Mise en œuvre du Programme de Gestion Durable de l'Azote et évaluation d'impact à l'échelle d'un bassin versant agricole (Arquennes, Belgique)
Univ. Liège - Gembloux Agro-Bio Tech. Laboratoire de Géopédologie. GRENeRA. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : m.deneufbourg@ulg.ac.be
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Résumé
Deux sites de prise d'eau exploités par la Société wallonne des Eaux (SWDE) sur la commune d'Arquennes (Province du Hainaut, Belgique) sont contaminés par le nitrate (concentrations supérieures à 50 mg NO3-.l-1). L'eau captée n'est actuellement plus utilisée par la SWDE pour la distribution. Les bassins d'alimentation de ces captages (31 ha et 47 ha) sont situés en zone exclusivement agricole et les sols y sont limoneux. Depuis octobre 2004, ces bassins servent de site pilote pour l'évaluation environnementale de bonnes pratiques agricoles en matière d'utilisation de fertilisants azotés. Les agriculteurs y font ainsi l'objet d'un suivi en matière de fertilisation azotée en vue d'améliorer la qualité de l'eau tout en préservant un rendement optimum. Ce suivi s'inscrit dans le cadre du Programme de Gestion Durable de l'Azote en agriculture (PGDA), transposition de la Directive européenne " Nitrates " en droit wallon. Un second objectif est d'étudier et de mettre en place un outil d'aide à la décision en matière de prévention de la contamination des eaux par le nitrate d'origine agricole à proximité des ouvrages de prise d'eau. Dans ce cadre, la modélisation des flux d'eau et de nitrate en zone saturée et non-saturée est entreprise. Huit piézomètres ont été forés pour caractériser le sol, le sous-sol et l'aquifère ainsi que pour suivre le niveau de la nappe et la qualité de l'eau. Des essais de traçage en milieu saturé et non-saturé ont été réalisés afin de déterminer le temps de transfert des contaminants entre la surface et les captages. L'étude menée jusqu'à présent nous renseigne que l'impact d'une modification des pratiques en surface n'est visible sur la qualité de l'eau captée que dans un délai de quatre à cinq ans minimum. Une amélioration progressive de la qualité de l'eau s'observe dans les prises d'eau depuis le début de l'année 2009.
Abstract
Application of the Action Programme and impact evaluation at a catchment scale (Arquennes, Belgium). Two water catchments exploited by a water supply company (SWDE) in the rural village of Arquennes (Hainaut Province, Belgium) are contaminated by nitrate (concentrations higher than 50 mg NO3-.l-1). Catched water is no longer used for distribution. The catchment basins (31 ha and 47 ha) are located exclusively in a cultivated area, mainly on loamy soils. Since October 2004, these basins are used as pilot areas for environmental evaluation of good agricultural practices in respect of use of nitrogen fertilizers. Farmers are supervised concerning nitrogen fertilisation with the aim to improve water quality, keeping optimum yield in the same time. This supervision fits into the general pattern of the Sustainable Nitrogen Management Program (PGDA in French), transposition of the European Nitrates Directive in Walloon legislation. Another objective of the working scheme is to study and to set up a decision-making tool concerning prevention of water contamination by agricultural nitrate around water catchments. Water and nitrate flux modelisation in both saturated and non-saturated zones is undertaken. Eight piezometers were drilled on the basins in order to describe soil, subsoil and aquifer and also to follow water table and water quality. Tracer tests in saturated and non-saturated zone were also achieved in order to determine transfer time of contaminants between soil surface and water catchments. The study shows that the impact of a modification of practices in surface can be detected in catched water quality within four or five years at the earliest. A gradual improvement in water quality is being seen in water catchments since the beginning of 2009.
1. Introduction
1Depuis plusieurs années, une tendance à l'augmentation de la pollution par le nitrate est observée dans la majorité des aquifères wallons (dont proviennent 80 % du volume d'eau destiné à la distribution publique en Région wallonne). Sur l'ensemble du territoire wallon, la proportion de prises d'eau présentant des teneurs en nitrate supérieures à 40 mg.l-1 est passée de 15,1 % pour la période 2000-2003 à 17,8 % pour la période 2004-2007 (Cellule Etat de l'Environnement Wallon, 2008). Les niveaux de contamination les plus élevés sont observés dans les masses d'eau du Crétacé de Herve, des Sables quaternaires de Comines-Warneton et des Sables du Bruxellien, dans des zones où la densité de population et/ou les activités agricoles sont particulièrement importantes. Le cas de la zone des Sables du Bruxellien est particulièrement illustratif : avant 2001, moins de 15 % des prises d'eau situées dans cette zone présentaient des eaux brutes dépassant la norme de potabilité fixée par l'Organisation Mondiale de la Santé en termes de nitrate (50 mg NO3-.l-1), alors que ce chiffre atteignait 25 % en 2007 (Cellule Etat de l'Environnement Wallon, 2007).
