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Marketing territorial et patrimonialisation : l’influence de la maison de mode Jacquemus sur la gouvernance du tourisme urbain marseillais
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Quel est le rôle joué par les industries créatives dans le(s) processus de marketing territorial ? Les détracteurs avancent que ce type de politique est souvent appliqué de manière descendante par les collectivités territoriales et ne considère pas le positionnement des acteurs privés. Le présent article vise à mitiger cette remarque. Notre recherche est fondée sur une étude de cas unique et localisée (la marque Jacquemus et la ville de Marseille) et repose sur des hypothèses fortes : les industries de la mode seraient vecteurs d’un phénomène de patrimonialisation et agiraient en qualité d’amplificateurs du potentiel touristique des villes. Les données utilisées sont à la fois qualitatives (entretiens ethnographiques et archives) et quantitatives (analyse de réseaux sociaux et de flux touristiques). L’étude des modalités opérationnelles, des stratégies d’action ainsi que des pratiques communicatives du brand permet non seulement d’examiner la construction de la ville et du lieu urbain en tant que marchandise patrimoniale, mais aussi de saisir l’influence de cette firme dans les processus de gouvernance du tourisme urbain marseillais.
Abstract
What degree of involvement do creative industries have within the territorial marketing process(es) ? Critics argue that this type of policy is often applied through a top-down approach by local authorities and does not consider the positioning of private actors. This article aims to mediate this position. Our research is based on a unique and localized case study (the Jacquemus brand and the city of Marseille) and is founded on key hypotheses: the fashion industries may be vectors of ‘heritagization’ and may act as city boosters increasing urban tourism potential. The data used are both qualitative (ethnographic interviews and archives) and quantitative (analysis of social networks and tourist flows). The study of the executive modalities, the business strategies as well as the communicative practices of the brand allows us not only to examine the construction of both the city and the urban place as a heritage commodity, but also to understand the influence of this firm in the governance processes related to urban tourism in Marseille.
Table des matières
INTRODUCTION
1Dès les années 2000, la participation des firmes privées aux processus de marketing territorial, s’est accrue sans pour autant s’institutionnaliser. Ces dynamiques témoignent d’une insertion non encore assumée des acteurs à but lucratif aux instances de gouvernance urbaine. L’étude des maisons de mode, permet de saisir pleinement l’influence et le rôle des industries créatives dans les phénomènes de « mise en patrimoine » d’espaces urbains. Notre recherche, fondée sur un cas unique et localisé (la marque Jacquemus et la ville de Marseille), repose sur une hypothèse forte : les industries de la mode agiraient en qualité d’amplificateurs du potentiel touristique des villes. Notre article est structuré selon deux temps de réflexion et s’articule autour d’une double question de recherche :
2- Pourquoi et comment les maisons de mode, et plus précisément la marque Jacquemus, participent au(x) processus de promotion territoriale ?
3- De quelle manière les modalités opérationnelles, les stratégies d’action ainsi que les pratiques communicatives de ces firmes influencent le marketing urbain ?
4La première partie examine la notion de marketing territorial en insistant en particulier sur la nature marchande et intéressée (axée sur le client) de ces pratiques. Suit un examen de la déclinaison opérationnelle des stratégies d’action de marketing (et notamment de city branding). Nous verrons que la valorisation et la promotion des territoires reposent majoritairement sur les biens patrimoniaux locaux, qui sont conçus comme des ressources. La dimension marchande et performative des éléments patrimoniaux semble primer sur celle constitutive et préservative. Ces mécanismes d’industrialisation du patrimoine révèlent cependant une tension paradoxale entre les objets de patrimoine - non marchands ni échangeables - et le phénomène de capitalisation des biens patrimoniaux. Dans ce cadre nous nous intéressons en particulier à l’émergence de valeurs patrimoniales au sein d’espaces ou « objets » urbains (monuments, quartiers, paysages, etc.). Un focus est fait in fine sur les modèles de gouvernance urbaine qui abritent ces pratiques de marketing territorial : les instances de participation sont hybrides et multi-parties prenantes avec une forte composante privée - ce qui explique l’importance accrue du rôle des industries de la mode dans ces écosystèmes. Des exemples concrets de politiques de branding urbain adoptées par des maisons de mode sont dans ce cadre convoqués afin de replacer l’étude de cas choisie dans un contexte international plus large.
5Dans la deuxième partie, nous présentons une étude de cas qui illustre les mécanismes et les possibilités de participation des maisons de mode aux politiques de marketing et branding du territoire. Nous évaluons en particulier l’influence des méthodes de marketing (propres aux industries de la mode) sur les actions de marketing territorial. L’étude se base sur une analyse approfondie des modalités opérationnelles, des stratégies d’action ainsi que des pratiques communicatives d’une firme spécifique. Suite à une mise en contexte historique et géographique de la ville de Marseille et de la marque Jacquemus, nous proposons une interprétation des résultats issus des observations empiriques quali-quantitatives conduites en insistant sur les formes de participation de la firme Jacquemus aux stratégies de branding territorial et sur les répercussions de ces dernières sur le territoire marseillais.
