également plus de chances d’être incertains. Ces résultats sont toujours significatifs. Dans le cas présent, le fait de souhaiter continuer ses études est très lié au fait d’être incertain, et cela dans tous les modèles (p<.05 à <.01). Cela semble également lié au fait de vouloir rester, mais de manière moins significative (p>.1 du modèle 2 à 5).

3. Modèle 3 : Facteurs de localisation directs

95Le modèle 3 ajoute quatre facteurs de localisation directs : la perception des opportunités d’emploi et du réseau de transport (international), la maitrise de la langue officielle et la bonne maitrise de l’anglais.

96Comme on s’y attendait et à l’instar des résultats de Hooijen et al. (2017), les répondants qui ont une bonne vision des perspectives de carrière (p<.01) dans l’EMR (et donc dans la province de Liège) et qui considèrent la maîtrise de la langue (p<.1) comme importante sont plus susceptibles de rester que ceux ayant une vision négative des perspectives de carrière ou qui ne considèrent pas la maitrise de la langue officielle comme importante. La significativité de l’influence de la maitrise de la langue est cependant marginale et uniquement valable pour ce modèle, au contraire de Hooijen et al. (2017).

97Ensuite, conformément aux résultats de Hooijen et al. (2017), la régression ne révèle aucun effet significatif de la bonne maitrise de l’anglais et du système de transport (international) sur l’intention de rester par rapport à celle de partir. On peut émettre l’hypothèse que le manque d’influence de cette dernière variable est lié à sa pertinence. L’aspect international du réseau de transport semble en effet peu probant à l’échelle de l’EMR qui, si elle est à cheval sur trois pays, a malgré tout une taille restreinte. Interroger les étudiants sur l’importance et la perception du réseau de transport de leur région d’étude, à une échelle plus locale aurait peut-être été plus concluant, celle-ci ayant a priori plus d’impact sur la vie quotidienne des individus. Une autre interprétation possible de ce résultat est que ce type de variables sur l’accessibilité a sans doute plus d’importance dans des régions plus enclavées que l’EMR, qui se trouve au cœur de l’Europe.

4. Modèle 4 : facteurs de localisation indirects

98Ce modèle voit l’ajout de trois facteurs de localisation indirects : l’importance de la qualité de vie, la perception de la qualité de vie et de l’ouverture.

99Il apparait que plus les individus considèrent que la qualité de vie est importante pour choisir leur lieu de résidence, moins ils ont de probabilités de souhaiter rester au sein de l’EMR (p<.1 à <.05 selon le modèle). Dans le même temps, les étudiants ayant une vision positive de la qualité de vie dans leur région d’étude ont plus tendance à souhaiter rester par rapport à ceux en ayant une vision négative (p<.05). Ces résultats sont tout à fait similaires à ceux obtenus par Hooijen et al. (2017) et sont significatifs pour tous les modèles suivants. Ces deux mêmes variables ont un effet similaire sur le fait d’être incertain. Ainsi, on observe que les répondants ayant une bonne perception de la qualité de vie (p<.05), tout en la trouvant importante (<.05 à <.01 selon le modèle), ont plus de chances d’être incertains que de partir. Les répondants ayant une bonne perception de la qualité de vie et la trouve moins importante (p<.1 à < .05) ont plus tendance à souhaiter rester que partir. Hooijen et al. (2017) ont observé des résultats similaires.

100Contrairement à Hooijen et al. (2017), les résultats pour l’ouverture ne sont pas du tout significatifs (p>.1). Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer cela. La première est que, contrairement au reste de l’EMR et aux conclusions du projet ACRE qui conclut que des facteurs tels que l’ouverture, la tolérance et la diversité jouent un rôle dans la rétention des individus en Europe (Musterd et Gritsai, 2013), ces éléments ne font pas écho à la population étudiante en province de Liège. De plus, on peut également souligner le fait qu’il n’est pas aisé de déterminer la « vraie » opinion des gens sur des questions qui ne les intéressent pas ou peu. Or, comme l’a montré l’analyse descriptive, l’ouverture semble ne pas être un facteur important pour les étudiants de la province de Liège. Le problème est alors que le fait de leur poser des questions spécifiques sur cette thématique, comme cela a été fait dans le questionnaire d’enquête utilisé, peut en fait créer des attitudes plutôt que de les mesurer (hypothèse suggérée par la lecture de Hansen et al., 2003). Ce résultat met à nouveau en doute la pertinence des théories telle que celle de la classe créative de Florida dans nos régions, et donc également les politiques de développement fondées sur celles-ci.

