BASE

Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

1370-6233 1780-4507

 

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Michel Mpundu Mubemba, Yannick Useni Sikuzani, Luciens Nyembo Kimuni & Gilles Colinet

Effets d'amendements carbonatés et organiques sur la culture de deux légumes sur sol contaminé à Lubumbashi (RD Congo)

(Volume 18 (2014) — Numéro 3)
Article
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Annexes

Notes de la rédaction

Reçu le 6 aout 2012, accepté le 13 janvier 2014

Résumé

Face aux risques de contamination des légumes cultivés dans les jardins potagers de la ville de Lubumbashi, l’identification de solutions agronomiques pour réduire ces risques a fait l’objet de diverses expérimentations. Le choix d’amendements (nature et quantités) appropriés et la sélection de variétés capables de limiter les transferts des éléments traces métalliques (ETM) du sol vers certains organes de la plante font partie des méthodes les plus classiques en phytoremédiation. Deux espèces végétales, l’amarante verte et la poirée bette, ont été cultivées en pots selon un dispositif complètement randomisé avec quatre répétitions, utilisant un sol contaminé ayant reçu différentes doses d’amendements calcaires et/ou organiques et un sol témoin. Parallèlement à la réponse chimique sur les sols, les amendements ont réellement permis de diminuer les transferts du sol vers la plante. Les traitements à base de calcaire ont été plus efficaces que ceux à base de compost seul. Les teneurs en ETM dans les plantes restent toutefois élevées, quelle que soit l’application d’amendements et laissent entière la question du risque sanitaire lié à l’ingestion de légumes produits localement.

Mots-clés : Amarantus, amendement calcique, amendement organique, Beta vulgaris, élément métallique, République démocratique du Congo, sol pollué

Abstract

Effects of carbonate and organic amendments on two vegetable crops in contaminated soil in Lubumbashi (DR Congo). The risk of contamination of vegetables grown in gardens in the city of Lubumbashi due to soil pollution is high. The present study describes experiments involving the use of agronomic solutions aimed at reducing these risks. The choice of appropriate amendments (type and quantity) and the selection of plant varieties able to restrict the transfer of trace metals (TM) from the soil to plant edible organs represent some of the most conventional remediation techniques. Here, amaranth and spinach beet were cultivated in pot trials using randomized complete blocks with four replications on a contaminated soil. The pots received different doses of liming and/or organic products. Along with an effect on soil chemistry, the amendments were found to be effective in reducing the transfer of trace metals from soil to plant. The lime-based treatments were found to be more effective than compost. However TM levels in plants remained high whatever the application of amendments and the problem of food chain contamination remains.

Keywords : Amarantus, Beta vulgaris, Democratic Republic of Congo, liming materials, metallic elements, organic amendments, polluted soil

1. Introduction

1Le développement de la ville de Lubumbashi (RD Congo) est depuis sa création intimement lié à l’extraction minière et au traitement des minerais de cuivre, activités qui connaissent un essor considérable dans tout le Katanga depuis quelques années. Les industries d’extraction de minerais sont nombreuses et la densité de la population est en constante augmentation, ce qui ne va pas sans poser des questions d’ordre sanitaire. En effet, la production industrielle de cuivre et de cobalt à partir des minerais s’accompagne généralement de rejets de sous-produits riches en contaminants métalliques ou métalloïdes (zinc, plomb, arsenic, cadmium) ou encore en composés soufrés. Mal contrôlés, ils peuvent générer des contaminations plus larges de l’environnement, perturber le fonctionnement des écosystèmes, ainsi que provoquer des troubles sur les êtres vivants (Bruneau, 1983 ; Tembo et al., 2005 ; Banza et al., 2008). De nombreux modes de contaminations sont possibles à partir des zones d’extraction, de traitement, de transport, etc. (Baker et al., 1999 ; Leteinturier et al., 1999). Dans la région de Lubumbashi en particulier, les émissions de SO2 par la cheminée du four de l’usine d’extraction et de transformation du cuivre de la Gécamines ont engendré des pluies acides (Mbenza et al., 1989), néfastes pour les êtres vivants dont les végétaux. En outre, des indices de contamination en cuivre et d’une acidification importante des sols par les retombées de poussières métallifères ont été constatées autour de l’usine et jusqu’à plusieurs kilomètres de distance (Mpundu, 2010). Cette situation a favorisé le remplacement de la forêt claire originelle, ou Miombo, par une steppe courte au sein de laquelle on retrouve de nombreuses espèces de la flore cupricole (Malaisse, 1997) ainsi que de vastes zones de sol dénudé. Les sols sont particulièrement sensibles à la dégradation, surtout lorsqu’aux processus d’érosion hydrique et éolienne exacerbés sur sols nus s’ajoute une pression anthropique croissante pour l’accès à la terre à des fins d’habitat ou pour la pratique du maraichage. Les éléments traces métalliques, bien qu’étant pour certains indispensables pour les végétaux, deviennent potentiellement toxiques au-delà de certaines concentrations dans les sols, particulièrement lorsque les conditions environnementales accroissent leur biodisponibilité (Baize, 1997 ; Mench et al., 2004).