6Trois axes d’observations ont été privilégiés, à savoir : les liens entre le processus de branding territorial et les stratégies de marketing de la firme, les résultats positifs liés à l’adoption d’outils de marketing traditionnel dans le cas de la ville de Marseille (notamment en termes de gouvernance du tourisme urbain), ainsi que les limites qui découlent de telles pratiques.
7Nous verrons en effet que la valorisation et la promotion des territoires portées par cette marque dépasse le cadre purement urbain et repose majoritairement sur une « mise en image idéaltypique » du territoire du « sud de la France » dans le but de provoquer des associations positives et globalisantes en termes de style vestimentaire, de mode de vie ou de paysage.
Design méthodologique et sources
8L’article s’appuie sur une méthode de recherche composite : les sources utilisées - quali-quantitatives - permettent d’analyser les modalités opérationnelles, les stratégies d’action ainsi que les pratiques communicatives adoptées par la marque de mode Jacquemus dans le cadre du marketing territorial. L’étude de cas a été sélectionnée de manière spécifique afin de pointer le phénomène de construction de la ville et du lieu urbain en tant que marchandise patrimoniale.
9Les données qualitatives, se réfèrent essentiellement aux éléments d’information issus des deux séries d’entretiens menés avec 8 acteurs au total, respectivement en 2018 et en 2020. L’ordre de ces derniers a été dicté par une progressivité actorielle prédéfinie : dans un premier temps, nous avons interviewé via une méthode semi-directive les gestionnaires de territoires (notamment les instances de Direction de l’Office du tourisme et des congrès de la ville de Marseille ainsi que les anciens membres du Secrétariat général de la Mairie de Marseille). L’objectif était de saisir les stratégies urbaines - opérationnelles et communicationnelles - des décideurs locaux, notamment à l’issue de l’attribution du titre de « Capitale européenne de la culture » en 2013.
10Dans un deuxième temps, l’attention a été portée à la maison de mode étudiée et ses représentants : le créateur Simon Porte Jacquemus - ainsi que les équipes de la cellule marketing du brand - ont été enquêtés en format distanciel via une méthode non-directive1 au courant du deuxième semestre de l’année 2020.
11Par ailleurs, les archives du Fonds de dotation Maison Mode Méditerranée (MMM) ont été également consultées à la même période afin de connaitre les détails du contenu et de l’organisation de la deuxième édition du Festival OpenMyMed (Marseille 2017). Un intérêt particulier a été notamment accordé aux différentes composantes de l’exposition « Marseille je t’aime » by Jacquemus, à savoir : la double exhibition « Maisons » et « Archives » au Musée d’Art contemporain (MAC) et « Images » au musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM).
12Les informations obtenues, ont été croisées avec des sources de deuxième main issues notamment des deux livres édités par le créateur respectivement en 2017 (« Marseille je t’aime ») et en 2020 (« Marseille - Images ») ainsi que des documentaires produits par le journaliste spécialisé dans la mode Loïc Prigent portant sur les défilés et les collections de la marque Jacquemus réalisés entre 2017 et 2021. La principale limite de cette partie de l’étude porte sur l’échantillon d’acteurs retenus : des travaux plus substantiels en la matière, mériteraient d’inclure dans la liste des interviewés, les gestionnaires des musées et des fondations ayant hébergé l’exposition « Marseille je t’aime » by Jacquemus.
13Concernant les données quantitatives, elles ont été mobilisées pour analyser les flux touristiques et les réseaux sociaux. Dans le premier cas, il s’agissait de mesurer et qualifier la graduelle augmentation du nombre de visiteurs/touristes sur le territoire marseillais dans le quinquennat 2013 - 2018 (derniers chiffres disponibles). L’analyse s’est basée sur une l’étude de données issues de l’INSEE, des Comités Régionaux du Tourisme (CRT) ainsi que des Agences de Développement Touristique départementales (ADT).
14Les statistiques de fréquentation du Musée d’Art Contemporain (MAC) ont été également analysées afin de confirmer l’une des hypothèses de notre recherche - à savoir que l’attractivité touristique d’un musée est accrue lorsque des exhibitions de mode y sont présentées.
15S’agissant des réseaux sociaux, nous avons analysé la page Instagram Jacquemus. L’étude, conduite manuellement, suit une trame d’analyse binaire focalisée sur la stratégie et le positionnement de la marque. Pour chaque photo publiée, nous avons pris en compte les éléments suivants : l’identité géographique, le type de public visé ainsi que les codes de la communication d’entreprise adoptés. Le choix du Social Network Instagram a été dicté par l’usage savant que le créateur Simon Porte Jacquemus en fait : avec 3,2 millions de followers, il s’agit du principal moyen de communication adopté par la marque. La période de consultation du réseau se situe entre novembre 2020 et février 2021 - les documents consultés (images et descriptions) ont été produits et publiés entre 2012 (ouverture de la page) et 2021 (lancement de la campagne publicitaire pour la collection estivale « L’amour »).
