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- Volume 19 (2015)
- numéro 3
- Amélioration des systèmes de production mixtes en Afrique soudano-sahélienne. Rôle de l’espèce Stylosanthes hamata (L.) Taub. (synthèse bibliographique)
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Amélioration des systèmes de production mixtes en Afrique soudano-sahélienne. Rôle de l’espèce Stylosanthes hamata (L.) Taub. (synthèse bibliographique)
Nota's van de redactie
Reçu le 8 janvier 2015, accepté le 1 avril 2015
Résumé
Introduction. En Afrique soudano-sahélienne, les systèmes de production agricole traditionnels ne permettent plus de subvenir aux besoins en nourriture des populations. Pour améliorer durablement la sécurité alimentaire des petites exploitations familiales, les pratiques agro-écologiques sont de plus en plus promues par les organisations de recherche et de développement.
Littérature. Plusieurs études montrent que les performances de l'agriculture peuvent être améliorées de manière durable par le développement des synergies entre les activités de production végétale et animale. Parmi ces possibilités d'amélioration, l'intégration de Stylosanthes hamata (L.) Taub. dans les systèmes de production est une des voies les plus intéressantes. La légumineuse présente de nombreuses qualités susceptibles d'améliorer les performances des systèmes de culture dans lesquels elle est intégrée. En outre, elle permet une importante production de fourrage de qualité, à partir de la seconde année, utilisable pour l'alimentation des animaux. Toutefois, des contraintes phytosanitaires, techniques, environnementales et/ou socio-économiques doivent être levées pour permettre une meilleure intégration de la culture dans les systèmes de production.
Conclusions. L'intégration de S. hamata dans les systèmes de production des régions soudano-sahéliennes présente des avantages potentiels qui devraient motiver des investigations plus approfondies pour identifier les modalités adéquates de cette intégration.
Abstract
Improvement of mixed farming systems in Sudano-Sahelian Africa. Role of the species Stylosanthes hamata (L.) Taub. A review
Introduction. In Sudano-Sahelian Africa, the traditional farming systems are no longer able to meet the food needs of the population. In order to sustainably improve the food security of small family farms, agro-ecological practices are increasingly being promoted by research and development organizations.
Literature. Several studies have shown that agricultural productivity can be sustainably improved through a better integration of agriculture and livestock activities. One approach currently being considered is the integration into farming systems of Stylosanthes hamata (L.) Taub: a herbaceous annual to short-lived perennial. This plant has the proven potential to enhance the performance of cropping systems in many ways. It also allows for the critical production of a high quality fodder for animal feed, from the second year after planting onwards. However, phytosanitary, technical, environmental and / or socio-economic constraints would need to be lifted to allow a better integration of the crop into farming systems.
Conclusions. Integration of S. hamata into the farming systems of the Sudano-Sahelian regions presents potential benefits that merit further investigation, in order to identify the appropriate modalities for this integration.
Inhoudstafel
1. Introduction
1Plusieurs études traitent de la question de la durabilité des systèmes de production agricole en Afrique soudano-sahélienne (Piraux, 2000 ; Bocquier et al., 2010 ; Nacro et al., 2010). Ceux-ci se caractérisent généralement par une très faible association, voire une dissociation, des activités de production végétale et animale et on y observe souvent une baisse chronique de leur capacité de production, du fait de la chute de la fertilité des sols. En effet, une fois mis en culture, les sols tropicaux tendent à voir leur productivité diminuer suite à la chute rapide de leur teneur en matière organique combinée à l'acidification et à l’apparition de déficiences en éléments nutritifs, notamment l'azote et le phosphore (Khouma et al., 2005 ; Sungthongwises et al., 2011). Le potentiel génétique des animaux d'élevage est mal exploité (Asongwed-Awa et al., 2002), avec des pâturages naturels insuffisants et de mauvaise qualité nutritive en saison sèche (Akinlade et al., 2008 : Toutain et al., 2009). La promotion des cultures fourragères classiques a eu un succès limité (Landais et al., 1990), du fait de l'augmentation du travail et de la technicité qu'elles requièrent et, dans certaines régions, de la saturation de l'espace rural. Pour inverser cette dynamique, plusieurs auteurs (Couty, 1991 ; Tarawali, 1998 ; Piraux, 2000 ; Nacro et al., 2010) s'accordent sur la nécessité de développer des systèmes de culture durables qui, en plus d’être performants, conserveraient le potentiel de production du milieu. L'intégration culture-élevage, en particulier, est gage de durabilité des systèmes de production tropicaux (Lhoste, 2004 ; Bocquier et al., 2010) ; elle permet de répondre aux objectifs sociaux et économiques de la production et d'assurer une meilleure gestion des ressources. Cette perspective rend attractives les associations culturales de légumineuses fourragères et de céréales, surtout dans les régions à faible disponibilité foncière.
