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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

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Diaminatou Sanogo, Mamadou N’Diaye, Marcel Badji & Seydi Ababacar Beye

Optimisation de l’utilisation des ressources communes dans le bassin arachidier du Sénégal : évaluation ex ante de plans et d’alternatives de gestion durable

(Volume 18 (2014) — Numéro 3)
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reçu le 27 juin 2013, accepté le 28 mai 2014

Résumé

La mise en défens d’Espaces Sylvo-Pastoraux Inter-Villageois (ESPIV) est une initiative endogène des communautés locales du bassin arachidier du Sénégal pour faire face aux effets conjugués des changements climatiques et de la dégradation des ressources. Situées en dehors des zones de cultures, ces réserves communautaires constituent une source de fourrage pour le bétail local et pour les transhumants, et offrent des revenus additionnels aux populations rurales. La mise en défens de ces ESPIV est soutenue par des outils de gestion tels que le Plan Simple de Gestion (PSG) et le Plan d’Aménagement et de Gestion (PAG). Dans certains cas, l’impact économique de ces plans sur la réduction de la pauvreté à l’échelle communautaire est très perceptible. Mais dans d’autres cas, les attentes des populations ne sont pas atteintes. Cet article fait une évaluation ex ante de plans prévisionnels de gestion de deux ESPIV de tailles différentes dans le bassin arachidier du Sénégal. Elle est basée sur l’approche d’évaluation anticipée du surplus économique et environnemental de la gestion des ESPIV. Les résultats montrent que les plans simples de gestion des ESPIV de moins de 20 ha sont peu enclins à contribuer au développement local, même consolidés par des mesures incitatives. Par contre, les plans d’aménagement et de gestion, préconisés pour les espaces plus larges qui disposent plus de produits forestiers, ont un impact significatif sur le surplus des communautés qui peuvent ainsi investir davantage dans le développement local. L’amélioration des PSG par des alternatives supplémentaires appropriées comme la taxation de la transhumance et la valorisation marchande des fruitiers sauvages est indispensable pour améliorer leur utilité économique. Cette étude a permis de montrer les limites des PSG en rapport aux PAG et de proposer des alternatives d’amélioration. Ainsi, elle permet de fournir aux décideurs des pistes de négociation dans le cadre d’une gestion durable des ressources communes dans un contexte de décentralisation.

Mots-clés : communautés locales, gestion des ressources, participation communautaire, Sénégal, système sylvo-pastoral

Abstract

Optimizing the use of common resources in the groundnut basin of Senegal: An ex-ante evaluation of plans and alternatives for sustainable management. The preservation of inter village forestry and pastoral spaces (ESPIVs) is an endogenous initiative, introduced by local communities in the groundnut basin of Senegal, to meet the combined effects of climate change and resource degradation. Located outside crop-growing areas, these community reserves are a source of fodder for livestock and for local transhumance, and they provide additional income for rural populations. The preservation of these ESPIVs is supported by management tools such as the Simple Management Plan (PSG) and the Development and Management Plan (PAG). In some cases, the economic impact of these plans on poverty reduction at the community level is very noticeable. But in other cases, the expectations of the communities are not being met. This article is an ex-ante evaluation of the projected management plans of two ESPIVs in the groundnut basin of Senegal. The results show that simpler management options involving reduced areas would make only a small contribution to local development, even when consolidated with various incitative measures. Management options involving interventions in the infrastructure of vast areas with a high forest-product potential would have a positive impact on the economic surplus of the members of those communities, hence reinforcing possibilities for local development. However, this approach is controversial and simpler management options therefore need to be re-assessed. These simpler options would involve alternatives for revenue generation, such as taxation for access to common land resources by transhumant livestock and the marketing of non-ligneous forest products. This study shows the limits of PSG compared to PAG and proposes alternatives for improved approaches to managing ESPIVs. Thus, the study provides decision-makers with possible negotiating tracks in a situation requiring the sustainable management of common resources within a context of decentralization.   

Keywords : community participation, local communities, resources management, Senegal, sylvopastoral system

1. Introduction

1Dans le sud du bassin arachidier du Sénégal, l’expansion de la culture de l’arachide a contribué à une forte pression démographique, agricole et animale qui a fragilisé les agro-écosystèmes de la zone. Sous l’emprise d’une surexploitation accrue, les terres ont perdu de leur fertilité et les ressources naturelles se sont fortement dégradées (Banzhaf, 2005 ; Wezel et al., 2006). La situation s’est d’autant plus aggravée ces dernières années avec la variabilité pluviométrique qui caractérise le Sahel (Ba et al., 2003). Face à cette situation, les populations ont développé des stratégies d’adaptation qui consistent à créer des conditions de régénération des écosystèmes et de maintien de la diversité écologique, avec ou sans l’aide des programmes du gouvernement et d’autres partenaires (Diouf, 2010). Parmi celles-ci, figure en bonne place la mise en défens d’Espaces Sylvo-Pastoraux Inter-Villageois (ESPIV) (Albergel et al., 1995 ; Kremer, 2003 ; Badji, 2005 ; PERACOD, 2007 ; Sanogo et al., 2009 ; Sanogo, 2011). Communément appelées ESPIV, ces réserves communautaires qui sont situées en dehors des zones de cultures sont une source potentielle de revenus additionnels pour les populations locales, à travers la production de bois de chauffe et de service, de fruits, de charbon, de pailles et de fourrages pour les éleveurs transhumants (Charpin, 2004 ; Seegers, 2005 ; Sanogo, 2011). Elles contribuent en outre à l’atténuation des effets des changements climatiques par la réduction de la variabilité et de l’insuffisance des pluies, ainsi qu’à l’amélioration de la fertilité des sols, à la diversité biologique, etc. (Sanogo, 2011). Sur le plan juridique, au Sénégal, la loi 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des Collectivités locales et la loi 96-07 du 22 mars 1997 portant transfert de compétences aux régions, communes et communautés rurales promeuvent les ESPIV. Sur le plan organisationnel et technique, leur mise en défens est soutenue par des outils de gestion tels que le Plan Simple de Gestion (PSG) et le Plan d’Aménagement et de Gestion (PAG) qui sont élaborés avec l’appui des services de développement et de la recherche. Ces plans visent à garantir à terme la pérennité de la production forestière, en valeur et en quantité et, si possible, sa progression. Les plans de gestion ont pour objectif d’assurer la gestion et la production durable des ressources ligneuses et fourragères ainsi que la gestion durable des conflits liés au partage des ressources communes (PERACOD, 2007). Dans le sud du bassin arachidier du Sénégal, on dénombre actuellement une vingtaine d’ESPIV qui sont gérés par les communautés rurales du fait de leur importance économique et écologique (Sanogo, 2011). Les bilans prévisionnels des PSG et des PAG montrent cependant des résultats mitigés (PERACOD, 2007). Dans certains cas, à l’échelle des communautés, les attentes des populations ne sont pas atteintes, après de nombreuses années de conservation, compte tenu de la faiblesse des revenus tirés de l’exploitation des produits des ESPIV et/ou à la répartition inéquitable des recettes entre les bénéficiaires (Charpin, 2004). Dans d’autres cas, l’impact économique de leur gestion sur la réduction de la pauvreté à l’échelle communautaire est très perceptible (PERACOD, 2005). Il s’avère donc important d’anticiper les impacts économiques et environnementaux des plans de gestion des ressources communes des ESPIV en vue de faire des propositions d’amélioration pour qu’ils puissent intéresser davantage l’ensemble des acteurs qui y sont impliqués. En effet, plus les communautés qui partagent ensemble des ressources communes peuvent tirer profit de leur exploitation pour lutter contre la pauvreté, mieux elles s’impliqueront à leur gestion durable (Sanogo, 2011).

