BASE

Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

1370-6233 1780-4507

 

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Christophe Vandenberghe, Marc De Toffoli, Richard Lambert & Gilles Colinet

L’épandage d’engrais de ferme avant le semis d’une culture intermédiaire (CIPAN) présente-t-il un risque important de lixiviation de nitrate ?

(Volume 20 (2016) — Numéro 2)
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Reçu le 2 juin 2015, accepté le 16 décembre 2015

Résumé

Description du sujet. La transposition de la Directive Nitrates en région wallonne (Belgique) autorise l’épandage estival d’engrais de ferme à condition qu’une culture intermédiaire piège à nitrate (CIPAN) soit semée avant le 15 septembre pour préserver la qualité des eaux.

Objectifs. L’étude consiste à établir si cette pratique est de nature à constituer un risque plus important que l’absence de toute intervention en période d’interculture.

Méthode. L’étude s’appuie sur des mesures de reliquat d’azote nitrique dans le sol réalisées dans des parcelles de références et lors de contrôles en début de période de lixiviation ; cette mesure étant indicatrice du risque de contamination des eaux souterraines.

Résultats. Entre 2008 et 2013, les analyses réalisées lors de contrôles ont montré que la présence d’une CIPAN (l’apport et le type d’engrais de ferme n’est pas connu) conduit à une médiane des observations plus faible (différence très hautement significative) que l’absence de toute intervention au cours de l’interculture. Au cours de la même période, les observations réalisées dans des parcelles de référence ont conduit à un constat similaire. De plus, dans ces parcelles de référence, il a été montré que la nature de l’engrais de ferme (à action lente ou rapide) n’engendre pas de différence significative entre les reliquats azotés moyens observés.

Conclusions. L’apport d’engrais de ferme suivi du semis d’une CIPAN ne présente pas un risque plus important pour la qualité de l’eau qu’une céréale suivie d’une culture semée en automne sans CIPAN et sans apport d’engrais de ferme au cours de la courte interculture.

Mots-clés : fumier, lisier, nitrate, plante de culture dérobée, pollution de l’eau, pratique agricole

Abstract

Do manures spread before the sowing of a catch crop (CIPAN) present an excessive risk of nitrate leaching?

Description of the subject. The implementation of the Nitrates Directives in the Walloon region (in the south of Belgium) allows the summer spreading of any kind of manure on soils in preparation for the sowing of a catch crop.  

Objectives. This paper aims to assess whether the spreading of a manure before sowing a catch crop is more risky for groundwater quality than planting a cereal followed by another crop without any action being implemented between the harvesting of the cereal and the sowing (winter or spring) of the next crop.

Method. This study is based on measurements of the nitrate nitrogen content of soils, at the beginning of the leaching period, performed on reference parcels and on controlled parcels.

Results. Three thousand six hundred soil analyses performed in relation to controlled parcels between 2008 and 2013 showed that the presence of a catch crop (information about the possible application of a manure was not known) led to a nitrate nitrogen content (median) lower (with a very highly significant difference) than in a situation where no action was implemented between the two main crops. For the same period, the analysis of 600 results in reference parcels led to the same conclusion. Moreover, no significant difference was found between the two kinds of manure (“fast action”, such as pig slurry or “low action”, such as bovine manure).  

Conclusions. After the harvesting of a cereal, the spreading of a manure before sowing a catch crop creates no higher risk for water quality than the succession of a cereal by a crop sowed in the autumn.

Keywords : agricultural practices, catch crops, farmyard manure, nitrate, slurry, water pollution

1. Introduction

1En région wallonne de Belgique, les céréales occupent environ la moitié de la superficie des cultures annuelles, le reste étant occupé par du maïs, de la betterave, du colza, de la pomme de terre ou des légumineuses. Après la récolte des céréales, suit soit une culture dite d’hiver (céréale, colza) semée en automne, soit une culture mise en place au printemps (betterave, maïs, pomme de terre) (Leteinturier et al., 2007).

2Dans ce second cas de figure, ces cultures « de printemps » constituent des têtes de rotations pour lesquelles les quantités de phosphore et potassium à apporter sont souvent assez élevées (entre 50 et 100 kg P·ha-1, entre 100 et 200 kg K·ha-1). Elles dépendent de la fertilité de la parcelle (Genot et al., 2011a ; Genot et al., 2011b) et des besoins de la tête de rotation. Pour couvrir ces besoins, les engrais de ferme (fumier, lisier, fientes) constituent une base importante de la fumure. Pour des raisons agronomiques (bonne homogénéisation dans le sol avant labour, limitation de la compaction avant installation de la culture de printemps) et environnementales (interdiction d’épandage sur sol gelé), ces matières sont régulièrement apportées avant l’automne qui précède la culture « tête de rotation ».

