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Les cimetières, des oubliés dans la gouvernance urbaine en Afrique : une analyse à travers la commune urbaine de Ouagadougou au Burkina Faso
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Cet article aborde la problématique des cimetières en ville dans un contexte où les enjeux liés à l’opérationnalisation des fonctions urbaines affichent des priorités différenciées. L’objectif est d’analyser la place du cimetière dans la dynamique urbaine de Ouagadougou à travers les instruments de planification, l’aménagement, la gestion et l’entretien de l’existant. À travers une analyse socio-spatialiste axée sur la collecte et l’analyse des données, il ressort a priori une bonne distribution des espaces funéraires sur le territoire communal. Cependant, les cimetières sont quasiment exigus et saturés. Ils sont dans l’impasse en termes de gestion ; ce qui les expose à des pratiques inciviques. Aussi, les cimetières sont pratiquement marginalisés ou oubliés dans les instruments de planification spatiale. Seulement 9 cimetières sur 21 répertoriés sont inscrits dans les documents d’urbanisme. Les autres cimetières sont créés dans l’informel par les communautés locales sur des réserves foncières non attribuées. Encore faut-il que ces espaces des morts soient considérés comme une des fonctions clés de la ville.
Abstract
This article addresses the issue of cemeteries in the city in a context where the challenges related to the operationalisation of urban functions have differing priorities. The main objective is to analyse, through research, the place of the cemetery in the urban dynamics of Ouagadougou through planning instruments, development, management and maintenance of the existing. Through a socio-spatial analysis based on the collection and analysis of primary and secondary data, a good distribution of burial spaces in the municipality is apparent. However, the cemeteries are almost cramped and saturated. They are at a dead end in terms of management and maintenance, which exposes them to uncivil practices. Also, cemeteries are practically marginalised or forgotten in the commune's spatial planning instruments. Only 09 cemeteries out of 21 listed are registered in urban planning documents. The other cemeteries are created informally by local communities on unallocated land reserves. Yet these spaces for the dead should be considered as one of the key functions of the city.
Inhoudstafel
Introduction
1La question de la définition, de l’organisation et de l’articulation des fonctions urbaines a toujours été une préoccupation majeure aussi bien pour les planificateurs, les décideurs que les citadins. Celles-ci sont souvent perçues d’une part, comme une offre en infrastructures et en services nécessaires à la vie sociale, économique, culturelle et professionnelle et d’autre part, comme une appropriation volontaire ou réglementaire de l’usage de ces infrastructures et services par différents acteurs ainsi que leur articulation sur l’ensemble de l’aire urbaine (Thiolliere, 2016). L’organisation et la dynamique de ces différentes fonctions urbaines sont le reflet de l’organisation institutionnelle et sociale mise en place.
2Le cimetière fait partie des fonctions urbaines. Il participe à la dynamique urbaine à travers plusieurs rôles (Robert, 2015). Selon Damblant (2018), le cimetière constitue un révélateur indéniable de la relation de l’Homme au territoire et aux morts. Il est le lieu privilégié et symbolique de la consolidation des rapports entre les vivants et les morts. La fonction principale du cimetière est d’accueillir les morts, ce qui fait de lui, un lieu à part, que l’on peut estimer sacré ou à protéger (Thiolliere, 2016). Par ailleurs, Flandin (2015) et Philifert (2001) révèlent que les cimetières, tout comme les parcs, squares et jardins, jouent un rôle important dans la trame verte urbaine. Ils participent à la préservation de la biodiversité et à la recomposition de la ville. Le Ministère de l’urbanisme et de l’habitat du Burkina Faso (MUH, 2016, p.32) définit le cimetière comme étant « un espace public, sacré, spécialement aménagé, où après une cérémonie, on enterre des morts dans des tombes individuelles ou lignagères où leur souvenir est généralement signalé par un monument, des symboles ou des inscriptions ».
3Puisqu’il participe à la dynamique urbaine, il est primordial de considérer le cimetière non pas comme un objet isolé dans le tissu urbain, mais dans sa relation aux autres fonctions et espaces urbains. Pourtant, les espaces funéraires en milieu urbain, notamment dans les villes africaines, connaissent de plus en plus un désintérêt qui se fait ressentir au niveau de leur prise en compte dans les documents d’urbanisme, leur aménagement, leur entretien et leur gestion. Ces lieux où doivent reposer « paisiblement » les morts, sont en proie à l’oubli et à une gestion peu civique de la part des pouvoirs publics et des citadins. Aussi, la plupart des cimetières en Afrique sont considérés comme des « non-lieux », des « espaces vides » dans les mentalités des populations locales (Noret, 2017).
4Au Burkina Faso, l’inhumation des êtres disparus est quasiment laissée au bon vouloir des familles qui décident du lieu de l’enterrement, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural. Il en résulte une certaine anarchie d’exploitation et de gestion des sites réservés à cet effet. À Ouagadougou, la capitale du pays, la plupart des cimetières font l’objet de peu d’attention en termes d’aménagement, de gestion et d’entretien. Le constat est que ces espaces funéraires ne bénéficient pas suffisamment d’équipements (clôture, traçage de tombes et de pistes, plaque indicative de tombes, aménagements paysagers). Ils sont également devenus des dépotoirs d’ordures, des lieux de sacrifices et des refuges pour les malades mentaux, les mendiants et des personnes « hors-la-loi » à savoir les délinquants, les voleurs.
