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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

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Emmanuel Kasongo Yakusu, Franck S. Monthe, Nils Bourland, Olivier J. Hardy, Dominique Louppe, Félicien Bola Mbele Lokanda, Wannes Hubau, Jean-Marie Kahindo Muhongya, Jan Van Den Bulcke, Joris Van Acker & Hans Beeckman

Le genre Entandrophragma (Meliaceae) : taxonomie et écologie d’arbres africains d’intérêt économique (synthèse bibliographique)

(Volume 22 (2018) — Numéro 2)
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Résumé

Introduction. Les espèces d’arbres du genre Entandrophragma font l’objet d’une attention toute particulière de la part des exploitants forestiers et des scientifiques depuis plusieurs décennies. Établir un bilan exhaustif actualisé des connaissances acquises sur leur taxonomie et leur écologie afin d’en dégager des pistes de nouvelles recherches est le but de cette synthèse bibliographique.

Littérature. Le genre Entandrophragma compte des espèces (10 à 12) exclusivement africaines et qui sont exploitées pour la qualité de leur bois. Ces espèces sont répandues dans la région guinéo-congolaise (6 espèces) et dans les régions zambézienne et afromontagnarde (5 espèces). Le genre est caractérisé par une évolution taxonomique qui s’est traduite par une importante synonymie des noms d’espèces (36 à 37). Des études écologiques un peu larges ont été réalisées sur quelques principales espèces commerciales (Entandrophragma angolense, Entandrophragma congoense, Entandrophragma candollei, Entandrophragma cylindricum, Entandrophragma palustre et Entandrophragma utile) dans leurs zones phytogéographiques comprises principalement dans la région guinéo-congolaise.

Conclusions. Les informations sur la taxonomie et l’écologie des espèces d’arbres d’Entandrophragma des forêts claires et des savanes sont insuffisantes comparativement à celles des forêts denses humides. Des travaux de recherches devraient être développés pour l’amélioration des connaissances taxonomiques, génétiques et la maitrise de leur écologie en vue de formuler des recommandations adéquates en matière de préservation et de gestion durable de ces espèces.

Mots-clés : Afrique, distribution géographique, écologie forestière, Entandrophragma, forêt tropicale, génétique des populations, taxonomie des essences forestières

Abstract

Entandrophragma: taxonomy and ecology of a genus of African tree species with economic importance. A review

Introduction. Entandrophragma tree species have been the subject of special attention by foresters and scientists for several decades. The purpose of this bibliographic review is to examine the current knowledge acquired on the taxonomy and ecology of this genus in order to identify new research priorities.

Literature. The genus Entandrophragma has exclusively African species (10 to 12) that are exploited for the quality of their wood. These species are widespread in the Guineo-Congolese region (6 species) and in the Zambezian and Afromontane regions (5 species). The genus is characterized by a taxonomic evolution that has resulted in an important synonymy of species names (36 to 37). Ecological studies have been carried out on some major commercial species (Entandrophragma angolense, Entandrophragma congoense, Entandrophragma candollei, Entandrophragma cylindricum, Entandrophragma palustre and Entandrophragma utile) in their phytogeographic zones, mainly in the Guineo-Congolese region.

Conclusions. Taxonomy and ecology of Entandrophragma tree species typically occurring in woodlands and savannas have been insufficiently studied in comparison with Entandrophragma species occurring in rainforests. Research needs to be developed for the improvement of taxonomic, genetic and ecological knowledge, with a view to formulating appropriate recommendations for the conservation and sustainable management of these species.

Keywords : Africa, Entandrophragma, forest ecology, natural range, population genetic, taxonomy of tree species, tropical forests

Reçu le 28 juin 2017, accepté le 23 janvier 2018, mis en ligne le 6 mars 2018

Cet article est distribué suivant les termes et les conditions de la licence CC-BY (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)

1. Introduction

1Le genre Entandrophragma C.DC. comprend, selon les sources, 10 à 12 espèces d’arbres distribuées exclusivement en Afrique tropicale. Appartenant à la tribu des Swietenieae A.Juss. et à la famille des Meliaceae, il est apparenté aux genres Lovoa Harms, Khaya A.Juss, Pseudocedrela Harms (Lemmens, 2008) et Cedrela P.Browne (Koenen et al., 2015).