2. Matériel et méthodes

2Une approche d’évaluation anticipée du surplus économique et environnemental de la gestion des ESPIV est utilisée pour analyser la contribution des ressources communes à la lutte contre la pauvreté dans les communautés qui les partagent (Bigot, 1995 ; Le Gal, 1995 ; Weber, 1995 ; Lalba et al., 2005). Cette approche est basée sur la méthode du surplus économique qui consiste à agréger les revenus de l’exploitation des ressources des ESPIV avec les revenus de la principale activité des communautés qui les utilisent et qui, dans ce cas précis, est l’agriculture.

2.1. Terroirs de l’étude

3La recherche a été menée dans le sud du bassin arachidier qui est localisé au Centre-Ouest du Sénégal et compris entre les isohyètes 600 et 800 mm. Deux ESPIV ont servi de sites de recherche-action participative. Les caractéristiques de ces sites sont mentionnées dans le tableau 1. L’ESPIV de Ndock Saré est localisé au centre-sud du bassin arachidier, compris entre 14° 26' 09,4'' et 14° 26' 30,4'' de latitude nord et entre 16° 08' 11,9'' et 16° 08' 24,3'' de longitude ouest et situé dans la communauté rurale de Patar Lia, département de Gossas, région de Fatick (Figure 1). La moyenne pluviométrique sur une période de 10 ans y est de 627 mm de pluie par an (ANSD, 2010). Six villages, regroupant au total 74 ménages, participent à la gestion de cet ESPIV qui a été mis en défens depuis 1998 et qui couvre une superficie de 11,95 ha. Il s’agit des villages de Ndock Saré, Keur Médoune, Keur Diouga, Diaby Kondel, Ndock Peulh et Ndock Tamsir. Les formations végétales dominantes sont des savanes arbustives. Les espèces ligneuses dominantes dans la mise en défens sont Guiera senegalensis J.F.Gmel., Combretum micranthum G.Don, Combretum glutinosum Perr. ex DC., Acacia seyal Delile, Tamarindus indica L., Balanites aegyptiaca (L.) Delile, Ziziphus mauritiana Lam., Acacia nilotica (L.) Delile, Diospyros mespiliforis Hochst ex A.DC.

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4L’ESPIV de Keur Niène, qui couvre une superficie de 116 ha, est localisée à l’ouest du bassin arachidier dans la communauté rurale de Ndiédieng, région de Kaolack (Figure 1) entre 13° 56' 59,3'' et 13° 58' 10,7'' de latitude nord et entre 16° 06' 59,8'' et 16° 07' 49,4'' de longitude ouest. La moyenne pluviométrique sur une période de 10 ans y est de 669 mm de pluie par an (ANSD, 2010). Les six villages qui gèrent en commun cet ESPIV sont Keur Niène Sérère, Tallène, Ndiobène Tallène, Thissé Tallène, Keur Bocar Sow et Keur Guirène Peulh. On y dénombre au total 337 ménages agricoles. Les formations végétales dominantes sont également des savanes arbustives. Les espèces dominantes sont Feretia apodanthera Delile, Acacia seyal, Hoslundia opposita Vahl, Combretum glutinosum et Anogeissus leiocarpus (DC.) Guill. & Perr. (Badji et al., 2013).

2.2. Justification du choix des terroirs

5L’intérêt du choix des deux terroirs pour la recherche est de pouvoir comparer deux situations extrêmement différentes. L’ESPIV de Ndock Saré est d’une petite superficie et donc limitée en ressources communes. Un plan simple de gestion (PSG) sur six ans, de 2011 à 2016, a été élaboré pour l’exploitation de la mise en défens. Le plan prévoit en première année une éclaircie sanitaire de toute la mise en défens, qui consiste à collecter tout le bois mort disponible en quantité abondante après 13 années de mise en défens totale.

6Une superficie d’1 ha est prévue pour être exploitée chaque année par la coupe à blanc et la commercialisation du bois de chauffe et de service des combrétacées. En retour, le PSG prévoit l’aménagement des parcelles qui seront exploitées par la mise en place de pare-feux, la protection des jeunes pousses, la sélection de rejets et l’enrichissement par des espèces améliorées. Cette rotation permettra une reconstitution de la végétation des zones exploitées et contribuera à l’approvisionnement en bois des populations riveraines.