I. MARKETING TERRITORIAL : L’INSERTION DES INDUSTRIES DE LA MODE DANS LES STRUCTURES DE GOUVERNANCE URBAINE
A. Le marketing territorial : des politiques urbaines promotionnelles centrées sur le client
16Le marketing territorial désigne l’adaptation d’outils de marketing de grande consommation à des sites particuliers tels que ceux des « villes, des États ou des Nations » (Kotler et al., 1993). Les sciences géographiques se sont emparées rapidement de ce concept en restreignant son périmètre de référence, qui devient essentiellement urbain, et en lui conférant une dimension promotionnelle (Ashworth et Voogd, 1990). À partir des années 1980, les gouvernements locaux s’appuient régulièrement sur ces méthodes en les intégrant à la gestion territoriale afin d’augmenter l’attractivité des villes sponsorisées. Depuis, l’usage de ces pratiques venues du monde de l’entreprise, n’a pas cessé d’augmenter (Lucarelli et Berg, 2011) malgré l’émergence de criticités : homogénéisation du paysage et de la population urbaine (Kavaratzis, 2008), faiblesse des propositions de valeur (Ashworth et Voogd, 2009), application descendante excluant un grand nombre de parties prenantes (Bennett et Savani, 2003), etc.
17Le bilan reste tout de même ambivalent : indépendamment de la nature exogène (comme les touristes, les investisseurs) ou endogène (les résidents et les entreprises locales) des publics récipiendaires et de leur implication concrète, la vocation des pratiques de marketing territorial reste essentiellement marchande - axée vers le client et vers sa demande (Greenberg, 2008). Parmi les multiples approches du territoire en tant qu’objet de marketing identifiés dans la littérature (Hankinson, 2001), nous nous intéressons dans le cadre de cet article au marketing territorial comme outil de définition à la fois d’une destination touristique (Caldwell et Freire, 2004) et d’un lieu de production d’imaginaires, d’idées et d’attentes urbaines (Lucarelli et Berg, 2011).
B. Patrimoine et valorisation des territoires : la déclinaison opérationnelle des stratégies d’action
18Pour traiter la représentation des espaces, le marketing territorial s’intéresse non seulement aux endroits physiques, mais également à l’image et à la représentation de ces derniers (Kavaratzis, 2008). Pour ce faire, des stratégies opérationnelles spécifiques de city branding sont adoptées : il s’agit de processus visant à créer des marques pour les territoires « dans l’optique de provoquer des associations positives et distinctives par rapport aux autres endroits » (Eshuis et Klijn, 2012). En particulier, les marques territoriales incarnent des constructions symboliques visant à renforcer le sens, l’intérêt ou la portée culturelle des villes (Braun, 2008) en leur conférant une visibilité accrue dans un contexte international hautement compétitif (Maisetti, 2013). Les marques territoriales endossent des fonctions ambivalentes : « défensive et de différenciation d’un produit - d’un côté, symbolique et identitaire - de l’autre » (Rochette, 2012).
19La valorisation des territoires repose majoritairement sur les ressources patrimoniales et sur la mise en tourisme de ces dernières. Dans ce cadre, les processus de patrimonialisation constituent des outils territoriaux majeurs et sont mobilisés comme marqueurs de distinction de la territorialité. En particulier, le marketing territorial insiste sur la dimension proprement économique, qui correspond à la valeur d’échange et d’exploitation du bien patrimonial (Greffe, 2000). Cette logique marchande semble aller au détriment de la logique de préservation symbolique et culturelle de l’héritage : « La valorisation du patrimoine s’inscrit en effet de plus en plus dans une démarche-produit, l’aménagement urbain, associé au star-système de l’architecture contemporaine, adopte une logique de promotion de marque de la ville » (Violier, 1999). La congruence entre les politiques patrimoniales et celles de marketing territorial permet non seulement de légitimer les transformations matérielles apportées au tissu urbain, mais aussi de valoriser des stratégies politico-économiques de « mise en image » de la ville, visant à attirer de nouveaux acteurs dotés en capitaux (e.g. processus de touristification).
C. Des modèles de gouvernance urbaine aux morphologies hybrides : le rôle des maisons de mode
20Une correcte compréhension des différentes pratiques de marketing territorial passe également par la prise en compte des divers processus sociaux (et actoriaux) qui ont participé à la genèse et à la progression de l’acte de promotion de la ville. Suivant l’approche sociologique dit systémique (Crozier et Friedberg, 1977) nous considérons que toute politique (de marketing ou de mise en patrimoine) induit des modifications dans la configuration du système (Elias, 1981) au sein duquel ces actions se produisent. Ces politiques interviennent dans des réseaux de gouvernance composés d’acteurs réciproquement interdépendants. Plusieurs acteurs (entreprises, associations de résidents, organisations publiques, etc.) sont susceptibles de s’affirmer pour créer et produire des offres urbaines. Les opérations de création de marques territoriales témoignent de l’existence de modèles de gouvernance urbaine aux morphologies hybrides et multi-parties prenantes.