2Au sein de la famille des Meliaceae, le genre Entandrophragma est le plus riche en espèces précieuses exploitées comme bois d’œuvre en Afrique (Tailfer, 1989). Au-delà de son importance économique, ce genre présente un intérêt scientifique, notamment sur le plan taxonomique, vu la multiplicité des genres auxquels ont été rattachées dans un premier temps les espèces d’Entandrophragma et le nombre des synonymies spécifiques (36-37) (Louis & Fouarge, 1947 ; Hall, 2008 ; The Plant List, 2013).

3L’insuffisance des informations sur l’écologie des essences commerciales d’Entandrophragma conduit à une méconnaissance des paramètres fondamentaux de la dynamique de leurs populations et, par conséquent, à la prise de décisions inadéquates par les gestionnaires forestiers (Doucet, 2003 ; FAO, 2011 ; Biwolé et al., 2012). De plus, les informations sur la distribution géographique, l’écologie, la taxonomie, la génétique et l’évolution des espèces d’Entandrophragma restent encore fragmentaires.

4L’objectif général de cette étude est de faire une synthèse des connaissances acquises sur la taxonomie et l’écologie de toutes les espèces d’Entandrophragma, avec une attention particulière sur les principales espèces exploitées dans les forêts denses humides.

5Les objectifs spécifiques sont les suivants :

6– décrire l’évolution de leur taxonomie et leurs caractéristiques écologiques ;

7– discuter des aspects pour lesquels les connaissances restent insuffisantes ou imprécises afin de suggérer des pistes de recherches futures en appui à l’amélioration de leur gestion durable.

2. Taxonomie du genre

2.1. Historique, synonymie et subdivision taxonomique

8Historique. Le nom de genre Entandrophragma a été proposé en 1894 par Casimir de Candolle dans sa « Monographie des Méliacées ». Son étymologie fait allusion à la particularité florale unique de ce genre dans la famille des Meliaceae : l’existence d’un disque sous l’ovaire et de dix véritables cloisons « phragma » qui forment des godets à la base du tube staminal (Tailfer, 1989). Des rapprochements ont été faits avec le genre américain Swietenia Jacq. en 1858 par Welwitsch, puis le genre asiatique Chukrasia A.Juss. par de Candolle en 1894. Ce dernier genre se distingue des Entandrophragma au niveau des fleurs par un tube staminal long et étroit avec l’absence de cloison interne et, surtout, par le fruit qui est une capsule dressée multisperme (Louis & Fouarge, 1947).

9Synonymie. Le genre Entandrophragma est aussi caractérisé par une importante évolution de la synonymie des noms des espèces décrites par différents auteurs, dont le recensement aboutit à un total de 36 à 37 espèces (Tableau 1). Cette synonymie taxonomique abondante pourrait trouver sa source, selon Louis & Fouarge (1947), dans l’intérêt économique important du genre. Cet intérêt aurait conduit à un regain d’attention de la part des systématiciens qui, suite à la variabilité phénotypique au sein des espèces, auraient favorisé la création parfois abusive d’espèces. En effet, une partie de ces espèces a été décrite et nommée par des auteurs différents ayant une connaissance insuffisante de la littérature scientifique de l’époque. L’amélioration progressive des connaissances scientifiques a permis de regrouper certaines de ces espèces en une seule et de supprimer ainsi ces synonymies, généralement anciennes (Tableau 1). Ainsi, le Conservatoire et Jardin Botaniques de la Ville de Genève (CJBG, 2012) reconnaissent actuellement seulement 10 espèces (Entandrophragma congoense [Pierre ex De Wild.] A.Chev. non incluse) dans toute l’aire africaine (Tableau 1). Parmi les espèces désormais reconnues, Entandrophragma angolense (Welw.) C.DC. dispose d’une synonymie très abondante, due probablement au polymorphisme relatif qu’elle manifeste, comme beaucoup de grands arbres à large aire de répartition. Une relative confusion persiste encore à ce jour concernant la synonymie de E. angolense et E. congoense, soutenue par Louis & Fouarge (1947) et plus récemment par Chevallier et al. (2010). Par contre, Wilks & Issembé (2000) ainsi que de Wilde (2015) reconnaissent que E. angolense et E. congoense sont des espèces distinctes. Cette distinction est aussi faite par les prospecteurs forestiers au Gabon et au Cameroun en les appelant respectivement « tiama blanc » (E. angolense : tronc gris-blanc à gris brun et tranche rose avec des raies blanchâtres) et « tiama noir » (E. congoense : tronc brun-noirâtre et tranche rose-rouge assez foncée ; Meunier et al., 2015). Pour la suite de cette revue, nous reconnaitrons E. congoense et E. angolense comme deux espèces à part entire, conformément à la Flore du Gabon (de Wilde, 2015). Ainsi, nous considérons qu’il y a 11 espèces d’Entandrophragma et non 10. Par ailleurs, des études utilisant des approches de génétique moléculaire plus poussées et couplées à d'autres critères botaniques, notamment la symétrie de la foliole et le nombre de nervures secondaires, seraient nécessaires pour lever certaines incertitudes en termes de différence entre les deux tiamas.

