BASE

Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

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Tovonarivo Rafolisy, Laurent Thuriès, Patrick Techer, Géraud Moussard & Jean-Marie Paillat

Co-compostage de boues de laiterie et de fumier de bovins à l’Ile de la Réunion : hygiénisation, pertes de nutriments et homogénéité du compost produit

(Volume 19 (2015) — numéro 4)
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Annexes

Notes de la rédaction

Reçu le 8 janvier 2015, accepté le 11 mai 2015

Résumé

Description du sujet. Le bilan des nutriments, l’homogénéité des andains ainsi que l’hygiénisation, évaluée par la température, de composts obtenus lors du co-compostage de boues de laiterie et de fumier de bovins ont été étudiés à la demande de l’industrie laitière réunionnaise qui souhaite développer la valorisation agronomique des boues de laiterie en satisfaisant les contraintes règlementaires de l’Ile de la Réunion.

Objectifs. Les objectifs de cette expérimentation étaient d’évaluer la faisabilité d’un co-compostage de fumier de bovin avec des boues de laiterie et de statuer sur la qualité du compost produit.

Méthode. Trois andains de fumier avec deux doses de boues de laiterie ont été mis en place (sur une base massique) : fumier seul (T), fumier  + boues  (B1) et fumier ½ + boues ½ (B2) présentant une densité brute de 305, 566 et 630 kg·m-3 et une porosité libre à l’air de 72 %, 48 % et 42 %, respectivement. Un retournement a été effectué après 21 jours. Le compostage a été prolongé durant 142 jours.

Résultats. Les résultats obtenus montrent que les températures des tas atteignent 70 °C après deux jours de compostage et que l’hygiénisation (t > 55 °C) dure 40, 29 et 34 jours pour les andains T, B1et B2, respectivement. L’andain T a perdu 69 % de sa masse et 64 % de son volume initial pendant le compostage, l’andain B1, 71 % et 44 % et l’andain B2, 68 % et 49 %, respectivement. Les matières minérales et les éléments fertilisants se sont concentrés dans la matière sèche (MS). L’andain T a perdu 54 % de sa matière organique (MO) et 15 % de son azote (N), l’andain B1, 51 % et 42 % et l’andain B2, 56 % et 50 %, respectivement. Les teneurs en MS et en N deviennent plus homogènes au sein du tas pour les andains T et B1 contrairement au tas B2.

Conclusions. Les composts obtenus sont conformes à la norme NFU 44-051 (T) et à la norme NFU 44-095 (B1 et B2), sauf pour le critère de teneur en MS pour ces derniers. Par rapport au compost de fumier de bovin, le compost avec ajout de boues () est enrichi (sur une base matière fraiche) en N (+ 15 %), en P (+ 40 %) et appauvri en K (- 20 %).

Mots-clés : boue résiduaire, compostage, fumier, homogénéisation, valorisation des déchets

Abstract

Co-composting of sludge and dairy cattle manure in Réunion (France): sanitization, nutriment losses and compost homogeneity

Description of the subject. Nutrient balance, windrow homogeneity and the sanitization of composts obtained from the co-composting of dairy sludge and cattle manure were investigated in Réunion at the request of the island's dairy industry, which wants both to develop the agronomic valorization of dairy sludge and to satisfy regulatory constraints on the island.

Objectives. The aims of this experiment were to evaluate the feasibility of co-composting cattle manure with dairy sludge and to determine the quality of the compost produced.

Method. Three heaps of manure with two doses of dairy sludge were established (on a mass basis): manure alone (T), manure ⅔ + sludge  (B1) and manure ½ + sludge ½ (B2), with a bulk density of 305, 566 and 630 kg·m-3 and a free air space of 72%, 48% and 42%, respectively. The heaps were turned after 21 days. Total composting time was 142 days.