2À Lubumbashi, comme dans d’autres grandes villes, le maraichage représente une activité agricole plus intéressante financièrement que la production de maïs. Le maraichage se caractérise par des pratiques et des variétés locales, un potentiel de rendement par unité de temps et par unité de surface très élevé et des productions végétales alliant croissance rapide, valeur marchande élevée et qualité nutritionnelle via la diversification des aliments. Toutefois, Mpundu (2010) a évalué les niveaux de contaminations des sols en ETM (Cu, Co, Cd, Pb et Zn) par rapport au fond pédogéochimique naturel et les risques de transfert dans les végétaux et la chaine alimentaire à Lubumbashi. La contamination des jardins potagers fait état de contaminations sérieuses des sols pour la moitié des 40 jardins étudiés. Même si les teneurs dans les sols en dehors des zones de contamination semblent élevées par rapport aux standards belges ou français, jusqu’à 400 mg·kg-1 de Cu total, les teneurs rencontrées dans l’espace urbain et péri-urbain de Lubumbashi sont supérieures d’un à deux ordres de grandeur. La teneur en Cu disponible a varié de 15 mg·kg-1 à 11 388 mg·kg-1 avec une moyenne de 862 mg·kg-1 pour les sols des 40 jardins étudiés (Mpundu et al., 2013a ; Mpundu et al., 2013b).

3Le même constat de contamination a été réalisé pour des légumes, produits ou vendus à Lubumbashi (Mpundu, 2010).

4Les sols ne constituent une ressource ni renouvelable ni extensible, ce qui oblige à réutiliser des sites contaminés pour répondre aux besoins croissants de la société humaine. Limiter les risques sanitaires et identifier des solutions pour revaloriser les sites pollués imposent d’étudier le transfert des ETM du sol vers les organismes vivants et, en premier lieu, vers les cultures. En effet, la contamination des sols présente un risque de toxicité pour les êtres vivants et l’homme à travers la chaine alimentaire à partir du moment où les productions agricoles accumulent les contaminants dans les organes consommés (Bourrelier et al., 1998 ; Mench et al., 2004). Banza et al. (2009) ont constaté des teneurs anormales en ETM dans les urines d’habitants du quartier Penga penga de Lubumbashi, à proximité du site de l’usine de la Gécamines. Dans certains cas, la contamination est telle qu’elle entrave la croissance et la viabilité de la végétation et la production de plantes cultivées y est ardue, voire impossible.

5Dans ce contexte de contamination des agro-écosystèmes urbains, des expérimentations ont été menées pendant deux années afin d’évaluer l’impact des contaminations sur les légumes et l’effet d’apports d’amendements organiques et calcaires à différentes doses. La croissance et la qualité de deux légumes communs à Lubumbashi, l’amarante commune ou « lenga lenga » et la poirée bette « épinard » ont été observées lors d’essais de cultures en pots sur un sol contaminé en ETM et sur un sol témoin. La réponse du sol aux amendements a été étudiée d’un point de vue chimique, tandis que celle des légumes l’a été par des paramètres de croissance (levée, survie, taille, poids) et d’absorption (teneurs totales).

2. Matériel et méthodes

2.1. Matériel

6Plantes potagères. Les espèces Amaranthus viridis L. « amarante commune/Lenga lenga » et Beta vulgaris L. « poirée bette/épinard », largement cultivées dans les jardins potagers de la région de Lubumbashi, ont été retenues pour les expérimentations. Les semences ont été achetées sur un marché du centre ville de Lubumbashi.