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10Subdivision. À l’exception de E. congoense pour laquelle des doutes subsistent, les espèces d’Entandrophragma ont été groupées en cinq sections (Tableau 1) par Louis & Fouarge (1947). Cette subdivision est basée sur les caractères fertiles dont l’existence du disque sur l’ovaire, la nature des dix cloisons délimitant les dix godets à la base du tube staminal et la forme de la capsule. L’utilité d’une telle subdivision réside dans les liens interspécifiques qu’elle fait ressortir. Cependant, l’étude d’autres caractères, notamment écologiques, anatomiques et génétiques permettrait une meilleure description des liens/différences entre les espèces d’Entandrophragma.

2.2. Clé d’identification botanique des espèces d’Entandrophragma

11Différentes clés d’identification botanique des espèces d’Entandrophragma ont été proposées (e.g. Staner, 1943 ; Wilks & Issembé, 2000 ; de Wilde, 2015). Ces clés reposent respectivement sur la description de caractères végétatifs et reproducteurs (fleurs et fruits). Cependant, aucune flore ou guide de terrain ne propose une clé d’identification intégrant l’ensemble des espèces d’Entandrophragma dont Entandrophragma spicatum (C.DC.) Sprague, Entandrophragma caudatum (Sprague) Sprague et Entandrophragma bussei Harms, pourtant partiellement décrites. La présente synthèse bibliographique propose une seule clé basée sur la combinaison de ces deux principaux caractères (Encadré 1). L’identification des grands Entandrophragma fertiles semble assez aisée, mais on n’a pas toujours accès aux fleurs. Ainsi, le tableau 2 présente les critères végétatifs autorisant une identification des Entandrophragma de forêts denses humides, y compris pour les jeunes arbres non encore fructifères (e.g. Wilks & Issembé, 2000 ; Meunier et al., 2015).

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3. Distribution géographique

12Le genre Entandrophragma est exclusivement africain. Les limites des entités géographiques climatiquement homogènes généralement utilisées (région, sous-région, domaine, etc.) par chaque auteur (e.g. Louis & Fouarge, 1947 ; White, 1986) dépendent du degré (dimension spatiale) et de la nature (dimension temporelle) des distributions observées sur la base des données floristiques et écologiques disponibles. Louis & Fouarge (1947) utilisent le terme « domaine » (e.g. zambézien, oriental, etc.) pour localiser l’aire de distribution des Entandrophragma, tandis que White (1986) préfère le terme de « région » et Sépulchre et al. (2008), « sub-region ». La présente revue préfère les concepts de White (1986) puisqu’ils sont les plus couramment utilisés et sont issus du processus classique d’endémisme de conservation des espèces qui a débouché sur la production de la carte des principales phytocories de l’Afrique et de Madagascar.

13Le genre Entandrophragma présente deux principales distributions géographiques (Figure 1).