3En plus de contenir du phosphore et du potassium, ces matières renferment également de l’azote sous forme minérale (essentiellement ammoniacal) et organique avec des teneurs variables en fonction de la matière (lisier, fumier, fientes) et du cheptel producteur (bovin, porcin, volaille) (Genot et al., 2011b). La part d’azote ammoniacal ainsi que le rapport carbone/azote constituent les deux critères qui permettent de classifier1 l’engrais de ferme sur base de sa vitesse d’action pour sa valorisation dans le cadre du raisonnement de la fertilisation azotée (Figure 1). Un engrais de ferme à action rapide tel que du lisier ou des fientes aura donc tendance à libérer assez vite de l’azote minéral, alors que dans le cas d’un engrais de ferme à action lente tel que du fumier bovin, cette cinétique sera plus lente (Burger, 2008 ; Cooper et al., 2011).

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4Le Code de l’Eau, transposition de la Directive Cadre sur l’Eau (réf. 2000/60/CE) et plus spécifiquement le Programme de Gestion Durable de l’Azote en agriculture (PGDA), transposition de la Directive Nitrates (réf. 91/676/CEE) en vigueur en région wallonne tient compte de cette différence, entre autres en matière de période d’épandage, de dose et de gestion de la parcelle après l’apport d’un engrais de ferme.

5Ainsi et à titre d’exemple, en ce qui concerne les engrais de ferme à action rapide, tout apport est interdit dès le 16 septembre et du 1er juillet au 15 septembre, chaque apport doit être suivi par le semis d’une culture intermédiaire piège à nitrate (CIPAN) telle que de la moutarde (Sinapis alba) ou de la phacélie (Phacelia tanacetifolia) (liste non exhaustive) ou par une culture dite « d’hiver » car semée avant l’hiver. Dans ce dernier cas, l’apport d’engrais de ferme est limité à l’équivalent de 80 kg N·ha-1.

6L’objectif de la présente étude est d’évaluer si l’épandage estival d’un engrais de ferme et plus particulièrement d’un engrais de ferme à action rapide avant la mise en place d’une CIPAN présente un risque accru pour la qualité de l’eau par comparaison de divers scénarios de pratiques agricoles après récolte d’une céréale en été.

7Cette évaluation est réalisée par l’examen de reliquats d’azote nitrique dans le sol en entrée d’hiver (plus communément appelé Azote Potentiellement Lessivable ou APL) observés dans ces scénarios. Fonder et al. (2010) et Deneufbourg et al. (2013) ont montré, par des suivis lysimétriques en plein champ, que l’APL est un bon indicateur du risque pour la qualité de l’eau dans le contexte pédo-climatique de la zone vulnérable2 wallonne.

8Les résultats APL proviennent d’observations réalisées dans un réseau de parcelles de référence (Survey Surfaces Agricoles) ou menées dans le cadre du contrôle des agriculteurs situés en zone vulnérable.

2. Matériel et méthodes

2.1. Matériel

9Le Survey Surfaces Agricoles. En 2001, dans le cadre de la mise en œuvre du Programme de Gestion Durable de l’Azote en agriculture, Gembloux Agro-Bio Tech (ULg) et Earth and Life Institue (UCL) ont mis en place un réseau de points d’observation situés en zone vulnérable. Ces points, distribués dans environ 200 parcelles de 25 exploitations agricoles situées en zone vulnérable, ont été choisis de manière à être représentatifs tant d’un point de vue pédologique qu’agronomique (successions culturales, cheptel) des exploitations agricoles situées dans les quatre zones vulnérables de l’époque (Vandenberghe et al., 2004a ; Vandenberghe et al., 2004b). Dans ces exploitations, des « parcelles de référence » font chaque année l’objet d’un conseil de fertilisation azotée établi par les laboratoires des services agricoles provinciaux sur base de la méthode du bilan prévisionnel (prise en compte des besoins de la cultures, des restitutions par le sol, etc.) (Destain et al., 2003) et communiqué aux agriculteurs. Des mesures de reliquat azoté dans le sol sont régulièrement réalisées peu après la récolte pour vérifier la qualité et le respect du conseil de fertilisation. Chaque automne, des prélèvements de sol sont à nouveau réalisés dans ces parcelles pour évaluer le stock d’azote nitrique en début de période de lixiviation du nitrate. Ces observations, nommées APL (Azote Potentiellement Lessivable), servent de base à l’élaboration des références annuelles (Vandenberghe et al., 2005 ; Vandenberghe et al., 2013) à partir desquelles des agriculteurs situés en zone vulnérable sont évalués (voir point suivant). Depuis 2008, plus de 600 observations sont ainsi réalisées (en sortie d’hiver, à la récolte et/ou en début de période de lixiviation) chaque année dans ces parcelles de référence. Ces observations sont interprétées à la lumière des pratiques (successions culturales, gestion de l’interculture, fertilisation azotée, etc.) mises en œuvre par les agriculteurs sur ces parcelles.