Results. During the experimentation, the temperature remained high and above 55°C for 40 days for the pure manure heap T, for 29 days for heap B1 and for 34 days for heap B2. During composting, heap T lost 69% of its wet mass and 64% of its initial volume, while heap B1 lost 71% and 44% and B2 lost 68% and 49%, respectively. Heap T lost 54% of its organic matter (OM) and 15% of its initial nitrogen (N); the respective levels of loss for B1 were 51% and 42% and for B2 56% and 50%. The heterogeneity of the dry matter (DM) and N content decreased during composting for heaps T and B1, whereas it increased for heap B2.

Conclusions. The composts obtained were in accordance with the French standard NFU 44-051 (T) and the French standard NFU 44-095 (B1 and B2), except for the DM content criterion for B1 and B2. Relative to bovine manure compost, compost with the addition of sludge () was found to be enriched (on a fresh weight basis) in N (+ 15%), in P (+ 40%), whereas it was depleted in K (- 20%).

Keywords : composting, farmyard manure, homogenization, sewage sludge, waste utilization

1. Introduction

1Le compostage du fumier de bovin possède de nombreux avantages agronomiques, il permet la suppression des agents pathogènes, des graines de mauvaises herbes et la production de matière organique (MO) stabilisée plus facile à transporter et épandre (Eghball et al., 1999 ; Eghball et al., 2000). Durant le compostage, on constate une réduction importante de masse et de volume (Andersen et al., 2011). Selon Kuroda et al. (1996), la perte de masse peut dépasser 60 %. Ces pertes diminuent la valeur agronomique des composts et les gaz émis constituent un transfert de pollution vers l’atmosphère (Paillat et al., 2005). Le compostage se caractérise également par une production de chaleur dans le tas de compost qui conduit à une élévation de température permettant une hygiénisation des produits si la température dépasse 55 °C pendant plusieurs jours (Nobles et al., 2003 ; Nobles et al., 2004).

2Si le compostage des effluents d’élevage, en particulier des fumiers de bovin, a fait l’objet de nombreuses expérimentations et est très bien renseigné dans la littérature (Eghball et al., 1999 ; Parkinson et al., 2004 ; Gómez-Brandón et al., 2008 ; Qian et al., 2014), ce n’est pas le cas lorsque des adjuvants sont co-compostés avec le fumier. À l’Ile de la Réunion, les boues issues de stations d’épuration des industries laitières sont séchées sur un lit filtrant et mises en décharge. Cette procédure est onéreuse et sera interdite à moyen terme, car selon le Code de l’Environnement français (2010), seuls les déchets ultimes (non recyclables et valorisables) doivent être mis en décharge. Ainsi, les industriels de la filière laitière réunionnaise se sont interrogés, afin de satisfaire aux exigences règlementaires et environnementales, sur la faisabilité d’un co-compostage de boues de laiterie avec du fumier de bovins. La voie du compostage peut aider l’industrie laitière à valoriser ses boues, car les boues brutes sont classées dans les catégories de déchets qui ne peuvent pas être épandus dans les parcelles sans un plan d’épandage. Cet épandage direct des boues présente des nuisances olfactives importantes pour le voisinage ; celles-ci seraient fortement réduites en cas de compostage. De plus, si le compost produit avec l’ajout de boues de laiterie répond aux exigences de la norme française NFU 44-095 qui concerne les amendements organiques produits avec des Matières d’Intérêt Agronomique issues du Traitement des Eaux (MIATE) dont font partie les boues de laiterie, il peut être commercialisable et n’est plus soumis au plan d’épandage. Les questions posées par ce co-compostage concernent la qualité du compost produit, son homogénéité spatiale, les pertes d’éléments et le caractère hygiénisant du procédé. Quelle est la proportion de boues admissible garantissant une bonne montée en température et un produit composté suffisamment homogène malgré l’hétérogénéité du mélange initial ? Quelles sont les conséquences de cette incorporation sur la qualité agronomique du compost obtenu et sur les pertes de nutriments ? Les composts produits sont-ils conformes à la norme française NFU 44-095 ?

3Une expérimentation a donc été réalisée pour statuer sur la qualité des composts obtenus par le co-compostage de fumier de bovin et de boues de laiterie et sur le caractère plus ou moins hygiénisant du procédé. Les résultats obtenus sont présentés dans cette étude et sont discutés en regard des biotransformations mises en jeu dans le compostage.

