Introduction
Sensibles aux « pratiques et perspectives d'une éducation physique de qualité » (axe 2 du colloque), nous tendons à nous inspirer des discours mettant l'apprentissage des élèves au centre de la réflexion et de l’action didactique qui, à l’instar de Delignières (2006), mentionnent que cette question est un enjeu crucial pour la crédibilité de la branche EPS. Selon l’auteur, l’École trouverait ainsi son sens lorsque l'élève se sent investi d’une mission d'apprendre et qu'elle·il s'implique activement dans cette perspective, avec une intention déclarée. Si ce postulat est une condition d'une éducation physique et sportive (EPS) de qualité, il convient alors de s'intéresser de plus près à la manière dont le processus d’enseignement-apprentissage peut générer du sens pour l’élève.
L’évaluation comme aide à l’apprentissage joue ici un rôle décisif. Pour Allal et Laveault (2009), l'Evaluation-soutien d'Apprentissage (EsA) est une démarche d'évaluation formative, qui implique les élèves dans le processus et permet la régulation des apprentissages. Des critères partagés permettant la collecte d’informations sur les prestations des élèves sont indispensables dans la mise en place de cette dynamique d'apprentissage. Les données peuvent être prélevées soit par l'enseignant·e, soit par l'élève concerné·e ou par ses pairs. Cette approche socioconstructiviste de l’apprentissage ne va pas de soi. Selon ces mêmes auteur·e·s, la visée formative est parfois délaissée au profit d'une évaluation qui ne tient compte que des notes ou des scores.
L’objectif d’apprentissage au cœur de cette étude, effectuer une course d’endurance sur plusieurs minutes, pourrait à notre avis empêcher certain·e·s élèves à s’engager dans une démarche active d’apprentissage, en raison de l’effort qu’il engendre. La question du plaisir mérite donc d'être abordée ici. Selon Lavie et al. (2011), le plaisir peut être induit par un projet, par l'atteinte d'objectifs que l'élève s'est fixés ou encore par la visibilité de ses progrès. Une situation d’apprentissage, culturellement située, de nature complexe, stimulant de fait plusieurs types de ressources, et impliquant des choix et des décisions de la part de l’élève peut donc engendrer un projet d’apprentissage individuel attractif. Delignières et Garsault (2004) soulignent ainsi que la maîtrise de situations difficiles renforce positivement l’attitude des élèves. Pour Biddle et Goudas (1994), c'est lorsque la motivation intrinsèque est élevée et que les possibilités de contrôle sur l'activité sont présentes que le plaisir augmente. Les liens entre évaluation et plaisir à apprendre sont donc en relation directe. Pour que les élèves s'engagent, il est nécessaire qu'elles·ils aient des chances de réussite dans l'évaluation terminale (Lavie et al., 2011), car si l’élève considère que le seuil fixé est inatteignable, quel intérêt pour elle·lui de s'engager ? Dans le cadre d’une EsA, Allal et Laveault (2009) insistent sur l’importance pour les élèves et l’enseignant·e de réfléchir et de réagir par rapport aux observations réalisées durant la leçon ou aux échanges, ceci afin de guider les prochaines démarches à entreprendre. Allal (citée dans De Ketele, 1993) évoque un moment de recueil d’information, puis d’interprétation de ces informations, suivi d’une adaptation des activités d’enseignement-apprentissage. Quelle que soit la modalité choisie, l’intention première de l’EsA devrait aller dans le sens d’une régulation des apprentissages.
Comme indiqué dans l’introduction, le PER devrait inciter les enseignant·e·s à développer des compétences auprès de leurs élèves. Pour Delignières (2006), « la compétence apparaît comme un ensemble composite de ressources, permettant d’agir efficacement dans des situations complexes, évolutives, et peu définies. La compétence est ce qui permet de faire face aux exigences mouvantes de la pratiques d’une activité donnée, pensée dans toute sa complexité et son évolution dynamique. Au-delà des techniques, elle intègre des connaissances, des savoir-faire méthodologiques, mais également des attitudes et des valeurs ». Pour Wajdi et Lafont (2020), la compétence devrait se démontrer au travers de la résolution par les élèves de situations complexes, en exploitant des ressources provenant de différents domaines.