2Les sites de prise d'eau d'Arquennes (Province du Hainaut, Belgique) sont composés de deux galeries et deux émergences et sollicitent l'aquifère libre des Sables du Bruxellien. Ils sont contaminés par le nitrate, la situation s'étant particulièrement dégradée fin des années 1990.
3Les bassins d'alimentation de ces captages sont situés en zone exclusivement agricole (contexte de grandes cultures) et ont été équipés pour servir de sites pilotes pour :
4– la mise en œuvre effective de bonnes pratiques agricoles en matière d'utilisation de fertilisants azotés,
5– la détermination des améliorations à apporter à celles-ci pour atteindre les objectifs de qualité des eaux souterraines.
6Depuis octobre 2004, un programme d'action coordonné par GRENeRA (Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux, FUSAGx, devenue ULg - Gembloux Agro-Bio Tech) a été mis en œuvre sur ces bassins, dont les objectifs sont :
7– l'étude et la mise en place d'un outil informatique d'aide à la décision en matière de prévention de la contamination des eaux par le nitrate d'origine agricole à proximité des ouvrages de prise d'eau,
8– l'encadrement des agriculteurs exploitant des parcelles situées dans les zones de prévention des sites de prise d'eau afin d'ajuster leurs pratiques agricoles en vue d'améliorer la qualité de l'eau.
9L'encadrement des agriculteurs est assuré par l'ASBL Nitrawal (www.nitrawal.be), dont le rôle est ici d'accompagner les agriculteurs dans leur démarche pour protéger les ressources en eau de la pollution par le nitrate.
10Afin de déterminer le temps nécessaire pour que l'impact des modifications de pratiques en surface soit visible au niveau des eaux souterraines, des travaux de modélisation des flux et transports en zones saturée et non-saturée sont menés et des essais de traçage ont été réalisés en milieux saturé et non-saturé. Des piézomètres ont été forés sur les bassins pilotes afin de suivre la qualité de l'eau au toit de la nappe et de caractériser le sol, le sous-sol et l'aquifère.
2. Matériel et méthodes
2.1. Description physique des bassins pilotes d'Arquennes
11Quatre prises d'eau sont exploitées sur le territoire d'Arquennes par la Société wallonne des Eaux (SWDE). Il s'agit de deux galeries (G3 et G6) et de deux émergences (E1 et E2) qui fournissent ensemble un débit annuel de l'ordre de 160 000 m3. Ces sites de prise d'eau constituent les exutoires de deux bassins versants (Figure 1) : un bassin situé à l'ouest, d'une superficie de 31 ha comprenant une galerie (G3) et deux émergences (E1 et E2) et un bassin situé à l'est, d'une superficie de 47 ha comprenant une galerie (G6).
12Contexte géographique et hydrographique. Les bassins pilotes sont localisés dans le bassin hydrographique de l'Escaut. Ils sont situés dans le bassin versant du ruisseau des Trieux, lui-même situé dans le bassin versant de la Samme, lui-même situé dans le bassin versant de la Senne, un des 15 sous-bassins hydrographiques définis par la Région wallonne lors de l'établissement de sa politique de gestion de l'eau (Figure 1). La zone d'étude est, elle-même, subdivisée en deux bassins, le bassin pilote ouest et le bassin pilote est. Ces deux bassins sont séparés en surface par le tracé de l'autoroute E19.
13Contexte topographique. Les bassins pilotes sont localisés sur le plateau hennuyer, un des bas-plateaux de la Moyenne Belgique. Leur relief peut être caractérisé de mollement ondulé. L'altitude varie entre 120 et 160 m. Un levé de terrain par DGPS (3 600 points) a été réalisé afin d'élaborer le modèle numérique de terrain nécessaire à la délimitation du bassin topographique (Figure 2).
