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- Volume 25 (2021)
- numéro 4
- Le roseau commun (Phragmites australis) : un capital naturel utilisé en litière pour le logement des vaches allaitantes
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Le roseau commun (Phragmites australis) : un capital naturel utilisé en litière pour le logement des vaches allaitantes
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Description du sujet. Située en marais, la ferme expérimentale INRAE de Saint Laurent de la Prée cherche des alternatives à la paille de céréales pour le logement de ses vaches allaitantes.
Objectifs. Cette étude vise à explorer l’utilisation du roseau commun (Phragmites australis) en litière pour des vaches allaitantes, à travers ses aspects pratiques mais aussi économiques.
Méthode. Menée deux années consécutives (2018-2019), cette étude a consisté à comparer des litières composées soit de roseau, soit de paille de céréales dans une stabulation libre paillée pour des vaches allaitantes. Les mesures ont porté sur la capacité d’absorption en eau des litières, la propreté des vaches à fréquence et quantité de litière apportée égales, la composition des composts issus de ces litières et enfin, le cout de revient du roseau.
Résultats. La paille a une plus grande capacité d’absorption en eau par rapport au roseau. Les gains de poids moyens de la paille étaient d’environ + 63 et + 41 % en années 1 et 2, respectivement, par rapport au roseau. Cependant, les vaches logées sur du roseau étaient globalement dans un état de propreté semblable à celles hébergées sur de la paille. Le compost de roseau a une valeur fertilisante très proche de celle du compost de paille. Le cout de revient du roseau était de 53 €·t-1 et 92 €·t-1 pour les années 1 et 2. Il est compétitif par rapport à l’achat de paille (100 €·t-1 de paille livrée) et il l’est d’autant plus que la roselière est proche de la ferme.
Conclusions. Le roseau utilisé comme litière pour le logement des vaches allaitantes pourrait être une alternative à la paille dans les exploitations de marais, à condition d’adopter une gestion des roselières adaptée à leur biologie et à la biodiversité qu’elles abritent.
Abstract
The common reed (Phragmites australis): a natural capital used as bedding for housed suckler cows
Description of the subject. The INRAE Saint Laurent de la Prée research farm, located in marshland, is looking for alternatives to cereal straw for housing its suckler cows.
Objectives. This study aimed to explore the use of common reed (Phragmites australis) as bedding for suckler cows, through examination of its practical and economic aspects.
Method. Conducted for two successive years (2018-2019), this study consisted of comparing different types of bedding composed of either reed or cereal straw in a free stall for suckler cows. Measurements were taken on the water absorption capacity of the bedding, the cleanliness of the cows with equal frequency and quantity of bedding provided, the composition of the compost from this bedding, and finally, the cost price of the reed.
Results. Straw has a higher water absorption capacity than reed. The average weight gains of straw were approximately +63 and +41% in years 1 and 2, respectively, compared to reed. However, cows housed on reed were generally found to be in a similar state of cleanliness as those housed on straw. Reed compost has a fertilizing value very close to that of straw compost. The cost of reed was 53 €·t-1 and 92 €·t-1 for years 1 and 2. The cost of harvesting reed is competitive compared to the purchase of straw (100 €·t-1 straw delivered), and it is all the more so as the reed bed is close to the farm.
Conclusions. Reed used as bedding for the housing of suckler cows could be an alternative to straw in marshland farms, provided that reedbeds are managed according to their biology and the biodiversity they contain.
Inhoudstafel
Reçu le 23 décembre 2020, accepté le 20 septembre 2021, mis en ligne le 13 octobre 2021
Cet article est distribué suivant les termes et les conditions de la licence CC-BY (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)
1. Introduction
1Beaucoup de fermes de polyculture-élevage ne sont pas autonomes en paille pour le logement de leurs animaux. Elles se trouvent dans l’obligation d’en acheter à l’extérieur. Elles sont ainsi soumises aux variations du prix de la paille, mais aussi à des problèmes d’approvisionnement, surtout en période de forte demande (Madelrieux et al., 2017). Comme beaucoup d’exploitations, la ferme de Saint Laurent de la Prée, un dispositif expérimental de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), cherche l’autonomie et l’économie en intrants (Durant et al., 2020) mais doit certaines années acheter de la paille directement livrée « dans la cour » et à un prix élevé (jusqu’à 120-130 €·t-1). Pour éviter cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur, la ferme explore actuellement d’autres sources de litière. Comme ses activités agricoles doivent être le plus possible en adéquation avec les principes de l’agroécologie (Altieri, 1996 ; Gliesmann, 1998), dont celui qui consiste à préserver les ressources naturelles présentes localement (en maintenant leur capacité de renouvellement) et les services écosystémiques associés, la question posée est donc : quelles ressources naturelles des marais littoraux atlantiques (contexte dans lequel s’exercent les activités de la ferme) pourraient servir de litière ?