7Sols. Les essais réalisés en 2008 et en 2009 ont été conduits en pots de 2 kg de terre. Ces pots ont été placés sous serre dans le jardin expérimental de la Faculté des Sciences Agronomiques de l’Université de Lubumbashi (FSA/UNILU). La terre provient de la surface d’un sol contaminé, exempt de végétation et présentant un horizon d’accumulation de poussières métallifères à faible profondeur (10 cm). Le prélèvement a été réalisé à la bêche dans la couche superficielle (0-20 cm) à proximité du cimetière Penga penga dans le quartier Gécamines. Ce sol correspond à un alisol ferri-endo-squelettique brun-jaune, selon la classification WRB (FAO, 2006). Un deuxième alisol ferri-endo-squelettique mais de couleur rouge (rhodique) à texture argilo-sableuse, prélevé au sein du jardin expérimental de FSA/UNILU, a été utilisé comme sol témoin. Les travaux de Mpundu (2010) et de Ngoy et al. (2010) indiquent que ce sol est très peu contaminé, au regard des teneurs rencontrées au voisinage de la Gécamines. Les propriétés physico-chimiques des deux sols utilisés figurent au tableau 1. Les teneurs en ETM des sols du jardin expérimental sont largement inférieures à celles du site contaminé. Ce sol était colonisé par une végétation à Tithonia diversifolia (Hemsl.) A.Gray, Acanthospermum hispidum DC., Ageratum conyzoïdes L., Aspilia africana (Pers.) C.D.Adams, Bidens pilosa L. et Cynodon dactylon (L.) Pers. Par contre, la végétation très parsemée du site Gécamines est caractérisée par la présence d’espèces métallicoles (Bulbostylis pseudoperennis Goetgh., Microchloa altera [Rendle] Stapf, Haumaniastrum katangense [S.Moore] P.A.Duvign. & Plancke/Acrocephalus katangensis S.Moore), d’arbustes (Brachystegia spiciformis Benth., Jubernadia paniculata) et d’adventices (Setaria pallidefusca [Schumach.] Stapf & C.E.Hubb., Nicandra physalodes [L.] Gaertn.).

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8Amendements. Du calcaire dolomitique, constitué de carbonate de calcium (majoritaire), associé à du carbonate de magnésium (minoritaire) (CaCO3.MgCO3) et du compost ont été appliqués au sol contaminé en vue d’en réduire la mobilité des ETM. Le mélange des amendements au sol a été réalisé dans des bacs en plastique. Le calcaire a été acheté localement. Il a la capacité de réduire la mobilité des ETM en élevant le pH du sol, ce qui a des effets directs sur la solubilité des éléments (quand le pH est supérieur au produit de solubilité des hydroxydes, les ETM précipitent) et indirects par modification des propriétés de charge des phases organo-minérales. Le compost a été fabriqué à base de fragments de jacinthe d’eau, récoltés localement. La durée de compostage a été de 30 jours. Le compost est par définition riche en matières organiques (Tableau 2) qui peuvent agir sur la mobilité des ETM, principalement par la formation de complexes organo-métalliques, mais également par un relèvement possible du pH du sol.

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2.2. Méthodes

9Dispositifs expérimentaux. Un premier essai a été installé en 2008, en vue de déterminer l’effet du calcaire et du compost et de déterminer, pour chacun d’eux, les doses les plus appropriées pour la réduction de la phytodisponibilité. En 2009, un deuxième essai a été mené sur base des résultats du premier essai. Les expérimentations ont été conduites sous serre suivant un dispositif complètement randomisé avec quatre répétitions.

10Essai 1/2008. La poirée bette et l’amarante ont été cultivées en pots selon respectivement 8 et 6 modalités : sol contaminé sans amendement (T0), avec 5 g de calcaire (C5), 10 g de calcaire (C10), 15 g de calcaire (C15), 35 g de compost (M35), 70 g de compost (M70), 105 g de compost (M105) par kg de sol et le sol de référence du jardin expérimental (SN). L’amarante n’a pas été cultivée sur les amendements C5 et M35. Deux modes d’implantation des cultures de poirée bette ont été testés : le semis direct (SD) et le repiquage (SI).