21Chaque acteur peut donc intégrer les instances de gouvernance urbaine pour « donner une forme aux intérêts locaux, aux organisations et aux groupes sociaux … et développer des stratégies plus ou moins unifiées en relation avec le marché, l’État, les autres villes et les autres niveaux de gouvernement », (Le Galès, 1995). Cependant, compte-tenu de la familiarité aux techniques de marketing, certains acteurs, notamment les firmes privées à but lucratif, peuvent être plus à même de participer aux processus de promotion territoriale. Les maisons de mode en particulier entretiennent un rapport étroit avec les villes. Malgré les points de convergence avec les industries « créatives » (Caves, 2000) nous insistons ici sur le rôle spécifique joué par les industries de la mode dans les politiques de marketing territorial (notamment du fait du rapport qu’elles entretiennent avec le(s) patrimoine(s)). Les industries de la mode produisent des biens avec un fort degré de créativité, mais situés hors du domaine traditionnel de la culture. Cette dernière joue cependant un rôle central dans l’économie de la mode (Barrère et Santagata, 2005) puisqu’elle stimule une dynamique synergique entre la créativité et le patrimoine (Barrère, 2007). La littérature témoigne de la contribution active des maisons de mode aux process de branding territorial. Elles participent à la compétitivité des villes (Crewe et Beaverstock, 1998) et jouent un rôle important dans la revitalisation des territoires urbains (Mommaas, 2004). Très impliquées dans la valorisation touristique et patrimoniale des lieux (Jansson et Power, 2010), elles alimentent des phénomènes de captation du capital culturel et des « classes créatives » (Florida, 2002 ; Vicari et Haddock, 2010 ; Lazzeretti, 2012) ou encore des formes de création d’images et de mythes capables de conférer aux villes une verve iconique et internationale (Jansson et Power, 2010).
22Sont ici convoqués des exemples de liens entre les politiques de city branding et les maisons de mode afin de replacer notre étude de cas dans un contexte international plus large. La littérature s’est notamment focalisée sur le rôle stratégique endossé par les événements éphémères (défilés, salons et annexes, expositions temporaires, etc) dans la promotion des territoires. En particulier, la relevance des événements de la mode dans la reconstruction de l’image de villes « dangereuses » (Ceballos et al., 2020), dans la valorisation touristique urbaine (Chilese et Russo, 2008) ou encore dans le renforcement des imaginaires touristiques (Aiello et al., 2016) est évoquée de manière récurrente. Par ailleurs, l’étude de cas proposée par Dan Jason Calinao et Hui-Wen sur l’exposition temporaire « McQueen: Savage Beauty » (2015 - Musée Victoria and Albert Museum à Londres), démontre l’existence d’un fort lien de causalité entre les exhibitions de mode et l’augmentation massive du nombre de visiteurs du musée.
23Cet article constitue une fenêtre d’opportunité pour des futures recherches en la matière. Toutefois, encore peu de travaux se sont intéressés à l’émergence de valeurs patrimoniales au sein d’espaces ou « objets » urbains (monuments, quartiers, paysages, etc.) qui surviendrait à l’issue d’actions de marketing du territoire portées par les maisons de mode. L’objectif de cet article est double : permettre un éclairage sur la manière dont le patrimoine est produit et inscrit dans des récits de marque, mais aussi saisir l’influence de ces firmes dans les processus de gouvernance du tourisme urbain.
II. LE CAS DE LA VILLE DE MARSEILLE ET LA MARQUE JACQUEMUS : L’ÉMERGENCE D’UNE IDENTITÉ DE MARQUE TERRITORIALE INÉDITE
A. Les conditions de production des politiques d’attractivité à Marseille : un guêpier institutionnel
24Confronté à un contexte de crise du complexe industrialo-portuaire, le territoire marseillais lance, au début des années 1990, une Opération d’Intérêt National (OIN) nommée Euroméditerranée dans l’objectif de faciliter la transition post-fordiste grâce à des projets d’aménagement urbain. La prise de conscience du manque d’attractivité pour le territoire est rapide, elle vient se greffer à un contexte trans-métropolitain hautement concurrentiel. Dans ce cadre donc, la politique de valorisation territoriale vise à répondre aux besoins de distinction, mais également aux logiques de compétition des territoires. Depuis le milieu des années 2000, les décideurs locaux soutiennent systématiquement des opérations de communication ciblées. En 2007, la stratégie de narration s’affine grâce à une méthode de « mise en récit des faiblesses » : la communication venant se focaliser majoritairement sur les carences socio-culturelles de la ville (performances économiques médiocres, préjugés négatifs en termes de réputation et image, enjeux sécuritaires, isolement social, etc.) (Maisetti, 2013).