2Dans la plupart des élevages bovins, la paille de céréales constitue la première source de litière (Rousset et al., 2014). Mais depuis plusieurs années, des alternatives ont été testées avec succès comme par exemple le Miscanthus, les plaquettes de bois ou le sable dolomitique (Berthelot et al., 2003 ; Capdeville & Ménard, 2003 ; Van Weyenberg et al., 2015 ; Malterre, 2019). Dans les marais, le roseau commun (Phragmites australis [Cav.] Trin. ex Steud.), constituant dans certaines zones de grandes étendues de roselières, pourrait être testé comme litière. Il s’agit d’une grande graminée vivace de la famille des Poacées largement répandue dans les zones humides du globe (E.P.A., 1985). Depuis des temps très anciens, le roseau est récolté pour divers usages, par exemple pour la couverture végétale des toits des chaumières, comme matériau pour l’industrie, source de bioénergie ou dans les procédés de traitement des eaux (Schricke,1988 ; Goergen, 1996), dont ceux liés à l’agriculture (Kӧbbing et al., 2013). En France, il a longtemps été utilisé comme matelas de matières végétales pour le bétail logé en bâtiments et plus marginalement comme fourrage grossier. On l’appelait alors « la litière des marais » ou « la paille des marais » (E.P.A., 1985). Aujourd’hui, il est encore utilisé marginalement par des élevages dans certaines zones humides, comme par exemple dans la Parc Naturel Régional de Brière (Divay et al., 2018). En Charente-Maritime, le département où se situe la ferme expérimentale, le roseau n’est plus exploité. À notre connaissance, seuls deux éleveurs dans le Val de Trézence (secteur du cours d’eau La Boutonne) l’utilisent en le mélangeant à de la paille. Malgré le fait que les surfaces de roselières se soient réduites depuis des dizaines d’années dans ce département (Le Barz et al., 2009 ; Loïc Jomat, com. pers.), l’hypothèse faite ici est que le roseau pourrait retrouver une place dans les exploitations de marais, en particulier celles conduites en agriculture biologique (AB), qui cherchent à mieux valoriser les ressources naturelles du milieu, tout en les préservant.
3Constatant l’absence de témoignages ou de connaissances scientifiques dans la littérature quant à l’usage du roseau en élevage (voir cependant Kӧbbing et al., 2013 ; Divay et al., 2018), une expérimentation consistant à comparer des litières à base de roseau commun ou de paille a été menée deux années consécutives sur la ferme expérimentale. Les objectifs étaient :
4– de produire des références scientifiques sur la litière de roseau en comparaison à une litière plus classique à base de paille de céréales (ou d’un mélange « paille-roseau ») ;
5– d’aborder les aspects pratiques et économiques de cet usage ;
6– de discuter des possibles valorisations des roselières sur le plan aussi bien environnemental qu’agricole.
2. Matériel et méthodes
2.1. Site d’étude et dispositif expérimental
7La ferme expérimentale conduit un système de polyculture-élevage en AB dans les marais de Rochefort-sur-mer (45°58’52’’Nord, 0°02’28’’O ; Durant & Kernéïs, 2010 ; Durant et al., 2020). Elle s’étend sur 160 ha et conduit un troupeau de 55-60 vaches allaitantes de race Maraîchine (ainsi que la suite, soit au total 130-140 animaux) qui pâturent les prairies naturelles de début avril à début novembre. Dans cet élevage, le troupeau est hébergé en stabulation libre durant cinq mois de l’année, de début novembre à début avril. Ce mode d’hébergement implique des besoins en paille importants (environ 120-130 t par an), jugés incompressibles par les pilotes de la ferme et les animaliers, car indispensables au bien-être des animaux. La paille provient de la culture des céréales sur la ferme et d’achats de paille « derrière la moissonneuse » auprès de fermes voisines.
8L’étude a eu lieu dans la stabulation de la ferme expérimentale au cours de trois périodes de 36, 39 et 27 jours chacune (essais 1, 2 et 3) de novembre 2018 à février 2019 et d’une période de 43 jours (essai 4) d’octobre à décembre 2019 (Tableau 1). Les essais 1 et 4 ont commencé respectivement 6 et 7 jours après l’entrée en stabulation des vaches, de façon à ce que celles-ci soient toutes au même stade de propreté dès le début. Les litières ont été testées sur quatre lots d’animaux hébergés dans quatre cases de surfaces sensiblement égales (environ 75 m² chacune – sans compter une surface de 38 m² non paillée au niveau des cornadis, Figure 1). Les lots n’étant pas composés des mêmes types d’animaux (vaches avec ou sans leur veau) et ne correspondant donc pas aux mêmes chargements, les cases suivantes ont été comparées deux à deux :
9– cases 1 et 3, avec chacune un lot de 12 vaches sans veau (lot en vêlage de printemps) ;
10– cases 2 et 4, avec chacune un lot de 10 vaches avec leur veau (lot en vêlage d’automne).
Figure 1. Schéma (vue de dessus) des quatre cases concernées par le dispositif expérimental dans la stabulation — Diagram (top view) of the four boxes concerned by the experimental device in the stall.
11Les veaux restaient avec leur mère pour les tétées du matin et du soir, mais séjournaient dans une cabane à veaux (une par lot ; surface = 14 m²) le reste du temps. Un taureau a été introduit dans chacune de ces deux cases, respectivement les 4 décembre 2018 et 20 novembre 2019 pour les besoins de mise à la reproduction.
12Nous avons veillé à respecter la surface minimale par animal du cahier des charges de l’AB, à savoir 7 m² par vache (poids moyen d’une Maraîchine = 650-700 kg) et 8,5 m² par couple mère-veau. Le poids moyen des vaches à l’entrée en stabulation n’était pas significativement différent entre les cases 1 et 3 (tests de Mann-Whitney : U = 44, p = 0,11 en 2018 et U = 34, p = 0,23 en 2019) ou entre les cases 2 et 4 (U = 49, p = 0,67 en 2018 et U = 30, p = 0,13 en 2019).