5. Modèle 5 : Facteurs sociaux

101Ce modèle 5 correspond au modèle complet tel que présenté par Hooijen et al. (2017). Il permet de finalement ajouter le dernier groupe de variables, c’est-à-dire les facteurs sociaux, comprenant la distance au partenaire et le fait de considérer les liens sociaux comme importants.

102Il ressort de ce modèle que les individus vivant dans la même localité (ville ou commune) que leur partenaire ont davantage tendance à souhaiter rester que les autres. Les répondants dont le partenaire habite ailleurs en Belgique ou dans un autre pays (p<.01), ou ceux n’ayant pas de partenaire (p<.1), ont davantage tendance à souhaiter partir de l’EMR. Tous ces résultats sont concordants avec ceux obtenus par Hooijen et al. (2017). Ils confirment l’hypothèse posée selon laquelle, avec l’éloignement croissant au partenaire, la probabilité de rester (dans l’EMR) diminue.

103Il apparait également que les répondants qui considèrent les liens sociaux importants lors du choix d’un lieu de résidence ont une tendance très forte à préférer rester par rapport aux autres (p<.01). Comme le suggèrent Hooijen et al. (2017), sur la base de résultats du même type, étant donné que l’effet de la variable « partenaire » dépend du lieu de résidence du partenaire et donc de la « distance au partenaire », on peut supposer que la variable des liens sociaux fonctionne de la même manière. L’effet de la variable « liens sociaux » dépendrait alors également du lieu de résidence des principaux liens sociaux ainsi que de la « distance » à ces liens sociaux, et a priori, du lieu d’origine.

104L’odd ratio de l’importance des liens sociaux est le deuxième plus élevé après celui de la variable « vit dans l’EMR ». Ce résultat souligne l’importance capitale de cette dimension dans le choix d’un lieu de résidence. De plus, en examinant la proportion de répondants qui considèrent que les liens sociaux sont importants eu égard à leur lieu de naissance et à leur intention de migration, il ressort que 42,6 % (soit la proportion la plus importante) des répondants qui sont nés dans l’EMR et qui ont l’intention d’y rester considèrent les liens sociaux comme importants, et que 45,7 % (proportion la plus importante) de ceux nés en dehors de l’EMR et qui considèrent les liens sociaux comme importants ont l’intention de partir de l’EMR une fois leur diplôme obtenu. Ces résultats, bien que dans des proportions différentes, sont concordants avec ceux de Hooijen et al. (2017). De plus, comme ils l’ont suggéré dans leur article, tous ces résultats peuvent être interprétés comme un indicateur du fait que les répondants préfèrent vivre près de leurs liens sociaux..

6. Modèle 6 : Risques et lieu de vie principal

105Ce modèle, non réalisé par Hooijen et al. (2017), permet d’ajouter deux variables supplémentaires (« propension à prendre des risques » et « lieu de vie principal ») qui semblaient pertinentes au vu de la littérature et des statistiques descriptives.

106Il apparait que les individus ayant répondu « autre » pour la variable du lieu de vie principal, c’est-à-dire qu’ils ne vivent ni au domicile familial ni en logement étudiant, ont très significativement plus de chances de partir que tout autre comportement (p<.001). Ces personnes vivent toutes en dehors de l’EMR, dans leur propre logement ou dans le logement de leur conjoint.

107Les personnes dont le lieu de vie principal est le domicile familial ont plus tendance à souhaiter rester que ceux vivant en logement étudiant. Bien que ce résultat ne soit pas statistiquement significatif, il peut être mis en parallèle avec le fait que ce domicile familial se trouve généralement en province de Liège. De plus, les résultats vis-à-vis des variables « vit dans l’EMR » et « né dans l’EMR » pour le groupe des répondants souhaitant rester par rapport à ceux souhaitant partir restent cohérents et très significatifs dans les différents modèles. De ce fait, et comme le souligne également Hooijen et al. (2017), ces résultats peuvent être considérés comme une preuve de la pertinence des concepts de home preference et de « familiarité régionale » dans la province de Liège. En effet, les personnes qui y sont nées et qui y résident pour leurs études connaissent sans doute mieux la région et ont donc plus de chance de souhaiter y rester. Ces résultats confirment donc en partie la deuxième hypothèse émise pour la catégorie des caractéristiques individuelles et ils laissent présupposer d’une tendance des jeunes vivant au domicile familial durant leurs études à y rester, au moins durant un certain temps, une fois celles-ci terminées.