25La démarche est bénéfique. En 2008, Marseille acquiert le titre de « Capitale européenne de la culture » pour l’année 2013 en s’inscrivant dans un mouvement de métropolisation du territoire (le territoire culturel Marseille-Provence 2013 se compose en effet de 97 autres communes). L’échéance de 2013 vient s’insérer dans un agenda institutionnel déjà bien rempli (Forum mondial de l’eau en 2012, Euro de football en 2016, etc.). Toutefois, l’obtention du label permet aux décideurs locaux d’asseoir légitimement de nombreux travaux de transformation urbaine. Une cohérence d’ensemble est ainsi assurée même pour des projets qui relèvent de logiques distinctes (e.g. un musée national (MuCEM), une salle de spectacle (Silo), la restructuration du stade (Vélodrome), etc.). Les travaux de Christine Liefooghe sur le cas de Lille (nommée à son tour « Capitale européenne de la culture » en 2004) mettent en lumière les retombées positives de l’attribution de ce titre sur l’image, l’attractivité, le tourisme et l’emploi de la ville bénéficiaire (Liefooghe, 2010). Concernant la cité phocéenne, une vive politique de marketing territorial est mise en place : l’usage massif de techniques de marketing et branding témoigne notamment de l’accélération des initiatives visant à accueillir de nouveaux « clients » (investisseurs étrangers, touristes, « classe créative ») - (Florida, 2002) sur le territoire. Le lancement du logo « Marseille on the move » - attribué aux entrepreneurs locaux qui contribuent à requalifier l’image de Marseille, ou encore la promotion du slogan « Ma ville accélère » - visant à promouvoir l’avancée des chantiers architecturaux ne sont que des exemples des outils de marketing mobilisés.
26Le bilan des initiatives de branding urbain au sein du territoire marseillais reste mitigé. Les études d’évaluation et d’impact sur la ville (Maisetti, 2013) mettent en avant la complexité du paysage institutionnel qui empêcherait l’adoption d’une identité marquetée unique, ce qui a été confirmé par les entretiens conduits lors de la rédaction de cet article. Les politiques d’attractivité sont en effet portées par un groupe hétéroclite d’acteurs (experts, entrepreneurs locaux, influenceurs) et par des institutions multiples (collectivités locales, agences de développement, offices du tourisme, etc.). La mobilisation autour d’une « cause métropolitaine » commune est rendue particulièrement ardue par la fragmentation du modèle de gouvernance qui alourdit la prise de décision et les éventuelles formes de collaboration. Cependant, indépendamment des acteurs qui participent au projet, il convient de noter que la fabrique de la marque territoriale est faite suivant le tournant « créatif » des politiques de la ville (revalorisation du patrimoine, reconversion communicationnelle de lieux ou espaces urbains et usage de la culture comme véhicule de restauration de l’image marseillaise).
B. Jacquemus, la mise en récit d’une identité territoriale axée sur le style : restituer « l’essence » de Marseille
27« Je m’appelle Simon Porte Jacquemus, j’aime le bleu et le blanc, les rayures, le soleil, les fruits, la vie, la poésie, Marseille et les années 80 ». C’est ainsi que le styliste, présente sa marque, Jacquemus, sur les réseaux sociaux. Fondée en 2009 avec des moyens frugaux, la firme suit une trajectoire ascendante : en 2010, ses créations simples et minimalistes sont remarquées à l’occasion de la Vogue Fashion Night out. En 2011, il attire l’attention des médias investissant les abords du défilé Dior lors de la Fashion Week parisienne avec une bande de mannequins vêtues de sa collection « Ouvrière », brandissant une « grève du style ». L’épisode fait scandale, mais précipite son succès : l’année suivante, en 2012, Jacquemus fait son entrée à la Paris Fashion Week, devenant ainsi le plus jeune créateur de la semaine de la mode française. Son talent est récompensé ; en 2017, il se voit attribuer le prestigieux prix spécial du jury au Prix LVMH (un concours international à destination des jeunes créateurs de la mode). Arrivée à sa dixième année, en 2019, la firme a pris désormais ses marques. Avec un chiffre d’affaires annuel estimé entre 23 et 25 millions d’euros pour l’année 2019)2, elle dispose de 450 points de vente dans le monde entier, Jacquemus a acquis une réputation mondiale dans le panorama de la mode. Du point de vue stylistique, la marque propose des créations aux caractéristiques minimalistes et accessibles, des tissus pauvres (dit « de travail »), des coupes simples mais originales et des imprimés qui rappellent les années 1980 avec des renvois aux univers des films de Jacques Tati ou de Louis Malle)3, (Geais, 2015).
28Les produits se veulent inhérents à une mode « naïve » et fortement territorialisée : Jacquemus propose une mise en récit d’une identité urbaine fondée sur la notion de « style ». L’attachement du créateur à sa région natale se retrouve dans toutes ses créations : né à Salon-de-Provence, il puise dans ses racines et fait du sud de la France l’un des matériaux principaux de ses collections. Les références aux couleurs, aux rayures de cabanes, à la nature ainsi qu’à la culture populaire traditionnelle sont systématiques. La mise en récit de l’identité territoriale de la marque passe par une triple stratégie : la différenciation vis-à-vis de la « référence à la Parisienne », la définition d’un style marseillais et la scénarisation d’un paysage, d’une iconographie et d’un imaginaire commun.