13Les modalités suivantes ont été comparées : « paille » vs « roseau » ; « paille » vs « paille + roseau » pour l’année 1 et « paille » vs « roseau » , « paille » vs « faux-roseau » pour l’année 2 (Tableau 1). Selon les essais, plusieurs types de paille ont été utilisés. Durant l’automne-hiver 2018-2019, l’essai 1 a été conduit avec de la paille d’orge, assez cassante, ayant deux années de stockage. Les essais 2 et 3 ont été conduits avec de la paille de blé de meilleure qualité, n’ayant qu’une année de stockage. Au cours de l’automne-hiver 2019-2020, l’essai 4 a été réalisé avec de la paille de blé (récoltée courant de l’été 2019). Le poids moyen des bottes de paille était de 185 kg en année 1, contre 165 kg en année 2.
14Le paillage des cases a été réalisé trois fois par semaine à l’aide d’une pailleuse. Des quantités de litière similaires ont été distribuées dans chaque case. Lors des deux premiers essais, constatant que ces quantités ne permettaient pas de maintenir les animaux suffisamment propres, celles-ci ont été augmentées à partir de l’essai 3 : en moyenne 185 kg de paille et 192 kg de roseau par case pour les essais 1 et 2 contre, respectivement, 370 kg et 385 kg pour l’essai 3 ou 330 kg et 375 kg pour l’essai 4. Plutôt que de changer de qualité de paille, cette solution s’est imposée à nous car nous n’avions pas d’autre paille à notre disposition et parce que nous supposions que cet ajustement aurait été celui d’un éleveur constatant que ses animaux sont sales.
2.2. La récolte du roseau
15Un préalable à la conduite de l’étude a consisté à se renseigner sur le matériel contemporain le plus adapté pour la fauche et le pressage du roseau. Avec l’avis d’un entrepreneur en travaux agricoles, une faucheuse conditionneuse (faucheuse arrière CLAAS, modèle DISCO 3000 Flapgrouper) a été testée et s’est révélée adéquate. Une roselière d’1,3 ha, située sur la réserve de chasse et de faune sauvage de la cabane de Moins (à 10 km de la ferme) a été fauchée le 6 septembre 2018. Le roseau ainsi coupé a été mis en andain et laissé à sécher au soleil pendant 7 jours. Le pressage a ensuite eu lieu le 13 septembre 2018 avec une presse à balles rondes KRONE (modèle Comprima CV 150 XC) muni d’un « rotocut », élément indispensable à prévoir sur la machine pour pouvoir conditionner le roseau en brins de 30-40 cm et ainsi faciliter sa distribution ultérieure à la pailleuse. Au total, 20,4 t de roseau (soit 53 balles d’1,40 m de diamètre ; poids moyen d’une balle : 385 kg) ont été récoltées.
16En année 2, une roselière d’1,1 ha située dans le Val de Trézence (à 37 km de la ferme) a été fauchée le 13 septembre 2019. Elle était moins uniforme en termes de végétation que la précédente, avec une partie de sa surface composée de roseau commun (Phragmites australis) mais aussi de grand carex (Carex sp.) et de baldingère faux-roseau (Phalaris arundinacea L.). Une autre faucheuse a été utilisée (faucheuse frontale KRONE, modèle EasyCut, sans conditionneuse) qui s’est avérée un peu moins performante. Le mode de séchage a été le même que l’année précédente, les fortes chaleurs de l’été 2019 ayant cependant permis de ramasser le roseau seulement 6 jours après la fauche. Au total, 16,1 t (soit 43 balles d’1,40 m de diamètre ; poids moyen d’une balle : 375 kg) ont été récoltées. Au moment du pressage, les balles composées de roseau commun ont été distinguées des autres balles de « faux-roseau » (nombre de balles des deux types approximativement égal).
17Le niveau de production des roselières a été estimé à partir de la biomasse extraite de la coupe. Il était de 15,7 et 14,6 t·ha-1, en années 1 et 2 respectivement. En dehors des coupes réalisées pour les besoins de l’étude, les modalités de gestion des deux roselières étaient les suivantes : un tiers de la surface de la roselière de la cabane de Moins est coupé chaque année et la coupe est suivie d’une opération de brûlage, alors que la roselière du Val de Trézence est généralement broyée tous les 2-3 ans. Le résultat de ce broyage reste sur place, il n’est pas exporté. Cette accumulation de litière peut cependant à terme entrainer un atterrissement de la roselière.
2.3. Les mesures et observations
18Évaluation de la capacité d’absorption en eau des litières. Afin de déterminer le pouvoir absorbant des différents types de litières, le protocole décrit par Gasser (2007) a été reproduit en laboratoire. Des échantillons d’environ 200 g de litière ont été placés dans des casiers métalliques (30 cm de long × 20 cm de large × 10 cm de haut), eux-mêmes emballés dans un tissu moustiquaire pour y retenir les fragments de litière. Les casiers ont été immergés dans un grand bac d’eau selon des durées croissantes : 3, 6, 22, 27, 44, 66 et 138 h. Après chaque immersion, les casiers ont été égouttés 1 h, puis pesés. Ils ont ensuite été replongés dans l’eau en attente de la pesée suivante. De l’eau a quelque fois été ajoutée dans le bac de façon à ce que les casiers soient maintenus totalement immergés.