5L’urbanisation marquée par la forte croissance démographique et l’étalement incontrôlé de l’espace urbain qu’a connu la ville de Ouagadougou ces deux dernières décennies, influence de plus en plus les espaces funéraires. En effet, selon les résultats du dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH, 2019), la ville de Ouagadougou compte 2,5 millions d’habitants répartis sur une superficie de 520 km2, avec une proportion de la population urbaine qui est passée de 22,7 % en 2006 à 26,3 % en 2019. Cette croissance urbaine bouleverse inéluctablement non seulement la structure urbaine de la ville et le cadre de vie de ses habitants en la fragmentant, mais aussi les relations avec les espaces réservés aux morts. Les cimetières se retrouvent enserrés dans un tissu urbain qui se transforme progressivement pour répondre plutôt aux besoins de logements, d’infrastructures, de zones d’activités commerciales, etc. Ils deviennent alors des pièces urbaines que cette urbanisation doit « absorber » face à d’autres fonctions urbaines jugées primordiales.
6Alors que les cimetières existants sont confrontés à la saturation et que le foncier devient un enjeu majeur du fait de la dynamique accentuée des activités liées à la promotion foncière et immobilière, cette situation de précarisation des cimetières pose plusieurs interrogations. En effet, quelle est la place accordée au cimetière dans la dynamique urbaine de Ouagadougou en tant que fonction et espace urbain ? Quel est l’état des lieux des cimetières dans cette ville ? Comment (re)penser la place des cimetières dans la dynamique urbaine ?
7L’objectif principal de cet article est d’analyser la place du cimetière dans la dynamique urbaine de Ouagadougou à travers les instruments de planification urbaine, l’aménagement, la gestion et l’entretien de l’existant. Spécifiquement, il s’agit d’une part, de constater la spatialité des cimetières dans cette ville et d’autre part, de recueillir la position des différents acteurs pour une meilleure prise en compte des cimetières comme faisant partie des fonctions urbaines.
8Au-delà, cette présente réflexion se veut un positionnement pour répondre à l’appel lancé par Bertrand (1991), réitéré par Guilleux (2019) et appuyé par Andih (2020) qui cite les deux auteurs précédents, invitant les Géographes à s’intéresser aux différents types d’espaces de la mort en ressortant la place qu’ils occupent au sein des territoires ruraux et urbains. En effet, ce dernier note que la mort est une thématique généralement traitée par les autres disciplines des sciences sociales telles que l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, mais rarement par des Géographes qui devraient étudier sa dimension spatiale.
9L’agenda de l’analyse est structuré autour des points suivants : (i) Méthode d’analyse, (ii) Résultats de la recherche, (iii) Discussion.
I. Méthode d’analyse
10Cette recherche s’est appuyée sur un corpus de données primaires et secondaires collectées sur le terrain et à partir de la revue de littérature.
A. Données collectées et échantillonnage
11Afin de mieux analyser l’état des lieux et la prise en compte des cimetières dans les instruments de planification urbaine de la ville, diverses sources de données ont été utilisées.
12Les données secondaires exploitées sont issues de la revue de littérature qui a porté sur les écrits scientifiques, des textes réglementaires et administratifs traitant de la problématique des cimetières en milieu urbain. Les données primaires ont été collectées sur le terrain à travers l’utilisation d’outils appropriés. Il s’agit notamment d’un questionnaire conçu sous l’application KoboCollect qui a permis également d’opérer la géolocalisation et la prise de photographies des cimetières de la ville. En outre, deux bases de données cartographiques, nationale et communale, ont été utilisées : la Base nationale des données topographiques (BNDT) et la Base des données urbaines (BDU) de Ouagadougou.
13Pour les besoins d’enquêtes, un échantillon démographique a été déterminé auprès de différents acteurs notamment les autorités-gestionnaires de la ville, les riverains des cimetières et les usagers des cimetières, soit un total de 100 personnes. Ces personnes ont été choisies, certes de façon aléatoire, mais ce choix se veut représentatif et tient compte de la diversité des acteurs impliqués dans la gouvernance urbaine. Les enquêtes et les entretiens ont permis d’appréhender les représentations sociales des morts par les vivants et les facteurs explicatifs des pratiques dans les espaces funéraires. Quant à l’échantillon spatial, il a concerné l’inventaire et la cartographie de tous les cimetières de la commune urbaine.
B. Traitement et analyse des données
14Deux outils logiciels ont servi au traitement et à l’analyse des données. Il s’agit de MS Excel pour l’agrégation des statistiques, la conception des tableaux et des graphiques et du Système d’Information Géographique (SIG) via le logiciel ArcGIS pour la cartographie et l’analyse spatiale de l’implantation des cimetières sur l’espace communal.
15L’utilisation de la cartographie et du SIG pour l’étude de terrain a permis de répondre à la première question posée plus haut en analysant la répartition spatiale des cimetières et leur influence sur la configuration de l’espace urbain en général. Les données et informations issues des textes réglementaires et administratifs ont constitué un support pour répondre à la deuxième question. Les données provenant des entrevues avec la population-échantillon ont facilité le recueil de leur perception et de leurs attentes pour une meilleure intégration des cimetières dans la dynamique urbaine.
II. Résultats de l’étude
A. Diagnostic des cimetières dans la commune urbaine
16Une analyse de la distribution spatiale et un état des lieux des cimetières de la commune sont faits à travers les points suivants.