2. Matériel et méthodes

2.1. Dispositif de l’expérimentation

4L’expérimentation a été menée à la ferme d’élevage de la SICA-lait à Bourg Murat, Ile de la Réunion (France). Trois andains ont été mis en place avec différentes proportions de fumier et de boues (T, B1, B2) (Tableau 1). Les fumiers sont issus de l’élevage de génisses sur des litières de paille de canne à sucre ; le fumier est collecté tous les trois jours par raclage de la litière, puis stocké sur une fumière. Les boues de laiterie sont obtenues par le traitement aérobie des eaux usées de l’usine de transformation de lait CILAM (Compagnie laitière des Mascareignes), située à Saint Pierre. Les proportions des matières ont été calculées sur la base de la masse brute de fumier et de boues. Le compostage a été réalisé, selon la technique de compostage adoptée par SICA-lait, sur une surface bétonnée pendant 142 jours et un seul retournement a été effectué le 21e jour. Les caractéristiques physiques et les compositions des andains sont présentés dans le tableau 1. Durant le compostage, les andains ont été couverts d’une bâche semi-perméable (perméable aux gaz et imperméable à l’eau) afin d’éviter l’ajout d’eau potentiellement préjudiciable aux transformations aérobies, les andains avec boues étant déjà très humides et denses.

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2.2. Suivi in situ

5Mesures sur les andains. Les fumiers et les boues ont été mélangés dans une remorque (chargement au godet). À chaque godet, le chargeur (JCB™) a été pesé à vide et à plein sur un pèse essieu mobile (DINO ARGEO™ WWSD ; précision de ± 5 kg). La masse des matières a été calculée sur la moyenne de différence des pesées à vide et à plein de l’attelage tracteur-remorque. Les mélanges ont ensuite été déversés sur l’aire de compostage puis deux passages d’un retourneur d’andain (Le Boulch™) les ont homogénéisés et ont donné la forme aux andains.

6Les volumes des andains ont été calculés, à la mise en place, avant et après le retournement et avant la fin du compostage, à partir des mesures de la hauteur réalisées avec un lasermètre DIMETIX™ DLS-B 30 (précision de ± 1,5 mm) placé sur un portique. Les mesures ont été effectuées sur un intervalle de 50 cm sur la longueur de l’andain et de 40 cm sur sa largeur. Le volume de l’andain a été calculé avec l’équation 1 :

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7Si est la section de l’andain (m²), L est la longueur de l’andain.

8La section a été calculée avec l’équation 2 :

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9lj est la largeur entre deux mesures de hauteur (40 cm) et hj est la hauteur au point ij.

10Les densités brute et sèche de l’andain ont été calculées par le ratio des masses brute ou sèche sur son volume.

11La porosité de l’andain correspond à la proportion du volume d’air dans l’andain (équation 3) :

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12Le volume d’air est calculé par le bilan des volumes (équation 4) :

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13VH2O et VMS sont respectivement les volumes d’eau et de MS contenus dans l’andain (en m3). Ils sont déterminés à partir des masses volumiques de l’eau (= 1 000 kg·m-3) et de la MS (= 1 600 kg·m-3 ; Agnew et al., 2003).

14Mesure de température. La température au sein des andains a été mesurée par des thermocouples (TC) de type K. Chaque andain a été équipé de 5 TC placés en bas (10 cm du sol), au cœur (50 cm du haut) à gauche, au milieu et à droite, et en haut (10 cm du haut) de l’andain. La température extérieure et la pluviométrie ont également été mesurées. Ces mesures ont été effectuées toutes les 5 sec, puis moyennées sur 1 h et enregistrées par une centrale d’acquisition Campbell™ CR10X.