Nous avons ainsi, pour répondre aux critères de l’approche par compétence et aux attentes du PER, élaboré une forme de pratique scolaire (FPS) en demi-fond inspirée du cross-country permettant de jouer le double rôle de coureur·se et d’observateur·trice-coach. Celle-ci est réalisable en salle de sport sous la forme d’un parcours, construit avec le matériel usuel qui comprend virages, franchissements et course sur sol plus ou moins rigide. Le but pour les élèves, âgés de 12 ans en moyenne, est de courir durant 12 minutes sur ce parcours et tenter d’atteindre deux objectifs : courir de manière régulière, c’est-à-dire sans marcher ni s’arrêter (objectif de maîtrise) et courir à une allure rapide (objectif de performance). Des balises bien visibles placées tous les 50m servent à évaluer la distance parcourue et la vitesse de course. Une fiche, à remplir par les élèves en situation d’observation, a été créée pour permettre la saisie des résultats (voir ci-après).
Pour cet article, nous avons focalisé l’analyse sur les dispositifs d'évaluation mis en place par des enseignant·e·s pour tenter de répondre aux questions suivantes : (1) A quels moments de la séquence d’enseignement la FPS a-t-elle été utilisée et pour quelle fonction de l’évaluation (diagnostique, formative, sommative) ? (2) Les traces des courses des élèves (fiches d’observation) ont-elles été exploitées durant la séquence ?
Méthodologie
Le projet PEREPS implique des chercheur·e·s et des enseignant·e·s du terrain au travers d’une ingénierie didactique mettant en jeu la complémentarité des deux groupes dans le but de générer, à moyen terme, des productions à diffuser chez les professionnels de l’enseignement (Perrin-Glorian, 2019). Ce projet s’intéresse donc à l'implémentation d’une proposition didactique « complexe » (Wajdi et Lafont, 2020), une forme de pratique scolaire (Mascret, 2010) en course d'endurance pour chaque fin des trois cycles de la scolarité obligatoire (7 ans, 12 ans, 15 ans) ainsi que du post-obligatoire. Nous traitons dans cet article uniquement du dispositif mis en place au cycle 2 (~12 ans). Les données de six enseignant·e·s ont été prises en compte. Trois d'entre elles·eux sont des spécialistes de l’EPS (Genève) et trois sont généralistes (Fribourg et Jura). Au début de l'étude, une séance d'information réunissant, par canton, tous·tes les participant·e·s à l’étude (au total 30 provenant de quatre cantons) a permis aux chercheur·e·s de présenter la forme de pratique scolaire ainsi que la fiche d’observation permettant l'évaluation et de leur communiquer les consignes pour sa mise en place. Par la suite, charge aux participant·e·s de planifier la séquence à leur guise (période dans l’année, durée) avec deux contraintes : premièrement enseigner au minimum 4 leçons sur la thématique et deuxièmement utiliser la forme de pratique scolaire pour l’évaluation sommative. Dans chaque classe, 4 leçons ont été filmées, dont obligatoirement la première et la dernière. Un entretien d'auto-confrontation a été réalisé à la suite de la deuxième leçon filmée, afin de pouvoir entrer dans la logique d’enseignement des sujets et de collecter suffisamment de données permettant une sélection pertinente d’extraits vidéo à analyser. Un entretien final semi-directif a été mené après la dernière leçon, dans le but de recueillir des informations en lien avec les objectifs de la recherche, notamment les éléments liés à l’évaluation.
Lors de la réalisation de la FPS, les élèves étaient répartis en binômes, un·e coureur·se, un·e observateur·trice. La course démarrait au signal de l’enseignant·e. Toutes 1’30’’, elle·il sifflait pour avertir les observateur·trice·s. L’élève-observateur·trice avait pour responsabilité de relever sur la fiche le nombre de cônes franchis par séquence de 90’’ ainsi que les éventuels arrêts (tableau 1). Ainsi, l’élève qui franchissait dix balises en 1’30’’ avait couru 250 mètres à une vitesse moyenne de 10km/h.
Points-vitesse : par séquence de 1’30, l’élève reçoit : - 1 point pour une vitesse = 10 Km/h (zone orange) - 2 pts lorsqu’il a couru à ≥11 Km/h (zone verte). Il ne marque pas de points à des vitesses inférieures à 10 Km/h. Max. = 16 pts.
Résultats et discussion
Pour la présente étude, la focalisation s’est faite sur l’exploitation de la FPS durant toute la séquence d’enseignement-apprentissage et sur l'utilisation de la fiche de l'élève par les enseignant·e·s. Le tableau 2 donne un aperçu par enseignant·e de la durée de la séquence, ainsi que de l'utilisation de la fiche d’observation.
Suivant l’injonction des chercheur·e·s, tous les sujets ont utilisé la fiche lors de l'évaluation sommative. Les trois enseignant·e·s du canton de Genève l'ont mise en main des élèves à la première leçon, parfois avec certaines adaptations matérielles ou temporelles par rapport à la FPS, qui sont précisées dans la colonne « Adaptations de la FPS ». Tous·tes les enseignant·e·s ont donc utilisé la fiche au moins une fois avant la dernière leçon.