2Les avantages qu'offre l'association d'une légumineuse avec une céréale sont nombreux et variés : amélioration de la fertilité du sol, principalement du fait de la fixation symbiotique d’azote au niveau des racines de la légumineuse, meilleure rétention de l'eau du sol, lutte contre l'érosion, lutte contre les mauvaises herbes, production de fourrage de qualité, économie d’énergie par la suppression partielle ou totale du sarclage, économie en intrants, etc. (Odunze, 2002 ; Chandra, 2009 ; Bocquier et al., 2010 ; Saito et al., 2010). Les espèces du genre Stylosanthes sont des légumineuses tropicales particulièrement intéressantes pour leur haute valeur fourragère et leur capacité à améliorer la fertilité des sols de différents écosystèmes agropastoraux et forestiers tropicaux (Chandra, 2009 ; Onyeonagu et al., 2013). Parmi ces espèces, Stylosanthes hamata (L.) Taub. est, sans doute, la plus intéressante pour les régions sahéliennes et soudaniennes d’Afrique (Osafo et al., 2008 ; Ogunbode et al., 2012). Ses utilisations fourragères concernent essentiellement les ruminants domestiques des régions tropicales où la disponibilité en fourrage de qualité n'est pas assurée tout au long de l’année (Asongwed-Awa et al., 2002 ; Omole et al., 2007 ; Akinlade et al., 2008 ; Osafo et al., 2008 ; Ogunbode et al., 2012).
3Des études menées récemment dans différentes parties du monde mettent également en évidence l’intérêt potentiel de S. hamata pour le développement de systèmes de culture en semis direct sous un couvert végétal permanent (Odunze, 2002 ; Husson et al., 2008). Ceux-ci se définissent comme un ensemble de pratiques agricoles qui se caractérisent par l'absence de travail du sol, la couverture permanente du sol par une biomasse végétale et le semis direct à travers la couverture végétale protectrice.
4Cette synthèse bibliographique présente les intérêts potentiels de l’espèce S. hamata pour améliorer durablement les performances des systèmes de production agricole mixtes des régions soudano-sahéliennes d’Afrique et les voies possibles pour atteindre cet objectif au moyen de cette légumineuse.
2. Caractéristiques des principaux systèmes de production mixtes des régions sahélo-soudaniennes d’Afrique
5En Afrique sahélo-soudanienne, les activités culturales et l’élevage sont diversement associées ou entrent parfois en compétition, selon les contraintes et les opportunités locales (Lhoste, 2004). L'utilisation de la traction animale en milieu rural est la forme d'intégration la plus élaborée et la plus répandue (Lhoste, 1987 ; Dièye et al., 1998 ; Havard et al., 2004 ; Sempore et al., 2013). Cependant, même dans ce cas, les transferts de matières organiques (fumier, paille et fourrages, notamment) entre les champs et les étables sont généralement très faibles. Sempore et al. (2013) rapportent que, dans la région ouest du Burkina Faso, moins de 20 % des terres cultivées reçoivent une fumure organique et quand elle est pratiquée, l'application de fumure organique ne dépasse généralement pas la dose d'1 t·ha-1. Cela se traduit par une chute continue de la teneur en humus des sols (Piraux, 2000 ; Odunze, 2002). Ainsi, au Sénégal, le suivi de ce paramètre dans les sols du bassin arachidier montre une baisse importante, de 30 % sur 12 ans et près de 66 % sur 46 ans (Khouma et al., 2005). Onana et al. (2007) rapportent des variations similaires du stock de matière organique dans des sols cultivés en continu au Nord-Cameroun : 50 % de pertes après 35 années de culture continue. Par ailleurs, l'adoption massive de la culture attelée et l’accroissement de la population rurale, en favorisant l’extension des surfaces cultivées et la réduction drastique, voire la disparition, de la jachère, ont accentué la chute de la fertilité des sols et entrainé des réductions importantes des rendements agricoles (Lhoste, 1987 ; Milleville et al., 1994). La diminution rapide de la teneur en matière organique des sols tropicaux, suite à leur exploitation traditionnelle, est un des principaux facteurs limitant leur potentiel de production. Selon Pieri1 (1989), cité par Groot et al. (1998a), et Breman et al. (1995), quand la teneur en humus tombe en dessous d’un seuil critique, on assiste à un effondrement des rendements. Ce seuil se situe entre 3 et 5 % de la teneur totale du sol en argile et en limon. Ainsi, la nécessité d’augmenter le taux de matière organique du sol est souvent évoquée pour améliorer la productivité et la durabilité de ces systèmes de production (Razafimbelo et al., 2006).