15Prélèvement des échantillons. Les prélèvements des échantillons ont été réalisés lors de la mise en tas, lors du retournement et à la fin du compostage. À chacune de ces étapes, vingt prélèvements individuels de 300 à 500 g ont été prélevés par andain puis homogénéisés manuellement. Un échantillon composite moyen par andain a été constitué par quartage. Des prélèvements ont également été réalisés sur une ou deux coupes transversales par andain au moment du retournement et avant la fin du compostage. Ils ont été constitués par plusieurs prises dans chaque zone jugée homogène visuellement, repérées à l’aide d’une grille de maille 25 cm x 25 cm. Les échantillons ont été mis sans délai dans une glacière puis congelés rapidement à -18 °C au laboratoire.

2.3. Analyses au laboratoire

16Traitement des échantillons. Chaque échantillon a été broyé sous son état congelé avec un mixeur (Blixer Robocoupe™) puis divisé en quatre sous-échantillons destinés aux analyses. Ces sous-échantillons ont été immédiatement à nouveau congelés afin d’éviter les pertes d’éléments par émissions gazeuses. Un des sous-échantillons a été séché à 60 °C jusqu’à obtenir un poids constant afin de mesurer la teneur en masse sèche (MS). Cet échantillon a ensuite été broyé à 1 mm afin d’effectuer les analyses sur la MS. Un des sous-échantillons a été utilisé pour effectuer les analyses sur la matière fraiche.

17Analyses. Les échantillons frais ont été utilisés pour déterminer les teneurs en N total par distillation après minéralisation par la méthode Kjeldahl (ISO 5663-1994), en N soluble par la méthode Kjeldahl sur le jus d’extraction, en N ammoniacal (distillation) et en nitrates par colorimétrie (ISO 14256-2). Les échantillons séchés et broyés ont été utilisés pour mesurer la teneur en C par la méthode d’oxydation par voie sèche Dumas (ISO 10694-1995). La teneur en MO a été calculée après calcination à 480 °C (NF U144-160). La teneur en phosphore (P) a été déterminée après minéralisation par voie sèche à 550 °C avec un dosage par colorimétrie et le potassium (K) par spectrométrie d’émission. Les caractéristiques chimiques et biochimiques initiales des andains sont présentées dans le tableau 2.

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18L’hétérogénéité des andains a été évaluée par une représentation cartographique (Figures 2 et 3) des teneurs en MS et en N.

3. Résultats et discussion

3.1. Cinétiques de température et hygiénisation

19La température est souvent retenue comme un indicateur majeur, mais non exclusif, de l'hygiénisation des composts (Aubert, 2006). La figure 1 illustre l'évolution des températures à cœur pour les trois andains. Les écarts sont importants dans la phase initiale de montée en température puis deviennent inférieurs à 5 °C dans la phase de décroissance. La variabilité des températures, élevée en début de compostage pour les trois andains (coefficient de variation [CV] de l’ordre de 30 %), diminue pendant la deuxième période (CV proche de 5 %). Les températures au cœur (moyenne de trois mesures) des andains T et B1 ont augmenté jusqu’à 72 °C et 69 °C, respectivement, juste après le premier jour de compostage, alors que la température au cœur de l’andain B2 n’est montée que jusqu’à 63 °C. Après le retournement, la montée de température des andains B1 et B2 est similaire (62 °C et 64 °C), tandis que la température de l’andain T atteint 74 °C 10 jours après le retournement. La faible siccité de la boue augmente fortement la quantité d’eau à évaporer durant le compostage et la densité brute. En limitant l’apport d’oxygène, la réduction de la porosité (Tableau 1) ne favorise pas une rapide transformation des matières au début du compostage. Ceci explique une montée en température plus lente et plus faible lorsqu’on ajoute des boues.

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20Dans les trois tas, grâce au retournement effectué le 21e jour, la température à cœur se maintient au-dessus de 55 °C pendant 40, 29 et 34 jours pour l’andain T, B1 et B2, respectivement (Figure 1). Cette montée en température à cœur ne garantit pas l’absence de pathogènes en tout point du tas de compost, mais elle témoigne positivement du processus d’hygiénisation du compost (Margesin et al., 2006 ; Ligocka et al., 2009). En effet, des expériences ont montré que la germination des graines a été réduite à 0-0,2 % après qu’elles aient été exposées pendant 14 jours à une température maximale de compost de 58 °C et une température moyenne de 43 °C et l’inhibition des graines et des pathogènes est obtenue après 30 jours lorsque la température est supérieure à 55 °C (Nobles et al., 2003 ; Nobles et al., 2004 ; Wichuk et al., 2011 ; Isobaev et al., 2014).