10En 2013, suite aux extensions des zones vulnérables lors des révisions successives du PGDA, le Survey Surfaces Agricoles a été étendu et compte actuellement environ 260 parcelles de référence distribuées dans 40 exploitations agricoles.

11Le contrôle en zone vulnérable. Depuis 2008, le Service public de Wallonie (SPW) a mis en œuvre un contrôle APL dans un minimum de 3 % des exploitations agricoles situées en zone vulnérable. En 2013, le SPW a ainsi fait réaliser 2 200 analyses « APL », essentiellement entre le 15 octobre et le 15 novembre, dans un peu plus de 700 exploitations agricoles.

12Contrairement au Survey Surfaces Agricoles, l’itinéraire technique dans ces exploitations n’est pas connu. Le seul critère de stratification des résultats APL réside dans les modalités d’interculture au moment de l’échantillonnage de sol :

13– présence d’une CIPAN régulièrement avec apport préalable d’engrais de ferme (cette dernière information n’est pas connue) (Tableau 1, scénario 3c),

14– présence d’une culture dite « d’hiver » (Tableau 1, scénario 4).

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2.2. Méthodes

15La démarche de l’article est d’évaluer si l’apport d’engrais de ferme en été est de nature à constituer un risque de lixiviation importante de nitrate au cours de l’hiver. Cette évaluation est réalisée par la comparaison des résultats APL observés dans quatre scénarios post récolte céréale (Tableau 1) :

16– scénario 1 : céréale suivie d’un sol nu au cours de l’automne-hiver,

17– scénario 2 : céréale suivie d’une CIPAN,

18– scénarios 3 : céréale suivie d’un apport d’engrais de ferme et d’une CIPAN,

19– scénario 4 : céréale suivie d’un colza ou d’une céréale sans apport d’engrais de ferme.

20Pour pouvoir valablement estimer le stock d’azote nitrique dans le sol, au moins 15 prélèvements de sol sont effectués pour constituer un échantillon composite (Vandenberghe et al., 2014). Chaque prélèvement est subdivisé en trois couches successives de 30 cm pour atteindre ainsi la profondeur de 90 cm. Ces échantillons sont acheminés, dans un conteneur thermiquement isolé, à un laboratoire agréé par le SPW. Ils sont analysés immédiatement ou stockés en chambre froide (1 °C à 4 °C) pendant au maximum cinq jours avant analyse. Les échantillons, non séchés, sont homogénéisés par tamisage (8 mm). Immédiatement après tamisage, l’extraction de l'ion nitrate se réalise sur une partie aliquote de minimum 30 gr (constitués en 4 à 5 prises dans l’échantillon tamisé) d'échantillon par une solution KCl 0,1N. Le rapport d'extraction (poids de terre/volume de solution d'extraction) est de 1/5è. Les flacons sont placés dans un agitateur rotatif pendant 30 min. La solution est ensuite laissée au repos pendant 30 min pour décantation. Le dosage du nitrate est effectué sur le surnageant qui, selon la méthode de dosage, est préalablement filtré ou centrifugé.

21Si le dosage n'est pas effectué endéans les 3 h qui suivent l'extraction, les extraits sont stockés en chambre froide, à une température maximale de 4 °C, à l'abri de la lumière pendant une durée maximale de 48 h ou sont congelés.

22Le dosage est effectué selon l'une des méthodes suivantes :

23– la méthode colorimétrique de dosage direct du nitrate par l'acide chromotropique (West et al., 1960) ;

24– la méthode colorimétrique de dosage direct du nitrate par la brucine (Baker, 1967) ;

25– la méthode colorimétrique de réduction du nitrate en nitrite (à l'aide notamment de cadmium ou d'hydrazine) avec dosage de l'ion nitrite par la réaction de Griess-Ilosvay modifiée (Bremner, 1965 ; Guiot, 1975).