14Contexte géologique et hydrogéologique. Les bassins considérés s'étendent sur des couches tabulaires de l'Eocène et plus particulièrement sur des formations du Lutécien (formations de Lede et de Bruxelles) et de l'Yprésien (formations de Mons-en-Pévèle et de Carnières), recouvertes par des limons quaternaires.
15La nappe d'eau étudiée s'écoule dans l'aquifère des sables éocènes qui comprennent les formations de Lede, de Bruxelles et de Mons-en-Pévèle. Cependant, au droit des bassins est et ouest d'Arquennes, seules les formations de Bruxelles et de Mons-en-Pévèle sont présentes. Sous l'aquifère des sables éocènes se trouve l'aquiclude des argiles yprésiennes qui comprend la formation de Carnières. Cette formation de 10 m d'épaisseur assure une barrière hydrogéologique entre l'aquifère des sables éocènes et l'aquifère des calcaires dévono-carbonifères sous-jacents.
16Afin d'améliorer la compréhension géologique et hydrogéologique de la région d'Arquennes, deux coupes ont été tracées. Ces coupes mentionnent les formations traversées mais également le niveau piézométrique, sur base des mesures effectuées lors des forages ainsi que des prises d'eau appartenant à la SWDE. Une coupe Nord-Sud a été tracée pour chaque bassin versant (coupe A-A' au droit du bassin versant ouest et coupe B-B' au droit du bassin versant est) (Figure 3).
17Sur chaque coupe sont représentées quatre lithologies différentes (Figures 4 et 5) :
18– les limons du quaternaire formant une couche d'épaisseur variable (AMO),
19– les formations de Bruxelles et de Mons-en-Pévèle, constituant les sables aquifères de l'Eocène (BXL et MEP),
20– le sommet de la formation de Carnières, constituant l'aquiclude des argiles yprésiennes (CAR).
21Contexte pédologique. Le contexte pédologique des deux bassins est assez similaire. Les sols des plateaux et des pentes sont des sols limoneux ou sablo-limoneux, généralement profonds à drainage favorable. Leur valeur agricole est élevée à très élevée. Ils permettent une assez bonne économie en eau : le drainage naturel est bon et le pouvoir de rétention pour l'eau est assez élevé pour pouvoir assurer un approvisionnement en eau toute l'année (Pecrot, 1957 ; Louis, 1958).
22Les sols des vallées sont sans développement de profil sur des matériaux limoneux ou limono-sableux. Le drainage y varie de favorable à imparfait, sauf vers l'exutoire où il ralentit fortement et devient très pauvre.
23Contexte climatique. Le climat de la région est qualifié de tempéré et humide, comme le montre la figure 6. L'eau est disponible en abondance toute l'année, avec des maximums aux mois de juillet et aout. Sur les neuf années suivies (de 2000 à 2008), il est tombé à Arquennes en moyenne 943 mm de pluie par an, ce qui est supérieur à la valeur normale à Uccle de 805 mm d'eau par an.
24Le mois le plus froid est le mois de janvier avec une température moyenne de 3,7 °C. Le mois le plus chaud est le mois de juillet avec une température moyenne de 17,9 °C.
2.2. Suivi du PGDA sur les bassins pilotes d'Arquennes
25Depuis la révision du premier PGDA en 2007, les deux bassins pilotes se situent en zone vulnérable. Les agriculteurs exploitant des parcelles sur les bassins d'Arquennes sont donc soumis aux prescriptions en vigueur dans les zones vulnérables. Sept agriculteurs cultivent sur les bassins pilotes. En 2008, le taux de liaison au sol (LS) moyen de ces agriculteurs était de 0,68. Cette valeur est comparable au LS moyen de la région wallonne (Cellule Etat de l'Environnement Wallon, 2007). Ce bassin pilote est donc représentatif en matière de pression " azote organique ". Ces agriculteurs sont encadrés pour l'application du PGDA par Nitrawal ASBL (www.nitrawal.be), non seulement en ce qui concerne les bassins pilotes mais également sur l'ensemble de leurs exploitations.
26L'encadrement porte d'abord sur le respect des périodes, conditions et plafonds d'épandage définis dans le PGDA. La gestion de l'interculture est également suivie. Des conseils de fertilisation sont établis chaque année au printemps par les conseillers de Nitrawal sur base de profils azotés réalisés dans les parcelles des bassins pilotes.