29Dans le premier cas, l’objectif est de se dédouaner des règles imposées par la fashion city par excellence qui détient le monopole du style et de la mode en France - à savoir, Paris : « The south of France is where I’m from. This is really my aesthetic. For me, to have this voice saying … I’m from somewhere else, I’m not from Paris. It’s really important the message you send. This says you can be independent » dira le styliste lors d’un entretien auprès du Financial Times (Fury, 2019). Dans le deuxième cas, le style vestimentaire, tout comme le « mode de vie » de la ville de Marseille, est pointé. En 2018, Jacquemus annonce l’arrivée d’une collection homme et choisit son sud natal, au cœur de la calanque de Sormiou, pour présenter sa collection. La vocation de la marque devient ainsi plus précise : restituer l’« essence » de Marseille. Les invités, assis sur des serviettes de plage positionnées sur des gros rochers donnant sur la Méditerranée, assistent ainsi à un défilé visant à représenter la diversité des hommes du sud de la France. Des mannequins aux origines ethniques variées incarnent le style de la ville : des vêtements décontractés ou des maillots de bain aux teintes sablées, des dégradés de bleu ou encore des imprimés avec des olives et des oranges caractérisent l’intégralité de la production. L’atmosphère des collections renvoie par ailleurs à un mode de vie authentique et détendu : les pieds nus, les participants sont directement intégrés à un paysage urbain.
30Plus globalement le style marseillais se traduit à travers des références provençales comme des motifs végétaux, des scènes picturales de natures mortes, des imprimés façon carrelage de cuisine ou carreaux inspirés des nappes de grand-mère : un arrière-goût de terroir et authentique. Dans le troisième cas, les processus de scénarisation des événements (ou des campagnes publicitaires) se fondent sur des paysages marseillais ou de façon plus générique « du sud ». Les récents défilés Jacquemus (2019-2020), l’un avec pour seule scénographie un long tapis rose fuchsia au milieu d’un champ de lavande en Provence, l’autre avec un champ de blé comme unique podium, témoignent de cette forte revendication identitaire territoriale (Hobbs, 2019).
31La valorisation du territoire de la part du brand passe également par des productions et événements qui dépassent le cadre vestimentaire. En 2017, Jacquemus rend hommage à la ville de Marseille avec le lancement du livre « Marseille je t’aime » à la Cité Radieuse. Invité d’honneur du festival « OpenMyMed » à Marseille, le styliste présente, à l’occasion du projet « Marseille je t’aime », plusieurs exhibitions au sein de lieux culturels et symboliques pour la ville (respectivement l’exposition « Maisons » et « Archives » auprès du Musée d’Art Contemporain (MAC) et l’événement « Les Santons de Provence » au sein du MuCEM). Plus récemment, et de manière officieuse, Jacquemus a profité de la période de lockdown (due à la pandémie de Covid-19) pour publier sur ses propres réseaux sociaux un mini-guide de la ville de Marseille, intitulé « Mon Marseille », visant une fois de plus à promouvoir la richesse culturelle du territoire, notamment avec des vidéos sur l’architecture marseillaise (dont l’emblématique Unité d’Habitation de Le Corbusier). Avec un suivi de 3,2 millions de followers sur le réseau Instagram, Jacquemus arrive ainsi à véhiculer à grande échelle des campagnes promotionnelles du territoire marseillais. L’ensemble de ces outils rentrent clairement dans le cadre des définitions du marketing territorial urbain (privé). Le créateur se met en scène lui-même reproduisant un cadre familial et partageant des moments personnels de vie. Les images de Simon Porte Jacquemus visent à aplatir toute distance entre la marque et le consommateur dans le but de désacraliser le vêtement de luxe pour le rendre plus accessible (et donc consommable). Les contenus de la page, se réfèrent en particulier à une audience féminine, urbaine et urbanisée, comprise entre les 25 et les 35 ans, mais pas exclusivement française. Bien que l’image de la femme sudiste ou du gadjo marseillais soit explicitement recherchée et promue par la marque, le public de followers de la page est de plus en plus internationalisé : les recherches conduites par l’autrice en octobre 2020 montrent par exemple une forte composante de followers d’origine étasunienne (environ le 40 % du public de la page Instagram du créateur). Cette donnée est particulièrement importante si comparée aux données statistiques présentées dans le dernier paragraphe de l’article qui insistent notamment sur la forte augmentation de touristes internationaux (surtout américains) au sein de la ville de Marseille en concomitance d’événements et de campagnes promotionnelles organisées par la marque Jacquemus aux mêmes périodes.
32L’étude approfondie du corpus d’images, vidéos et descriptions venant de la page Instagram Jacquemus, a permis par ailleurs de confirmer la coloration géographique de la marque et de ses produits. La grande prépondérance des images venant du « Sud » de la France et l’usage récurrent de paysages bucoliques (champs de céréales ou de lavande) ou marins (Calanques et réserves naturelles) assoit un modèle de communication d’entreprise qui se veut direct (sans filtres), chaleureux (intime) et géographiquement connoté (localisé). Au programme, un modèle de création de contenus hybride : le brouillage des contenus est un élément constant de la page. Les images d’enfance ou encore de la famille du créateur - privées - acquièrent le même rang - et la même popularité - des campagnes publicitaires à but lucratif.