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14Le premier groupe est composé de six espèces à très larges distributions guinéo-congolaises : E. angolense (tiama blanc), E. congoense (tiama noir), Entandrophragma candollei Harms (kosipo), Entandrophragma cylindricum (Sprague) Sprague (sapelli), Entandrophragma palustre Staner et Entandrophragma utile (Dawe & Sprague) Sprague (sipo). Sans inclure E. palustre qui se cantonne aux forêts marécageuses de la République Démocratique du Congo et de la République du Congo et probablement d’autres régions d’Afrique centrale (Lemmens, 2008), les autres espèces croissent dans les forêts denses humides sempervirentes et semi-décidues (Meunier et al., 2015) où E. cylindricum et E. angolense sont plus abondantes localement qu’E. candolei et E. utile (Doumenge et al., 2010). Ces espèces s’étendent en une large bande au nord et au sud de l’équateur à partir du littoral atlantique jusqu’au versant occidental de la dorsale du Kivu à l’est, en passant par le bassin du Congo (White, 1986). Celle présentant une distribution la plus étendue parmi ces quatre espèces est E. angolense (Figure 1). Elle est certainement confondue avec son synonyme (E. congoense) par le CJBG.

15Le second groupe comprend cinq espèces à distributions zambézienne et afromontagnarde (Entandrophragma bussei, Entandrophragma caudatum, Entandrophragma delevoyi De Wild, Entandrophragma spicatum et Entandrophragma excelsum [Dawe & Sprague] Sprague) (Louis & Fouarge, 1947 ; White, 1986 ; Malaise, 1993 ; Lemmens, 2008). Entandrophragma excelsum est une espèce à distribution à la fois « zambézienne » et « afromontagnarde » où elle se limite aux forêts de montagne (Louis & Fouarge, 1947) et est présente dans l’est de la RDC, au Rwanda, au Burundi, en Ouganda, en Tanzanie, au Malawi et en Zambie (Lemmens, 2008), tandis qu’E. caudatum, E. delevoyi et E. spicatum, dites « zambéziennes » se retrouvent dans les forêts claires ou sempervirentes sèches (Louis & Fouarge, 1947 ; Lemmens, 2008). Il est précisé que seule E. delevoyi (à distribution zambézienne et afromontagnarde) est principalement caractéristique des forêts denses sèches (Dikumbwa, 1990 ; Malaise, 1993 ; Malaise et al., 2000). La figure 1 montre que sa distribution est plus large en RDC et en Zambie, et restreinte en Tanzanie. Par contre, E. caudatum est répartie au sud de la Zambie et du Malawi, au nord-est de l’Afrique du Sud, au Zimbabwe, Mozambique et Botswana (Burrows et al., 2017), alors qu’E. spicatum est confinée au sud de l’Angola et au nord de la Namibie (Figure 1). Par ailleurs, E. bussei (à distribution afromontagnarde) est endémique de la Tanzanie où elle est présente dans les fourrés décidus, la forêt claire et la savane arbustive (Lemmens, 2008).

4. Phylogénie et génétique

4.1. Phylogénie

16Depuis plus d’une dizaine d’années, de nombreuses études moléculaires ont permis de clarifier les relations phylogénétiques au sein de la famille des Meliaceae (Muellner et al., 2006 ; Muellner et al., 2009 ; Pennington et al., 2010 ; Muellner et al., 2011). Des révisions taxonomiques notamment pour les genres Carapa Aubl., Cedrela et Leplaea (ex-Guarea) ont été réalisées (Kenfack, 2011 ; Muellner et al., 2011). Selon une étude phylogénétique récente sur les Meliaceae, le genre Entandrophragma est considéré proche du genre Cedrela dont il aurait divergé lors de l’Oligocène il y a près de 30 millions d’années (Koenen et al., 2015). Malgré ces études, les relations phylogénétiques et l’origine de la diversification des espèces du genre Entandrophragma restent encore inconnues.

4.2. Nombres chromosomiques et marqueurs génétiques

17Le niveau de ploïdie est assez homogène au sein du genre Entandrophragma (2n = 36), bien que Mangenot & Mangenot (1962) rapportent une duplication du niveau de ploïdie chez E. angolense, E. cylindricum et E. utile (2n = 36 ou 72). L’existence de cytotypes polyploïdes n’a toutefois pas été confirmée chez E. cylindricum par l’utilisation de marqueurs microsatellites depuis leur développement (Garcia et al., 2004). Ces marqueurs génétiques ont ouvert la voie à différentes études sur le système de reproduction et la dispersion des gènes chez E. cylindricum (Lourmas et al., 2007 ; Monthe et al., 2017a), ainsi que sur l’identification des pieds exploités en vue de contrôler leur commerce (Jolivet & Degen, 2012). Ils ont notamment permis de démontrer qu’E. cylindricum est principalement allogame et que le pollen, tout comme les graines, sont en moyenne dispersés à plus de 600 m (Lourmas et al., 2007 ; Monthe et al., 2017a). Le récent développement de marqueurs microsatellites pour d’autres espèces d’Entandrophragma (e.g. E. candollei et E. utile) (Monthe et al., 2017b) permettra très probablement une amélioration des connaissances génétiques de ces taxons (e.g. analyse de l’impact de l’exploitation sur les populations sensu Lourmas et al., 2007).