27Cinq des agriculteurs exploitant sur les bassins pilotes sont concernés par la mise aux normes de leurs bâtiments d'élevage afin de respecter les prescriptions en vigueur, à savoir une capacité de stockage de six mois pour les effluents liquides et un dimensionnement des fumières en fonction du type de fumier produit.
28Sur chaque parcelle des bassins d'Arquennes, la concentration en azote nitrique du sol est mesurée chaque automne en début de période de lixiviation ; on obtient ainsi les APL (Azote Potentiellement Lessivable), indicateurs du risque de migration du nitrate en profondeur en hiver avec les eaux de percolation. Les APL ainsi mesurés sont comparés à des valeurs de référence établies chaque année dans un réseau de plus de 200 parcelles réparties dans 35 exploitations en Wallonie. Ces exploitations constituent le " Survey Surfaces Agricoles ", dans lequel les agriculteurs sont encadrés en matière de gestion de l'azote par les deux partenaires scientifiques appartenant à la structure d'encadrement de Nitrawal ASBL. La comparaison des APL mesurés aux APL de référence constitue ainsi un indicateur de la bonne gestion de l'azote par l'agriculteur.
2.3. Les piézomètres
29Sept piézomètres ont été forés en 2005 pour couvrir les bassins d'Arquennes et un (nommé " E4 ") au nord du bassin est (Figure 7). Ce dernier, situé en dehors des bassins versants, sert de témoin " sans encadrement des agriculteurs " et permet également de mieux préciser la limite hydrogéologique des bassins.
30Ce réseau de piézomètres à Arquennes permet :
31– de caractériser le sol, le sous-sol et l'aquifère. L'identification des couches de sol et de sous-sol traversés lors du forage ainsi que des niveaux d'eau ont permis la réalisation de coupes hydrogéologiques (Figures 4 et 5). Une première campagne de pompages d'essai, en février 2006, a permis de calculer les perméabilités de l'aquifère;
32– un suivi de la réactivité de la nappe en fonction de la pluviométrie annuelle et la détermination des gradients d'écoulement dans le cadre de pompages d'essai ;
33– un suivi de la qualité de l'eau au toit de la nappe depuis juin 2006 par un échantillonnage mensuel.
2.4. Les essais de traçage
34Un des objectifs du projet mis en place à Arquennes est la détermination de l'intervalle de temps entre les actions menées en surface en termes de pratique agricole et leur impact sur la qualité de l'eau. Deux essais de traçage ont été menés sur les bassins pilotes d'Arquennes : un essai en milieu non-saturé et un essai en milieu saturé.
35L'essai en milieu non-saturé a débuté en date du 6 avril 2006. Outre la détermination du temps de transfert d'un polluant entre la surface du sol et le toit de la nappe, l'objectif de cet essai était de préciser les paramètres hydrodispersifs verticaux locaux du milieu non-saturé, pour un polluant soumis à l'influence de la pluviométrie. Le dispositif d'injection a consisté en une planche d'infiltration située à l'amont immédiat de PZ E3, dans une zone du bassin versant présentant une épaisseur minimale (six mètres) de terrain en milieu non-saturé. Le traçage a consisté en l'injection d'uranine via cette planche d'infiltration. Un volume d'eau a ensuite été déversé sur la planche d'infiltration afin de chasser un maximum de traceur dans le sol. Un échantillonnage automatique dans un premier temps, puis manuel dans un second temps, a été mis en œuvre au droit du piézomètre PZ E3, distant d'une vingtaine de mètres en aval de la planche d'infiltration. Un dispositif d'échantillonnage a également été mis en place dans la galerie G6, située 200 m en aval.
36L'essai de traçage quantitatif en milieu saturé a été mené en 2007 avec une injection de naphtionate dans le piézomètre PZ E3. Outre la détermination du temps de transfert du traceur depuis son arrivée dans la nappe libre jusqu'au captage, l'objectif de cet essai était de préciser les paramètres hydrodispersifs locaux du milieu saturé, pour un traceur soumis à un flux d'eau.
2.5. La modélisation des flux en milieu saturé et en milieu non-saturé
37Une des actions entreprises à Arquennes concerne la modélisation des flux d'eau et de nitrate aussi bien en milieu non-saturé qu'en milieu saturé, en vue de contribuer à l'évaluation du temps de réponse des bassins versants aux pratiques agricoles et de quantifier l'impact des modifications de pratique. Pour cela, un découpage du bassin versant en deux zones a été réalisé : la zone non-saturée dans laquelle le mouvement de l'eau est principalement gravitaire (vertical par percolation) et la zone saturée où domine la composante horizontale vers les exutoires (prises d'eau et cours d'eau).