1. Répartition spatiale des cimetières sur l’espace communal
17Selon le MUH (2013), le territoire du Grand Ouaga qui couvre la commune urbaine de Ouagadougou et sept communes rurales, compte au total 46 cimetières. L’inventaire fait dans le cadre de la présente recherche a permis de dénombrer 21 cimetières répartis sur l’ensemble du territoire de la commune urbaine de Ouagadougou (Figure 1).
18La Figure 1 montre un bon maillage du tissu urbain par les cimetières. Il ressort a priori une bonne distribution des espaces funéraires sur le territoire communal. Parmi les 12 Arrondissements de la commune, l’Arrondissement 6 dispose du plus grand nombre, soit 4 cimetières. Par contre, l’Arrondissement 12, qui abrite le quartier résidentiel le plus huppé de la ville (Ouaga 2000) ne dispose d’aucun cimetière. Aussi, les périphéries nord-ouest, nord-est et sud, nouvellement loties (2016-2017), ne sont pas dotées de cimetières.
Figure 1. Distribution spatiale des cimetières de la commune urbaine de Ouagadougou. Source : Soma A., février 2022, données terrain, données BNDT, BDU
19Par ailleurs, selon la mairie centrale de Ouagadougou, en termes d’occupation spatiale, les 21 cimetières répertoriés couvrent à peu près 100 km2, soit en moyenne 5 km2 par cimetière. Le plus grand cimetière est celui de Gounghin qui couvre 24 km2. Selon les informations issues des entrevues avec les gestionnaires de la ville, les cimetières centraux (cimetière municipal, cimetière militaire) ont été créés dans les années 1950 par le colon pour enterrer ses morts. Quant aux cimetières périphériques, la majorité a été créée dans les années 1960 par les populations autochtones et réhabilitée dans les années 1980 sous l’ère révolutionnaire. Sur les 21 cimetières inventoriés, on compte 3 cimetières qualifiés de « privés ». Ce sont le cimetière militaire français (au centre de la ville), le cimetière privé de Boassa (au sud-est de la ville, créé à une agence de promotion immobilière) et le cimetière privé des autochtones de Nioko 1 (au nord-est de la ville).
20En somme, l’analyse de la spatialité des cimetières sur l’espace communal de Ouagadougou permet de noter une bonne couverture des différents Arrondissements de la commune. Cependant, l’aménagement, la gestion et l’entretien de ces espaces funéraires sont à analyser.
2. Des cimetières dans l’impasse
21Les cimetières de la commune urbaine de Ouagadougou sont dans l’ensemble, dans un état désastreux. La plupart sont non aménagés, saturés et exposés à des pratiques malsaines, perturbant ainsi, non seulement « le repos éternel des morts », mais aussi la qualité du paysage urbain.
a. Des espaces funéraires non aménagés et mal gérés
22Les cimetières de Ouagadougou se caractérisent par un manque ou une insuffisance d’aménagement et d’équipements : clôtures, parcellisation, aménagement paysager, plaques indicatives des tombes, piste piétonne, éclairage, adduction de forages d’eau, service de gardiennage, etc.
23Sur les 21 cimetières inventoriés, il n’y a que 09 qui disposent d’une sorte de clôture en briques ou en fer pour circonscrire les limites du « dortoir des morts ». Seulement, 05 cimetières ont fait l’objet de parcellisation partielle afin de permettre une meilleure occupation des espaces par les tombes (Tableau 1).
Cimetières | Planifié dans les documents d’urbanisme | État de clôture | État de parcellisation |
Cimetière de Gounghin | Planifié | Clôturé | Partiellement parcellisé |
Cimetière de Taabtenga | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière municipal | Planifié | Clôturé | Partiellement parcellisé |
Cimetière de Toudweogo | Planifié | Clôturé (mais mur tombé) | Partiellement parcellisé |
Cimetière de Kamboinsin | Planifié | Clôturé | Partiellement parcellisé |
Cimetière de Karpala | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière des autochtones de Nioko 1 | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Rimkieta | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière militaire privé français | Planifié | Clôturé | Parcellisé |
Cimetière privé de Boassa | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Kilwin | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Sandogo | Planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Tigindalgué | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Toecin | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Tanghin | Planifié | Clôturé (mais mur tombé) | Non parcellisé |
Cimetière de Bargho | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Toyibin | Clôturé (mais mur tombé) | Non parcellisé | |
Cimetière de Balkuy | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Kossodo | Non planifié | Non clôturé | Non parcellisé |
Cimetière de Dagnoen | Planifié | Clôturé | Partiellement parcellisé |
Cimetière de Bonam | Planifié | Clôturé | Non parcellé |
Tableau 1. État de clôture et de parcellisation des cimetières. Source : Soma A., Enquête de terrain, janvier 2022
24En termes de gestion, mis à part le cimetière municipal, le cimetière de Gounghin et le cimetière militaire français qui sont relativement les mieux entretenus, il n’y a aucune présence de gardiens dans les autres cimetières. Aussi, du fait de l’absence de gardien et de clôture, la gestion des cimetières est très complexe. Selon le Directeur de la santé de la municipalité, « les gens enterrent les morts comme ils peuvent ou comme ils veulent. Il n’y a pas de registres des personnes inhumées et rien n’est fait pour la gestion rationnelle des espaces ». Certaines personnes exploitent trop de place pour une seule tombe. Or, selon la réglementation, une tombe ne doit pas dépasser 2 mètres 40 sur 1 mètre 20. D’autres ne respectent ni les heures d’entrée ni les limites pour les cimetières non clôturés. Seul le cimetière de Gounghin dispose ces dernières années d’un agent conservateur des cimetières qui gère les heures d’ouverture (06 heures du matin) et de clôture (18 heures) de même que l’enregistrement et le suivi des enterrements. Il faut également relever que ce cimetière est le seul à être subdivisé en trois grands domaines : pour les forces de défense et de sécurité, les caveaux familiaux et pour les citoyens lambda.
