Conception d’un dispositif d’(auto-)évaluation de la condition physique à l’aide d’une application web

mis en ligne le 04 juin 2021

Article

Résumé

L’évaluation de la condition physique en éducation physique à partir de tests standardisés (par exemple, Eurofit Fitness Test Battery) est une pratique courante depuis plusieurs dizaines d’années. Néanmoins, l’utilisation de ces tests de condition physique fait débat au sein de la communauté scientifique et de nouvelles approches utilisant le numérique sont appelées à se développer. S’inscrivant dans la réflexion menée par Keating et ses collaborateurs, l’objectif de cette recherche est de présenter le développement d’une application web portant sur l’évaluation et la gestion autonome de la condition physique en éducation physique. Les résultats présentés portent sur la phase de développement de cette application avec une mesure intermédiaire de l’utilisabilité de cette application. De nouvelles perspectives de développement de l’application découlent de cette analyse préliminaire.

Mots-clés

Santé, Condition physique, Évaluation, Numérique, Éducation physique

Plan

Texte

Introduction

L’évaluation de la condition physique en éducation physique à partir de tests (par exemple, Eurofit Fitness Test Battery) est une pratique courante en Belgique francophone. Depuis le début du 21ème siècle, les enseignants d’éducation physique doivent, en effet, développer et évaluer les différents paramètres de la condition physique (souplesse, endurance, vitesse, force, puissance alactique) de leurs élèves. Cette évaluation de la condition physique, à partir de tests standardisés, permet de suivre l’évolution de la condition physique des jeunes francophones belges (Heyters & Marique, 2004), d’identifier les élèves à risque et in fine de développer des programmes permettant d’améliorer la condition physique des élèves (Keating, Liu, Stephenson, Guan & Hodges, 2020).

Néanmoins, l’utilisation de ces tests de condition physique fait débat au sein de la communauté scientifique. D’un côté, les défenseurs mettent en évidence que, s'ils sont utilisés correctement par les enseignants, les tests de condition physique peuvent jouer un rôle important dans la promotion d'un mode de vie physiquement actif chez les élèves (Cohen, Voss & Sandercock, 2015). D’un autre côté, les opposants affirment que l’utilisation de ces tests peut avoir un impact négatif notamment sur l’attitude des élèves envers l’activité physique (Simonton, Mercier & Garn, 2019). Plus concrètement, Keating et al. (2020) identifient un certain nombre de problèmes concernant l’utilisation des tests de condition physique en milieu scolaire :

  1. Les tests de condition physique administrés publiquement pourraient donner lieu à des scores non confidentiels parmi les élèves, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur l'attitude des élèves à l'égard des tests de condition physique et est particulièrement préjudiciable aux étudiants dont les résultats sont médiocres.

  2. Les tests de condition physique sont effectués dans des classes d'éducation physique avec un grand nombre d'élèves testés simultanément et cela prend beaucoup de temps.

  3. De nombreux élèves ont une attitude négative à l’égard des tests de condition physique et ne sont nullement motivés à passer les tests.

  4. Les élèves doivent passer les tests un jour ou une semaine spécifique, au cours desquels ils peuvent être physiquement malades ou subir une météo peu favorable (trop froid, trop chaud).

  5. La validité et la fiabilité de certains tests tels que les sit-ups sont discutables car de nombreux élèves ne peuvent pas les exécuter correctement.

En conséquence, les chercheurs ont appelé à davantage de recherches sur la découverte d'approches plus efficaces pour le développement et l’évaluation de la condition physique dans les cours d'éducation physique en milieu scolaire (Keating et al., 2020). Il semble que les programmes assistés par la technologie soient les plus prometteurs, principalement en raison de leur flexibilité, de leur efficacité et de leur aspect pratique. Les problèmes liés aux contraintes de confidentialité, de temps, d'espace requis pour la mise en œuvre des tests peuvent en effet être en partie résolus avec l’usage d’une application numérique (Keating et al., 2020). En outre, une application numérique permettrait aux élèves à devenir plus autonomes par rapport à l’(auto-)évaluation de leur condition physique. Cette possibilité d’auto-évaluation est particulièrement importante dans l’optique de l’évolution du cours d’éducation physique en Belgique francophone où l’éducation à la santé va prendre une place de plus en plus importante. Une des finalités du cours d’éducation physique sera notamment d’aider les enfants et les adolescents à acquérir des connaissances, des aptitudes et la capacité à faire des choix judicieux pour leur santé et leur bien-être (Turcotte, Desbiens, Trudel, Demers & Roy, 2011).

Dans cette perspective, les objectifs de cette étude sont de : (1) décrire le développement d’une application Web pour l’évaluation de la condition physique des élèves mais aussi pour stimuler la mise en action autonome de ces élèves ; (2) tester l’utilisabilité de l’application web auprès d’enseignants d’éducation physique.