11Essai 2/2009. Au vu des résultats obtenus en 2008, les deux plantes potagères ont été également testées en pots dans une expérience avec les doses maximales en compost (105 g·kg-1) et calcaire (15 g·kg-1) et la combinaison des deux amendements. Cinq traitements ont été appliqués : le sol contaminé sans amendement (T0), avec 15 g de calcaire (C15), avec 105 g de compost (M105), avec la combinaison 15 g calcaire + 105 g de compost (CM1) par kg de sol, plus le sol témoin (SN). Les plants ont été repiqués, puis récoltés après 45 jours.

12Conduite des essais. Pour les expériences avec mode de semis direct, les graines ont été semées à raison de 8 graines par pot. Un seul plant vigoureux par pot a ensuite été conservé. Pour les expériences en mode indirect, deux plantes ont été repiquées par pot et 7 jours après, un seul individu a été gardé. La dose journalière d’arrosage a été de 50 ml par pot. Le binage a été effectué superficiellement, une fois tous les 15 jours en vue de favoriser l’infiltration de l’eau, mais aussi d’éliminer les adventices présentes dans les différents pots.

13Paramètres observés et analyse des échantillons. Les taux de levée ou de reprise ont été observés 7 jours après semis/repiquage. Le taux de survie, le nombre de feuilles, la taille des plantes et le poids ont été observés à la récolte. Les déterminations analytiques ont été réalisées sur les sols avec et sans amendements, ainsi que les légumes récoltés pour l’essai 2009. Le pH (H2O et KCl N, au 2/5), le carbone organique total (COT, obtenu par oxydation sulfo-chromique à chaud) et les teneurs en ETM (cuivre, cobalt, cadmium, plomb et zinc) des sols extractibles par CH3COONH4+EDTA à pH 4,65, ci-après qualifiées de teneurs disponibles, ont été déterminés selon des protocoles standardisés (Van Ranst et al., 1999). La méthode de détermination de COT adaptée à des sols a été utilisée pour le compost, ce qui justifie la faible teneur obtenue dans cette étude, pour un matériau essentiellement organique (Tableau 2). Les teneurs totales en ETM (cuivre, cobalt, cadmium, plomb et zinc) dans les plantes ont été mesurées après mise en solution par un mélange d’acides nitrique et perchlorique.

14Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel Statistica 07. L’analyse de la variance et le test de Fischer LSD ont été utilisés en vue de tester l’effet des amendements et de structurer les différentes moyennes.

3. Résultats et discussion

3.1. Effets des amendements et du mode de semis sur la croissance des légumes (essais 2008)

15Les résultats relatifs aux observations sur la tenue de la culture de poirée bette sont synthétisés au tableau 3. On constate, dans un premier temps, que le taux minimum de levée est observé pour le sol contaminé sans traitement et que les traitements aux plus fortes doses de calcaire et de compost sont caractérisés par 100 % de levée, tout comme le témoin non contaminé. Le taux de reprise est légèrement plus faible pour le témoin sans amendements. Toutefois, les taux de levée et de reprise sont statistiquement égaux d’un traitement à un autre en raison de la forte variabilité entre les pots. Pour ce qui concerne les paramètres survie et poids des plantes, l’interaction entre mode de semis et traitement peut être négligée et les effets peuvent être discutés indépendamment. Pour ce qui concerne le mode de semis (Figure 1), les taux de survie sont supérieurs après repiquage, d’environ 20 % par rapport au semis direct. La taille est en moyenne supérieure de 1,8 cm pour le repiquage, tandis que le poids des plantes peut être considéré comme équivalent. Si l’on considère la survie des plantes à la récolte (45 jours), il ressort que la mortalité a été totale pour les plantes installées sur les doses T0, M35 et M70. Par contre, les doses C5, C10, C15 et M105 ont induit des taux moyens de survie statistiquement identiques à celui observé sur SN, bien que légèrement inférieurs en mode de semis direct. Pour la taille et le poids des plantes d’amarante à la récolte, le schéma est à peu près le même (Tableau 4), soit des niveaux croissants dans le sens T0 < Amendements < SN. La contamination des sols perturbe la croissance et la viabilité de la végétation et met à mal la viabilité du maraichage, indépendamment du risque éventuel d’accumulation des contaminants dans les végétaux et de transfert dans la chaine alimentaire (Bourrelier et al., 1998 ; Mench et al., 2004). Aucune dose d’amendement ne permet toutefois d’atteindre taille et poids moyens des plantes récoltées sur SN. Parmi les traitements, celui à la plus grande dose de calcaire (C15) donne les tailles et poids les plus importants. Les résultats des essais menés sur l’amarante figurent au tableau 4. Les constats ne sont guère différents de ceux effectués pour la poirée bette. On notera toutefois que la levée a été nulle pour le sol non traité et que les plantes n’ont pas survécu sur les traitements à base de compost. Seul le calcaire à la dose de 15 g s’avère optimal au final.