25En outre, le manque d’entretien et le délaissement font que les cimetières sont envahis par les ronces et les herbes. Le constat est très marquant dans les cimetières de Dagnoen, Toudweogo, de Taabtenga et de Karpala où les ronces et les herbes ont couvert totalement certaines tombes qui finissent par disparaître ou se confondre au sol plat (Photo 2). La présence de ce couvert végétal non entretenu sert de terreaux à des animaux sauvages souvent dangereux tels que les serpents, les scorpions, les musaraignes et expose les cimetières à des risques d’incendie. C’est le cas du cimetière de Kamboinsin où une grande partie a été malencontreusement incendiée le 21 janvier 2022.
26En définitive, le manque d’une gestion efficace des espaces funéraires offre la latitude à chaque famille d’enterrer son défunt comme il veut, au cimetière de son choix, de jour et même de nuit. Ce comportement qui relève de l’anarchie persiste, parce que certaines personnes seraient réfractaires à tout projet de réglementation des enterrements ou de reconfiguration des cimetières. Les autorités municipales avouent ainsi qu’elles ignorent quelle est la superficie des espaces funéraires actuellement occupés et combien de personnes sont inhumées chaque année dans les différents cimetières de la commune.
b. Des cimetières saturés, mais toujours en exploitation
27« Les cimetières sont pleins et il n’y a plus d’espaces. On essaie de voir comment négocier avec les communes voisines pour avoir des espaces en vue d’y ériger de nouveaux ». Ces propos d’une autorité municipale dénotent de l’enjeu de la problématique des cimetières dans la commune urbaine de Ouagadougou. Les données statistiques issues du terrain montrent que 7 sites funéraires sur les 21 répertoriés ne sont plus fonctionnels et sont officiellement désaffectés. Les autres cimetières, même s’ils ne sont pas encore saturés, connaissent une occupation anarchique qui laisse envisager un débordement imminent. Au cimetière de Taab-Tenga, les riverains rappellent qu’il y a une dizaine d’années, plus de la moitié du cimetière leur servait de champs, mais actuellement, il n’y a plus d’espaces pour enterrer les morts encore moins pour cultiver.
28Les cimetières de Dagnoën, de Balkuy et de Kilwin, par exemple, sont officiellement fermés, mais comme il n’y a personne pour garder les lieux, les citadins continuent d’y enterrer leurs morts. Du fait de la saturation, des anciennes tombes sont ouvertes pour de nouvelles inhumations sans autorisation préalable. Aussi, cette saturation « amène souvent les gens à enterrer leurs morts dans des parcelles à usage d’habitation ou même sur la voie publique riveraine », affirme un agent du service d’hygiène de la mairie. Au cimetière de Karpala, par exemple les enterrements se font sur un domaine foncier privé généralement les nuits.
c. Des cimetières en proie à des pratiques inciviques
29Au-delà de la mauvaise gestion et de la saturation, les cimetières sont devenus le lieu où règnent le désordre et des pratiques inciviques. « Là où les morts devraient reposer en paix, est devenu des lieux d’activités illégales et malsaines », déplore un riverain du cimetière de Karpala enquêté. Les cimetières sont transformés en dépotoirs de toute nature, rendant ces espaces très insalubres et pollués. La planche 1 illustre ces genres de pratiques au cimetière de Karpala.
Planche 1. Reste d’un chien mort et rejet d’ordures au cimetière de Karpala. Source : Crédit photo de H. Nanema, janvier 2022
30Cette réalité est aussi palpable au cimetière de Toudwéogo d’une superficie d’environ 2,5 km2. Il en est de même au côté ouest du cimetière de Dagnoen qui se trouve « noyé » par les déchets plastiques, alimentaires et les restes d’animaux morts jetés clandestinement par certaines personnes de passage, des sociétés privées et souvent par les populations riveraines. « Le cimetière de Toudwéogo a été parcellisé. Nous avions même établi des heures d'enterrement. Malheureusement, les populations font les inhumations dans un désordre total. Même le mur de moins d'un mètre qui avait été construit a été terrassé et ses briques utilisées pour la construction des tombes. Nous déplorons aussi que ces lieux soient transformés en dépotoirs accueillant tous types de déchets », regrette l’ancien Député-Maire de l’Arrondissement 4. En outre, la pratique du brûlis quasi quotidien des ordures crée une atmosphère irrespirable due à la nappe de fumée qui s’élève et qui couvre le cimetière et les maisons environnantes. Cette pratique semble aussi perturber le repos des morts qui pourraient ainsi « se sentir dans la géhenne ou dans un enfer sous terre ! », poursuit l’ancien Député-Maire.
31Par ailleurs, tandis que certains citoyens se servent de ces lieux funéraires pour faire des abattages clandestins d’animaux à consommer, d’autres les utilisent pour des pratiques occultes comme les sacrifices pour rechercher des protections ou honorer des promesses faites aux génies ou aux ancêtres. La Photo 1 prise au cimetière de Bonam présente un sacrifice fait sur une tombe au travers d’un poulet noir, de deux morceaux de charbon et de cauris attachés dans un sachet blanc.