108Ce modèle montre également que les individus avec une propension à prendre des risques ont significativement plus tendance à souhaiter partir qu’à souhaiter rester (p<.0)1, mais pas à être incertain. Il est donc effectivement pertinent de prendre en compte cette variable pour mieux appréhender la décision de migration.

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Tableau 4. Modèles pas à pas comparant les intentions de migration des personnes souhaitant rester de celles souhaitant partir (catégorie de référence)

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Tableau 5. Modèles pas à pas comparant les intentions de migration des personnes incertaines de celles souhaitant partir (catégorie de référence)

Conclusion

109Il existe depuis quelques années un engouement pour la recherche des déterminants de la mobilité résidentielle de la main d’œuvre hautement qualifiée, ces populations étant souvent considérées comme des vecteurs du succès économique d’une région (Corcoran et al., 2010 ; Dermine, 2011 ; Rérat, 2014a). Dans cette perspective, l’étude présentée dans cet article analyse les facteurs jouant un rôle dans l’intention de migrer des futurs diplômés de l’enseignement supérieur de la province de Liège. Cette étude complète ainsi l’article de Hooijen et al. (2017) ayant traité du même sujet pour les autres parties de l’EMR. Les résultats de notre travail confirment les principaux résultats de Hooijen et al. (2017), tout en les complétant via la prise en compte de variables explicatives supplémentaires et d’une dimension spatiale qui permet d’affiner les conclusions.

110À l’instar des résultats de Hooijen et al. (2017), les intentions de mobilité des étudiants des établissements d’enseignement supérieur de la province de Liège sont principalement déterminées par les perceptions et l’importance accordée à la qualité de vie, par les opportunités de carrière dans l’EMR, par la distance au partenaire et par les liens sociaux. Le fait que notre variable de qualité de vie ait une forte influence sur l’intention de migration est concordant avec la littérature, puisqu’elle a trait à la fois au cadre de vie, mais aussi aux activités culturelles et sociales et au mode de vie, qui sont des éléments d’intérêt pour la population jeune étudiée (Eggerickx et Sanderson, 2019). L’ouverture d’esprit, appréhendée via une variable composite mêlant tolérance, diversité ethnique et facilité de contact avec les locaux, ne semble en revanche pas être un facteur d’importance pour les étudiants de la province de Liège, conformément aux études européennes sur le sujet.

111Tout comme dans le reste de l’EMR (Hooijen et al., 2017), notre étude montre qu’il n’y a que très peu d’intention de migration entre les sous-régions de l’EMR. Pour le cas des francophones, une hypothèse explicative est la barrière de la langue, associée à une concurrence des pôles d’emplois bruxellois et luxembourgeois (bien que cette deuxième destination ne ressorte étonnamment pas dans nos enquêtes). Cette hypothèse ne suffit cependant pas à expliquer l’absence d’intentions de migration entre la Communauté germanophone et le Zweckverband de Aachen dans notre étude, ni entre les provinces du Limbourg belge et néerlandais dans celle de Hooijen et al. (2017), où la langue principale est la même des deux côtés des frontières nationales. Ces absences spécifiques d’intentions de migrations peuvent sans doute s’expliquer par la proximité entre les territoires en question, et donc par la possibilité de réaliser des migrations pendulaires plutôt que résidentielles.

112Il existe malgré tout certaines différences non négligeables entre nos résultats et les résultats de Hooijen et al. (2017). Les principales sont : le comportement différent des étudiants des filières médicales, la non-significativité de la perception de l’ouverture en province de Liège, et des comportements spatiaux spécifiques.