38Les écoulements (eau) et transferts (nitrate) dans la zone racinaire sont modélisés à l'aide du logiciel SWAT (Soil and Water Assessment Tool). Le modèle SWAT a été développé afin de prédire les impacts de la gestion du territoire sur l'eau, les sédiments et les rendements agricoles dans des bassins versants dont les sols et leur occupation, ainsi que les pratiques de gestion, varient sur plusieurs années (Arnold et al., 2005).
39SWAT est un modèle qui satisfait aux objectifs suivants :
40– il repose sur des bases physiques,
41– il utilise des variables d'entrée facilement disponibles pour l'utilisateur dans la majorité des cas,
42– il peut s'appliquer à de grandes surfaces (plusieurs milliers de km2) comme à l'échelle parcellaire,
43– il permet d'envisager des impacts à long terme (plusieurs dizaines d'années).
44Le modèle a été calibré sur cinq années (de 2000 à 2004) à l'aide des données (climat, pratiques agricoles, pédologie, géologie) acquises sur le bassin versant. Le calibrage a été effectué en confrontant les résultats des simulations aux observations réalisées sur le terrain et en adaptant les paramètres du modèle en conséquence. Une fois que les résultats des simulations se rapprochent des observations de terrain avec un degré de précision suffisant, le modèle est validé par des tests sur les années suivantes.
45Parallèlement à cette modélisation à l'aide de SWAT, une modélisation de l'essai de traçage en milieu non-saturé a été réalisée à l'aide d'un logiciel spécialisé afin de déterminer les paramètres hydrodispersifs du terrain investigué et d'extrapoler les résultats obtenus en simulant, par exemple, une variation de l'épaisseur du milieu non-saturé ou encore une variation du type de polluant. Le logiciel de modélisation choisi est SESOIL qui fait partie de la suite WHI UnSat Suite développée par l'EPA (Environmental Protection Agency) pour simuler (simulation 1-D) les flux d'eau et le transport de polluants au travers de la zone non-saturée.
46Le modèle utilisé pour les écoulements et le transport en milieu saturé est le modèle AQUA3D. Ce modèle a été étendu au-delà des bassins pilotes jusqu'au ruisseau des Trieux afin d'être délimité par des frontières de type flux nul et ainsi éviter les effets de bord. Ce modèle intègre les données piézométriques, les débits observés ainsi que les observations réalisées à l'occasion de pompages d'essai et de l'essai de traçage.
3. Résultats et discussion
3.1. Encadrement
47CIPAN (Culture Intermédiaire Piège à Nitrate). En zone vulnérable, le PGDA actuel prévoit, pour le 15 septembre, un couvert hivernal sur une proportion d'au moins 75 % des terres arables sur lesquelles la récolte a eu lieu avant le premier septembre et destinées à recevoir une culture implantée l'année suivante, à l'exception du lin et du pois. Ce couvert (CIPAN) ne peut être détruit avant le premier décembre.
48Sur les bassins d'Arquennes, depuis 2005, plus de 90 % des parcelles récoltées avant le 15 septembre sont couvertes de CIPAN. Ces parcelles représentent chaque année plus de la moitié de la superficie des bassins versants.
49Evolution des APL. Depuis le début du projet en 2004, une campagne systématique d'échantillonnage est réalisée en automne afin de déterminer les APL sur les bassins pilotes d'Arquennes (voir § 2.2.). Depuis 2005, l'APL moyen mesuré sur les parcelles des bassins d'Arquennes diminue régulièrement (Figure 8), soulignant ainsi l'effet de l'encadrement des agriculteurs en termes de gestion de l'azote et de leurs efforts dans ce domaine.
50Selon une étude menée sur des lysimètres installés en plein champ (Fonder et al., 2007), l'ordre de grandeur de la concentration en nitrate dans l'eau de percolation (exprimée en mg NO3-.l-1) à 2 m de profondeur est comparable aux APL mesurés à l'automne (exprimés en kg N-NO3-.ha-1) avec un décalage de 6 à 18 mois, en fonction de la pluviométrie et des conditions culturales. L'APL moyen obtenu en 2007 sur les bassins pilotes indique donc que l'eau qui a percolé en profondeur en 2008 présentait, en moyenne à l'échelle des bassins versants, une concentration en nitrate assez basse.