Photo 1. Pratiques occultes sur une tombe au cimetière de Bonam. Source : Crédit cliché de Pakmogda Boukary, août 2021
32Dans une vidéo postée (août 2021) sur les réseaux sociaux par le responsable du cimetière de Nagrin, appelé communément « le Maire du cimetière », celui-ci faisait cas de profanation de tombes, d’exhumations déconcertées de corps, de prélèvements de terre sur les tombes, pour des sacrifices. « Je suis venu un matin trouver qu’on a déterré un corps nouvellement enterré, enseveli un bélier et laissé sa tête dehors », rappelle le « maire du cimetière ». Aussi, des nouveau-nés vivants ou des embryons de bébés sont rejetés ou enterrés de façon expéditive généralement tard dans la nuit ou très tôt le matin par de jeunes filles dans les cimetières. Il en est ainsi à Taab-Tenga, l’un des cimetières non encore clôturés, où il n’est pas rare de voir des tombes « fraîchement » creusées aux bords des voies.
33Qu’ils soient clôturés ou pas, les cimetières constituent également des repaires ou des refuges de délinquants (voleurs et violeurs) et de malades mentaux, où la vente et la consommation de la drogue sont très développées. De nombreux jeunes désœuvrés s’y retrouvent pour effectivement consommer des stupéfiants ou pour se partager le butin d’une infraction.
34Par ailleurs, les espaces vides ou même des tombes sont creusés par des individus pour confectionner des briques en banco pour des besoins de construction de maisons généralement dans les quartiers précaires encore appelés zones non loties. Cette pratique contribue à créer de larges trous qui finissent par être des réceptacles des eaux pluviales, des ordures et des « piscines à ciel ouvert » fréquentées par les enfants pour leur baignade.
35En plus, les cimetières subissent des actes de vandalisme perpétrés par des individus. Ces actes se caractérisent par l’arrachage et le vol des épitaphes, des carreaux, des plaques décoratives des tombes, des portails d’entrée, des portes, des tôles et fenêtres des maisonnettes destinées aux gardiens, etc. Les murs sont souvent démolis par des individus pour en extraire les briques et le fer à béton afin de les utiliser dans la construction de leurs propres bâtiments ou des tombes de leurs morts. C’est le cas du mur entourant à moitié le cimetière de Toudwéogo dont les briques sont subtilisées à d’autres fins (Photo 2).
Photo 2. État de la clôture du cimetière de Toudweogo. Source : Crédit photo de H. Nanema, janvier 2022
36Le vigile du cimetière militaire français, dit « PDG », justifie par exemple l’arrachage des épitaphes des tombes par le fait que le fer est devenu comme de l’or à Ouagadougou à tel point que tous les moyens sont utilisés pour s’en acquérir.
37En somme, les cimetières de la commune urbaine de Ouagadougou sont des lieux marginalisés, délaissés et quasiment oubliés par les décideurs-gestionnaires et les citadins. Cette situation déplorable est la conséquence d’un comportement urbain pervers doublé d’un changement social de la plupart des acteurs, qui intègrent très peu les valeurs sociétales et d’urbanité. Les cimetières sont ainsi source d’insécurité et de risques sanitaires et environnementaux. Le cimetière de Toyibin subit le plus de préjudices en termes de pratiques malsaines. Situé entre la gare routière Ouaga-Inter et l’aéroport international de Ouagadougou, il concentre toutes les mauvaises pratiques rencontrées au niveau de l’ensemble des cimetières : repaire de bandits, marché de bétail, lieu d’abattage clandestin d’animaux, pratiques occultes de toute nature, manque d’entretien, décharge et incinération d’ordures et déchets toxiques… Un enquêté, certes conscient de cette situation désolante, s’est indigné à travers ces propos : « On ne fait plus de différence entre le marché des morts et celui des vivants, car les vivants vendent et achètent allègrement leurs animaux et autres marchandises sur les tombes des morts. Certaines tombes deviennent des guichets où on étale la marchandise pour la vendre aux clients ». D’autres tombes sont choisies par les tenanciers d’abattoirs clandestins pour y déverser quotidiennement les déchets stomacaux des animaux abattus. Autant de taches noires qui donnent une image peu reluisante quant à l’attention que réservent les citoyens ouagalais à la dernière demeure de leurs morts.
B. Les cimetières dans les instruments de planification urbaine
38La commune urbaine de Ouagadougou dispose d’instruments de planification urbaine élaborés aux fins de permettre un développement harmonieux et cohérent du tissu urbain. Ces instruments se classent en deux catégories : les instruments d’orientation et les instruments réglementaires et d’opérationnalisation. Les instruments d’orientation sont le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) élaboré en 2010, le Plan d’Occupation des Sols (POS) élaboré en 2012 et le Schéma Directeur d’Aménagement du Grand Ouaga (SDAGO) élaboré 2010 et adopté en 2020. Les instruments réglementaires et d’opérationnalisation au plan national et communal sont le Code de l’Urbanisme et de la Construction adopté en 2006, la grille d’équipements urbains et les normes de programmation urbaine élaborées en 2014 et révisées en 2016, l’Arrêté n°2004-059 portant organisation et gestion des cimetières municipaux de Ouagadougou pris en 2004.