5. Écologie et sylviculture

5.1. Niches climatiques, préférences édaphiques et habitat

18Niches climatiques. Aucune analyse globale n’a jamais été réalisée au sujet des niches climatiques des Entandrophragma dans toute leur aire de répartition (Doumenge et al., 2010). En effet, à partir d’informations issues de spécimens d’herbiers, d’inventaires forestiers et autres relevés de terrain, Doumenge et al. (2010) ont proposé une méthode permettant de modéliser les niches climatiques qu’ils ont appliquées aux quatre espèces d’Entandrophragma guinéo-congolaises les plus exploitées : E. angolense, E. candollei, E. cylindricum et E. utile. Hormis E. palustre qui préfère les zones les plus humides de la cuvette congolaise, cette approche montre que les espèces des forêts denses humides semblent davantage présentes sous des conditions d’humidité intermédiaire, évitant les climats les plus humides. Un second groupement est constitué des espèces d’ « environnements plus secs » (E. bussei, E. caudatum, E. delevoyi et E. spicatum). Celles-ci s’acclimatent mieux dans des zones sèches et montrent une nette séparation d’E. excelsum, laquelle se caractérise par des préférences climatiques de haute altitude, généralement entre 1 300 m et 2 100 m (Louis & Fouarge, 1947 ; Lemmens, 2008).

19Des études sur la caractérisation des niches climatiques des espèces d’Entandrophragma demeurent insuffisantes et méritent d’être régulièrement approfondies pour tenir compte de l’évolution du climat récent et futur sur toute leur aire de répartition.

20Préférences édaphiques et habitat. Les habitats des différentes espèces d’Entandrophragma se distingueraient par des propriétés physico-chimiques du sol. D'après Hall et al. (2004), dans les forêts du sud-ouest de la République Centrafricaine (RCA), la présence des cinq principales espèces d’Entandrophragma (E. angolense, E. congoense, E. candollei, E. cylindricum et E. utile) des forêts denses humides est corrélée à la composition chimique du sol. Par exemple, seule E. candollei tolère des sols très peu fertiles. Entandrophragma angolense et E. cylindricum sont caractéristiques des sols à pH atypiquement élevé alors qu’à l’opposé, E. candollei est limitée à des sols particulièrement acides. Ces analyses mériteraient d’être étendues à d’autres espèces du genre et à d’autres régions où plusieurs espèces cohabitent.

21En outre, des associations mycorhiziennes à arbuscules et vésicules ont été enregistrées chez les principales espèces d’Entandrophragma exploitées par les compagnies forestières locales (Onguene & Kuyper, 2001). L’inoculation mycorhizienne semble ainsi favoriser la mise en place des semis de E. utile (Mujuni, 2008).

5.2. Tempérament et sylviculture

22Tempérament. La tolérance à l’ombre au stade juvénile des espèces d’Entandrophragma les plus exploitées en forêts denses humides (sapelli, sipo, kosipo et tiama blanc) a été diversement décrite selon les auteurs. Ces espèces sont ainsi qualifiées de sciaphiles (Louis & Fouarge, 1947), tolérantes à l’ombre (Hall et al., 2003) ou de semi-héliophiles (Meunier et al., 2015 ; Doucet et al., 2016). Bien qu’il ressorte de ces travaux un consensus vers une certaine tolérance à l’ombrage (le tempérament semi-héliophile de ces espèces est actuellement admis), il existe néanmoins des nuances entre espèces (kosipo, sipo, sapelli et tiama blanc) établies par certains auteurs. Ces nuances de besoin en lumière peuvent aussi être vérifiées par une étude plus détaillée des traits ligneux en quantifiant les diamètres des vaisseaux de la moelle à l’écorce du bois des espèces respectives (Beeckman, 2016).