3.2. Évolution de la masse brute et des caractéristiques physiques

21Les masses brutes des andains au moment du compostage sont proches pour les trois andains, tandis que leurs volumes sont très différents, d’où des densités très contrastées et une porosité libre à l’air très inférieure dans le cas de l’ajout de boues (B1 et B2) (Tableau 1). Ces caractéristiques contrastées entre le tas de fumier et les tas de fumier additionné de boues résultent à la fois de la teneur en eau élevée des boues (88 %) et de leur compacité très élevée (1 074 kg·m-3) comparativement au fumier. Elles jouent un rôle majeur dans les dynamiques de transformation de la MO pendant le compostage et les pertes d’azote (Tableau 3).

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22Les pertes de P et de K sont au maximum de 10,8 % (Tableau 3) et le plus souvent inférieures à 10 %. Ces éléments étant conservatifs lors des biotransformations, le bilan des masses peut donc être valablement bouclé avec une précision de l’ordre de 10 %. Ainsi, la perte de masse, composée essentiellement d’eau et de C, des trois andains pendant les 142 jours de compostage est très comparable (Tableau 3). Après 142 jours de compostage, les pertes de MS des tas T, B1 et B2 sont respectivement de 46, 43 et 49 % de la MS initiale, et celles de MO, respectivement de 54, 51 et 56 %. Ceci témoigne d’une consommation du C similaire, respectivement 50, 50 et 54 %, sur une période de compostage assez longue. Ces pertes correspondent aux résultats présentés par Sommer et al. (1999), Sommer (2001) et Abd-El-Kader et al. (2007). Les pertes de N sont par contre très contrastées, respectivement 15, 42 et 50 % du N initial. Elles correspondent vraisemblablement en grande partie à de l’émission ammoniacale, les teneurs en N ammoniacal étant beaucoup plus élevées dans le cas de l’ajout de boues (Tableau 2). Elles peuvent cependant correspondre aussi à des émissions de N2 et de N2O. Le N2 est produit par la dénitrification dans les zones mal aérées de l’andain, ce qui peut advenir dans le cas des andains avec ajout de boues qui présentent une faible porosité libre à l’air (Tableau 1), beaucoup de C facilement biodégradable et d’azote (Tableau 2). Le N2O, puissant gaz à effet de serre, est produit lors de la nitrification dans les zones plus aérées et moins chaudes (T °C < 40 °C) à proximité de la surface ou lorsque la dénitrification est incomplète (Paillat et al., 2005), notamment quand le C facilement biodégradable devient limitant.

23Alors que la structuration des trois andains lors de leur mise en place a varié inévitablement avec une répartition hétérogène de la matière et de la porosité entre les andains, l’évolution globale du volume et de la porosité a été similaire. Les andains T, B1 et B2 ont perdu respectivement 64, 61 et 66 % de leur volume initial. La conséquence d’une perte de masse légèrement plus élevée que celle du volume est une augmentation de la porosité globale libre à l’air des andains. La porosité de l’andain T, déjà élevée à la mise en place (73 %, tableau 1) n’augmente que de 8 % alors que celle de l’andain B1 a augmenté de 34 % et celle de l’andain B2 de 13 % après 142 jours de compostage. Les densités brutes diminuent en raison de la perte d’eau, ‐ 13, ‐ 26 et ‐ 5 % respectivement, et les densités sèches augmentent : 48, 45 et 50 % respectivement. La perte d’eau proportionnellement plus faible dans le cas de l’andain B2 avec une forte incorporation de boues (Tableau 3) est à rapprocher de la température à cœur également globalement plus faible (Figure 1). La MO se concentre donc dans les andains, sans qu’on observe de grandes différences entre les trois situations testées.