39Dans leur cadrage, ni les instruments d’orientation, ni les instruments réglementaires ne prennent pas explicitement ou pas du tout en compte les cimetières. Dans sa partie diagnostique, le SDAGO par exemple se limite juste à un bref rappel de l’inventaire non spatialisé des cimetières de la commune, fait depuis 2007 (MUH, 2020). Dans la partie d’aménagement de cet instrument de planification spatiale à long terme (25 ans), une simple programmation d’aménagement de quatre grands cimetières à l’échelle du Grand Ouaga, notamment dans les communes rurales de Saaba à l’est, de Komsilga au sud, de Tanghin Dassouri à l’ouest, de Pabré au nord, est faite sans une identification et matérialisation des sites ainsi que le coût prévisionnel des aménagements.
40Aussi dans les instruments réglementaires, en dehors de la définition du concept de cimetière, aucune disposition ne mentionne clairement les normes applicables aux cimetières à l’image des infrastructures et équipements culturels, cultuels, éducatifs, sanitaires, d’espaces verts et de loisirs. Il est juste souligné qu’il n’y a pas de seuil de programmation en ce qui concerne les espaces funéraires, mais cela se fait selon les besoins qui se présentent (MUH, 2016). Seul l’Arrêté portant organisation et gestion des cimetières municipaux prescrit des dispositions relatives à l’organisation des cimetières, les horaires d’ouverture et de fermeture, les procédures d’inhumation, d’exhumation et d’incinération. Par exemple, l’article 2 de cet Arrêté mentionne que : « les cimetières municipaux doivent être situés à 500 mètres au moins des limites des agglomérations ». L’Article 4 souligne que les cimetières doivent être entourés d’une clôture de nature à assurer leur protection. Et les cimetières qui ne disposent plus de places permettant d’effectuer des inhumations seront fermés et resteront en l’état sans qu’on puisse en faire un quelconque usage pendant 10 ans au moins (Article 5). En ce qui concerne les horaires d’accès par les citadins, l’Article 13 note que les cimetières sont ouverts tous les jours de 7 h à 18 h. Aucune inhumation ou exhumation ne doit se faire en dehors de ces heures. En termes de fréquentation, l’Article 14 souligne que « les personnes qui entrent dans le cimetière devront s’y comporter avec la décence et le respect que commandent les lieux. L’entrée est interdite aux malades mentaux, aux personnes en état d’ivresse, aux marchands ambulants, aux mendiants, aux animaux mêmes tenus en laisse, aux engins à deux roues, aux voitures autres que celles des services municipaux, des sociétés concessionnaires, des pompes funèbres, des handicapés et personnes de mobilité réduite ». En somme, l’Arrêté portant organisation des cimetières semble bien explicite, mais des insuffisances subsistent. En effet, il n’est pas fait cas ni de la superficie minimum que doit avoir un cimetière ni de la superficie moyenne d’une tombe (qui serait de 4,5 m2 pour un adulte selon certaines personnes initiées). De plus, cet Arrêté ne fournit aucune directive sur les sépultures notamment la disposition des tombes, la maçonnerie, les pierres tombales, etc. Ces aspects relèvent du bon vouloir des familles des morts, et ce, selon les moyens dont elles disposent ou selon l’intimité qu’elles accordent à leurs morts.
41Au regard des insuffisances susmentionnées dans les instruments de planification urbaine, tout porte à dire que les cimetières, en plus d’être mal gérés et entretenus (pour ceux qui existent), sont pratiquement oubliés ou occultés par les décideurs-gestionnaires de la ville. Sur le terrain, sur les 21 cimetières répertoriés, seulement 09 sont inscrits dans les documents d’urbanisme (Tableau 1). Les 12 autres cimetières sont créés dans l’informel par les communautés locales (coutumières et religieuses) sur des réserves foncières non attribuées.
C. Pour une meilleure gestion des cimetières : ce qu’en pensent les citadins
42Les cimetières de Ouagadougou sont délaissés, marginalisés, voire oubliés aussi bien dans les instruments de planification spatiale que dans la gestion opérationnelle. Aussi, Ouagadougou ayant atteint ses limites dans son extension spatiale, il n’y a plus suffisamment de parcelles pour les besoins des vivants encore moins pour les morts. De même, les communes rurales environnantes connaissent de plus en plus une pression foncière due à la promotion immobilière à tel point que les cimetières périphériques utilisés par les citadins de Ouagadougou sont exposés au morcellement et à la construction des cités. Faisant partie du paysage urbain, ces espaces funéraires méritent une attention particulièrement (au même titre que les espaces de loisirs) et comme tel, ils doivent être aménagés, gérés et réglementés. Des entretiens réalisés, des citadins ont exprimé leurs souhaits de voir une meilleure gestion des cimetières de la commune (Figure 2).
43Plusieurs actions sont proposées dans la Figure 2 par les citadins enquêtés pour une prise en compte ou une considération des cimetières dans la dynamique urbaine.
Figure 2. Souhaits des citadins pour une meilleure gestion des cimetières. Source : Soma A., Enquête de terrain, janvier 2022
44La clôture des cimetières, le recrutement de gardiens et l’application des sanctions des personnes ne respectant par la réglementation en vigueur, sont les souhaits les plus exprimés par 100 % des personnes enquêtées. La clôture permettra par exemple d’éviter les enterrements hors des limites des cimetières, de contrôler les entrées et les sorties des individus, toute chose qui contribuera à réduire l’insécurité et les pratiques inciviques.