23D’autre part, pour les espèces du genre autres que celles exploitées dans des forêts denses humides (E. bussei, E. caudatum, E. delevoyi, E. excelsum et E. spicatum), le tempérament est moins connu.

24Sylviculture. Une connaissance insuffisante du tempérament de chacune des espèces d’Entandrophragma freine également la mise en œuvre de techniques sylvicoles, par exemple pour optimiser les reboisements. En effet, les expériences conduites par Hall (2008) en RCA et par Doucet et al. (2016) au Cameroun montrent que les techniques sylvicoles utilisées pour les régénérations des espèces d’Entandrophragma sont confrontées à des taux de mortalité élevés. Plusieurs techniques sylvicoles, notamment la méthode de régénération naturelle par coupe d’enrichissement et d’abri unique, la méthode des layons et celle d’enrichissement par semis direct, appliquées pour le renouvellement des Entandrophragma, n’ont pas donné des résultats très satisfaisants. D’autres techniques pour améliorer leur régénération ont été testées comme la création de petites trouées de taille intermédiaire dans les forêts exploitées et l’apport de semences afin d’obtenir une meilleure régénération (Hall et al., 2003 ; Makana & Thomas, 2004). Néanmoins, la pertinence de ces méthodes de régénération est remise en question par de nouvelles études dont les résultats n’ont pas été satisfaisants avec ces espèces (Fayolle et al., 2015 ; Doucet et al., 2016). Tous les sapellis observés au Cameroun par Owona Ndongo et al. (2009) ont présenté de nombreuses difficultés dues à des piqûres d’insectes lors de la croissance juvénile, ce qui expliquerait notamment leur retard initial de croissance. Selon Eckebil et al. (2017), la sylviculture d’E. cylindricum n’en est qu’à son début. En effet, il y a encore lieu d’approfondir la recherche sylvicole sur toutes les espèces d’Entandrophragma dans leurs zones de répartition.

5.3. Phénologie et diamètre de fructification

25Phénologie. D’une manière générale, les études sur la phénologie n’ont été menées que sur certaines espèces d’Entandrophragma (E. angolense, E. candollei, E. cylindricum, E. utile, E. delevoyi et E. caudatum) et plus rarement et de manière insuffisante sur d’autres (e.g. E. bussei, E. excelsum et E. spicatum).

26En effet, Louis & Fouarge (1947) précisent qu’en RDC, les Entandrophragma des forêts denses humides (E. angolense, E. candollei, E. cylindricum, E. palustre et E. utile) sont reconnues comme étant caducifoliées, à l’exception d’E. palustre qui est sempervirente. La période de défeuillaison correspond approximativement à la saison de fléchissement des précipitations (début de la grande saison sèche). Dans les forêts de l’Afrique de l’Ouest, quelques études phénologiques (Taylor, 1960 ; Voorhoeve, 1965 ; Poorter et al., 2004) décrivent les périodes de floraison et fructification des quatre principales espèces les plus exploitées (kosipo, sipo, sapelli et tiama blanc) (Tableau 3). La phénologie des Entandrophragma est a priori variable suivant les régions. En Afrique centrale, et spécifiquement en République du Congo (RC), Gillet et al. (2008) renseignent que le capital foliaire d’E. candollei se reconstitue de septembre à octobre après l’attaque des chenilles ; les fleurs sont présentes en décembre et la fructification a lieu en mars-avril. Chez E. cylindricum (semi-décidu), le renouvellement foliaire s’effectue en aout (Eckebil et al., 2017) et en septembre après l’attaque de chenilles comestibles Imbrasia oyemensis (Gillet et al., 2008).

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27Chez E. delovoyi des forêts denses sèches de la RDC, le maximum de la chute des feuilles est observé au mois de septembre et la chute conjuguée des fruits et des graines est généralement observée au cours du mois de janvier (Dikumbwa, 1990). Il est par ailleurs précisé que la période de floraison chez E. caudatum va de septembre à octobre (Burrows et al., 2017).