19En année 1, la capacité d’absorption en eau de la paille d’orge (essai 1) a été comparée à celle de roseau et d’un mélange « paille + roseau » (Tableau 2). Cette même manipulation a été refaite avec la paille de blé des essais 2 et 3. Trois répétitions par type de litière ont été réalisées à chaque manipulation, soit 9 échantillons au total. En année 2, les casiers ont été remplis de paille de blé, de roseau et de faux-roseau de l’essai 4. Trois répétitions par type de litière ont également été réalisées. Les valeurs des trois répétitions ont été moyennées pour ne donner qu’une seule valeur par temps d’immersion.
2.4. Composition chimique du matériel végétal
20La paille et le roseau ont fait l’objet d’analyses pour évaluer en particulier leur contenu en fibres (NDF et ADF – Neutral/Acid Detergent Fiber) selon la méthode de Van Soest et al. (1991) et en cendres (résidus après l’incinération complète des matières organiques). Un échantillon de chaque type de litière a été prélevé lors d’un paillage, mis à l’étuve pendant 72 h à 60 °C, puis envoyé pour analyses au laboratoire INRAE de Lusignan.
2.5. Observations sur les animaux et les litières en stabulation
21Des notations de propreté des animaux ont été faites deux fois par semaine, le matin vers 8 h 30-9 h (alors que les vaches s’alimentaient à l’auge), à l’aide d’une grille d’observation (adaptée de Bastien et al., 2006). Cette grille est composée de sept niveaux de saleté croissants : « propre », « peu sale - », « peu sale », « peu sale + » ou « sale - » (notations équivalentes), « sale », « sale + » et « très sale ». Dans le même temps, deux paramètres des litières ont été relevés avant le paillage :
22– leur température, prise à mi-hauteur de la couche de litière (soit 5-10 cm de profondeur) grâce à une sonde-thermomètre (Marque Testo, modèle 104-IR). Dans chaque case, six relevés répartis spatialement ont été effectués et les six valeurs moyennées pour obtenir une température moyenne par case ;
23– leur état de salissement, estimé en relevant le pourcentage de surface paillée de la case avec une litière encore propre (la litière était considérée comme souillée à partir du moment où elle perdait sa couleur jaune pour devenir marron, salie par les excréments des animaux).
24Enfin, toujours lors des matinées des notations, les paramètres d’ambiance du bâtiment (température, hygrométrie) ont été relevés à l’aide de deux capteurs (Marque : TFA, modèle Klimalogg pro) situés à environ 3 m de hauteur (le premier placé entre les cases 1 et 2 et le second entre les cases 3 et 4).
2.6. Composition des composts issus de ces litières
25Entre deux essais, le curage des cases en expérimentation a eu lieu et les fumiers issus de ces cases ont été stockés dans la fumière couverte de la ferme. Les fumiers de paille et de roseau ont été séparés l’un de l’autre, afin de permettre des prélèvements ultérieurs distincts. Le fumier de la case « roseau + paille » a cependant été mélangé à celui de roseau. Fin mai 2019, les fumiers ont été transportés au champ pour y être compostés en maintenant séparés les deux types de fumier. Ce compostage a été réalisé grâce à deux opérations de retournement d’andains mi-juin et début juillet (22 jours d’intervalle). La température des composts a été relevée tous les 1-2 jour(s) grâce à une sonde (Marque Dramiński Hmm), du 30 mai au 18 juillet 2019. La mesure a été faite à environ 40 cm de profondeur, à trois endroits de l’andain (dans sa partie haute, moyenne et basse). Enfin, le 25 juillet 2019, trois échantillons de chaque type de compost ont été prélevés avant l’épandage au champ. Les échantillons ont ensuite fait l’objet des analyses suivantes par le laboratoire Auréa AgroSciences de La Rochelle : % d’humidité, % de matière organique, % de matières minérales, teneur en azote total, phosphore et potassium et enfin rapport C/N (rapport carbone total/azote total).
2.7. Calcul du cout de revient du roseau
26Le cout des opérations de récolte a été calculé sur la base des factures fournies par l’entreprise de travaux agricoles à laquelle nous avons fait appel durant les deux années. Les frais de transport des balles de roseau de la première année ont été estimés sur la base de la consommation de carburant pour les trois allers-retours (itinéraire de 10 km entre la roselière et la ferme), sans prendre en compte cependant le cout de « main-d’œuvre » lié à cette charge. Le prix de référence de l’achat de paille a été fixé à 100 €·t-1 quand il s’agissait de paille « livrée dans la cour » (selon les prix moyens indiqués dans la presse agricole locale) ou à 60 €·t-1 pour de la paille achetée « derrière la moissonneuse » (soit un cout de 35 €·t-1 pour la paille + les charges de mécanisation).