26Le résultat obtenu est exprimé en kg N-NO3ˉ·ha-1 en tenant compte de la teneur en eau de l’échantillon de sol (24 h de séchage à 105 °C), de la charge caillouteuse, d’une densité de 1,35 g·cm-3 pour la couche 0-30 cm et de 1,5 g·cm-3 pour les deux couches sous-jacentes.

27Le traitement statistique (analyse de la variance et test de Mann-Withney) des résultats a été effectué à l’aide du logiciel Minitab® 17.1.0.

3. Résultats

3.1. Le Survey Surfaces Agricoles

28Le tableau 2 résume les résultats d’analyses APL réalisées entre 2008 et 2013 dans les exploitations de référence. La figure 2 illustre la dispersion des observations dans les trois catégories étudiées :

29– céréale suivie d’un apport d’engrais de ferme à action lente et du semis d’une CIPAN (Tableau 1, scénario 3a) ;

30– céréale suivie d’un apport d’engrais de ferme à action rapide et du semis d’une CIPAN (Tableau 1, scénario 3b) ;

31– céréale non suivie d’une CIPAN et suivie d’une culture semée en automne (Tableau 1, scénario 4).

32Les quelques valeurs élevées observées dans les parcelles ayant fait l’objet d’un apport d’engrais de ferme (à action rapide ou lente) suivi d’un semis de CIPAN sont souvent imputables au mauvais développement de la CIPAN (observations de terrain non quantifiées).

33Cette figure met en évidence la non-normalité de la distribution des résultats dans ces trois populations. Cette observation visuelle est confirmée par un test d’Anderson-Darling (p-value < 0,005). Cette condition n’est cependant pas requise pour pouvoir réaliser une analyse de la variance (Dagnelie, 1999). Celle-ci nécessite, dans le cas de populations à effectifs différents (Tableau 2), une égalité des variances. Le test de Levene indique que l’hypothèse d’égalité des variances peut être acceptée (α = 0,05, p = 0,25).

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34L’analyse de la variance met en évidence une différence très hautement significative (p-value < 10-4) entre ces trois catégories de parcelles. L’examen de la figure 3 ainsi que le résultat d’un test de Tukey indiquent que les parcelles de céréale suivie d’une culture d’hiver ou de printemps (sans semis d’une CIPAN en interculture) présentent un résultat moyen plus élevé que les parcelles de céréale ayant fait l’objet d’un apport d’engrais de ferme (à action rapide ou à action lente) avant le semis d’une CIPAN. Par ailleurs, ce même test révèle qu’en présence d’une CIPAN, le type d’engrais de ferme épandu (action rapide ou action lente) n’a pas d’impact significatif sur le reliquat azoté mesuré en début de période de lixiviation.

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3.2. Le contrôle en zone vulnérable

35Le tableau 3 donne un résumé des 3 600 résultats de contrôles APL commandés par le SPW entre 2008 et 2013 dans des parcelles de céréale suivie d’une CIPAN (avec régulièrement un apport préalable d’engrais de ferme) (Tableau 1, scénario 3c) et dans des parcelles de céréale suivies d’une culture d’hiver (Tableau 1, scénario 4). Ce tableau renseigne une différence d’environ 20 kg N-NO3·ha-1 entre ces deux catégories de parcelles. Tout comme dans le cas du Survey Surfaces Agricoles, les résultats ne sont pas normalement distribués (Figure 4). Cette observation visuelle est confirmée par un test d’Anderson-Darling (p-value < 0,005).

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36Le test (Levene) d’égalité des variances indique que celles-ci sont différentes (α = 0.05, p-value < 10-3), interdisant l’exécution d’une analyse de la variance. Le résultat du test non paramétrique de Mann-Withney met néanmoins en évidence une différence très hautement significative (p-value < 10-4) entre les médianes (Tableau 3) de ces deux populations.

4. Discussion

37Le tableau 1 résume les scénarios comparés dans le cadre de cette étude. Les observations relatives aux scénarios 1 et 2 (Tableau 4) sont extraites d’une revue bibliographique d’études menées principalement dans le contexte pédo-climatique de la région wallonne ou dans un contexte pédo-climatique proche. Dans ce tableau, la présence d’une gamme de valeurs illustre la répétition (spatiale ou temporelle) d’une expérimentation ou la présence de plusieurs objets « CIPAN » dans l’expérimentation.