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3.2. Essais complémentaires relatifs aux apports combinés d’amendements organiques et carbonatés (essais 2009)

16Effets sur la reprise et la survie des cultures. Les résultats des tests d’amendement sur les paramètres morphologiques des cultures de poirée bette et d’amarante sont synthétisés au tableau 5.

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17L’analyse de la variance indique que le type d’amendement appliqué induit des effets significatifs sur le taux de reprise de l’amarante. Pour la poirée bette, par contre, une reprise totale a été observée, même sans traitement du sol contaminé. L’amarante montre des signes de toxicité sur le sol contaminé non amendé et pour le traitement au compost (M105). La survie a également été affectée par les traitements. Un seul individu sur 4 pour la poirée bette a pu se développer sur le témoin contaminé (T0) et aucun pour l’amarante. L’apport de compost n’a pas amélioré le sol contaminé par rapport à la culture d’amarante. On observe des différences de comportement entre poirée bette et amarante, la deuxième se révélant dans cette expérience plus sensible que la première à l’état initial du sol contaminé (Figure 2).

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18Effets sur la morphologie des individus survivants à la récolte. Pour la poirée bette, la taille, le nombre de feuilles et le poids moyens des plantes à la récolte suivent la même logique : T0 ≤ M105 ≤ CM1 ≤ C15 ≤ SN. Dans le cas du poids, les différenciations sont plus marquées entre les deux amendements. C’est donc le calcaire apporté seul qui a l’effet le plus favorable. La combinaison calcaire-compost est moins efficace, probablement en raison d’interactions entre les deux produits. L’ajout de compost a un effet direct sur le pH, mais l’augmentation de matière organique accroît également le pouvoir tampon du sol et tempère l’effet des carbonates. Pour les deux cultures, les tailles et les poids moyens des plantes cultivées sur sols contaminés traités n’atteignent jamais celles sur sol de référence. Il est connu que des concentrations trop élevées en éléments traces, même pour les oligo-éléments, peuvent s’avérer toxiques pour les organismes.

3.3. Influence des amendements sur les teneurs en ETM dans les sols et dans les plantes

19Effets des amendements sur les propriétés du sol. Les caractéristiques physico-chimiques des sols (pH, COT, éléments extractibles à l’acétate d’ammonium-EDTA) en relation avec les traitements appliqués sont présentées au tableau 6. Les valeurs de pH du sol contaminé sont passées d’une réaction acide à la neutralité avec l’apport des différents amendements, l’effet étant le plus marqué pour celui au calcaire seul (C15). On notera que tous les apports ont conduit à des pH supérieurs à celui de la référence moins contaminée. Pour le COT, l’apport de compost induit une augmentation de 0,4 g de COT par 100 g de sol. L’apport de calcaire semble par contre avoir provoqué une diminution du stock organique. L’apport des amendements favorise globalement la réduction des teneurs extractibles en ETM, comparativement au sol sans amendement. Chaque élément trace réagit différemment au contact des amendements. Cependant, pour l’ensemble des éléments, l’application des traitements C15 et CM1 conduit au meilleur résultat. La différence entre C15 et CM1 sur la réduction en teneurs extractibles à l’EDTA dans les sols n’est pas très marquée. Par contre, l’effet du compost (M105) reste faible par rapport aux traitements précédents. Il s’agit dès lors d’un effet principal du calcaire. La diminution a été de moins de 10 % pour le cuivre, de 35 à 55 % pour le cobalt, 25 à 45 % pour le cadmium, 20 à 40 % pour le plomb et 35 à 42 % pour le zinc. Les traitements au calcaire (C15 et CM1) ont permis les diminutions les plus significatives pour les différents éléments. L’effet additionnel du compost ajouté à la chaux ne s’est marqué que pour le plomb et le zinc. On doit rappeler que les différents traitements n’éliminent pas les ETM, mais qu’ils en réduisent la mobilité en favorisant les réactions de fixation sur les surfaces d’échange, de précipitation, en augmentant le nombre de surfaces réactionnelles. La réduction de la mobilité des ETM sur les parcelles amendées à la chaux est due à l’augmentation du pH du sol (Mench et al., 2006) rendant les ETM non disponibles pour les plantes (Madejo et al., 2006) ; par contre, la réduction de la mobilité des ETM sans augmentation du pH sur les parcelles amendées au compost est attribuable à la chélation des ETMs par les composés humiques et par les acides organiques libérés par le compost (Mench et al., 1994). Des résultats similaires obtenus par Ngoy et al. (2010) dans la région de Lubumbashi ont montré que les apports de la chaux (0,2 kg·m-2) et du compost (4,5 kg·m-2) ont permis de réduire respectivement la biodisponibilité du cuivre de 12,5 % et 64 % sur sols contaminés artificiellement au cuivre. L’étude de la réponse chimique du sol aux amendements souffre toutefois de l’aggressivité de l’extractant utilisé comme indicateur de la biodisponibilité.