7L’ESPIV de Keur Niène, qui a une superficie 10 fois plus grande que celle de Ndock Saré, dispose de plus de ressources forestières. Un plan d’aménagement et de gestion (PAG) sur huit ans, de 2012 à 2019, a été élaboré pour l’exploitation de la mise en défens. Le PAG prévoit d’exploiter au total 92,8 ha des 116 ha de la mise en défens. Une superficie de 11,6 ha sera ainsi annuellement exploitée. Il y est prévu, en plus de l’exploitation du bois de chauffe et de service comme dans le PAG de Ndock Saré, de produire du charbon de bois, ainsi que d’exploiter les fruits et de produire du miel. Les activités d’aménagement et de régénération qui sont prévues dans le PAG de Keur Niène sont les mêmes que celles prévues dans le PSG de Ndock Saré.

2.3. Élaboration de modèles de ménages et de modèles agrégés

8Les modèles de maximisation à l’aide de la programmation linéaire ont été utilisés pour analyser les impacts économiques et environnementaux des plans de gestion des ESPIV. La fonction objective, qui est maximisée, est la somme des revenus individuels de l’ensemble des ménages, à laquelle s’ajoute le surplus de l’exploitation des ressources communes des ESPIV. Elle permet de prendre en compte le surplus des ressources communes qui sont exploitées dans le revenu agrégé des communautés qui les partagent à l’échelle d’une région, d’une zone ou d’un village (Bigot, 1995 ; Le Gal, 1995 ; Weber, 1995 ; Lalba et al., 2005). Par ailleurs, l’agrégation permet de simuler les impacts des alternatives et des politiques de régulation de la gestion des ressources collectives (Deybe, 1995) sur le surplus des communautés qui les partagent.

9Modèles individuels de ménage. Les modèles individuels de ménage sont élaborés pour un ménage moyen représentatif des ménages de chacun des ESPIV. Ce choix s’explique par le fait que dans la zone d’étude, tous les ménages utilisent les mêmes ressources et durant la même période au cours de l’année. Dans les deux sites, les populations autochtones et les transhumants sont les principaux usagers de l’ESPIV. Leurs ressources et moyens ont servi à la caractérisation des potentiels socio-économiques. Les populations présentent sensiblement les mêmes caractéristiques démographiques. Trois principales ethnies dominent : il s’agit des Sérères autochtones (75 %), des Wolofs migrants intégrés (20 %) et des Peulhs (environ 5 %, transhumants de tradition, sédentarisés et agropasteurs) avec 55 % de jeunes (≤ 15 ans) et 20 % de femmes. Leurs activités principales sont l’agriculture, l’élevage extensif et le commerce.

10Pour les productions agricoles, l’agriculture pluviale est l’activité dominante. Les principales spéculations agricoles sont l’arachide, le mil, le sorgho, le maïs et le haricot. Le taux d’équipement agricole moyen par ménage est faible, aussi bien à Keur Niène qu’à Ndock Saré. L’agriculture a conservé un caractère traditionnel, bien que les rendements agricoles soient assez importants (0,8 à 1 t·ha-1 pour l’arachide). Les revenus annuels agricoles sont de 329 000 F CFA1 par ménage (52 %) à Keur Niène et de 242 000 F CFA par ménage (72 %) à Ndock Saré. Par rapport aux productions pastorales, l’élevage extensif est plus significatif avec 13 têtes par ménage dont 2 bovins à Keur Niène et 19 têtes par ménage dont 5 bovins à Ndock Saré. Les revenus annuels (vente de bétail, lait et fumier) sont de 26 000 F CFA par ménage (4 %) à Keur Niène et de 52 000 F CFA par ménage (15 %) à Ndock Saré. L’alimentation du bétail nécessite par ménage, en équivalent matière sèche, 8,9 t par an à Keur Niène et 7 t par an à Ndock Saré. Dans les deux sites, les besoins fourragers sont satisfaits par le tapis herbacé, le fourrage aérien ligneux, les résidus agricoles et les produits industrialisés.

11En ce qui concerne les productions forestières, la gestion est du ressort du Conseil Rural. Avant leur mise en défens, la collecte de bois mort, de paille et la vaine pâture étaient libres. Les ménages ruraux exploitaient par eux-mêmes (femmes et jeunes en général) les fruits, feuilles, gommes, écorces et bois des arbres, pour l’alimentation des personnes et du bétail, la confection de clôtures et cases, des usages thérapeutiques. Les produits ligneux et PFNL sont autoconsommés ou vendus, générant des revenus pour les ménages. Les prélèvements annuels moyens par ménage sont de 10,4 m3 de bois énergie, 3,2 m3 de bois de service (clôture et case) et 313 kg de PFNL (fruits, feuilles, paille/fourrage aérien). La contribution des ESPIV, dans le fonctionnement et la génération de revenus des ménages villageois, est assez significative. Sans aménagement préalable, elle est estimée en 2010 à Ndock Saré à 46 000 F CFA par ménage (13 % du revenu ménage) et à Keur Niène à 279 000 F CFA par ménage (44 % du revenu du ménage).

12Les données qui sont utilisées dans les modèles (tableaux 2 et 3) sont des moyennes issues de l’analyse statistique de données d’enquêtes socio-économiques qui ont été réalisées sur le terrain au cours de l’année 2010 selon un taux de sondage de 40,5 % à Ndock Saré et 8,9 % à Keur Niène Sérère. Ce faible taux de sondage à Keur Niène s’explique par le fait que les populations de ce site sont majoritairement de la même catégorie sociale (85 % ont des revenus moyens), contrairement à Ndock Saré où toutes les catégories sont assez représentées (pauvres, moins riches et très riches). Il faut également noter qu’à Keur Niène, beaucoup de ménages n’accédaient pas à l’ESPIV, contrairement à Ndock Saré.