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38Suite à la mise en œuvre du Programme de Gestion Durable de l’Azote en agriculture (transposition de la Directive Nitrates en région wallonne), le scénario 1, assimilable à un scénario « témoin », est quasiment devenu théorique puisque les agriculteurs exploitant en zone vulnérable ont l’obligation de couvrir par une CIPAN au moins 90 % des superficies correspondant à ce scénario ; la non-obligation sur les 10 % restants ouvre une fenêtre d’une part pour pouvoir lutter mécaniquement contre les adventices et d’autre part, pour pouvoir anticiper (avant le 15 novembre) un labour hivernal dans des sols naturellement très humides.

39L’observation et la comparaison des gammes d’APL dans ces deux scénarios illustrent sans équivoque l’intérêt des CIPAN pour le prélèvement de l’azote nitrique présent dans le sol à la récolte ou produit par la minéralisation de l’humus au cours de l’automne. Ce constat est corroboré par l’importante étude bibliographique réalisée par Justes et al. (2012) qui rapporte des prélèvements d’azote par les CIPAN (racines comprises) de 100 à 250 kg·ha-1.

40L’examen des résultats d’analyses commandées par le SPW montre que la médiane des observations réalisées dans des parcelles de céréale suivie d’une CIPAN (avec régulièrement un apport d’engrais de ferme) (scénario 3c) est inférieure à celle des observations réalisées dans des parcelles de céréale suivie d’une culture semée en hiver (scénario 4).

41L’importante variabilité des résultats (Tableau 3) témoigne de la diversité des pratiques agricoles wallonne, diversité illustrée en France par Hermon et al. (2012) et plus précisément de l’impact de facteurs tels que :

42– l’année climatique, mis en évidence par Vandenberghe et al. (2013) ;

43– l’espèce de CIPAN semée, mis en évidence par De Toffoli et al. (2010), Destain et al. (2010) ;

44– la période de semis, mis en évidence par Allison et al. (1998) ;

45– la technique de semis, mis en évidence par De Toffoli et al. (2012).

46L’examen des résultats d’analyses effectuées dans le Survey Surfaces Agricoles confirme et affine ce constat : le semis d’une CIPAN après l’apport d’un engrais de ferme, qu’il soit à action lente (tel que du fumier bovin) (scénario 3a) ou à action rapide (tel que du lisier porcin ou de la fiente de volaille) (scénario 3b), engendre un APL moindre que celui observé dans la succession d’une céréale par une culture semée en fin d’automne (scénario 4).

47De Toffoli et al. (2010) ont comparé l’impact d’un apport d’engrais de ferme à action rapide (40 m³·ha-1 de lisier de porc) après récolte de l’escourgeon et avant le semis de CIPAN (scénario 3b), à un témoin (sans apport d’engrais de ferme, sans CIPAN) correspondant au scénario 1. Les auteurs ont mesuré fin novembre un APL inférieur à 13 kg N-NO3ˉ·ha-1 quel que soit l’objet CIPAN étudié3. Dans la même plateforme expérimentale, l’APL moyen du témoin atteignait 86 kg N-NO3ˉ·ha-1 à la même date.

48Lors d’une autre expérimentation, les mêmes auteurs ont croisé l’effet plante (moutarde, phacélie et ray-grass) avec l’effet engrais de ferme (fumier de bovin, lisier de porc, fumier de poule, lisier de bovin et compost de déchet vert). L’analyse de la variance a indiqué qu’il n’y avait pas d’effet engrais de ferme. Ce constat est similaire à celui réalisé par le traitement des résultats du Survey Surfaces Agricoles (ci-dessus). Par contre, ils ont mis en évidence un effet plante : l’APL moyen (tous les engrais de ferme confondus) mesuré fin novembre dans les parcelles de moutarde (18 kg N-NO3ˉ·ha-1) était significativement plus faible que celui observé dans les parcelles de ray-grass et de phacélie (respectivement 28 et 36 kg N-NO3ˉ·ha-1).

49Enfin, ils ont comparé le scénario 2 (CIPAN sans engrais de ferme) à un scénario 3b (lisier de porc suivi d’un semis de ray-grass) toujours après récolte d’une parcelle d’escourgeon. Les mesures d’APL dans deux objets lisier testés (153 et 306 kg N·ha-1) ont révélé fin novembre, des APL (38 et 37 kg N-NO3ˉ·ha-1) significativement plus élevés qu’en absence d’apport de lisier (11 kg N-NO3ˉ·ha-1). Les auteurs expliquent cette différence par un plus faible développement racinaire du ray-grass illustré par la part plus importante (environ 90 %) de l’APL situé dans la couche 30-90 cm. Par ailleurs, il convient également de rappeler que les CIPAN ont une limite quant au prélèvement d’azote nitrique présent dans le sol (Justes et al., 2012), ce qui justifie la fixation d’un plafond en matière d’apport d’engrais de ferme.