2.8. Analyses des données
27La majorité des analyses a consisté en des comparaisons de moyennes (analyses non paramétriques quand la taille des échantillons était < 30). Des tests de Mann-Whitney (comparaison 2 à 2) ont été réalisés pour vérifier que le poids moyen des vaches (au début des essais 1 et 4) n’était pas significativement différent et pour déterminer si un type de litière absorbait plus d’eau qu’un autre (en ne prenant en compte que les valeurs au niveau du plateau d’absorption). Pour les essais en stabulation, des tests de Kruskal-Wallis ont permis de tester d’éventuelles différences dans la température et l’état général des litières. La chronologie de l’état de propreté des animaux a fait l’objet d’analyses de variance (ANOVA) pour mesures répétées, étant donné la non-indépendance des observations les unes par rapport aux autres (l’état de propreté d’un animal à un temps t étant dépendant de celui au temps t-1). Il a ainsi été examiné si l’état général extérieur des animaux était différent d’une case à l’autre. Pour cela, une note a été attribuée à chaque catégorie de propreté (de la note 7 pour la catégorie « propre » à la note 1 pour « très sale »). En fonction du pourcentage d’animaux dans chacune des sept catégories, une note globale de propreté par lot d’animaux et par date d’observation a été obtenue. Enfin, les contenus en minéraux et la valeur fertilisante des composts ont fait l’objet de tests de Mann-Whitney, alors que le suivi de leur température a fait l’objet d’une ANOVA à mesures répétées. Les analyses ont été faites avec les logiciels Statistica (version 7.1) et R (version 3.6.1) au seuil de significativité de 5 %.
3. Résultats
3.1. Capacité d’absorption en eau des litières
28En année 1, les résultats des essais 1 et 2 (avec de la paille d’orge et de blé) ont été poolés. La saturation en eau des litières est apparue à partir de la 44e h d’immersion (Figure 2a ; les écarts-types, trop faibles pour être visibles sur la figure, n’ont pas été représentés - variation de 0,4 à 18,9 g), moment où un plateau de saturation apparait. Au niveau de ce plateau, la paille a absorbé significativement plus d’eau (le gain de poids moyen des litières est de 63,5 %) que le roseau (test de Mann-Whitney : U = 5,12, p ≤ 0,001), mais également plus d’eau (gain de poids de 24,6 %) que le mélange « paille + roseau » (U = 5,12, p ≤ 0,001). Le gain de poids sur le mélange est lui aussi plus élevé (+ 31,2 %) que pour le roseau seul (U = 5,12, p ≤ 0,001). Les analyses de deux constituants de la matière végétale n’ont révélé aucune différence majeure de ces deux types de litière : pour le contenu en fibres (NDF) : 80,5 % pour la paille vs 77,5 % pour le roseau (pour la paille, moyenne des valeurs pour la paille d’orge et la paille de blé) et pour le contenu en cendres (6,5 % pour la paille vs 7,1 % pour le roseau).
Figure 2. évolution du poids moyen des litières dans les casiers en fonction des temps d’immersion croissants en année 1 (a) et année 2 (b) — Evolution of the average weight of beddings in the racks as a function of increasing immersion times in year 1 (a) and year 2 (b).
29En année 2, la saturation des litières a été plus tardive puisqu’elle n’est apparue que vers la 66e h d’immersion (Figure 2b). Le roseau, quel que soit son type (roseau ou faux-roseau) a absorbé autant d’eau qu’en année 1 (atteinte d’un plateau vers 600 g pour les deux années). Par contre, la paille de blé utilisée en année 2 était légèrement moins absorbante que celle de l’année 1 (plateau atteint vers 840 g au lieu de 935 g environ en année 1 ; U = 2,88, p ≤ 0,01). Le gain de poids de la paille était de + 40,9 % par rapport au roseau (U = 2,88, p ≤ 0,01) et + 52,2 % par rapport au faux-roseau (U = 2,88, p ≤ 0,01). Les niveaux d’absorption du roseau et du faux-roseau étaient très proches, mais eux aussi significativement différents (U = 2,88, p ≤ 0,01 ; le roseau étant 8 % plus absorbant que le faux-roseau).
3.2. Test du roseau comme litière de substitution pour les vaches allaitantes
30Résultats de l’année 1 : essais 1 à 3. Les trois essais successifs se sont déroulés dans la stabulation où la température ambiante relevée le matin était en moyenne de 8 à 10 °C et l’hygrométrie de 85 à 90 %. De fortes variations de températures ont cependant été observées au cours des essais (amplitude [mini ; maxi] : 1,7 °C ; 15,4 °C). Le taux d’humidité de l’air a montré de moins grandes variations (amplitude [mini ; maxi] : 78 % ; 94 %).
31La température des litières lors des essais 1 et 2 a varié de 20 à 26 °C (Tableau 3 ; peu de différences d’une case à l’autre, exception faite de la température dans la case 2 qui était légèrement et significativement supérieure à celle de la case 1). Au cours de l’essai 3, un gradient de température se dégage entre les litières, significatif et décroissant, allant d’environ 34 à 25 °C des cases 1 à 4. La case 1 étant la première exposée aux rayons du soleil le matin, il est très probable que cela soit le fait de l’emplacement des cases dans la stabulation. Cette différence de température n’arrivant que lors de l’essai 3, elle serait due :
32– au changement de position du soleil dans le ciel au fur et à mesure que la fin de l’hiver approchait ;
33– au double de quantité de litière distribué lors de l’essai 3.
34Pour les essais 1 et 2, les animaux logés sur la litière de roseau montrent des proportions élevées dans les catégories « peu sale – » et « peu sale », alors que pour la paille, cette répartition est clairement décalée vers les catégories les plus sales (« peu sale », « sale », voire « très sale » ; Figure 3a). Graphiquement, l’avantage est donc aux vaches logées sur le roseau. Le même type de répartition est constaté pour l’essai 3 (graphe non fourni). L’analyse de ces données, une fois traduites en une note globale de propreté des lots d’animaux, confirme que les vaches sur la litière de roseau avaient une note significativement plus élevée d’1,3 point (lors des essais 1 et 2 ; F = 250,3, dl = 1, p ≤ 0,001 ; Figure 3b) et de 0,7 point (lors de l’essai 3 ; F = 18,56, dl = 1, p ≤ 0,05) par rapport à celles logées sur de la paille. L’état de la litière n’a cependant montré aucune différence significative d’une case à l’autre, avec un maximum de 10-15 % (essais 1 et 2 ; U = 209, p = 0,31) et 30-35 % (essai 3 ; U = 38, p = 0,82) de la litière qui est restée propre.