45Au regard de la saturation prononcée de la plupart des cimetières, l’ouverture de nouveaux espaces funéraires de grande superficie en périphérie de la commune est également évoquée par 96% des personnes enquêtées comme solution alternative. Cependant, cette option demeure un grand défi vu la rareté du foncier dans un rayon de 50 km autour de Ouagadougou. Pour une meilleure gestion des espaces dans les cimetières encore fonctionnels, des propositions telles que la dynamisation des services des pompes funèbres et des cimetières (94 % des enquêtés), la réglementation des modes d’enterrement (creusement des tombes exprimé par 91 % des personnes enquêtées), la parcellisation (87 % des enquêtés), la mise en place d’une police des cimetières (81 % des citadins enquêtés) et l’appui financier et matériel aux associations engagées dans la gestion de ces espaces, sont faites par les citadins enquêtés. Par exemple, l’association Rayim-taaba pour la propreté et la sécurité des cimetières de la ville, composée de 100 personnes, contribue énormément à la gestion de ces lieux des morts. Mais, malgré leur bonne volonté pour soutenir la municipalité, elle rencontre d’énormes difficultés dans l’exercice de cette tâche : « nous rencontrons beaucoup de problèmes pour entretenir les 21 cimetières, surtout en saison pluvieuse, où il y a de l’herbe partout. Là où on est passé pour nettoyer, si on y fait un tour après un mois, c’est comme si on n’avait rien fait », s’est indigné le Président fondateur de l’association. Selon ce dernier, dans le contrat qu’ils ont signé avec la mairie, il est seulement question d’un passage par semaine, soit 4 fois dans le mois sur les 21 cimetières. Mais vu l’ampleur de l’insalubrité dans ces lieux, l’Association a pris l’engagement d’ajouter en dehors du contrat un autre passage par semaine ; ce qui revient à 8 passages dans le mois. Cet effort de rendre les cimetières propres mérite donc selon elle, un encouragement et un appui de la part des autorités municipales.
46D’autres souhaits non moins importants sont exprimés par les citadins enquêtés. Il s’agit par exemple de la mise en place d’un observatoire des cimetières (exprimé par 64 % des personnes enquêtées). Cette proposition vise à mieux suivre et quantifier les enterrements journaliers dans chaque cimetière et en constituer une base de données. Le respect strict de la réglementation des heures d’ouverture et de fermeture est aussi exprimé par 62 % des citadins enquêtés, ce qui permettra de mieux suivre les entrées, les fréquentations et éviter les enterrements clandestins qui se passent généralement la nuit. Également, la construction et le pavage obligatoire des tombes et des aménagements paysagers sont souhaités par 57 % des enquêtés, dans un souci de durabilité des tombes, de création d’un écosystème et d’esthétique d’ensemble des cimetières et de la ville.
III. Discussion
47L’analyse de la spatialité et de la gestion des cimetières sur l’espace communal de Ouagadougou révèle certes une bonne répartition spatiale, mais la quasi-totalité de ces espaces funéraires couvrent de très petites superficies et ne sont pas bien gérés et entretenus. Ce résultat corrobore celui de Andih (2020, p.74) qui note que les cimetières de la ville d’Abidjan se différencient les uns des autres par leur standing, mais la majorité ne bénéficie pas d’aménagements majeurs. L’analyse de Ekongo (2008, p.2) relève dans la même veine que dans les principales villes de la République Démocratique du Congo, comme dans celles de la plupart des pays africains, les cimetières jadis réservés aux morts et objets de sociabilité, d’entretien régulier et de protection tous azimuts sont de nos jours en proie à une gestion peu responsable de la part des pouvoirs publics et des citadins. Thiolliere (2016, p.23) estime également que la valeur du cimetière en milieu urbain n’est pas toujours reconnue ; c’est un lieu que l’on cache, que l’on masque dans un milieu où il fait parfois tache. L’auteur souligne d’ailleurs que le cimetière constitue un lieu qui devient d’autant plus inquiétant qu’il est isolé dans des impasses urbaines. Il met alors en débat ce questionnement : « faut-il entretenir les morts alors que des vivants manquent pratiquement de tout ? Y a-t-il une réponse urbaine au problème de la place des morts tel qu’il se pose aujourd’hui ? Comment le cimetière peut-il plus s’ouvrir sur la ville ? »
48Par ailleurs, l’urbanisation galopante et incontrôlée de la ville de Ouagadougou expose les cimetières à des pratiques inciviques, à la marginalisation et à l’oubli dans les instruments de planification urbaine. Cette lecture est aussi faite par Rol-Tanguy (2010, p.59) qui souligne que la majorité des cimetières du Sifurep à Paris sont victimes de pratiques illégales telles que les vols des fleurs, des plaques, des vases et des pots sur des concessions ou sur des tombes isolées. Dans le même ordre d’idées, Thiolliere (2016, p.47) parle d’urbanisation contre les morts lorsqu’elle fait le constat de cette dynamique en France ces trois derniers siècles qui repousse puis supprime les fortifications et rattrape de plus en plus les cimetières placés hors des villes. Damblant (2018, p.9) s’interroge dans ce sens : « Où les cimetières ont-ils trouvé une terre « d’asile » dans le paysage urbain en Wallonie ? Comment sont-ils mis en scène dans l’espace urbain ? ». Elle conclut en disant que « la place réservée au cimetière dans le paysage urbain est révélatrice des préoccupations de la société envers ses morts, envers la mort tout court » (Damblant, 2018, p.9). Mercurol (2018, p.1) constate aussi qu’à Kisumu, « les cimetières sont séparés de la quotidienneté de la vie urbaine par les murs qui les entourent… »
49En outre, pour une meilleure prise en compte des cimetières comme une des fonctions clés de la ville, l’analyse note la complexité de l’opérationnalisation d’un tel exercice au regard des enjeux multiformes qui se posent en termes de disponibilité foncière, d’infrastructures urbaines, de moyens financiers pour la gestion des cimetières, de changement de comportements de certains citadins, etc. Cette analyse rejoint celle de Philifert (2001, p.409) qui pose ainsi la dichotomie entre « nouveaux enjeux urbains et place des cimetières » en évoquant « les cimetières entre planification et gestion... des rapports sous influence ».