33Dans ce cadre, Marseille est notamment convoquée non seulement en guise de décor paysager pour les mannequins, mais aussi en qualité de destination touristique. Le créateur intervient en qualité de promoteur de la ville, en s’insérant dans le panorama des entrepreneurs touristiques via la publication régulière de micro « City Guides » (partage de conseils et de bonnes adresses à Marseille).
C. La convergence des imaginaires des marques : Jacquemus comme amplificateur du potentiel touristique de Marseille
34Le cas Jacquemus est exemplaire d’une politique de marketing urbain portée par un opérateur économique privé qui est parvenu à mettre en récit l’identité d’un territoire à partir de la promotion d’une représentation de son style. Globalement, la stratégie marketing développée autour du territoire marseillais a atteint son objectif dans la mesure où la visibilité et l’attractivité territoriales se sont accrues. Si l’on se réfère à l’année 2013 (juste après l’entrée de Jacquemus à la Paris Fashion Week et la massive campagne de communication sur le « style marseillais »), le territoire de Marseille dénombre plus de 10 millions de visites touristiques sur l’ensemble du territoire métropolitain ainsi qu’une hausse de 8 % des nuitées passées dans les hôtels régionaux (CCI Marseille-Provence, EUREVAL, 2014, MP13). Ces chiffres doivent toutefois être relativisés, car ils viennent s’imbriquer avec la nomination de Marseille « Capitale européenne de la culture » (lancée la même année). La tendance positive concernant l’augmentation des flux touristiques continue toutefois de se renforcer dans les années successives - notamment en concomitance des événements et exhibitions organisées par la marque Jacquemus. Les chiffres annuels de fréquentation du Musée d’Art Contemporain (MAC) entre 2016 et 2017 (année de l’exposition « Marseille je t’aime » by Jacquemus) ont plus que doublé passant respectivement de 20 541 à 51 213 visiteurs (Observatoire local du tourisme - Ville de Marseille 2017). Ces données permettent de confirmer l’une des hypothèses sous-jacentes de notre recherche - à savoir que l’attractivité touristique d’un musée est accrue lorsque des exhibitions de mode y sont présentées. Par ailleurs, la ville de Marseille a connu un record de fréquentation touristique considérable au courant de l’année 2018, en correspondance du lancement de la collection homme du brand Jacquemus. En 2018, l’augmentation de la clientèle étrangère a été considérable +3,3 % (contre +1 % en 2017) - (Observatoire local du tourisme - Ville de Marseille 2018). D’ailleurs, les statistiques locales permettent de relever un niveau de granularité d’analyse encore plus fin : au courant de la période mai-juillet 2018 (en coïncidence du premier show de prêt-à-porter masculin Jacquemus), les touristes américains - parmi les plus nombreux followers du créateur - ont été les premiers clients étrangers au sein de la métropole Aix-Marseille.
35À ces premiers résultats s’ajoutent ceux des retombées de la presse : en effet, les nombreux événements organisés par la marque à Marseille, ont créé un écho médiatique national et international conséquent. Les défilés ou exhibitions éphémères, tout comme les campagnes publicitaires, ont contribué non seulement à renforcer/iconiser l’image de la ville, mais ont constitué/constituent également un véritable élément de différenciation par rapport aux autres territoires métropolitains. Les événements de mode aident à définir le positionnement concurrentiel de Marseille (Montanari, 2002) tout en renvoyant une image urbaine accessible et décontractée : « This is not a luxury resort or anything like this, it’s just a paradise for everyone » - dira le styliste à l’issue de son premier défilé homme (Sinclair et Scott, 2018). La réussite de ces événements dépend également du respect de « l’esprit du lieu » entendu ici comme la résultante de l’histoire du territoire et l’évolution progressive des ressources matérielles et immatérielles de la zone.
36Un rôle fondamental dans les pratiques de marketing territorial de la firme Jacquemus est joué par les réseaux sociaux qui sont utilisés pour diffuser une image positive de la ville et attirer de nouveaux visiteurs/clients. Le créateur utilise par exemple sa page Instagram pour partager ses sources d’inspiration dont notamment des paysages ou « objets » urbains inhérents à Marseille : l’approche est résolument promotionnelle. En effet, la réflexion, valide tant pour les produits que pour les territoires, est simple et repose sur une logique marchande « If it’s cute on Instagram, it will sell » (Nelson, 2019). Le choix des lieux représentés donc, est extrêmement sélectif et doit être rentable. Ces opérations se fondent sur un processus d’esthétisation et de mise en scène du lieu ou de l’espace urbain. En particulier, la marque vise à mettre en avant certaines parties de la ville à l’instar des quartiers du Vieux-Port et de la Joliette, ou encore à valoriser la pertinence culturelle des biens patrimoniaux (e.g. la Cité radieuse - inscrite depuis 2016 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ; ou encore le MuCEM lui-même) en occultant les arrondissements les plus pauvres (au Nord de Marseille mais également dans les quartiers hyper-centraux comme à Noailles par exemple). La question de l’exclusion des populations les moins favorisés dans ces pratiques de branding territorial ainsi que le risque de l’uniformisation progressive de l’image et l’identité de Marseille, représentent les deux principales limites des actions de marketing urbain portées par la firme. Il convient par ailleurs de signaler la faible mobilisation de la communauté locale dans la programmation et la participation aux événements « Jacquemus » qui visaient surtout à accueillir des publics externes (touristes). Les critiques inhérentes à l’implication d’acteurs privés dans les politiques d’attractivité territoriale portent notamment sur la mise en avant de logiques de consommation en dépit de préoccupations socio-territoriales plus amples.