51La comparaison des APL mesurés sur les bassins d'Arquennes avec les valeurs de référence établies dans le Survey Surfaces Agricoles peut également être effectuée (Figure 9). Cette comparaison permet de tenir compte d'un effet " année " qui pourrait se marquer dans les APL en fonction des conditions climatiques de l'année. Pour être conforme, une parcelle doit présenter un APL inférieur au centile 75 des observations dans le Survey Surfaces Agricoles pour la classe de culture considérée, augmentée d'une marge de tolérance. On peut voir que la proportion de parcelles conformes vis-à-vis des références reste relativement stable entre 2005 et 2007, avec un pourcentage variant entre 80 % et 90 %.
52Respect du PGDA. De manière générale, les agriculteurs exploitant des terres situées sur les bassins pilotes respectent les prescriptions indiquées dans le PGDA. En effet, toutes les exploitations sont liées au sol (LS inférieur à l'unité) et les bonnes pratiques sont appliquées (Tableau 1). Par contre, deux exploitations doivent encore se mettre aux normes en ce qui concerne le stockage des engrais de ferme.
3.2. Suivi piézométrique
53Dans l'ensemble, les variations de niveau d'eau observées entre 2005 et 2008 sont faibles (quelques centimètres) mais permettent néanmoins de distinguer, en première approche, trois groupes de piézomètres aux comportements distincts en relation avec le contexte géologique local. En effet, les piézomètres les plus réactifs en réponse à des événements pluvieux et d'infiltration sont ceux situés au droit ou à l'aval immédiat des zones présentant une faible épaisseur en terrains limoneux du Quaternaire et/ou en terrains du Bruxellien.
54Le monitoring piézométrique permet les observations suivantes :
55– lors des années de faible pluviométrie (2005 : 797 mm), le temps de réponse entre les principales périodes d'infiltration d'eau météorique dans la nappe et leur influence sur les niveaux d'eau est compris entre 11 et 14 mois,
56– lors des années de pluviométrie intermédiaire (2006 à 2008 : 897 mm en moyenne), le temps de réponse entre les principales périodes d'infiltration dans la nappe et leur influence sur les niveaux d'eau est de l'ordre de 8 à 13 mois, soit un temps de réponse intermédiaire.
3.3. Essais de traçage
57Grâce à six prélèvements de sol réalisés au droit de la planche d'épandage entre deux et vingt-neuf mois après l'injection du traceur, la vitesse de migration de l'uranine en phase solide est estimée à 0,09 cm par jour.
58Parallèlement à ces prélèvements de sol, l'échantillonnage automatique dans le piézomètre PZ E3 et dans la galerie G6 permet de préciser la vitesse de transfert de l'uranine en phase liquide entre la surface du sol et la nappe à 2,2 cm par jour. Ces résultats demeurent en accord avec les conclusions déduites de la comparaison des historiques de débits de pompages, de la pluviométrie, de l'eau utile et de la piézométrie, à savoir que les temps de réponse entre les principales périodes d'infiltration d'eau de pluie dans la nappe (et non du traceur, pour lequel il faut supposer un coefficient de retard) et leur influence sur les débits captés demeurent de l'ordre de 8 à 13 mois pour des années de pluviométrie moyenne.
59En ce qui concerne l'essai de traçage en milieu saturé, les vitesses de migration horizontale sont très rapides : la première restitution à la galerie G6 est observée moins de quatre jours après l'injection au droit de PZ E3, correspondant à une vitesse d'environ 4 800 cm par jour.
60Une simulation de l'évolution de l'uranine dans le sol a par ailleurs été menée à l'aide du logiciel SESOIL afin d'extrapoler les résultats observés dans le temps et dans l'espace. Les vitesses de migration simulées de l'uranine en phase solide (partie adsorbée) et en phase liquide sont similaires aux vitesses mesurées (par analyse des tarières et des concentrations en uranine observées au droit du PZ E3).