3.3. Évolution de la composition des produits

24La matière sèche des boues est six fois plus riche en N que celle du fumier, cinq fois plus riche en P, deux fois moins riche en K. La proportion d’azote ammoniacal dans l’azote total y est deux fois plus élevée (Tableau 2). L’apport de boues au fumier constitue donc un enrichissement potentiellement très important en éléments fertilisants. Cet apport est cependant limité par la siccité faible des boues (12 %), la quantité de MS provenant des boues étant nécessairement plus faible que celle provenant du fumier pour obtenir un produit mis à composter ayant une teneur en MS suffisante. La minéralisation de la MO conduit à une diminution des teneurs en MO (donc en C) dans la MS. Cette diminution est sensiblement équivalente pour les trois tas. La teneur en MO est supérieure à 20 % (critère nécessaire pour respecter les normes NFU 44-051 et NFU 44-095) dans le produit brut composté après 142 jours, respectivement 40, 32 et 25 % pour les composts T, B1 et B2 (Tableau 4).

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25Les matières minérales (MM), en particulier P et K, sont conservées dans les tas, ce qui témoigne de la qualité de l’échantillonnage, ces matières n’étant pas volatiles. Les pertes d’eau et de C combinées avec la conservation des MM ont fait augmenter les teneurs en nutriments dans les produits compostés : la teneur en N a augmenté de 15 à 24 g·kg-1 MS pour l’andain T, elle est stable pour les andains B1 et B2 : de 33 à 34 g·kg-1 MS et sans variation à 38 g·kg-1 MS, respectivement. L’azote est organisé et relativement conservé dans le compost de fumier, alors qu’il est très largement perdu dans le cas de l’ajout de boues riches en azote très biodégradable. Outre les émissions néfastes pour l’environnement, ceci montre la limite à l’ajout de boues pour le compostage de fumier de bovins, malgré des composts produits plus riches (x 1,5 environ par rapport au compost de fumier seul).

26La teneur en P a augmenté de 3,1 à 5,4 g·kg-1 MS pour T, de 6,5 à 10,6 g·kg-1 MS pour B1 et de 6,2 à 12,1 g·kg-1 MS pour B2 après le compostage. La teneur en K est passée de 18,4 à 30,5 g·kg-1 MS pour T, de 15,8 à 30,1 g·kg-1 MS pour B1 et de 14,9 à 27,4 g·kg-1 MS pour B2. Par rapport au compost de fumier seul, les composts obtenus avec l’ajout de boues sont donc deux fois plus riches en P et similaires quant à leur richesse en K.

27Sur le plan de la règlementation, le compost obtenu avec du fumier seul est conforme à la norme française NFU 44-051 (amendement organique). Ceux produits avec addition de boues de laiterie sont conformes à la norme française NFU 44-095 spécifique aux amendements organiques contenant des Matières d’Intérêt Agronomique issues du Traitement des Eaux (MIATES), dont les boues de laiterie font partie, excepté sur le critère de la teneur en MS (Tableau 4). Pour respecter cette norme, ces composts avec ajout de boues de laiterie devront être séchés davantage. Le compost avec le taux d’incorporation de boues le plus élevé est globalement moins riche en raison d’une teneur en MS plus faible. Les composts de fumier pur ou additionné de boues dans la proportion - présentent les plus forts potentiels amendant (MO > 30 % du produit brut) et fertilisant (N + P2O5 + K2O > 4 % du produit brut).

3.4. Hétérogénéité des andains pendant le compostage

28La variation de la teneur en MS dans les différentes parties du tas est un bon indicateur de l’hétérogénéité du compost produit et de son évolution au cours du processus de compostage.

29Les profils (Figure 2) montrent l’hétérogénéité des teneurs en MS après 21 et 142 jours. Avant le retournement à 21 jours, le fond des andains est plus humide que la partie supérieure, confirmant une possible anoxie favorable à la dénitrification. L’andain B2 est plus homogène mais est plus humide que les andains T et B1 avant le retournement au 21e jour. Toutefois, à la fin du compostage, l’hétérogénéité est plus faible pour l’andain T qui est également beaucoup plus sec que les andains avec boues.