113Ces différences sont liées au contexte :

114• belge, avec l’attractivité importante de la métropole bruxelloise et le potentiel contexte d’accès restreint ou compliqué à certaines professions (médecin, vétérinaire), et qui montre l’intérêt de prendre en compte le domaine d’étude dans l’analyse ;

115• francophone, illustré par la relation particulière avec la France particulièrement, ainsi que le Canada et la Suisse dans une moindre mesure ;

116• culturel, bien que cet aspect ne soit qu’une supposition et ne puisse être appuyé par des données concrètes. Cela pourrait cependant expliquer le fait que « l’ouverture d’esprit » n’ait ici aucune influence sur les intentions de migration alors qu’elle semble en avoir dans le reste de l’EMR. Pour tester cette hypothèse, une recherche supplémentaire spécifique sur l’importance et la perception au sein de l’EMR ou entre la Belgique et les pays frontaliers devrait être menée sur des aspects tels que la tolérance, la facilité de contact avec les locaux, la diversité ethnique, etc.

117Nos résultats montrent aussi que la « familiarité régionale » et la « home preference » ont une importance particulière dans les intentions migratoires. Cela tient, d’une part, à l’influence des facteurs sociaux et de la distance au partenaire et, d’autre part, au poids des relations entre le lieu d’origine et le lieu de destination privilégié des répondants. Ce résultat est intéressant dans une perspective de développement régional. En effet, comme suggéré par Carrier et Hamdouch (2019), pour les territoires n’appartenant pas aux grandes zones métropolitaines, il serait vraisemblablement plus aisé de retenir les diplômés en étant issus plutôt que de chercher à en attirer de l’extérieur. Une manière d’améliorer cette rétention des diplômés pourrait être d’encourager plus d’étudiants à s’installer dans l’EMR durant leurs études au lieu de se rendre à l’université depuis l’extérieur, afin de développer leur « familiarité régionale » avec leur lieu d’étude et donc leur propension à vouloir y rester.

118Nos résultats mettent également en évidence l’influence de la disposition à prendre des risques dans l’intention de migration. Notons que ce facteur est difficilement appréhendable autrement que par une enquête, ce qui démontre la pertinence de la méthode appliquée. La variable des moyens de transport, qui ne ressort pas comme significative, semble nécessiter des réflexions et recherches supplémentaires pour être mieux étudiée et appréhendée au travers de l’enquête au vu de son importance relevée dans la littérature. De plus, à l’instar de ce qui ressort de la littérature, le fait d’être en couple et de vivre ou non avec son partenaire, le lieu de résidence de celui-ci, ainsi que le lieu de vie principal des étudiants durant leurs études est une piste intéressante pour comprendre les choix de (non)migration à l’issue de leurs études. Le genre n’a, en revanche, pas d’effet notable, contrairement à ce qui était attendu.

119Notre étude ne s’intéressant qu’aux intentions de migrations à l’issue directe des études, une recherche complémentaire pourrait être réalisée pour vérifier dans quelles mesures ces intentions ont effectivement été réalisées. En effet, l’écart entre l’intention de (non)migration et le comportement migratoire effectif est potentiellement très important. Par ailleurs, la première migration après le diplôme n’étant pas forcément la plus révélatrice du comportement de mobilité résidentielle au cours des années qui suivent, l’analyse de la suite du parcours migratoire serait également intéressante à prendre en compte.

Notes

1201L’EMR existe depuis 1976 et est ainsi l’une des plus anciennes Eurégions de l’Union Européenne (UE) (Hooijen et al., 2017). Cette Eurégion regroupe la province néerlandaise du Limbourg, le Zweckverband de la ville allemande de Aachen, la Communauté germanophone de Belgique et les provinces belges de Liège et du Limbourg.

1212Cette théorie soutient que pour qu’un lieu soit attractif pour la classe créative, il est nécessaire qu’il soit pourvu des « 3Ts », c’est- à-dire la technologie, le talent et la tolérance. Cette classe créative est constituée d’individus qui sont principalement des diplômés et qui sont généralement admis comme essentiels à la croissance économique et à la productivité d’une région (Florida, 2002, 2003)

1223Une version plus extensive de cette étude est disponible chez Bernier (2019).

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127Carrier, M. & Hamdouch, A. (2019). Appel à articles pour le numéro spécial : les dynamiques de métropolisation à l’échelle régionale. Canadian journal of regional science. 3p.

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Para citar este artículo

Charlotte BERNIER & Jean-Marie HALLEUX, «Intentions de mobilité résidentielle des futurs diplômés en Province de Liège», Bulletin de la Société Géographique de Liège [En ligne], 82 (2024/1) - Varia, 139-167 URL : https://popups.uliege.be/0770-7576/index.php?id=7304.

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