61Sur la base de l'épaisseur moyenne du milieu non-saturé déduite des différents piézomètres forés (environ 10 m) et des vitesses de première arrivée du traceur, on peut estimer qu'il faudra en moyenne, et à l'échelle du bassin versant, 13 mois pour qu'un traceur tel que l'uranine commence à être restitué au droit de la nappe après avoir été épandu en surface. Ce temps de réponse est tout à fait comparable au temps de réponse déjà estimé pour l'eau sur base des données de pluviométrie et du monitoring piézométrique manuel. Néanmoins, en fonction de l'épaisseur des terrains traversés :
62– le pic de concentration maximal n'apparaitrait à la surface de la nappe qu'entre 21 et 36 mois après l'épandage du traceur en surface,
63– les concentrations à la surface de la nappe ne rejoindraient le bruit de fond initial qu'entre 51 et 63 mois après épandage du traceur en surface.
3.4. Teneur en nitrate dans les prises d'eau
64Les teneurs en nitrate dans les prises d'eau d'Arquennes sont suivies depuis plusieurs années par la SWDE (Figure 10). La galerie G6, située sur le bassin est, montre historiquement une teneur en nitrate supérieure aux prises d'eau situées sur le bassin ouest. En 2003, toutes les prises d'eau présentaient des teneurs en nitrate élevées, entre 45 et 72 mg.l-1.
65Depuis le début du projet (fin de l'année 2004), les teneurs en nitrate dans les galeries G3 et G6 sont restées supérieures à la norme de potabilité de l'eau fixée à 50 mg.l-1 et relativement stables : entre 60 et 70 mg.l-1 dans la G6 et de l'ordre de 60 mg.l-1 dans la G3. La qualité de l'eau dans les galeries montre cependant une évolution favorable pour le début de l'année 2009, avec une diminution des concentrations en nitrate dans les galeries durant cette période. Le laps de temps entre la modification des pratiques en surface et son impact sur la qualité de l'eau aux prises d'eau semble donc respecter, sous réserve de confirmation par les mesures futures, les prédictions des simulations réalisées à l'aide du logiciel SESOIL (voir §3.3.), à savoir un laps de temps entre quatre et cinq années.
66Dans les émergences E1 et E2, les teneurs en nitrate étaient proches ou dépassaient les 50 mg.l-1 au début du projet (fin 2004). Depuis, les concentrations ont baissé et sont stabilisées, depuis 2007, sous les 50 mg.l-1.
3.5. Teneur en nitrate dans les piézomètres
67Depuis juin 2006, un échantillonnage mensuel dans les piézomètres est réalisé pour évaluer la concentration en nitrate dans la frange superficielle de l'aquifère (Figures 11 et 12).
68La concentration en nitrate dans le PZ E4 présente un comportement très erratique et assez différent des autres piézomètres. A cet endroit, la nappe est plus proche de la surface qu'au niveau des autres piézomètres ; ceci explique les variations importantes de concentration observées. Les piézomètres PZ E2 et PZ E3, situés en amont de la galerie G6, montrent des concentrations relativement similaires depuis le début des mesures et inférieures à celles mesurées dans la G6, préfigurant une amélioration de la qualité de l'eau captée à la galerie G6. Celle-ci se marque d'ailleurs depuis le début de l'année 2009. De manière générale, les piézomètres indiquent une baisse de la concentration en nitrate après un pic observé en février 2009, qui reste cependant encore supérieure à 50 mg.l-1.
69Les observations réalisées dans les piézomètres du bassin ouest concordent globalement avec celles réalisées sur le bassin est. Les concentrations dans le piézomètre PZ O2, situé en amont des émergences E1 et E2, se situent constamment sous les 50 mg.l-1 depuis le début des observations, à l'exception d'un pic en février 2009. Les concentrations observées dans le PZ O1, situé dans l'axe du thalweg en amont de la galerie G3, sont du même ordre de grandeur que celles observées dans cette galerie, avec toutefois des valeurs légèrement plus élevées depuis le début de l'année 2009. Compte tenu du gradient d'écoulement de la nappe au droit du PZ O1, les eaux passant au droit ou à proximité de ce dernier sont susceptibles de se retrouver, in fine, dans la galerie G3. Enfin, le piézomètre PZ O3, situé sur des épaisseurs de limon et de sable plus importantes en amont de la galerie G3, montre une amélioration constante de la qualité de l'eau depuis le début de l'année 2008. De manière générale, comme sur le bassin est, les piézomètres marquent une baisse de leur concentration en nitrate après un pic observé en février 2009.
70Modélisation des flux en zone racinaire (modèle SWAT). Le modèle SWAT est actuellement en phase de calibration et validation. Le calibrage porte sur le calcul du bilan hydrique, des rendements des végétaux et du bilan d'azote.