Grâce aux entretiens semi-directifs, il a été possible de déterminer l'intention des sujets lorsque la fiche d’observation a été utilisé. Le tableau 2 indique que la raison principale, invoquée par l’ensemble des enseignant·e·s, résidait dans le fait que les élèves devaient s’approprier l’outil jugé complexe à utiliser, pour permettre un recueil correct des résultats. Certains propos comme « [j'ai utilisé la fiche] pour voir si les élèves ont compris comment remplir le document » (sujet F1) ou « … pour faire comprendre le parcours et l'utilisation de la grille, difficile avec cette classe » (F3) vont dans ce sens.
Le projet de mise en réflexion des élèves a été un élément évoqué par trois sujets. F2 mentionne qu’« après la leçon 5, une discussion a eu lieu en classe pour analyser un exemple de fiche d'élève, pour prendre conscience de sa propre situation » ; H2 indique, quant à lui, avoir ressorti la fiche lors des leçons suivant [la première] pour « voir les résultats, parler des points ». Pour F4, « dès le départ l'observation est plus fine. L'aide est plus fine aussi » grâce à la fiche, qu'elle a utilisée à la deuxième leçon de sa séquence déjà. Nous constatons donc que pour ces trois sujets, le « temps d’arrêt » préconisé par Allal (citée dans De Ketele, 1993), permettant de faire un diagnostic, ou cette phase de « mobilisation cognitive » évoquée par Le Bas (2006) ont été mis en pratique. Cependant, il semble que si des régulations ont eu lieu par la suite, celles-ci n’ont pas été instiguées par les enseignant·e·s, même si nous n'avons pas toutes les informations sur ce processus, étant donné que toutes les leçons n'ont pas été filmées.
A une seule reprise, l'utilisation de la fiche avait pour but de recueillir des traces afin d’évaluer la progression. C'était en effet le cas pour H1, qui a proposé la FPS d'une durée de 6 min à la leçon 1, de 9 min à la leçon 2 et de 12 min à la dernière leçon. Les données ne permettent toutefois pas de préciser de quelle manière la progression a été prise en compte avec des durées à chaque fois différentes. Il semble que le critère de progression, important pour Le Bas (2006) - qui stipule que l'élève doit pouvoir se référer à un projet permettant des progrès personnels pour qu'elle·il entre véritablement dans une relation au savoir – n’a été que peu pris en compte par les enseignant·e·s de cette étude. Nous pouvons donc dire que la situation de référence (la FPS), pour les sujets qui l'ont mise en pratique lors de la première leçon, a plutôt permis une mise en projet donnant du sens à la séquence.
Conclusion
Il ressort de cette étude que l'outil de recueil de données pour l’évaluation mis à disposition des participant·e·s est principalement utilisé pour apprendre aux élèves à collecter correctement les traces. Ainsi que le démontre le tableau 2, la FPS, avec des adaptations, a été exploitée par quatre enseignant·e·s en début de séquence, et trois déclarent vouloir provoquer une prise de conscience de leur résultat chez les élèves. Seul un sujet affirme vouloir prendre en compte la progression. Force est de constater que le support proposé n’est que peu exploité pour des visées formatives durant la séquence d’enseignement-apprentissage. Or, la réalisation de la FPS à différents moments de la séquence devrait permettre de recueillir des données quant aux performances et à la progression des élèves. Ces traces, dans le dispositif d’EsA tel que défini par Allal et Laveault (2009) devraient ensuite faire l’objet d’analyse, tant par les élèves pour s’engager dans des réflexions de nature stratégique que par l’enseignant·e pour réguler les apprentissages en élaborant des tâches non seulement orientées vers l’atteinte de la compétence, mais également adaptées à chaque élève. Ces premiers constats d’une étude encore en développement questionnent quant aux exploitations possibles de l’évaluation au sein d’une séquence d’enseignement. Les enseignant·e·s du terrain démontrent quelques difficultés à penser l’évaluation comme véritable soutien de l’enseignement-apprentissage durant toute la séquence.
Il semble primordial, dans l’École d'aujourd'hui, de pratiquer une évaluation qui se veut être un outil tant pour l'enseignant·e que pour l'élève. L’évaluation n’est pas encore exploitée dans toutes ses possibilités pour contribuer à la mise en projet des élèves. Toutefois, certain·e·s enseignant·e·s ont œuvré dans cette perspective, en intégrant des moments de réflexivité avec les élèves. Cela nous semble être une piste prometteuse vers une éducation physique engageant les élèves dans des situations d’apprentissage riches de sens et les enseignant·e·s dans une prise d’informations essentielles pour une évolution adéquate de la séquence d’enseignement.