5. Conclusions

50L’examen et la comparaison d’observations réalisées après récolte d’une céréale au cours de plusieurs années dans des plateformes expérimentales, dans un réseau des parcelles de référence relativement bien contrôlées (Survey Surfaces Agricoles) ou dans le cadre d’un monitoring à l’échelle de la zone vulnérable (contrôle SPW) a mis en evidence :

51– l’intérêt de la CIPAN pour absorber l’azote nitrique produit par la minéralisation automnale (scénario 2 versus scénario 1) ;

52– le niveau d’APL similaire (pas de différence significative) quel que soit le type d’engrais de ferme apporté (scénario 3a versus scénario 3b) ;

53– l’intérêt de privilégier une CIPAN à enracinement profond et rapide telle que de la moutarde lorsqu’un effluent à action rapide est épandu (scénario 2 versus scénario 3b) ;

54– un niveau d’APL significativement plus bas lorsqu’il y a apport d’engrais de ferme et semis d’une CIPAN que lorsqu’une céréale ou un colza est semé au cours de l’automne qui suit la récolte de la céréale (scénarios 3 versus scénario 4).

55En conclusion, la valorisation en été d’engrais de ferme, même à action rapide, après récolte d’une céréale n’est pas de nature à constituer un risque accru pour la qualité des eaux souterraines en comparaison à la succession d’une céréale par une autre culture (céréale ou colza) semée au cours de l’automne.

56Néanmoins, comme le soulignent Beaudoin et al. (2012), il convient entre autres :

57– de s’assurer que le reliquat azoté post récolte est faible (observé dans la majorité des situations après récolte de céréale mais pas après récolte de légumineuses) ;

58– de préférer une CIPAN à croissance rapide et profonde telle qu’une crucifère ;

59– de la semer correctement (proscrire le semis à la volée) et suffisamment tôt pour maximiser son développement et le prélèvement d’azote.

60Enfin, l’azote apporté lors de l’épandage de l’engrais de ferme et capté par la CIPAN est partiellement destiné à alimenter la culture subséquente. Il importera donc d’intégrer les éléments suivants dans le raisonnement de la fertilisation de cette culture :

61– espèce(s) semée(s) (particulièrement en présence d’une légumineuse),

62– importance de la biomasse lors de la destruction (gel et/ou enfouissement),

63– période de la destruction,

64– nature et quantité de l’engrais de ferme apporté.

65Remerciements

66Les auteurs remercient la Wallonie pour le soutien financier apporté et la mise à disposition des résultats des contrôles APL et les agriculteurs du Survey Surfaces Agricoles pour leur collaboration.

Bibliographie

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Voetnoten

1  Annexe XXV du Code de l’Eau (http://environnement.wallonie.be/legis/Codeenvironnement/codeeaucoordonneR.html)

2  au sens de la Directive Nitrates

3  avoine, féverole + moutarde, moutarde, phacélie, radis, ray-grass, trèfle + ray-grass

Om dit artikel te citeren:

Christophe Vandenberghe, Marc De Toffoli, Richard Lambert & Gilles Colinet, «L’épandage d’engrais de ferme avant le semis d’une culture intermédiaire (CIPAN) présente-t-il un risque important de lixiviation de nitrate ?», BASE [En ligne], Volume 20 (2016), Numéro 2, 143-150 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=12764.

Over : Christophe Vandenberghe

Université de Liège - Gembloux Agro-Bio Tech. Passage des Déportés, 2. BE-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : c.vandenberghe@ulg.ac.be

Over : Marc De Toffoli

Université catholique de Louvain. Earth & Life Institute – Agronomy. Place Croix du Sud, 2 bte L7.05.26. BE-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique)

Over : Richard Lambert

Université catholique de Louvain. Earth & Life Institute – Agronomy. ASBL Centre de Michamps. BE-6600 Michamps (Belgique)

Over : Gilles Colinet

Université de Liège - Gembloux Agro-Bio Tech. Passage des Déportés, 2. BE-5030 Gembloux (Belgique).