71Le tableau 2 reprend les résultats obtenus à l'aide de SWAT pour le calcul de la concentration en nitrate de l'eau de percolation sous la zone racinaire (à 2 m de profondeur).
72Les deux premières années des simulations (2000 et 2001) peuvent être considérées comme des années de mise en régime du sol au niveau hydrique et leurs résultats doivent être interprétés avec précaution. A titre de comparaison, la teneur moyenne en nitrate mesurée dans la galerie G3 (bassin ouest) à cette période s'élevait à 55 mg.l-1 et celle à la galerie G6 (bassin est) s'élevait à 69 mg.l-1.
73Afin de valider les teneurs en nitrate dans les percolats sous la zone racinaire, une comparaison avec les APL mesurés à l'automne précédent (voir §3.1., Evolution des APL) a été entreprise. Cette comparaison porte sur les concentrations en nitrate dans l'eau calculées par SWAT en 2006 et les APL mesurés à l'automne 2005. Ceux-ci s'élevaient en moyenne à 46 kg N-NO3-.ha-1 sur le bassin ouest et 88 kg N-NO3-.ha-1 sur le bassin est. On peut donc en conclure que les simulations SWAT surestiment actuellement quelque peu les teneurs en nitrate dans l'eau de percolation. Un affinage de la calibration du modèle s'avère dès lors encore nécessaire.
4. Conclusion
74Ce projet a permis de mener, depuis octobre 2004, une série d'actions en vue de restaurer la qualité de l'eau à l'échelle du bassin versant, occupé exclusivement par des terres agricoles sur le territoire d'Arquennes (Belgique). Les agriculteurs exploitant sur les bassins pilotes d'Arquennes sont encadrés dans leur gestion de l'azote de telle sorte que l'application du PGDA est effective sur ces bassins pilotes.
75Le PGDA définit deux types d'indicateurs qui sont mesurés annuellement dans ces exploitations agricoles : le taux de liaison au sol à l'échelle de l'exploitation et la mesure des APL à l'échelle de la parcelle. Pour chacun de ces indicateurs, des niveaux de référence sont fixés et respectés par ces agriculteurs.
76L'approche par bassin versant permet de confronter ces indicateurs " parcelle " et " exploitation " et leurs niveaux de référence à l'indicateur qui s'impose naturellement à cette échelle : la concentration en nitrate mesurée à l'exutoire de celui-ci. L'approche par bassin versant telle qu'appliquée à Arquennes s'impose donc comme l'échelle de travail la plus à même de valider les mesures en vigueur dans le PGDA au regard de ses objectifs.
77Afin de déterminer l'intervalle de temps nécessaire pour que l'impact des (modifications de) pratiques se marque sur la qualité de l'eau captée dans l'aquifère, deux essais de traçage (milieu saturé et non-saturé) ont été réalisés. Ceux-ci ont permis d'estimer le temps de migration minimum (c'est-à-dire pour une substance dont les propriétés sont proches de celles de l'eau) entre la surface topographique et la surface de la nappe dans une fourchette comprise entre huit et seize mois pour la période observée (période de faible à moyenne pluviométrie). Cet intervalle est cohérent avec les conclusions issues des observations de débits dans les prises d'eau et de niveau d'eau dans les piézomètres. Néanmoins, dès lors qu'il est nécessaire de tenir compte d'un phénomène d'adsorption en phase solide dans le milieu non-saturé, les temps de migration nécessaires à un lessivage complet du traceur en milieu non-saturé peuvent être bien plus longs. Les simulations réalisées à partir des données de l'essai de traçage montrent que ceux-ci s'échelonnent entre 51 et 63 mois, en fonction de la nature et de l'épaisseur des terrains traversés.
78Le suivi des teneurs en nitrate dans les prises d'eau montre une amélioration progressive de la teneur en nitrate de l'eau captée depuis le début de l'année 2009 ; cette amélioration se marque également au toit de la nappe, dans les piézomètres. En tenant compte des enseignements tirés de l'essai de traçage et des simulations s'y rapportant, il est raisonnable d'espérer une poursuite dans la restauration de la qualité de l'eau captée dans les années à venir. Il sera alors possible d'évaluer l'efficacité des mesures menées en surface en vue de restaurer la qualité des eaux captées.
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