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30L’évolution de la teneur en N total présentée à la figure 3 révèle également une hétérogénéité des andains pendant la durée du compostage. Cette teneur augmente entre la mise en place, le retournement à 21 jours et le retournement à 142 jours pour le fumier. Elle est assez stable pour les andains B1 et B2, confirmant la perte d’azote de ces tas. Le rapport entre les valeurs extrêmes est plus élevé au début du compostage dans le fumier (andain T) que dans les andains avec incorporation de boues (B1 et B2), mais avec des teneurs en azote plus faibles. Il tend à diminuer au cours du compostage pour l’andain T (1,6 à 21 jours puis 1,4 à 142 jours) et l’andain B1 (1,4 à 21 jours puis 1,2 à 142 jours) et à augmenter légèrement pour l’andain B2 (1,3 à 21 jours puis 1,4 à 142 jours). Les tas T et B1 deviennent plus homogènes, contrairement au tas B2. Il est vraisemblable qu’une forte incorporation de boues nécessite davantage de retournements pour obtenir un matériau composté suffisamment homogène.

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4. Conclusions

31Cette étude a montré que la durée de la phase thermophile (> 55 °C) du compostage (40 jours pour l’andain T, 29 jours pour l’andain B1 et 34 jours pour l’andain B2) pouvait être jugée suffisante, selon la bibliographie, pour attester d’un processus d’hygiénisation des composts, quelle que soit la dose de boues incorporée.

32Les composts obtenus par le co-compostage de boues de laiterie avec du fumier de bovin sont conformes à la norme française NFU 44-095, excepté pour la teneur en matière sèche et pourraient être épandus, voire commercialisés dans ce cadre règlementaire. Le P et le K ajoutés avec les boues sont conservés dans le compost. Les pertes en MO et C sont assez proches pour les trois tas. Du fait d’une quantité d’eau à la mise en tas plus importante, la teneur en MS du tas B2 reste plus faible, même après plus de quatre mois de compostage. Cette caractéristique se traduit par une moindre valeur amendante et fertilisante du produit brut obtenu avec ce mélange. Elle rend sans doute également difficile l’atteinte d’une teneur en MS compatible avec la norme française NFU 44-095 (MS > 50 %). On peut donc conclure de cette étude que le co-compostage de fumier avec des boues de laiterie avec un taux d’incorporation de de fumier pour de boues sur une base massique est un mélange possible et optimal pour garantir le bon compostage des MO dans un temps raisonnable. L’intérêt de cette pratique est limité par les pertes d’azote constatées, soit environ 60 % de l’azote apporté par les boues (bilan apparent). Cependant, ces pertes sont à mettre en relation avec les pertes azotées également potentiellement très importantes lors de l’épandage direct des boues sur prairie (azote facilement minéralisable et volatilisable car, non incorporées au sol, les boues solides sont soumises à la volatilisation durant une longue période). Par ailleurs, le compostage réduit la nuisance olfactive générée par l’épandage direct, le tonnage à épandre est diminué de 70 % pour une durée de compostage supérieure à quatre mois et les éléments non volatils P, K, Ca, Mg présents dans les boues et le fumier sont conservés.

33Remerciements

34Cette étude a été réalisée grâce au concours financier de la CILAM et du CIRAD. Elle a bénéficié de l’appui logistique de la ferme d’élevage de génisses de la SICA-lait. Nous remercions toute l’équipe technique de l’exploitation ainsi que les techniciens du CIRAD qui ont participé aux essais et aux analyses.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Tovonarivo Rafolisy, Laurent Thuriès, Patrick Techer, Géraud Moussard & Jean-Marie Paillat, «Co-compostage de boues de laiterie et de fumier de bovins à l’Ile de la Réunion : hygiénisation, pertes de nutriments et homogénéité du compost produit», BASE [En ligne], Volume 19 (2015), numéro 4, 329-337 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=12316.

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