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13Les surcouts de productions et d’exploitations ont été fournis par les ménages qui ont été interrogés durant l’enquête. Le calcul a été fait en considérant les prix utilisés au village par les ménages pour les productions agricoles et les exploitations de produits forestiers.

14Le calcul de la quantité de carbone stockée a été fait suivant le prix de la tonne de carbone qui est de 13 EUR. Ce choix a été fait sur la base des résultats d’analyses critiques de la taxation du carbone (CEDD, 2010). Une des critiques la plus importante porte sur l’incapacité du marché de carbone à fixer un prix stable de la tonne de CO2. Depuis un an, sur le marché européen du carbone, le prix est passé de 30 EUR à 8 EUR à cause de la crise économique, de l’incertitude concernant la rareté des quotas au-delà de 2020 et du chevauchement des politiques climatiques et énergétiques (CDC Climat, 2012). Aujourd’hui, il se maintient autour de 13 EUR. Compte tenu de cette instabilité, les prix 13 EUR et 8 EUR ont été utilisés pour les simulations ; pour le calcul des volumes de carbone, la relation allométrique de Brown (1997) qui ne considère que des espèces ayant un diamètre à hauteur de poitrine (D) compris entre 5 et 148 cm, a été utilisée. Le volume de carbone stocké est obtenu en multipliant la biomasse aérienne par le facteur 0,45. La biomasse aérienne (B.A) est calculée par la formule suivante :

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15Cette formule a été appliquée aux cinq espèces dominantes des ESPIV de Ndock Saré et de Keur Niène qui sont respectivement Balanites aegyptiaca, Combretum micranthum, Diospyros mespiliformis, Mitragyna inermis, Guiera senegalensis et Combretum glutinosum, Acacia seyal, Anogeissus leiocarpus, Feretia apodanthera, Dicrostachys cinera.

16Les modèles prennent en compte les caractéristiques socio-économiques et démographiques des ménages ainsi que les activités productives qui sont principalement l’agriculture et l’élevage.

17L’agriculture est représentée par les principales cultures que sont l’arachide, le mil, le maïs et le niébé, auxquelles sont associés les coefficients de rendements, de couts de production, de besoins en main-d’œuvre, ainsi que les prix de vente des produits et la superficie moyenne cultivable disponible. Quatre périodes d’activités sont distinguées dans les modèles. La période 1 correspond à la préparation des champs et au semis qui s’étale de mai à juin avec une durée de 60 jours. La période 2 correspond à l’entretien des cultures qui a lieu de juillet à septembre et dont la durée est de 90 jours. La période 3 correspond aux récoltes qui s’étalent d’octobre à décembre sur une durée de 90 jours. La période 4 est la saison sèche, période d’inactivités agricoles mais d’accueil du bétail transhumant dans les zones de parcours des ESPIV, qui s’étale de janvier à avril, soit une durée de 120 jours.

18L’élevage est représenté par les types d’animaux qui sont élevés dans les ménages et qui sont les bovins, les ovins et les caprins auxquels sont associés les coefficients du nombre moyen d’animaux élevés par ménage, les besoins alimentaires des animaux, les couts de production des animaux, les prix de vente des animaux, la disponibilité fourragère des unités de pâturage par période de l’année, les quantités de fumier produites et récupérables sur les terres de cultures, etc. L’UBT (Unité Gros Bétail) est utilisée pour les équivalences des différentes espèces animales. Les interactions entre l’agriculture et l’élevage sont représentées par les flux d’échanges d’intrants entre ces deux activités qui caractérisent les systèmes mixtes agriculture-élevage (Williams et al., 1997 ; Zoundi, 1997 ; Slingerland, 2000 ; Hall et al., 2004 ; Lalba et al., 2005 ; Zoundi et al., 2007). Chaque communauté dispose d’une zone de pâturage dans laquelle les animaux pâturent pendant les périodes 1 et 2, compte tenu des travaux agricoles. Pendant la période 4, la zone de pâturage accueille, en plus des animaux de résidents, ceux d’éleveurs transhumants qui arrivent du nord du bassin arachidier où les pâturages sont insuffisants et de mauvaise qualité. Les animaux pâturent les fourrages naturels et déposent en retour du fumier dans les zones pâturées.

19Modèles agrégés à l’échelle des ESPIV. Les modèles individuels de ménage sont agrégés sur l’ensemble des ménages pour évaluer le revenu agricole global des communautés concernées par les ESPIV, qui est la somme des revenus agricoles des ménages à laquelle s’ajoute le surplus de l’exploitation des ressources communes prévues dans les plans de gestion. Le but de l’agrégation est d’estimer la valeur de l’exploitation des ressources communes et de la comparer au revenu agricole des communautés.

20Fonctions objectives. Les fonctions objectives (F) des modèles maximisent (Max) les revenus individuels des ménages et les revenus agrégés de l’ensemble des ménages des ESPIV. Le revenu espéré des ménages (Erev) est la somme de leurs revenus (Revy) en fonction de l’état des saisons (y) selon que la pluviométrie est bonne ou mauvaise. Le revenu espéré est obtenu dans ce cas par le produit des revenus selon la probabilité (Prob) d’occurrence des saisons. La somme des revenus est calculée en déduisant de la valeur des produits agricoles (j) les couts de production (Cout). La fonction objective des ménages présente alors la forme algébrique suivante :

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21Y est le rendement des produits en kg par ha, Prix le prix de vente des produits en F CFA et X la variable endogène qui détermine la superficie allouée à chaque culture.