37Enfin, la promotion des territoires portée par Jacquemus dépasse le cadre purement métropolitain et semble reposer majoritairement sur une « mise en image idéaltypique » du territoire. La conception de l’espace proposée par cette marque, s’apparente à un paradigme interprétatif lié à la « géographie fluide » (Monnet, 2015) : la notion de lieu est scindée de ses composantes matérielles (l’espace territorial qu’il occupe) (Bertoli et Resciniti, 2013) et par la suite re-contextualisée dans un cadre géographique fluide (Tokatli, 2014). Jacquemus alimente des formes de généralisations géographiques : il se réfère à un imaginaire du « sud de la France » au sens large dans le but de provoquer des associations positives et génériques en termes de style vestimentaire, de mode de vie ou du paysage.
CONCLUSION
38Les résultats de notre analyse confirment ceux de la littérature sur la participation d’acteurs privés aux pratiques de marketing territorial : « l’élite commerciale locale » aurait ainsi un impact dans la définition stratégique des actions (Bennett et Savani 2003 ; Greenberg, 2008). Sur la base de nos observations, nous concluons que le marketing territorial implémenté par les entreprises est centré sur des politiques de promotion du territoire exclusivement orientées vers le client et participe à la production d’un scénario urbain à destination des consommateurs. Bien que les décisions relatives aux travaux de transformation urbaine soient essentiellement prises par des coalitions composées de représentants politiques, les firmes (et les maisons de mode en particulier), s’insèrent de plus en plus dans les structures de gouvernance urbaine, participant tant à la définition d’une image de marque qu’à l’élaboration de politiques de patrimonialisation. Notre étude de cas nous a permis d’analyser les procédures de mise en récit d’une identité territoriale hétérodoxe et non conventionnelle (dans le cas spécifique liée à la notion de style) portée par la firme Jacquemus. Grâce au marketing territorial cette maison de mode a produit (et continue à produire) des représentations urbaines qui impactent les « publics externes » en amplifiant le potentiel touristique de la ville de Marseille. Ce champ est à suivre.
39Il convient de préciser que notre étude est limitée : elle ne prend pas en compte notamment les raisons intrinsèques pour lesquelles les industries de la mode se mobilisent autant pour dynamiser les politiques d’attractivité territoriale, ni les éventuels bénéfices (en termes financiers, réputationnels, médiatiques, etc.) associés à cette mobilisation. Cependant, les raisons de « l’engagement territorial » ainsi que du « sentiment d’appartenance » à un territoire de la part de certains chefs d’entreprises privés ont déjà été largement investigué par la littérature (Miles, 2005).
40L’article ouvre également des pistes de réflexion sur la manière dont les espaces géographiques sont construits et représentés par les maisons de mode : la « Marseille » de Jacquemus dépasse largement les frontières métropolitaines et suit d’autres logiques de découpage territorial, liées à un imaginaire du « sud », qu’il conviendrait d’explorer davantage.
NOTES
411Le créateur a été notamment auditionné à l’occasion d’un cycle de conférences en ligne organisé par le magazine de mode Vogue (Groupe Condé Nast), intitulé « Vogue Global Conversations : Reinvention During The Crisis » (mai 2020).
422Von Bardeleben, E. (2019). Simon Porte Jacquemus : « Il faut trouver l’équilibre pour être unique et portable ». Le Monde, Mis en ligne le 16 septembre 2019 et consulté le 23 février 2021. http://www.lemonde.fr/m-styles/article/2019/09/16/simon-porte-jacquemus-il-faut-trouver-l-equilibre-pour-etre-unique-et-portable_5510978_4497319.html
433Les productions des deux cinéastes français, typiques des années 1980, ont largement influencé l’oeuvre de création de Jacquemus et sont souvent cités directement par le créateur. Sans vouloir établir des liens de causalité trop rapides, il demeure intéressant de constater qu’une partie des films produits notamment par Jacques Tati prend en compte de manière plus ou moins explicite le tourisme de masse : 1953 « Les Vacances de Monsieur Hulot » ; 1967 « Playtime », etc.
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Pour citer cet article
A propos de : Sandra BIONDO
PHD candidate, University of Paris1 Panthéon-Sorbonne (EIREST), Institut français de la Mode, Lecturer, Universitá della Svizzera Italiana – Sciences-Po Paris, Research fellow, Universidad Rey Juan Carlos, Madrid, sandra.biondo@sciencespo.fr