6L’agriculture, essentiellement pluviale et pratiquée sur des superficies modestes, est dominée par la culture de céréales, souvent destinées à l’autoconsommation et une, ou plusieurs, culture(s) de rente. Les principales cultures des régions sahélienne et soudanienne d'Afrique sont le mil (Pennisetum glaucum [L.] R. Br.), le sorgho (Sorghum bicolor [L.] Moench), le niébé (Vigna unguiculata [L.] Walp.) et l'arachide (Arachis hypogea L.). En général, les systèmes de culture rencontrés en Afrique de l'Ouest utilisent peu d'intrants et une main-d'œuvre importante, souvent familiale. Dans de tels systèmes, l'extension des cultures est la principale stratégie pour répondre à une demande sociale croissante en produits vivriers, du fait d'une démographie galopante. Aune et al. (2008) rapportent que l'accroissement de la production de grain du mil, observée au Niger et au Mali lors des décennies précédentes, est plus lié à l'extension des cultures sur de nouvelles terres et au raccourcissement de la durée de la jachère qu'à une amélioration des rendements agricoles. Ces mêmes auteurs rapportent qu'au Burkina Faso, l'augmentation de la production résulte d'une extension des cultures et d'une amélioration des rendements par une intensification agricole. En effet, en Afrique de l'Ouest, différentes tendances d'évolution des rendements du mil s'observent selon le pays considéré. Au Niger et au Mali, les rendements du mil ont tendance à se stabiliser autour d'une moyenne de 500 kg·ha-1 ; au Burkina Faso, un accroissement de 500 à 750 kg·ha-1 est observé sur 30 ans (1976-2005) ; au Sénégal, une diminution des rendements du mil s'observe depuis 1995, après une période d'accroissement sur les 30 années antérieures (Aune et al., 2008). Toutefois, là où elle s’observe, la vitesse d'augmentation de la production est plus faible que la croissance des populations de cette région, entrainant une diminution de la production par habitant. Des déficits céréaliers, fréquents en milieu rural, sont rapportés par plusieurs auteurs (Dièye et al., 1998 ; Piraux, 2000).
7L'élevage y est conduit selon différents systèmes extensifs, transhumant ou sédentarisé. L’alimentation des animaux se fait essentiellement sur pâturages naturels caractérisés par une pénurie saisonnière et une qualité médiocre du fourrage en saison sèche. Les résidus des cultures et le fourrage aérien complètent les rations ingérées sur prairies naturelles en saison sèche (Lhoste, 2004 ; Béchir et al., 2009). Dièye et al. (1998) rapportent qu'en région agropastorale du bassin arachidier du Sénégal, les résidus de culture et les coproduits de récolte constituent 30 à 50 % des rations alimentaires des ruminants domestiques en saison sèche. Toutefois, un déficit fourrager de plus de 21 % par rapport aux besoins, soit 481 kg de matière sèche (MS) par Unité Bétail Tropical (UBT), a été mis en évidence par Guérin et al. (1985) dans cette région. Ces auteurs estiment que la conduite alimentaire des animaux sur pâturage naturel ne permet pas une ingestion ad libitum et que d'autres ressources alimentaires sont nécessaires pour complémenter la ration ingérée au pâturage. La productivité du cheptel, notamment la croissance numérique et les productions de viande et de lait, est fortement limitée par l'insuffisance et la qualité médiocre du fourrage disponible sur parcours. Kaasschieter et al. (1998) rapportent des gains de poids moyen quotidien, en élevage extensif de bovins tropicaux, de 70 à 150 g, largement en dessous de leur potentiel génétique estimé à 750 g. Ces auteurs soulignent également des performances de production de 500 à 800 kg de lait, obtenue en 246 jours de lactation en moyenne, pour des aptitudes de 1 000 à 2 000 kg de lait, et des différés de 10 à 36 mois de l'âge du premier vêlage, liés à une mauvaise alimentation.