Méthodologie

Ce projet a été mené grâce à un financement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région Wallonne. Le processus de développement comportait trois phases (figure 1). Les étapes 1 et 2 représentent la phase 1, les étapes 3 à 6 représentent la phase 2 et les étapes 7 à 9 représentent la phase 3. Cette méthode est inspirée de celle utilisée par Eklund, Elfström, Eriksson et Söderlund (2018).

Phase 1

La phase 1 (étapes 1 et 2) a consisté à réaliser un examen de la littérature sur le développement et l’évaluation de la condition physique en éducation physique. L’objectif était de décider du contenu de l’application web. Les articles scientifiques repérés portaient, d’une part, sur le contenu des tests et, d’autre part, sur la manière de passer les tests, ainsi que sur les effets sur les élèves (Cale & Harris, 2009 ; Keating & Silverman, 2004 ; Mercier, Phillips & Silverman, 2016 ; Mercier & Silverman, 2014 ; Silverman, Keating & Phillips, 2008).

Sur la base des données probantes trouvées, les discussions au sein de l’équipe de recherche ont mené à des décisions sur le contenu et sur les stratégies d’intervention (SI) de sensibilisation, de mise en action et de développement de l’autonomie (Gadais, 2015) qui pourraient être intégrées dans une application numérique. Les tests sélectionnés sont issus principalement de deux sources, Eurofit Fitness Test Battery (Simons, Beunen, Renson & Van Gerven, 1982) et Fitnessgram© (Welk & Meredith, 2014).

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Figure 1 : Processus de développement de l’application web

Phase 2

La phase 2 (étapes 3 à 6) concerne le processus d’élaboration d’une application Web par le biais de laquelle les utilisateurs pourront évaluer les différents paramètres de leur condition physique (souplesse, endurance cardio-vasculaire, force, coordination, puissance, etc.) mais également participer à des défis individuels et collectifs pour améliorer leur capital santé. Un programmeur et les chercheurs ont tous participé au processus de conception.

Afin d’obtenir une vue d’ensemble des algorithmes, un modèle conceptuel de l’architecture du programme a été développé (étape 3). Ce modèle a également facilité la décision sur l’ordre logique du contenu. Le modèle conceptuel a également servi de base à une version papier de l’application web, qui montrait toutes les fonctions de la future application web, comme un squelette de menus, de boutons, etc.

Parallèlement au développement de l’application web (étape 5), tout le matériel de texte, pour l’encodage des contenus, l’enregistrement audio, les photos, les films a été développé. Les contenus (tests et défis) étaient fondés sur les éléments de preuve de la phase 1 (étape 4). Plusieurs discussions au sein du groupe de recherche et avec le programmeur ont conduit à la sélection des aspects graphiques (couleur, logo, police, etc.).

Phase 3

Dans la troisième phase, trois enseignants d’éducation physique issus de trois écoles secondaires partenaires ont eu accès à la version beta du programme afin que l’application puisse être évaluée avec leurs élèves au niveau de son utilisabilité (étape 7). L'évaluation de l'utilisabilité permet d'identifier les problèmes de l’application numérique et de fournir des informations au développeur pour améliorer le produit (Hsieh et al., 2019).

Après une période d’utilisation de quatre semaines, les participants à l’étude ont répondu à un questionnaire, le System Usability Scale (SUS) (Brooke, 1996). Cette échelle est composée de dix items, chacun ayant une échelle en cinq points allant de fortement en désaccord à fortement en accord. Il y a cinq items positifs et cinq items négatifs (tableau 1).

Tableau 1 : System Usability Scale (SUS) (Brooke, 1996)

1

Je pense que je vais utiliser cette application web fréquemment.

2

Je trouve l’application web inutilement complexe.

3

Je pense que l’application web est facile à utiliser.

4

Je pense que j'aurais besoin de l'assistance d'un expert pour pouvoir utiliser cette application web.

5

Je trouve que les différentes fonctions de l’application web sont bien intégrées.

6

Je pense qu'il y a trop d'incohérence dans cette application web.

7

J'imagine que la plupart des gens gagnerait à utiliser ce produit très rapidement.

8

Je trouve l’application web très difficile à utiliser.

9

Je me suis senti très confiant(e) en utilisant l’application web.

10

J'ai besoin d'apprendre beaucoup de choses avant de pouvoir utiliser ce produit.

Un 11ème item plus général a été ajouté par Bangor, Kortum et Miller (2009). Il s’agit de « Dans l'ensemble, je dirais que la convivialité de ce produit est la suivante : La pire imaginable, Catastrophique, Très Pauvre, OK, Bonne, Excellente, La Meilleure imaginable ».