28Diamètre de fructification. Les données quantitatives concernant le diamètre minimal de fructification (DMF) et le diamètre de fructification régulière (DFR) des espèces d’Entandrophragma des forêts denses humides (Tableau 4) demeurent encore fragmentaires. Le DMF est celui considéré comme le seuil à partir duquel on observe les premières floraisons et fructifications qui se traduisent néanmoins par une faible production de diaspores. Ce diamètre est aussi appelé diamètre minimum de fertilité. Le DFR est celui à partir duquel on assiste à une fructification efficace et régulière (Sépulchre et al., 2008). Ce dernier diamètre est surtout un outil d’aide à la détermination du diamètre minimal d’exploitabilité d’une essence (Menga et al., 2012) car il est indispensable que les arbres ne soient exploités (s’ils sont bien conformés) que s’ils dépassent largement ce diamètre afin d’assurer leur régénération et la pérennité de l’espèce. Si le DMF est déterminé pour une partie de ces espèces, le DFR demeure encore globalement méconnu (Durrieu de Madron & Daumerie, 2004 ; Menga et al., 2012). Les diamètres minimums légaux d’exploitation (DME) sont un outil fondamental d’aménagement durable qui tient compte de la structure diamétrique des populations d’arbres et de la nécessité de préserver de l’abattage la fraction de semenciers devant assurer la régénération (Durrieu de Madron et al., 1998 ; Eckebil et al., 2017). Le DME est alors comparé au DMF et au DFR dès lors que l’on s’intéresse à la gestion raisonnée des populations d’une ou plusieurs espèces. De telles comparaisons devraient ainsi servir à réviser, si nécessaire, ces seuils d’exploitation.

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29Le tableau 4 nous montre que les DME des principales essences commerciales d’Entandrophragma ont été établis sur des bases empiriques par les administrations forestières nationales car ils varient fortement d’un pays à l’autre : par exemple de 60 à 110 cm pour E. candolei entre la Côte d’Ivoire et le Ghana.

5.4. Dissémination, régénération naturelle et structure des populations

30Dissémination. Les espèces d’Entandrophragma sont toutes anémochores (Louis & Fouarge, 1947 ; Medjibe & Hall, 2002 ; Poorter et al., 2004 ; Doucet et al., 2016). Les fruits capsulaires de ces espèces sont à déhiscence septifrage en cinq valves ligneuses. Ces fruits contiennent des graines pourvues d’une aile unique qui se dispersent en tournoyant sous l’effet du vent (Louis & Fouarge, 1947). La quasi-totalité des graines issues des fruits sont de type « planeur lourd » et tombent généralement à proximité immédiate des semenciers (Medjibe & Hall, 2002). Cependant, la dispersion des samares d’Entandrophragma devrait être vérifiée par des nouvelles mesures de dispersion (identification de plantules installées). En effet, une étude récente basée sur des méthodes moléculaires montre que la dispersion de ces samares par le vent est plus importante que ce que l’on pensait (± 600 m) (Monthe et al., 2017a). Cette étude montre aussi que les samares qui se trouvent proches du pied mère suite à une faible dispersion subiraient peut-être une plus forte prédation. Cette dernière est occasionnée par des insectes foreurs e.g. Hypsipyla (Poorter et al., 2004 ; de la Mensbruge, 1966), par des rongeurs et/ou ongulés (Poorter et al., 2004) attirés notamment par la forte teneur en huile des graines d’Entandrophragma (Louis & Fouarge, 1947).

31Régénération naturelle. La faiblesse du pouvoir germinatif des graines des Entandrophragma (de la Mensbruge, 1966), leur prédation (Louis & Fouarge, 1947 ; de la Mensbruge, 1966), une fructification quelque peu imprévisible au cours d’une année (Hall, 2011), une floraison qui semble rythmique supra-annuelle avec des années de meilleure fructification (Gillet et al., 2008) sont autant de raisons pouvant expliquer qu’il est rare de rencontrer une abondante régénération naturelle des Entandrophragma. Cette rareté de la régénération naturelle varie d’une espèce d’Entandrophragma à l’autre, mais elle est presque générale à toutes les espèces du genre (Lemmens, 2008).