3. Intérêts de l’espèce S. hamata pour améliorer les performances de systèmes de production mixtes
8Le genre Stylosanthes regroupe plusieurs dizaines d'espèces qui se développent sous divers climats tropicaux et sur des sols très variés. Elles sont généralement assez tolérantes à la sècheresse et conviennent parfaitement aux sols pauvres et acides (Ogunbode et al., 2012), caractéristiques des régions tropicales d'Afrique. Stylosanthes hamata, Stylosanthes guianensis (Aubl.) Sw., Stylosanthes scabra Vogel, Stylosanthes seabrana B.L. Maass & t’Mannetje sont les espèces considérées comme les plus importantes en Afrique tropicale et subtropicale (Munaut et al., 1998 ; Osafo et al., 2008 ; Ogunbode et al., 2012).
3.1. Intérêts édaphiques de S. hamata
9Stylosanthes hamata est une légumineuse vivace, semi-érigée, pouvant se comporter en plante annuelle dans plusieurs systèmes de production, surtout en conditions arides. Elle est adaptée aux régions recevant entre 500 et 2 000 mm de pluies ; l'optimum de précipitation se situe entre 700 et 900 mm. La tolérance de S. hamata à la sècheresse est meilleure dans des sols avec une importante proportion de sable grossier (Coulibaly, 1996). L'essentiel des cultivars est adapté à des sols dont le pH varie de 5,8 à 8, présentant des textures diverses. Toutefois, les valeurs faibles du pH de la solution du sol limitent la durée de vie du Rhizobium et sa persistance dans le sol et sont défavorables à la nodulation (Zahran, 1999). De même, les sols lourds à texture argileuse sont impropres à la culture de S. hamata. La concentration en phosphore assimilable de la solution du sol de 1 μM est suffisante pour un bon développement de cette espèce, contre 3 μM pour Stylosanthes humilis Kunth et 1,2 μM pour S. guianensis (Smith et al., 1990). Le seuil de déficience en phosphore assimilable des sols tropicaux d'Afrique établi par Compaoré et al.2 (2001), cités par Nacro et al. (2010), est de 5 mg·kg-1 de sol. Le stress lié à un déficit de phosphore du sol favorise chez S. hamata un fort développement du système racinaire aux dépens de la biomasse aérienne, sans pour autant améliorer la fixation symbiotique d'azote (Smith et al., 1990). L'absorption du phosphore par la plante demande 10 fois plus de biomasse racinaire que l'absorption de l'azote ou de l'eau (Groot et al., 1998b). D'une manière générale, les espèces de Stylosanthes répondent très favorablement à la fertilisation. L'apport d’engrais phosphatés dans le sol, en plus d'augmenter la biomasse aérienne, améliore la nodulation et la fixation d'azote. Cela se traduit par une forte augmentation de la teneur en azote total et en phosphore dans la plante. L'azote fixé par symbiose représente 50 à 58 % de l'azote total de S. hamata sur sol amendé en P (Sungthongwises et al., 2011). Il faut également noter que S. hamata montre une résistance partielle aux principales souches de Colletotrichum gloeosporioides (Penz.) Penz. & Sacc., responsable de l'anthracnose, contrairement à la plupart des espèces du genre Stylosanthes (Cameron et al., 1997 ; Chakraborty, 2004 ; Osafo et al., 2008).
10En région soudano-sahélienne, les pertes de constituants du sol du fait de l'érosion hydrique sont particulièrement importantes, surtout en début de saison pluvieuse lorsque les terres sont dénudées et que la violence des orages déstructure les horizons de surface. La couverture vivante du sol par S. hamata permet à la fois de protéger le sol contre l’érosion, d’augmenter sa teneur en azote et de rehausser sa teneur en matière organique. À partir d'essais réalisés en zone soudanienne au Burkina Faso, sur des sols ferrugineux tropicaux à texture sablo-limoneuse, Nacro et al. (2010) ont montré une amélioration de la teneur en matière organique de l'horizon de surface du sol (< 20 cm), de 0,61 % à 0,79 %, après deux années de couverture permanente du sol par S. hamata. Par son apport massif de matière organique dans le sol, sous forme de litière, de racines mortes et d’exsudats racinaires, S. hamata permet également d'améliorer le niveau de carbone des sols en profondeur. Pour des essais réalisés en zone soudano-sahélienne au Mali, Groot et al. (1998b) rapportent des densités racinaires de S. hamata élevées en 2e année de culture, de 0,96 à 3,13 cm de racines par cm³ de sol, pour l'horizon de surface (< 20 cm) et de 0,21 à 1,45 cm de racines par cm³, pour les horizons plus profonds (20 à 140 cm), qui permettent la production de biomasses racinaires de 3 596 kg·ha-1 par an à 4 161 kg·ha-1 par an, en fonction de la fertilité du sol. L'effet de la couverture du sol par S. hamata sur l'amélioration du niveau de matière organique est d'autant plus marqué que la fraction fine du sol, argiles et limons, est importante. Ce qui favorise une des principales composantes de la fertilité. En effet, la teneur en carbone de la fraction fine du sol (0-50 μm) influence favorablement la somme des bases échangeables et la capacité d’échange cationique du sol (Pallo et al., 2006).