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20Effets des amendements sur les teneurs en ETM dans les plantes. Les teneurs en ETM dans les plantes récoltées sont reprises dans le tableau 7. Une teneur en eau moyenne de 90 % a été utilisée pour les espèces, en vue de confronter les teneurs mesurées dans les plantes aux valeurs seuils (Kabata-Pendias et al., 2001 ; Tremel-Schaub et al., 2005) exprimées par rapport aux matières fraiches. Pour la poirée bette, les teneurs en ETM dans les feuilles diminuent fortement après apport d’amendements, à l’exception du cadmium en M105. Dans l’ensemble, l’effet du calcaire (seul ou en mélange) est spectaculaire. Par contre, l’effet du compost seul est nettement moins marqué. Pour le zinc, il semble y avoir un effet additionnel calcaire + compost. Dans certaines situations, des niveaux inférieurs à ceux mesurés dans le témoin ont même été rencontrés. Pour l’amarante, il n’y a pas eu de récolte sur les traitements T0 et M105. La seule référence est le témoin non contaminé. Les niveaux mesurés dans le traitement C15 sont inférieurs à celui comportant en plus du compost. Les teneurs en C15 sont supérieures au SN, à l’exception du zinc. Pour l’ensemble, les réductions sont plus importantes pour le cobalt (> 90 %), tandis que celles du plomb et du zinc sont du même ordre (> 72%), puis du cuivre et enfin du cadmium. La comparaison des teneurs obtenues dans les végétaux avec les valeurs seuils montre que même les plantes de poirée bette et d’amarante, cultivées sur sol de référence (SN), présentent des teneurs en cuivre, cadmium et zinc supérieures aux seuils agronomiques tolérables pour les récoltes : 20 mg·kg-1 de Cu, 5 mg·kg-1 de Co, 0,5 mg·kg-1 de Cd, 10 mg·kg-1 de Pb et 100 mg·kg-1 de Zn MS. Pour les plantes de poirée bette cultivées sur SN, les teneurs en cuivre, cadmium et zinc sont respectivement 2, 10 et 2 fois plus élevées que les valeurs seuils. Les teneurs en ETM sur T0 et M105 dépassent également les valeurs limites, à l’exception du plomb en M105. Par contre, les teneurs en cobalt, plomb et zinc sur T15 et TM1 se situent dans la gamme des valeurs agronomiques tolérables pour les récoltes, à l’exception du cobalt pour TM1. Sur SN, la teneur en cuivre observée dans l’amarante excède la valeur limite de 20 mg·kg-1. La teneur en cadmium vaut 10 fois plus que le seuil de 0,5 mg·kg-1. La teneur en zinc se situe juste au niveau de la valeur limite de 100 mg·kg-1 pour les plantes installées sur SN. Par contre, les teneurs en cobalt et plomb se situent en dessous des valeurs seuils. Seul le traitement au calcaire a permis de réduire les teneurs en ETM en dessous des valeurs seuils en plomb et en zinc dans les plantes d’amarante. Par contre, tous les végétaux récoltés sur TM1 montrent des teneurs qui dépassent les valeurs limites, à l’exception du plomb. Le transfert des ETM aux plantes dépend de nombreux paramètres abiotiques (physicochimie du sol, minéralogie) et biotiques (plante, micro-organismes). La disponibilité des ETM est en effet fortement dépendante des espèces végétales étudiées, car leurs capacités de prélèvement des métaux sont variables (Redon, 2009). Lorsque le sol d’un jardin potager est contaminé par des ETM, sa production maraichère présente des risques sanitaires pour les consommateurs (Bourrelier et al., 1998). C’est alors que se pose le problème de l’aptitude des sols urbains et industriels à l’implantation et au développement des végétaux et au risque sanitaire que représente la consommation de tels végétaux. Nos résultats montrent qu’une réduction des transferts des ETM du sol aux légumes est possible par l’ajout d’amendements destinés à immobiliser les contaminants dans le sol ; néanmoins, la sélection de variétés d’amarante et d’épinard absorbant moins d’ETM devrait au minimum être envisagée, voire la culture de ces deux légumes déconseillée et remplacée par d’autres espèces.