22La fonction objective agrégée est la somme des revenus de l’ensemble des ménages (Nbrem) à laquelle s’ajoute le surplus de la mise en œuvre des plans de gestion :

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23Le SURPLUS est le revenu de l’exploitation des produits forestiers des ESPIV prévu au cours de la durée de mise en œuvre des PSG et PAG. Le surplus est calculé en déduisant de la valeur des produits forestiers les charges d’exploitation, les couts des aménagements et les couts des pertes de séquestration de carbone qui sont liées à la déforestation pendant la mise en œuvre des plans. Dans l’équation 5, la variable Y désigne les quantités à l’ha des produits forestiers, PRIX le prix de vente des produits forestiers en F CFA, SUPEXPL la superficie en ha prévue pour être exploitée dans les plans, CTEXPF les charges d’exploitation des produits forestiers, CTAMEG les couts des aménagements prévus dans les plans, QCARB les quantités en tonnes des pertes de carbone liées à la déforestation et PRIXCARB le prix de la tonne de carbone sur le marché du carbone. L’indice an représente les années de mise en œuvre des plans et pf les produits forestiers.

24Les contraintes. Les fonctions objectives des ménages individuels et agrégés sont maximisées sous un ensemble de contraintes qui limitent les choix productifs et les stratégies des ménages. Il s’agit principalement de la terre, de la main-d’œuvre familiale pour les travaux agricoles, des capitaux de production, de la consommation alimentaire des ménages et de l’alimentation du bétail. Chacune de ces contraintes est exprimée dans les modèles par des inéquations de telle sorte que le niveau d’intensité de leur utilisation soit inférieur ou égal à leur disponibilité. Ainsi, par exemple, la contrainte de terre est exprimée comme suit :

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25Cette équation signifie que l’allocation optimale de la terre aux différentes cultures ne doit pas excéder la superficie totale cultivable qui est disponible (SUP).

26Le risque. Les risques qui sont liés à la variation de la pluviométrie et à la variation des prix des produits sur les marchés sont également pris en compte dans les modèles de ménage. Les coefficients de prix et de rendements sont affectés aux cultures de manière exogène en fonction de deux états de nature auxquels est associée une probabilité d’occurrence des saisons. y1 correspond à une année de pluviosité normale à excédentaire qui est supérieure à 600 mm et y2 à une pluviométrie mauvaise à déficitaire qui est inférieure à 600 mm. D’après des études de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie sur la situation économique et sociale des régions de Fatick et Kaolack auxquelles appartiennent ces deux sites, les saisons de bon hivernage sont généralement celles où la pluviométrie annuelle est supérieure ou égale à 600 mm (ANDS, 2010). Pour la zone de Ndock Saré, les populations ont estimé que la probabilité d’occurrence d’une bonne année pluviométrique est de 90 % contre 10 % pour une mauvaise saison. Pour la zone de Keur Niène, les populations ont observé une probabilité de 70 % d’occurrence de bonne saison et 30 % d’occurrence de mauvaise saison. Ces perceptions paysannes sont basées sur le rendement des cultures qui dépend selon eux de l’abondance des pluies ces dernières années. Ces perceptions concordent avec l’évolution de la pluviométrie des trente dernières années qui montre une tendance générale à la hausse depuis quelques années dans les régions de Fatick et de Kaolack où se situent les sites de Ndock Saré et de Keur Niène (Figures 2 et 3).

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27Les scénarii de simulation. La simulation de scénarii est une évaluation ex ante de l’impact de politiques et alternatives d’exploitation des ressources communes des ESPIV sur les revenus agrégés dans le cadre de la mise en œuvre des plans de gestion. Ceci est capital pour fournir aux décideurs des éléments d’aide à la décision, à partir d’indicateurs chiffrés, qui puissent leur permettre de mieux consolider les plans de gestion pour en tirer un meilleur profit. Les hypothèses ou scénarii simulés dans les modèles sont les suivants.

28Les plans prévisionnels de gestion. Les plans prévisionnels de gestion des deux ESPIV ont été simulés dans le surplus des modèles agrégés pour évaluer leurs impacts économiques et environnementaux sur le revenu global des communautés.

29La valorisation des fruits. Il n’est pas prévu dans le PSG de Ndock Saré l’exploitation de fruitiers sauvages de ligneux comme Balanites aegyptiaca, Ziziphus mauritiana et Acacia nilotica (dont regorge cependant la mise en défens). Ces produits à valeur ajoutée sont prisés sur les marchés et leur exploitation partielle permettra de générer des revenus supplémentaires pour les communautés. Cependant, il faut signaler que, par manque d’organisation des populations, ces produits ne sont pas encore valorisés dans ces sites. D’habitude, en milieu rural, ces fruits forestiers, qui servent de compléments alimentaires pour les groupes vulnérables de la population (femmes et enfants), sont en grande partie réservés à l’autoconsommation humaine contre une infime partie qui est vendue. Pour ne pas rompre systématiquement avec ces habitudes qui répondent à la réalité du milieu, un scénario d’exploitation commerciale minimale de 25 % des fruits sauvages est simulé dans le surplus en y intégrant les recettes de la vente des fruits et en déduisant le cout de leur exploitation.

30La valorisation des ressources fourragères. L’exploitation rationnelle du fourrage des mises en défens par une ouverture contrôlée au bétail transhumant en saison sèche en respectant la capacité de charge, moyennant une taxe de prélèvement de fourrage, est une alternative qui est simulée dans la fonction objective agrégée pour mesurer son impact sur le surplus de revenus des communautés.

31La négociation d’un accès à la taxe carbone. Avec l’avènement de la problématique des changements climatiques, les politiques adoptées sont orientées essentiellement vers la mise en place de dispositifs de limitation et d’échanges d’actifs liés à des réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Ces mécanismes d’échanges se concentrent principalement sur des actifs ou crédits de carbone (émission d'une tonne de CO2) et constituent l’économie du carbone.

32Cette perspective du marché carbone peut influencer l'utilisation future des forêts, qui seront de plus en plus considérées comme des puits potentiels de carbone (Moura-Costa et al., 1998). Connaitre dès à présent la valeur économique de cette fonction écologique permettra de tenir compte de cet avantage dans l'élaboration d'un modèle de gestion durable des forêts.