32Structure des populations. La courbe de distribution des effectifs par classe de diamètre est un indicateur de la structure de la population et du niveau de régénération. La structure des populations avec une courbe en exponentielle décroissante indique une bonne régénération, alors qu’une courbe en cloche témoigne une faible régénération. Entre ces deux extrêmes, il y a de nombreuses courbes intermédiaires dont l’interprétation est souvent délicate, notamment en raison de l’histoire de la forêt et de la précision de l’inventaire (Daïnou & Doucet, 2010). Plusieurs études préparatoires à la rédaction de plans d’aménagements (FRM, 2007 ; FRM, 2009 ; Nature+, 2011) montrent que la structure des populations d’espèces d’Entandrophragma varie en fonction notamment du degré de la régénération naturelle, de la densité, des effectifs et des volumes des tiges inventoriées ainsi que des conditions écologiques de chaque espèce. La structure des populations de sapelli, par exemple, est globalement une courbe exponentielle décroissante ou une courbe à décroissance linéaire, avec un pic dans les classes intermédiaires où les jeunes tiges sont mieux représentées (généralement dans le sous-bois en attente d’une ouverture du couvert pour pouvoir se développer). La régénération n’est donc pas déficitaire (FRM, 2007 ; FRM, 2009 ; Eckebil et al., 2017 ). Pour stabiliser l’effectif exploitable de cette espèce, il faudrait une limitation des taux de prélèvement ou un allongement de la durée de rotation (Karsenty & Gourlet-Fleury, 2006 ; Eckebil et al., 2017). La structure des populations de kosipo, sipo et tiama blanc est variable, leurs courbes de distribution ne sont généralement pas caractéristiques. Ainsi, l’exploitation de chacune de ces espèces nécessite une attention particulière. De multiples mesures sont à prendre (recommandations majeures) afin de garantir leur maintien. Parmi ces mesures, on citera notamment l’augmentation du diamètre minimum d’aménagement (DMA) ou la limitation des coefficients d’exploitation, une aide à la régénération et voire même l’interdiction de leur exploitation dans certaines parcelles ou séries d’aménagement (Daïnou & Doucet, 2010).

6. Conclusions et perspectives

33La présente synthèse bibliographique montre que la taxonomie du genre Entandrophragma a subi une évolution importante depuis que ce nom générique a été proposé en 1894 par Casimir de Candolle. Néanmoins, quelques incertitudes demeurent sur la délimitation des espèces, en particulier E. congoense qui a été mis en synonymie avec E. angolense par certains auteurs, alors qu’elle est reconnue comme espèce à part entière par d’autres. Ce problème pourrait être résolu notamment à l’aide d’outils de génétique moléculaire. Les connaissances sur l’écologie et la génétique des espèces d’Entandrophragma demeurent tout aussi insuffisantes et méritent d’être approfondies. Ainsi, les recherches futures pourraient notamment se focaliser sur :

34– la mise à jour de la distribution géographique de chaque espèce ;

35– la phylogénie moléculaire susceptible de comprendre les patrons de distributions des espèces au sein du genre ;

36– la connaissance détaillée de tempérament de chaque espèce par la quantification des diamètres des vaisseaux de la moelle à l’écorce du bois ;

37– la connaissance fine de la phénologie de chaque espèce en tenant compte de la diversité des habitats et des variations du climat dans toute l’aire de distribution du genre ;

38– l’amélioration des techniques pour favoriser la régénération naturelle ;

39– l’amélioration des connaissances sur la dissémination et la fructification des espèces.

40Ces nouvelles investigations scientifiques contribueront à l’amélioration de la durabilité des espèces d’ Entandrophragma.

41Remerciements

42Nous adressons nos remerciements aux projets « FCCC » et « FORETS », financés par l’Union européenne et mis en œuvre à l’Université de Kisangani par le CIFOR en collaboration avec R&SD, pour l’octroi de la bourse doctorale, au Musée Royal de l’Afrique Centrale pour la bourse de stage scientifique « ABIC » (2016 et 2017), au Centre de Recherche à Yangambi de l’Institut National pour l’Étude et la Recherche Agronomique (INERA) pour l’accès régulier à sa bibliothèque centrale et à Jean-Yves de Vleeschouwer (Laboratoire de Foresterie des Régions tropicales et subtropicales, Université de Liège - Gembloux Agro-Bio Tech) pour la mise à disposition de la documentation pertinente. Qu’ils soient remerciés tous ceux qui nous ont appuyés à la recherche et à la compilation des informations liées à cette publication. Merci aussi à la congrégation des Prêtres du Sacré Cœur de Jésus pour l’espace méditatif accordé durant nos divers séjours de travail au Scolasticat Père Déhon à Kisangani et à la Communauté de Lemba à Kinshasa (RDC).

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Om dit artikel te citeren:

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