11La fixation symbiotique est une source importante d'azote (N) qui permet d'améliorer la teneur des sols en cet élément. Les quantités d'azote fixées, dans différents systèmes de culture et pâturages impliquant une ou des légumineuses, relatées par Zahran (1999), s'établissent entre 200 et 300 kg N·ha-1 annuellement. L'estimation des quantités d'azote atmosphérique fixées par la symbiose Rhizobium-légumineuse peut être différente selon la méthode d'évaluation utilisée. Les auteurs s'accordent cependant sur l'effet bénéfique d'un antécédent cultural de légumineuse fixatrice sur les rendements de la céréale subséquente, comparable à des doses de fertilisations azotées allant de 30 à 80 kg·ha-1 (Zahran, 1999). L'utilisation pratique de la fixation biologique d'azote est d'une importance notoire, surtout pour les petites exploitations familiales d'Afrique tropicale qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour fertiliser convenablement leurs champs.
12Ses effets très positifs sur la fertilité du sol font de S. hamata une plante de couverture très intéressante pour le développement de systèmes de culture en semis direct dans un couvert végétal permanent (SCV) dans les zones subhumides (Husson et al., 2008). En plus de son rôle protecteur contre l’érosion et la recharge du sol en matière organique, elle permet d'inhiber le développement des mauvaises herbes (Odunze, 2002). D'après Chandra (2009) et Onyeonagu et al. (2013), les espèces de Stylosanthes, notamment S. hamata et S. guianensis, contrôlent mieux les mauvaises herbes que la plupart des légumineuses de couverture. Par ailleurs, cette capacité de couverture du sol de S. hamata permet de conserver l'humidité du substrat et favorise la croissance de la culture associée (Chandra, 2009). Le SCV permet d'améliorer les rendements de la céréale cultivée (Saito et al., 2010) tout en contribuant à la gestion de la fertilité des sols (Razafimbelo et al., 2006 ; Chandra, 2009). Sur des essais de culture sous couvert végétal réalisés en région semi-aride du Nigéria, Odunze (2002) a montré que la couverture du sol au moyen de S. hamata permettait d’augmenter les rendements en grain de maïs de 12 à 29 %. En région tropicale semi-aride, l'association Stylosanthes-céréale est une des méthodes les moins onéreuses pour l'établissement de la légumineuse, malgré sa moins bonne installation par rapport à la culture pure (Asongwed-Awa et al., 2002).
3.2. Intérêts fourrager et nutritionnel pour les animaux
13Pour les systèmes agropastoraux, l'intérêt de la culture de légumineuse s'évalue principalement en termes de capacité à satisfaire les besoins fourragers des animaux domestiques. Les fourrages sont la principale ressource alimentaire des ruminants en région tropicale. La pérennité des systèmes d'élevage de ruminants domestiques, dans ces régions, passe nécessairement par la sécurisation des systèmes d'affourragement (Bocquier et al., 2010). La biomasse fourragère produite par S. hamata dépend de plusieurs facteurs dont les conditions de culture (fertilité du sol et pluviométrie), le système de culture (pure ou en association) et l'année de production. Les espèces de Stylosanthes, notamment S. hamata, ont une production fourragère modeste en année d'installation (Coulibaly, 1996 ; Chandra, 2009). En conditions pluviométriques de 500 mm par an, la biomasse produite par S. hamata, en seconde année de culture, est estimée à 3,8 t MS·ha-1 (Coulibaly, 1996). En zone sahélienne et en conditions de pluviométrie normale, Breman et al. (1998) estiment la production de S. hamata cv. Verano à 4,1 t MS·ha-1, sur un sol sableux, contre 5,4 t MS·ha-1, sur un substrat sablo-limoneux ; pour les mêmes textures de sols, la biomasse obtenue en zone soudanienne est de 6,6 t MS·ha-1 et 9,6 t MS·ha-1, respectivement. La biomasse du couvert de S. hamata est relativement stable à partir de la seconde année, contrairement à S. scabra et S. seabrana qui produisent des biomasses de plus en plus importantes au fil des années (Chandra, 2009).