33Un scénario d’accès au marché du carbone est simulé dans le modèle afin d’évaluer dans quelle mesure il pourrait être économiquement incitatif pour aider les communautés dans la préservation de l’environnement.

34Les décideurs politiques au niveau national peuvent en effet envisager d’élaborer pour toutes les ESPIV des projets d’accès au marché du carbone. Les recettes estimées de la séquestration du carbone, déduites des pertes de carbone résultant de la déforestation des parcelles qui sont exploitées dans les plans de gestion, ont été introduites dans l’équation du surplus.

3. Résultats et discussion

3.1. Plans optimaux des ménages

35Les résultats des plans optimaux (Tableau 4) montrent que les ménages des deux sites allouent prioritairement la terre aux céréales et surtout au mil, qui représente 41 % de l’assolement à Ndock Saré et 64,5 % à Keur Niène. Ceci s’explique d’une part, par le fait que le mil constitue la principale base alimentaire pour ces populations et d’autre part, par les faibles couts de production du mil, plante assez rustique, peu exigeante en fertilisants et dont la culture s’adapte aux sols pauvres. L’arachide qui est la principale culture de rente est beaucoup plus cultivée à Ndock Saré où les ménages disposent de plus de terres cultivables, par rapport aux ménages de Keur Niène qui, en plus, sont contraints par le cout élevé de production de l’arachide. Le cout des semences est élevé, de même que les engrais, dont les apports sont indispensables dans les sols qui sont en majorité sablonneux et très peu fertiles. Le niébé occupe la troisième place dans l’assolement des ménages de Ndock Saré. Sa culture n’est pas retenue dans le modèle d’optimisation de Keur Niène car 90 % des ménages de ce site ne l’exploitent pas à cause de sa faible productivité dans cette zone, due à la nature des sols.

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36Les résultats montrent que la pluviométrie influence fortement la production agricole. Dans la zone de Ndock Saré, la production agricole moyenne par ménage est de 18,3 t dans les années de bonne pluviosité et de 11 t dans les années de mauvaise pluviosité. Dans la zone de Keur Niène, elle est respectivement de 11,1 t et de 5 t. Les plans d’optimisation montrent toutefois que les ménages des deux zones ne sont pas déficitaires car les années de mauvaise pluviosité sont rares, surtout dans la zone de Ndock Saré. Les ménages moyens ne seraient donc pas confrontés à une insécurité alimentaire qui est liée au manque de pluies. Ils arrivent toujours à couvrir les besoins alimentaires de leurs membres, à constituer des stocks et à vendre les surplus. Des études qui ont été réalisées sur les avantages des ESPIV montrent qu’ils permettent d’atténuer les aléas climatiques en réduisant l’intensité des vents forts et en tendant à améliorer la pluviométrie (Albergel et al., 1995). Les revenus des modèles d’optimisation montrent que les ménages de Ndock Saré sont plus riches que ceux de Keur Niène. Quelle que soit l’année, ils ont un revenu moyen annuel de plus de 1 000 000 F CFA, tandis que les ménages de Keur Niène n’arrivent pas à atteindre un revenu moyen annuel de 500 000 CFA. Rapporté à l’actif, un travailleur agricole d’un ménage de Ndock Saré gagne dans l’année environ 228 000 F CFA, tandis que celui de Keur Niène gagne environ 72 000 F CFA. Les activités agricoles sont donc nettement plus rentables à Ndock Saré qu’à Keur Niène ; cela s’explique par les faibles couts de production et l’importance des superficies qui sont mises en culture.

3.2. Impacts de la mise en œuvre des plans prévisionnels de gestion

37Le surplus total de la mise en œuvre du PSG de Ndock Saré pendant les six années est estimé à 2 613 000 F CFA. Il permet d’augmenter de seulement 0,37 % le revenu agricole agrégé des ménages de la zone pendant cette période. Sa contribution à augmenter le revenu agrégé est très faiblement perceptible (Figure 4). L’éclaircie sanitaire de toute la mise en défens qui est prévue au cours de la première année permet de générer à elle seule un surplus de 2 085 000 F CFA, soit 79,80 % du surplus total de la mise en œuvre du PSG. Le surplus de l’exploitation du bois de chauffe et de service ne permet d’augmenter le revenu agrégé des ménages que de 0,09 % en deuxième année. Cette augmentation diminue légèrement à la sixième année du PSG, compte tenu du cout environnemental des pertes cumulées de séquestration du carbone liée à la déforestation de 1 ha annuel de la mise en défens, qui est estimé au total à 98 000 F CFA pendant la mise en œuvre du PSG, étant entendu que l’impact du reboisement n’est pas considéré.

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38Le PAG de l’ESPIV de Keur Niène permet à la communauté de bénéficier d’un surplus total de 133 798 000 F CFA pendant les huit années de sa mise en œuvre. Il augmente ainsi de 11,4 % le revenu agrégé de la communauté pendant cette même période (Figure 4). Ce surplus intègre, par ailleurs, le cout environnemental des pertes de séquestration de carbone liées à la déforestation annuelle de 11,6 ha de la mise en défens. Dès la première année de mise en œuvre du PAG, la communauté de Keur Niène pourra tirer profit d’un surplus de 16 725 000 F CFA de l’exploitation des ressources communes de la mise en défens.