50Enfin, des propositions d’opérations d’urbanisme dans les cimetières sont faites pour répondre à la multifonctionnalité que peuvent ou doivent jouer les territoires des morts. C’est le cas de certains auteurs comme Flandin (2015, p.44) et Larramendy (2016, p.49) qui estiment par exemple qu’à l’image des espaces verts, « les cimetières peuvent, par une gestion adaptée, être des lieux accueillants pour la biodiversité ». La diversité des milieux que l’on y trouve, offre autant d’atouts et d’opportunités pour faire du cimetière un espace non seulement de recueillement pour les proches des défunts, mais aussi d’accueil pour la biodiversité en milieu urbain.
Conclusion
51La présente réflexion a analysé la place accordée aux cimetières dans le paysage urbain dans les villes africaines notamment dans la commune urbaine de Ouagadougou. Délaissés, transformés en d’autres usages malsains, marginalisés ou oubliés, ces espaces des morts souffrent de tous les maux sociaux et urbanistiques. Ils sont loin d’être des « demeures paisibles pour les défunts ».
52Par ailleurs, la dimension spatiale permet de mieux comprendre la spatialité de la mort et des espaces funéraires dans les fonctions d’un territoire donné. Cela a été démontré à travers la cartographie des cimetières faite sur la base de la géolocalisation effectuée. Elle aide aussi à interpeller les décideurs-gestionnaires ainsi que l’ensemble des populations à percevoir l’importance qu’il faut accorder à ces espaces tampons entre le monde des vivants et celui des morts.
BIBLIOGRAPHIE
53Andih, K. F. R. (2020). Cimetières d’Abidjan : espaces funéraires différentiés, espaces de ségrégation sociale, Centre de Recherches Architecturales et Urbaines (CRAU), Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire, pp. 73-95
54Commune urbaine de Ouagadougou (2004). Arrêté n°2004-059 portant organisation et gestion des cimetières municipaux, du 03 juillet 2004.
55Damblant, A. (2018). La place du cimetière dans le paysage : Étude appliquée à la Région wallonne. Master en architecture paysagiste, Université de Liège, Belgique, 92 p.
56Ekongo, N. R. (2008). Des cimetières lotis à Kisangani : exemple d’un débat occulte sur la gestion des espaces publics en RDC, 12e Assemblée générale, CODESRIA, Administrer l’espace public africain, 18 p.
57Flandin, J. (2015). Conception et gestion écologique des cimetières, Guide pratique, Natureparif, Ile-De-France, 74 p.
58Larramendy, S. (2016). Paysages et entretien des cimetières, Recueil de fiches repères et actions pour la réhabilitation écologique et paysagère des cimetières, Ingénierie de la nature en ville, 96 p.
59Mercurol, Q. (2018). Les pratiques funéraires et la spectralité des espaces coloniaux dans la mondialisation à Kisumu, Kenya. Revue Géographie et cultures, Géographie des fantômes [En ligne], 106 | 2018, mis en ligne le 06 décembre 2018, consulté le 10 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/gc/7265
60Ministère de l’urbanisme et de l’habitat du Burkina Faso (MUH) (2016). Normes de programmation urbaine au Burkina Faso, document définitif, 60 p.
61Ministère de l’urbanisme et de l’habitat du Burkina Faso (MUH) (2013). Annuaire statistique des villes du Burkina Faso, rapport définitif, 60 p.
62Noret, J. (2017). Sociologie actuelle des funérailles, Prise en charge de la mort et espace social dans l’Afrique d’aujourd’hui. Cahiers d’études africaines, 228 |, mis en ligne le 1er décembre 2019, consulté le 07 juillet 2022. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/21633
63Philifert, P. (2001). Et chez les morts aussi... Villes en parallèle, 32-34, La ville aujourd’hui entre public et privé, pp. 406-414.
64Robert, S. (2015). Le rôle du cimetière dans la fabrique urbaine. In Gaultier M., Dietrich A., Corrochano A. dir. Rencontre autour des paysages du cimetière médiéval et moderne, 60, Publication du GAAF, pp. 131-145, supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France.
65Rol-Tanguy, F.. (2010). Situation, enjeux urbains et d’aménagement des cimetières du Sifurep. Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR), Paris, Edition Sujet/Objet, 196 p.
66Thiolliere, P. (2016). L’urbain et la mort : ambiances d’une relation. Thèse de Doctorat en Architecture et aménagement de l’espace, Université Grenoble Alpes, France, 343 p.
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Over : SOMA Assonsi
Enseignant-Chercheur/Maître-Assistant
Département de Géographie
Laboratoire d’Etudes et de Recherche sur les Milieux et Territoires (LERMIT)
Université Joseph KI-ZERBO de Ouagadougou, Burkina Faso
somaas78@yahoo.fr