14Les espèces de Stylosanthes, notamment S. hamata, S. scabra et S. guianensis, contribuent dans une large mesure à l'alimentation de nombreuses espèces animales (Bamikole et al., 2004 ; Osafo et al., 2008 ; Chandra, 2009 ; Ogunbode et al., 2012). Elles sont souvent utilisées comme suppléments alimentaires pour les ruminants domestiques, du fait de leur bonne teneur en protéines brutes (PB), 150 à 300 g·kg-1 MS, supérieure au seuil de 8 % en dessous duquel l'ingestibilité est inhibée (Ogunbode et al., 2012). La qualité du fourrage varie, cependant, avec le stade de développement de la plante. Des teneurs en PB plus élevées et des teneurs en parois totales (Neutral Detergent Fiber, NDF) faibles sont obtenues en période de croissance. Une fauche de S. hamata, après 45 jours de croissance, permet d'obtenir du fourrage à 18 % PB et 52 % NDF (Lukkananukool et al., 2013). En conséquence, la digestibilité du fourrage qui dépend étroitement de la teneur en NDF varie avec l'âge et la morphologie (rapport feuille/tige, notamment) de la plante. Comme pour la majorité des fourrages tropicaux, la digestibilité des feuilles et des tiges des espèces de Stylosanthes diminue considérablement avec l'âge de la plante, passant de 71,6 à 60,3 % et de 51,9 à 36,7 %, respectivement, entre les stades de végétation jeunes et âgés (McIvor, 1979). D'après cet auteur, entre ces stades végétatifs, le rapport feuille/tige d’un couvert de Stylosanthes passe de 80/20 à 25/75 et contribue à réduire davantage la digestibilité de la plante entière. La composition de la ration des animaux au pâturage est affectée par ce rapport ; le ratio feuille/tige de l'ingéré du bovin varie de 2/1 à 1/2, de la saison humide à la saison sèche (Gardener et al., 1988). L'appétibilité du fourrage varie selon l'espèce de Stylosanthes. Stylosanthes hamata est très appétée par les animaux, plus que toutes les autres espèces de Stylosanthes (Chandra, 2009), surtout au moment de la floraison-fructification (Coulibaly, 1996). Cet avantage de S. hamata incite à une stratégie d'alimentation à l'auge qui consiste à apporter un mélange de fourrages d’une légumineuse et d'une graminée (Bamikole et al., 2004). La légumineuse fourragère améliore considérablement l'ingestion de matière sèche et la digestibilité de la graminée lorsqu'elle supplémente une ration de base ingérée sur pâturages naturels en fin de cycle ou de pailles de céréales cultivées (Bamikole et al., 2004 ; Osafo et al., 2008). Les tests chez le mouton de rations à base de graminées pauvres supplémentées par S. hamata, S. guianensis et S. scabra, dans les proportions 70/30, ont montré une importante amélioration de l'ingestibilité et de la digestibilité de la matière sèche et des protéines (Ogunbode et al., 2012). Chez la brebis allaitante, l'utilisation de S. hamata comme supplément alimentaire de la ration de base améliore considérablement la croissance journalière des agneaux et leur poids au sevrage, sans compromettre la croissance pondérale de la brebis (Osafo et al., 2008). La production laitière est rehaussée de 35 % chez la vache nourrie avec du fourrage de S. hamata, comparée à une alimentation sur pâturages naturels tropicaux (Asongwed-Awa et al., 2002). Ces auteurs soulignent, par ailleurs, une variabilité plus grande des performances de production observées entre les animaux recevant du fourrage de S. hamata pouvant guider les stratégies d'amélioration de cheptel par sélection massale.
15Dans les systèmes agropastoraux, l'adoption d'un paquet de technologies qui intègre la culture du Stylosanthes, la conservation du fourrage et l'alimentation des animaux d'élevage est souvent nécessaire pour exploiter tout le potentiel de la légumineuse. Lukkananukool et al. (2013) ont montré que la qualité du fourrage frais de S. hamata se conserve par l'ensilage, mais qu’il semble nécessaire d’ajouter de la mélasse pour s’assurer de la qualité du produit. Ils ont en effet obtenu, à partir du fourrage de S. hamata cv. Verano fauché après 45 jours de croissance, un ensilage caractérisé par une teneur minimale de MS de 31,26 % et un pH relativement élevé de 5,06. En effet, un ensilage de qualité se caractérise par son pH bas, voisin de 4, sa faible teneur en azote ammoniacal, moins de 9 % de l'azote total, et sa faible concentration en acide butyrique, moins de 5,5 g·kg-1 MS (Phiri et al., 2007). Ces caractéristiques peuvent être obtenues plus facilement par l'utilisation d'additifs, dont la mélasse. Par sa composition en hydrate de carbone soluble, notamment le saccharose, la mélasse améliore la fermentation en facilitant la production d'acide lactique par les bactéries. Conservé sous forme de foin, le stockage fourrage de S. hamata permet de différer son utilisation et de relever le niveau d'ingestion et la qualité de l'ingéré lorsque la valeur fourragère des ressources naturelles est médiocre (Osafo et al., 2008 ; Ogunbode et al., 2012).