39L’impact des plans de gestion des ESPIV est donc plus important à Keur Niène où la disponibilité des ressources communes est plus forte qu’à Ndock Saré. S’ils sont bien mis en œuvre et bien gérés, les PAG sont plus aptes à répondre aux attentes de développement communautaire des populations. Par contre, il n’est pas évident que, même bien géré, le surplus des PSG soit à la hauteur des attentes des populations dans le domaine des investissements communautaires. Aussi, la faiblesse des surplus générés par les PSG peut créer à terme un désintéressement des communautés dans leur mise en œuvre et dans la préservation des petits espaces. Ndiaye (1997) a en effet noté que la faiblesse des recettes tirées de l’exploitation des ESPIV peut engendrer des frustrations et des découragements de la part des populations concernées. Ce facteur peut favoriser un comportement mitigé des communautés qui rechignent souvent à s’investir dans les actions de gestion collective des ressources communes et de préservation de l’environnement en constatant qu’elles participent faiblement à améliorer leurs conditions de vie. Ce désintérêt est cependant à nuancer car les populations de l’ESPIV de Ndock Saré ont estimé que la mise en défens a un impact écologique certain (Sanogo, 2011). Elle permet de réduire l’érosion éolienne et hydrique, améliore la pluviosité, enrichit et diversifie la biodiversité, contribue à la réhabilitation du couvert végétal et à la réapparition de la faune sauvage (Albergel et al., 1995). Il n’est donc pas prouvé que la seule considération de leur faible valeur économique dans les PSG soit suffisante pour désintéresser les populations de la gestion durable des ESPIV.

3.3. Impact simulé de la prévision d’une exploitation fruitière dans le plan de Ndock Saré

40En plus de la contribution de l’autoconsommation à la sécurité alimentaire et particulièrement à l’état nutritionnel des femmes et des enfants, l’organisation de l’exploitation de 25 % des fruits sauvages de la mise en défens de l’ESPIV de Ndock Saré permet d’augmenter significativement le surplus de l’exploitation des produits de la mise en défens dans le cadre de la mise en œuvre du PSG. En effet, l’impact économique simulé montre qu’elle permet à la communauté d’engranger un surplus total de 3 693 000 F CFA de la mise en œuvre du plan, soit un surplus additionnel de 1 080 000 F CFA, comparé au surplus du PSG prévisionnel. Cette alternative permet au surplus du PSG de contribuer à 0,52 % au revenu agrégé (Figure 5) au lieu de 0,37 %. Comme l’ont montré Charpin (2004) et PERACOD (2005), la valorisation marchande des fruits sauvages dans les ESPIV a une valeur ajoutée très élevée qui permet d’augmenter substantiellement les revenus des populations. Elle constitue une alternative intéressante d’augmentation du surplus des communautés dans le cadre des ESPIV à ressources limitées.

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3.4. Impact simulé d’une taxation de la transhumance dans les mises en défens

41Les résultats des modèles d’optimisation de l’utilisation des ressources fourragères des ESPIV ont montré que la mise en défens de Ndock Saré a une capacité de charge de 107 UBT pendant la période de transhumance, c’est-à-dire qu’elle peut accueillir environ 107 bovins pour pâturer pendant 120 jours sans dégrader les pâturages. Celle de Keur Niène est de 1 082 UBT. Ces chiffres sont très proches des constats faits lors de notre séjour dans la zone pour les besoins de l’étude. Cependant, il faut signaler que ce potentiel est actuellement sous-exploité à cause du manque d’organisation des communautés. À Keur Niène par exemple, seuls les alentours de l’ESPIV sont exploités par le bétail local, l’accès à l’intérieur étant difficile à cause de la densité des arbres. À Ndock Saré, les besoins de consommation du bétail local sont largement en deçà de la disponibilité fourragère. La simulation d’une taxe minimale de 5 F CFA par UBT et par jour montre que la communauté de Ndock Saré pourra obtenir un surplus total de 3 015 000 F CFA, soit un gain additionnel de 402 000 F CFA de plus que le PSG prévisionnel. Ce surplus permet d’augmenter le revenu agrégé de 0,42 % au lieu de 0,37 % sans la taxe (Figure 6). La même taxe simulée dans le modèle agrégé des ménages de Keur Niène permet à la communauté d’obtenir un surplus de 138 994 000 F CFA du PAG, soit un gain additionnel de 5 197 000 F CFA. Le surplus du PAG permet d’augmenter dans ce cas le revenu agrégé de 11,9 % au lieu de 11,4 % sans la taxe (Figure 6). L’impact de la taxation de la transhumance dans les mises en défens sera d’autant plus important avec la valorisation du fumier qui sera produit par les animaux transhumants et dont le transfert se fera soit par ramassage, soit par le système des contrats de parcages des animaux transhumants dans les champs de culture. Pour la communauté de Keur Niène, le surplus économique d’un accès négocié des transhumants aux parcours des zones de défens dans le PAG est de 147 050 000 F CFA, soit un gain additionnel de 13 252 000 F CFA par rapport aux prévisions du PAG. Ceci permet d’augmenter de 12,6 % le revenu agrégé de la communauté (Figure 6), comparativement au PAG prévisionnel qui est de 11,4 %.

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3.5. Impact économique et environnemental d’un accès au marché du carbone

42Les résultats de la simulation d’un accès au marché de carbone (8 EUR et 13 EUR·t-1) montrent que l’ESPIV de Ndock Saré obtient respectivement un surplus total de 1 713 000 F CFA et 2 855 000 F CFA pendant la mise en œuvre du PSG. Le surplus total augmente respectivement de seulement 0,24 % et de 0,40 % la valeur du revenu agrégé de la communauté (Figure 7) contre 0,37 % dans le plan initial.

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43Dans l’ESPIV de Keur Niène, l’accès au marché du carbone (8 EUR et 13 EUR·t-1) permet d’obtenir respectivement un surplus total de 77 440 000 F CFA et 125 899 000 F CFA pendant la mise en œuvre du PAG. Le surplus total augmente respectivement de seulement 6,6 % et 10,7 % la valeur du revenu agrégé de la communauté (Figure 7) contre 11,71 % dans le plan initial.  