Figure 3. Comparaison de l’état de propreté des vaches dans les cases « paille » vs « roseau » au cours des essais 1 et 2 (moyenne des deux) (a) et évolution des notes moyennes des lots de vaches au cours du temps (b) — Comparison of the cleanliness of cows in straw vs reed boxes during trials 1 and 2 (average of both) (a) and evolution of the average scores of the cow groups over time (b).
35Lors des essais 1 et 2, les vaches logées sur la paille avaient une note moyenne significativement plus élevée de 0,7 point par rapport à celles de la case « paille + roseau » (F = 58,82, dl = 1, p ≤ 0,001). Lors de l’essai 3 au contraire, aucune litière n’a eu d’avantage sur l’autre (F = 0,006, dl = 1, p = 0,94). L’état de la litière n’a montré aucune différence significative d’une case à l’autre (essais 1 et 2 : U = 177 ; p = 0,14 et essai 3 : U = 38,5 ; p = 0,85).
36Résultats de l’année 2 : essai 4. La température moyenne de l’air ambiant sous la stabulation était de 11 °C et l’hygrométrie de 89 %. Les amplitudes [mini ; maxi] de ces deux paramètres étaient : 4,8 °C ; 17,6 °C et 85 % ; 92 %. La case 1, paillée avec du roseau, ainsi que la case 3, avec de la paille, a montré une température moyenne significativement supérieure à celle du faux-roseau (H = 17,73, p ≤ 0,0001 ; Tableau 3). Les températures des litières de l’année 2 (essai 4) étaient supérieures d’environ 13 °C à celles de l’année 1 (F = 212,6, p ≤ 0,001). Ce résultat est à mettre en relation avec la plus grande quantité de litière (le double) distribuée pour maintenir les animaux propres la seconde année.
37De manière générale, les animaux ont été maintenus plus propres qu’en année 1 (comparaison des figures 3 et 4). Le niveau de propreté des animaux était identique entre les cases « roseau » et « paille » (F = 1,21, dl = 1, p = 0,31 ; Figures 4a et 4b). Ce résultat est également valable entre les cases « paille » et « faux-roseau » (F = 1,95, dl = 1, p = 0,21), d’autant que l’état général des litières était lui aussi non significativement différent (paille vs roseau : U = 25,5, p = 0,06 et paille vs faux-roseau : U = 50,5, p = 0,51).
Figure 4. Comparaison de l’état de propreté des vaches dans les cases « paille » vs « roseau » au cours de l’essai 4 (a) et évolution des notes moyennes des lots de vaches au cours du temps (b) — Comparison of the cleanliness of cows in straw vs reed boxes during trial 4 (a) and evolution of average scores of cow groups over time (b).
3.3. Composition en éléments minéraux et valeur fertilisante des composts
38Il n’y a aucune différence significative dans le contenu en matière minérale entre les deux composts (Tableau 4). Seules les valeurs de phosphore et de potassium se sont révélées légèrement et significativement inférieures pour le compost de roseau (15,9 et 75,2 g·kg-1 poids sec, respectivement) comparé au compost de paille (17,1 et 87,0 g·kg-1 poids sec). Les rapports C/N (environ 11) ne sont pas différents.
39Les températures relevées au champ pendant les mois de juin-juillet 2019 au sein des deux types de compost ont varié de 28 °C à 71 °C. La montée en température du compost de roseau a été significativement plus élevée de 5 °C (F = 11,15 ; dl = 1 ; p ≤ 0,01) par rapport à celle du compost de paille.
3.4. Cout de revient du roseau
40Le cout de revient du roseau était de 53 €·t-1 et 92 €·t-1, respectivement pour les années 1 et 2 (Tableau 5). Cette différence est due à :
41– un temps de fauche plus long en année 2 (5 vs 3 h) du fait d’un modèle de faucheuse moins adapté au roseau ;
42– des frais plus élevés de déplacement du matériel (1 h aller-retour en plus × 2 déplacements) ;
43– des frais de transport du roseau plus élevés en année 2.
4. Discussion
44Avec les mêmes conditions de paillage en termes de fréquence et de quantité de paille distribuée, le roseau obtient les mêmes performances vis-à-vis de la propreté des vaches et de la valeur fertilisante du compost que la paille de céréales. Il est également compétitif puisque son cout de revient varie de 53 à 92 €·t-1 selon la distance de la roselière à la ferme et le matériel agricole utilisé. Ceci le rend au mieux moitié moins cher, et au pire à peu près équivalent à l’achat de paille « livrée dans la cour ».