4. Voies possibles d’intégration de S. hamata dans les systèmes de production agricole mixtes
16En région sahélo-soudanienne, S. hamata peut être intégrée dans différents systèmes de production : en association avec une céréale, installée ou non en semis direct dans un paillis constitué à partir de son couvert, mais aussi dans des systèmes agroforestiers et sylvopastoraux où elle assure la couverture permanente du sol (Asongwed-Awa et al., 2002 ; Chandra, 2009 ; Saito et al., 2010 ; Ogunbode et al., 2012). L'installation de S. hamata, dans ces systèmes, se fait par semis à la volée ou en poquets, à faible profondeur. Breman et al. (1998) rapportent qu'une profondeur de 2 cm est trop grande pour assurer une germination efficace de S. hamata. Selon le type de sol, la levée de S. hamata s'observe entre le 4e jour et trois semaines après semis. Une germination plus rapide et de meilleurs taux de levée sont obtenus sur sols sablo-limoneux (Coulibaly, 1996). En outre, la scarification des semences permet d'améliorer la vitesse et le taux de germination. Dans les systèmes d'association de cultures céréale-légumineuse en région soudanienne, S. hamata est semée une à plusieurs semaines après la céréale (Asongwed-Awa et al., 2002 ; Saito et al., 2010), pour limiter la concurrence de la légumineuse sur la culture associée. Asongwed-Awa et al. (2002) ont, toutefois, montré que l'association S. hamata-céréale retarde la floraison de Stylosanthes d'une semaine et la production de semences, de deux semaines. Ces auteurs relatent également une diminution de la production de matière sèche de 41,70 % et de semences, de 22,45 %, par rapport à la culture pure de Stylosanthes.
17Dans les régions à pluviométrie satisfaisante (> 800 mm par an), l'utilisation de Stylosanthes comme culture de couverture dans les systèmes agroforestiers et sylvopastoral est la plus répandue (Chandra, 2009). La gestion de la biomasse de Stylosanthes implique des fauches tous les 2 à 3 mois ou une exploitation in situ par le bétail (Ogunbode et al., 2012 ; Onyeonagu et al., 2013). La fauche ou le pâturage est amorcé la seconde année ; une fauche (ou un pâturage) précoce compromet la réussite de l'installation de la culture (Asongwed-Awa et al., 2002). Dans les écosystèmes pâturés, S. hamata a un meilleur comportement que S. scabra (Chandra, 2009). Le fauchage de la biomasse de S. hamata après 90 jours de développement donne la meilleure qualité de fourrage (Sungthongwises et al., 2011).
5. Contraintes au développement des systèmes intégrant S. hamata
18Les obstacles au développement de la culture des espèces de Stylosanthes, en Afrique de l'Ouest, sont nombreux et variés. Les contraintes majeures sont d'ordre phytosanitaire, technique et socio-économique.