44L’analyse de l’impact des alternatives et politiques d’amélioration des plans prévisionnels de gestion des ESPIV montre un avantage net pour l’amélioration du contenu des PSG, comparativement aux PAG (Figures 8 et 9). La figure 8 montre qu’une exploitation de seulement 25 % des fruits dans le PSG de Ndock Saré permet d’augmenter de 41 % le surplus du PSG prévisionnel. Il parait évident que la prise en compte de cette option qui n’est pas prévue dans le PSG prévisionnel, alors qu’elle l’est dans le PAG, permet de générer des revenus supplémentaires considérables.

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45La négociation de l’accès du bétail transhumant pour le pâturage des mises en défens est l’alternative commune qui permet à la fois d’améliorer les PSG et les PAG. Elle permet d’augmenter de 39 % le surplus du PSG prévisionnel de Ndock Saré et de 10 % celui de Keur Niène. Cette option devra être sérieusement négociée dans les plans de gestion des ESPIV d’une manière générale, sous condition d’un contrôle rigoureux et du strict respect de la capacité de charge animale des mises en défens. Non seulement elle permet d’améliorer substantiellement le surplus économique des plans de gestion, mais aussi elle a des avantages environnementaux considérables comme le transfert de fertilité, la lutte contre les termites qui infestent les mises en défens et menacent la survie des ligneux, ainsi que la protection des mises en défens contre les feux de brousse.

46La négociation de l’accès au marché carbone aux prix actuels qui est une alternative à long terme, dont la mise en œuvre est un processus long et l’aboutissement peu probant, affecte moins les surplus de l’exploitation des ressources communes. À 8 EUR·t-1, elle n’augmente ni les surplus du PSG de Ndock Saré ni ceux du PAG de Keur Niène. À 13 EUR·t-1, elle n’augmente que le surplus du PSG de Ndock Saré et ceci seulement de 3 %. Ce faible impact est dû, d’une part, au cout environnemental des pertes de séquestration du carbone avec la déforestation d’une partie des mises en défens pendant la mise en œuvre des plans de gestion et, d’autre part, aux faibles prix alloués au carbone qui n’incitent pas les actions de « décarbonisation » (CEDD, 2010).

4. Conclusions

47La mise en défens d’espaces sylvo-pastoraux inter-villageois (ESPIV) est une initiative endogène des communautés locales du bassin arachidier du Sénégal pour faire face aux effets conjugués des changements climatiques et de la forte dégradation des ressources à laquelle la zone est confrontée. Ces réserves communautaires ont l’avantage d’être une source de revenus pour les populations grâce à la production de bois, de fourrage et de divers produits forestiers non ligneux. En plus des avantages écologiques des mises en défens des ESPIV, le processus de décentralisation et le transfert des compétences aux collectivités locales, entamés au Sénégal à partir des années 1995, mettent l’accent sur leur gestion efficace par les collectivités locales afin de leur permettre de mobiliser des ressources financières pour des investissements dans le développement durable. Les attentes des communautés bénéficiaires, des partenaires au développement et des décideurs locaux et nationaux sont donc importantes vis-à-vis des mises en défens des ESPIV.

48L’évaluation économique du contenu des plans de gestion des ESPIV montre cependant que, si les plans simples de gestion (PSG) destinés à réguler l’exploitation et l’aménagement des zones de défens de moins de 20 ha ont un avantage environnemental certain, ils ne permettent pas d’obtenir des surplus économiques substantiels à même de répondre aux nombreuses attentes des populations en matière de développement local. Pour être attractifs, les PSG doivent valoriser, en plus du bois, des produits forestiers non ligneux comme les fruitiers sauvages. La taxation de la transhumance est également une source d’augmentation des surplus des PSG. Si les communautés qui élaborent des PSG veulent avoir plus d’impact économique de leur mise en œuvre, elles devront y intégrer à la fois la valorisation des fruits et la taxation de la transhumance. Par contre, l’évaluation économique du contenu des plans d’aménagement et de gestion (PAG), destinés à la régulation des grands espaces de plus de 20 ha et dépassant souvent 100 ha, a montré que leur mise en œuvre est suffisamment incitative pour générer d’importants surplus économiques qui seront affectés au développement communautaire. Le contenu de ces PAG n’a pas besoin d’alternatives additionnelles pour augmenter considérablement les surplus. La grande taille et la diversité des produits forestiers dans les mises en défens de ces ESPIV en sont les principales raisons. La négociation d’un accès au marché carbone est également une alternative intéressante d’un point de vue économique qui, si elle est soutenue par les politiques au niveau national, permettra aux communautés des ESPIV de disposer de revenus supplémentaires pour un développement durable.

49Liste des abréviations

50ESPIV : Espace Sylvo-Pastoral Inter-Villageois

51PAG : Plan d’Aménagement et de Gestion

52PSG : Plan Simple de Gestion

53UBT : Unité de Bétail Tropical

54Remerciements

55Les auteurs remercient le Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI) du Canada pour son appui scientifique et le financement de cette recherche. Ils adressent également leurs remerciements à Alexandre Lalba pour ses suggestions et ses contributions à l’élaboration des modèles d’optimisation.

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Voetnoten

1  100 F CFA = 0,15 EUR

Om dit artikel te citeren:

Diaminatou Sanogo, Mamadou N’Diaye, Marcel Badji & Seydi Ababacar Beye, «Optimisation de l’utilisation des ressources communes dans le bassin arachidier du Sénégal : évaluation ex ante de plans et d’alternatives de gestion durable», BASE [En ligne], Volume 18 (2014), Numéro 3, 339-352 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=11302.

Over : Diaminatou Sanogo

Centre National de Recherches Forestières. BP 2312. SN-Dakar (Sénégal). E-mail: sdiami@yahoo.fr

Over : Mamadou N’Diaye

Direction des Aires Marines Communautaires Protégées. BP 5135. SN-Dakar-Fann (Sénégal).

Over : Marcel Badji

Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Laboratoire Écologie végétale. BP 5005. SN-Dakar (Sénégal).

Over : Seydi Ababacar Beye

Direction des Eaux, Forêts, Chasse et Conservation des Sols. BP 1135. SN-Parc-Hann (Sénégal).