4.1. Les enseignements techniques tirés de cette étude
45Évaluée en laboratoire, la plus grande capacité qu’a montré la paille à absorber l’eau par rapport au roseau (en moyenne + 63,5 % et 40,9 % de gain de poids des échantillons pour les années 1 et 2, respectivement) n’a pas entrainé de performances supérieures de la litière à base de paille sur le niveau de propreté des vaches ou l’état de la litière. La mesure de la capacité d’absorption en eau de ces tiges végétales est un indicateur de leur pouvoir absorbant (Gasser, 2007 ; Lejeune, 2009) mais ne présage pas de la façon dont celles-ci vont « se comporter » en tant que litière. Les différences constatées sont certainement à mettre en lien avec la nature de ce qui est absorbé (de l’eau vs de l’urine et des bouses de vaches) et des conditions de leur utilisation (immersion dans un bac d’eau vs paillage au sol). Nous pensons donc que la meilleure façon de savoir s’il peut être fait usage d’un nouveau matériau en tant que litière doit consister en un test en conditions réelles d’utilisation, à savoir en stabulation.
46Les meilleures performances du roseau obtenues lors des essais 1 et 2 sont à nuancer du fait d’artefacts expérimentaux. En effet, nous avons observé que les vaches logées sur du roseau étaient moins sales que celles de la case « paille ». Ce résultat en faveur du roseau peut s’expliquer en partie par l’utilisation lors de l’essai 1 d’une paille d’orge de mauvaise qualité, assez cassante. Le comportement atypique d’une vache dans la case « paille », qui lapait l’eau de la buvette d’abreuvement, répandant beaucoup d’eau sur une partie de la case, a également contribué au salissement accéléré de la paille.
47Cette expérimentation nous a permis d’ajuster le paillage. Une fois la vache au comportement atypique retirée du lot dans l’essai 3, et après avoir augmenté les quantités de litière distribuées au paillage, les notes de propreté des animaux se sont améliorées (sans pour autant rattraper celles du roseau). Ce résultat suggère que les quantités de litière distribuées lors des deux premiers essais n’étaient pas suffisantes pour maintenir une propreté correcte des 10-12 vaches par case. Dans nos conditions, avec trois paillages par semaine, ces quantités de litière doivent être d’environ 5 kg·m-2 de couchage/paillage.
48Un paillage plus soutenu au cours des essais 3 et 4 est sans doute à l’origine de l’augmentation constatée des températures des litières. Ceci est un phénomène bien connu des éleveurs : la température de la litière augmente avec la quantité de paille apportée au paillage. Alors que la température moyenne des litières lors des essais 1 et 2 était de 20 à 26 °C, avec très peu de différence d’une case à l’autre, celle-ci avoisinait 40 °C lors de l’essai 4. La litière du faux-roseaux était à 32 °C et semble avoir moins fermenté que la paille ou le roseau. La température de l’aire paillée est un paramètre à surveiller eu égard au seuil critique de 40 °C à ne pas dépasser pour éviter la prolifération des germes responsables de mammites, établi en élevage bovin laitier (Ménard et al., 2004). Sachant que la mesure de la température est un indicateur utile pour optimiser les apports de litière (Roussel & Ménard, 2004), il semble ne pas falloir dépasser lors du paillage les 5 kg·m-2 de couchage proposés plus haut. Ramenées à une distribution quotidienne, les quantités de litière lors des essais 3 et 4 sont respectivement de 1,9 et 1,7 kg·m-2 paille par jour (ce sont sensiblement les mêmes quantités pour le roseau), ce qui se situe au-delà des quantités communément apportées en élevage bovin allaitant : 1 à 1,4 kg·m-2 paille par jour (Mille et al., 2013) contre 1 à 1,2 kg·m-2 paille par jour en système laitier (https://www.paysan-breton.fr/2019/11/paillage-ni-trop-ni-trop-peu/) ou 1,1 à 1,6 kg·m-2 paille par jour en situation expérimentale (Ménard et al., 2004). S’écartant donc de la pratique habituelle, la recherche d’un système économe en litière dans notre cas supposerait de réduire les quantités distribuées au paillage pour revenir vers une consommation plus proche de 1,5 kg·m-2 paille par jour, sans que cela ne compromette à notre avis les conclusions ci-dessous de cette étude.
49Nous arrivons à la conclusion que dans les mêmes conditions de paillage (fréquence et quantité de litière distribuée), le roseau donne des résultats très semblables à la paille de céréales. La surveillance de l’état sanitaire des animaux n’a révélé aucune pathologie particulière (boiterie, par exemple) dans aucune des cases. L’examen des composts issus de ces litières a montré que le roseau est monté un peu plus en température que la paille (en moyenne, 5 °C de différence), malgré le fait que, visuellement, il ait eu tendance à moins perdre en volume par rapport à l’andain de compost de paille (A. Tricheur, observation personnelle). Vers la fin de la période de maturation des composts, la température atteignait 55-65 °C, ce qui permet une bonne hygiénisation de l’effluent. De manière générale, la valeur fertilisante des deux types de compost et leur contenu en minéraux étaient proches. Seuls le phosphore et le potassium étaient légèrement moins abondants (respectivement 7 % et 13,6 %) dans le compost de roseau, comparé à celui de la paille. Les rapports C/N sont d’environ 11 pour les deux types de compost, ce qui n’est pas très élevé (l’optimum se situant à 15-30), mais suggère, une fois épandus, un même niveau de dégradabilité au champ.
4.2. Faisabilité du roseau comme litière et résultats économiques
50Dans les conditions de réalisation de cette étude (fréquence de paillage, quantité de litière distribuée au paillage, nombre de vaches par case, etc.), le roseau s’est révélé être une bonne alternative à la paille de céréales. Il peut être utilisé seul ou en mélange avec de la paille, même si les résultats des cases « paille + roseau » semblaient un peu moins convaincants que la paille seule (ce résultat semblant davantage dû à des artéfacts expérimentaux – problème de fuite d’une buvette lors d’un essai – qu’à la nature même des litières). Le faux-roseau peut également être utilisé mais semble plus sensible que la paille au piétinement, surtout s’il s’agit d’un lot de vaches avec des veaux (D. Durant, observation personnelle).