L’échelle produit un score compris entre 0 et 100. Il est nécessaire d’approcher le score de 70 pour que l’application soit jugée acceptable (Bangor et al., 2009).

Résultats et discussion

Les résultats du System Usability Scale (SUS) obtenus chez les trois enseignants d’éducation physique se situent entre 35 et 62,5. Ces scores n’atteignent pas le niveau d’acceptabilité de 70 (Bangor et al., 2009) (figure 2). Parmi les remarques et les commentaires envoyés par les enseignants, il y a le fait qu’ils ont principalement utilisé l’application web sur la tablette et le smartphone avec les élèves. Cependant, sur smartphone, le graphisme et la lisibilité de l’application sont vraiment faibles. Plusieurs codes erreurs ont également été identifiés par les enseignants. Enfin, de nombreux commentaires convergeaient pour simplifier l’application et la rendre plus fluide : « La lecture des défis doit être rapide, on doit pouvoir encoder son résultat assez rapidement ».

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Figure 2 : Scores SUS obtenus auprès des trois enseignants

Un rapport synthétisant l’ensemble des remarques et des propositions d’amélioration a été envoyé au programmeur par l’équipe de chercheurs (étape 8). Le programmeur a retravaillé le design et la fluidité de l’application web.

L’étape suivante de la phase 3 (étape 9) consiste à tester à nouveau l’utilisabilité de l’application web avec un nouvel échantillon d’enseignants et d’élèves. Il s’agit également de tester la convivialité de l’application qui est définie comme le degré auquel un utilisateur peut facilement utiliser un produit numérique avec efficience, efficacité et satisfaction pour atteindre un objectif particulier (Hoehle, Aljafari & Venkatesh, 2016).

La méthode d'évaluation de la convivialité utilisée sera celle proposée par Bastien (2010). Dans cette méthode, « les utilisateurs sont invités à effectuer des tâches typiques avec un produit (…), tandis que leurs comportements sont observés et enregistrés afin d'identifier les défauts de conception pouvant entraîner des erreurs ou des difficultés pour l'utilisateur. Pendant ces observations, le temps requis pour terminer une tâche, les taux d'achèvement de la tâche, ainsi que le nombre et les types d'erreurs, sont enregistrés. Une fois les défauts de conception identifiés, des recommandations de conception sont proposées pour améliorer la qualité ergonomique du produit » (Bastien, 2010, p. e19).

Conclusion

L’utilisation d’une application numérique ouvre des perspectives intéressantes dans une éducation physique et à la santé qui vise à rendre les élèves plus autonomes par rapport à leur condition physique et leur santé. Toutefois, le processus de développement d’une application numérique n’est pas simple et exige de passer par différentes phases afin d’atteindre un niveau d’utilisabilité et de convivialité suffisamment acceptable.

Bibliographie

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Brooke, J. (1996). SUS: a „quick and dirty‟ usability scale. In P.W. Jordan, B. Thomas, B.A. Weerdmeester, & I.L. McClelland (Eds.), Usability Evaluation in Industry (pp. 189-194). London: Taylor and Francis.

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Welk, G.J., & Meredith, M.D. (2014). FITNESSGRAM®/ACTIVITYGRAM® Test Administration Manual4ème éditionDallas, TXThe Cooper Institute.

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Xavier Flamme, Yves Devillers, Stefano Pecoraro, Louise Deghorain et Jean-Philippe Dupont, « Conception d’un dispositif d’(auto-)évaluation de la condition physique à l’aide d’une application web », Actes de la 11ème Biennale de l’ARIS : Former des citoyens physiquement éduqués [En ligne], mis en ligne le 04 juin 2021, consulté le 25 avril 2024. URL : https://popups.uliege.be/sepaps20/index.php?id=280

Auteurs

Xavier Flamme

Yves Devillers

Stefano Pecoraro

Louise Deghorain

Jean-Philippe Dupont

Détails

Titre
Conception d’un dispositif d’(auto-)évaluation de la condition physique à l’aide d’une application web
fr
Auteur, co-auteur
Xavier Flamme, Yves Devillers, Stefano Pecoraro, Louise Deghorain et Jean-Philippe Dupont,
Date de publication
04 juin 2021
Titre du périodique
Actes de la 11ème Biennale de l’ARIS : Former des citoyens physiquement éduqués
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CC-BY
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Flamme, X., Devillers, Y., Pecoraro, S., Deghorain, L., & Dupont, J. (2021). Conception d’un dispositif d’(auto-)évaluation de la condition physique à l’aide d’une application web. Document présenté à Actes de la 11ème Biennale de l’ARIS : Former des citoyens physiquement éduqués. Un défi pour les intervenants en milieux scolaire, sportif et des loisirs - Liège 25-28 février 2020, Liège, Belgique.