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4. Conclusion

21Les apports des doses maximales de chaux (C15) et de compost (M105) pour la poirée bette sont les plus favorables à une réduction de la phytodisponibilité des ETM dans les horizons labourés pour les légumes étudiés. Le semis par repiquage (SI) favorise la survie et la croissance de la poirée bette sur sol contaminé ayant reçu les amendements. L’application des amendements carbonatés a amélioré significativement la croissance de deux espèces potagères par rapport au sol contaminé sans amendement, à l’exception du compost pour l’amarante. L’application du calcaire seul et de la combinaison calcaire-compost a permis d’atteindre les résultats les plus proches de ceux sur sols de référence pour les deux cultures. Il n’y a néanmoins pas de réelle valeur ajoutée du compost par rapport au calcaire. La poirée bette a également montré de meilleurs taux de reprise et de survie par rapport à l’amarante. L’apport du compost a entrainé une augmentation du stock organique. Enfin, les amendements ont permis de réduire les teneurs disponibles en ETM des horizons labourés du sol contaminé par rapport à T0. Les traitements à base de calcaire (C15 et CM1) ont été meilleurs que le compost seul. Les amendements ont favorisé une réduction proportionnellement moins importante pour le cuivre que pour les autres éléments. Les amendements ont réellement permis de diminuer les transferts du sol vers la plante. À nouveau, les traitements au calcaire sont plus efficaces. Les niveaux d’ETM dans les plantes restent encore élevés, quelle que soit l’application d’amendements. Les espèces potagères, surtout les épinards, sont pour la plupart accumulatrices des ETM. Les teneurs observées sur SN démontrent la capacité des espèces étudiées à accumuler les ETM, même sur des sols considérés comme à faibles concentrations en ETM pour la région. Si l’effet des amendements va dans le bon sens, les espèces cultivées dans nos essais ne présentent toutefois pas encore de teneurs compatibles avec les normes sanitaires internationales. Néanmoins, les maraichers de Lubumbashi pourraient intégrer, dans leurs pratiques agricoles, l’apport d’amendements calcaires en vue de réduire le transfert des ETM vers les cultures ; ceci devrait, en outre, être accompagné de la sélection de variétés accumulant moins d’ETM ou de leur remplacement par d’autres familles de légumes.

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Pour citer cet article

Michel Mpundu Mubemba, Yannick Useni Sikuzani, Luciens Nyembo Kimuni & Gilles Colinet, «Effets d'amendements carbonatés et organiques sur la culture de deux légumes sur sol contaminé à Lubumbashi (RD Congo)», BASE [En ligne], Volume 18 (2014), Numéro 3, 367-375 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=11350.

A propos de : Michel Mpundu Mubemba

Université de Lubumbashi. Faculté des Sciences Agronomiques. Département de Phytotechnie. BP 1825. Lubumbashi (République Démocratique du Congo) – Université de Lubumbashi. École d’Hôtellerie et Tourisme. BP 1825. Lubumbashi (République Démocratique du Congo).

A propos de : Yannick Useni Sikuzani

Université de Lubumbashi. Faculté des Sciences Agronomiques. Département de Phytotechnie. BP 1825. Lubumbashi (République Démocratique du Congo). E-mail : yannickuseni@gmail.com

A propos de : Luciens Nyembo Kimuni

Université de Lubumbashi. Faculté des Sciences Agronomiques. Département de Phytotechnie. BP 1825. Lubumbashi (République Démocratique du Congo).

A propos de : Gilles Colinet

Université de Liège-Gembloux Agro-Bio Tech. Laboratoire de Géopédologie. Unité Sol, Écologie, Territoire. Avenue Maréchal Juin, 27. B-5030 Gembloux (Belgique).