19L'anthracnose, causée par Colletotrichum gloeosporioides, est une des limitations majeures à l'établissement et l'utilisation de certaines espèces de Stylosanthes dans les systèmes de culture et les pâturages. Stylosanthes hamata, notamment cv. Verano et cv. Amiga, montre généralement une solide résistance à l'anthracnose (Cameron et al., 1997). Toutefois, elle est sensible au biotype A de C. gloeosporioides qui lui cause des dégâts faibles à modérés (Sukumar et al., 1996 ; Munaut et al., 1998 ; Chakraborty, 2004), surtout lorsque les conditions environnementales sont favorables au développement de l'anthracnose (Cameron et al., 1997). Les dégâts occasionnés par l'anthracnose chez S. hamata concernent principalement la production de semences (Cameron et al., 1997 ; Chakraborty, 2004), mais aussi la production en quantité et en qualité du fourrage (Kelemu et al., 2004). Chakraborty (2004) rapporte un rapide développement de la maladie sur toutes les parties aériennes de la plante, avec des conséquences néfastes sur l'établissement et la production de Stylosanthes, lorsque le pathogène est disséminé à travers les semences. Les études visant à isoler et à identifier des souches de C. gloeosporioides sur S. hamata cultivée en régions soudano-sahéliennes sont peu diversifiées (Chakraborty, 2004). Lors d'essais réalisés en 1987 en Côte d'Ivoire, Munaut et al. (1998) ont isolé le biotype A de C. gloeosporioides sur S. hamata. Cette contrainte phytosanitaire est accrue par la variabilité de la virulence des souches de C. gloeosporioides selon les régions géographiques et l'aptitude du champignon à développer rapidement une virulence nouvelle contre les espèces de Stylosanthes résistantes (Chakraborty, 2004). L'amélioration de la biodiversité au champ, avec des espèces végétales résistantes à un ou plusieurs biotypes de C. gloeosporioides, est potentiellement un moyen de lutte à court terme, surtout pour les espèces annuelles de Stylosanthes (Cameron et al., 1997). Elle permet de limiter la propagation de l'épidémie d'anthracnose (Cameron et al., 1997), sans pour autant améliorer la résistance de la plante (Kelemu et al., 2004).
20La contrainte technique majeure porte sur l'établissement de la culture et la production de semences de Stylosanthes à un cout raisonnable (Asongwed-Awa et al., 2002). L'établissement de Stylosanthes est lent et une faible quantité de biomasse est produite en première année. La faible croissance de S. hamata et sa capacité de couverture du sol très limitée, en année d'installation de la culture, sont à lier avec le décalage de la nodulation qui est amorcée 60 jours après semis (Sungthongwises et al., 2011). En Afrique de l'Ouest, les pratiques de production de semences fourragères sont assez restreintes, limitées à quelques fermes semencières dont beaucoup ne perdurent pas du fait d'un marché trop étroit et irrégulier (Toutain et al., 2009). Le décalage de la floraison et de la maturation des graines de S. hamata, par rapport à la saison pluvieuse de la région, permet pourtant la production de semences, même pour les associations culturales légumineuse-céréale (Asongwed-Awa et al., 2002). Le cout de production du kilogramme de graines dépend de la productivité du sol, de la date de semis et de la variété cultivée (Bulakali et al., 2013). La technique de récupération de graines de Stylosanthes par tamisage du sol, développée par Bulakali et al. (2013) dans des sols à texture sableuse, permet une bonne production de semences à faible cout.
21Le cout de production des semences doit être, en effet, compatible avec la rentabilité des exploitations familiales d'Afrique de l'Ouest caractérisées par la faiblesse de leurs capacités d'investissement. La concurrence du niébé (Vigna ungiculata) qui est traditionnellement bien intégré dans les systèmes de cultures et qui offre une diversité de produits utilisables en alimentation humaine ou animale est également un obstacle à l'introduction de la culture de S. hamata dans la région (Toutain et al., 1992). En outre, la diffusion d'innovations relatives à la culture de S. hamata requiert un effort consistant de formation et d'apprentissage des producteurs. À ces contraintes socio-économiques s'ajoute le mode de conduite des animaux domestiques. En effet, même dans les zones où les surfaces cultivées occupent une part importante du finage villageois, la divagation des animaux est la règle. Le contrôle du bétail divaguant en dehors des périodes de culture implique des mesures de protection des soles fourragères.
6. Conclusions
22À l'issue de cette revue bibliographique, nous pouvons conclure que S. hamata est particulièrement adaptée aux contraintes naturelles rencontrées dans les régions sahélo-soudaniennes d'Afrique de l'Ouest, où elle offre des possibilités d’intensification intéressantes. Elle peut être intégrée à plusieurs systèmes de culture céréaliers, en association ou en SCV, où elle permet d'améliorer la production de la céréale, la production de biomasse fourragère de bonne qualité, la fertilité du sol, notamment sa teneur en matière organique et en azote. L'utilisation pratique de la fixation biologique d'azote est d'une importance notoire, surtout pour les petites exploitations familiales qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour fertiliser convenablement leurs champs. En outre, l'intérêt de S. hamata devrait inciter ces exploitations à développer des systèmes d'élevage nouveaux. Il est difficile d’envisager une amélioration des performances de l'élevage en Afrique tropicale sans une mutation des systèmes d'élevage, notamment pour l'alimentation des animaux. Testées dans plusieurs systèmes d'affourragement, les réserves fourragères, de foin ou d'ensilage de S. hamata, permettent d'améliorer considérablement les performances zootechniques des ruminants domestiques.
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