51D’un point de vue pratique et économique, les essais de modèles de faucheuse et de presse ronde utilisées dans cette étude ont permis de préciser et actualiser les aspects techniques liés à cette pratique. L’étude a également montré que le roseau est compétitif puisque son cout de revient de 53 €·t-1 en année 1 est environ moitié moins cher que l’achat de paille, si on considère un cours de 100 €·t-1 de paille livrée (ce prix pouvant cependant être plus élevé en période de pénurie et de forte demande). Le cout plus élevé en année 2 (92 €·t-1) montre que la distance d’une roselière par rapport à son lieu d’utilisation est un facteur important à prendre en compte dans la « rentabilité » de l’opération (par rapport aux couts de déplacement des machines et de transport des balles). Le fait qu’un agriculteur possède le matériel pour récolter lui-même le roseau permet d’éviter les frais liés à l’entreprise. D’autre part, la fauche d’une roselière proche d’une ferme reste intéressante économiquement par rapport à la paille achetée « derrière la moissonneuse », dont nous avons estimé le cout à 60 €·t-1. En revanche, le caractère avantageux de cette pratique atteint probablement ses limites si on devait inclure au moins une partie des couts d’implantation d’une roselière (voire des frais liés à son entretien) dans le cout de revient du roseau. On peut cependant imaginer que ces couts ne soient pas pris en charge par l’agriculteur mais par des fonds publics qui encourageraient et soutiendraient financièrement l'aménagement de ces milieux favorables à la biodiversité. Il est ainsi difficile de conclure en raison du manque de références sur le sujet dans la bibliographie. Des investigations supplémentaires sont donc nécessaires afin de mieux cerner les conditions et le seuil de « rentabilité » de cette pratique.
4.3. Implications de cette étude
52Le bilan de cette étude vient confirmer l’enthousiasme généralement constaté chez les éleveurs en Brière quant à l’utilisation du roseau en litière (Divay et al., 2018). En Charente-Maritime, la très grande majorité des exploitations de marais n’utilisent pas ce matériau et seuls quelques éleveurs continuent de pratiquer le paillage avec du roseau. Comme un peu partout en France, le courant de modernisation de l'élevage qui a démarré vers le milieu du 19e siècle a contribué à faire disparaitre des savoir-faire acquis pendant des décennies d’utilisation raisonnée des ressources naturelles locales. Les éleveurs ont ainsi été petit à petit convaincus que des milieux tels que les roselières étaient improductifs et donc inutiles à maintenir dans le paysage, ce qui a contribué à les faire régresser. Un récent inventaire estime que la superficie totale actuelle des roselières en Charente-Maritime est de 1 800 ha, dont la moitié est à enjeux forts pour l’avifaune qui les fréquente (Jomat & Barret, 2020). Or, la présente étude a confirmé deux choses. La première est le caractère très productif d’une roselière. Nous avons relevé des biomasses de 15,7 et 14,6 t·ha-1 pour les deux roselières, ce qui est en accord avec les niveaux de production moyens rapportés dans la littérature : 12,5 t·ha-1 (variation de 5 à 25 t·ha-1 ; LPO Alsace, 2013) et 13 t·ha-1 (5 à 36 t·ha-1 ; E.P.A., 1985). La seconde constatation porte sur l’intérêt que peut avoir le roseau pour contribuer au bon fonctionnement des exploitations en zones humides. Montrer son utilité pour les élevages pourrait être un moyen de réhabiliter (entendez ici étendre ou re-créer) ces surfaces de roselières et ce, avec un double objectif :
53– un objectif environnemental, puisque les roselières rendent de nombreux services environnementaux (sites de nidification et ressources alimentaires pour des oiseaux paludicoles, participation à l’épuration de l’eau des marais, habitat typique des paysages des zones humides ; Ostendorp, 1993 ; Kӧbbing et al., 2013) ;
54– un objectif agricole, en valorisant économiquement ces habitats typiques des marais qui peuvent être sources de litière pour les animaux.
55C’est précisément ce à quoi s’attache le concept de restauration du capital naturel (Aronson et al., 2007). Il considère qu’il y a un lien étroit entre, d’une part, la restauration des milieux dégradés, de leurs fonctionnalités et la conservation de la biodiversité qui va souvent de pair et, d’autre part, des préoccupations économiques et sociales locales (Blignaut et al., 2014). L’idée sous-jacente est que la restauration écologique bénéficie dans bien des cas à l’économie locale (Aronson et al., 2006). Ainsi, la restauration du « capital roseau » qui existait davantage autrefois sur les fermes de marais pourrait bénéficier aux éleveurs qui réaliseraient des économies sur les achats de paille et/ou percevraient des paiements pour services environnementaux (Vaissière et al., 2020). Ainsi, pailler avec du roseau pourrait-il de nouveau faire partie des pratiques des éleveurs d’aujourd’hui ? Il est peu probable qu’une ferme possède assez de roselières pour couvrir la totalité de ses besoins en litière. Pour notre cas par exemple, les besoins annuels en litière de 100 t nécessiteraient environ 12 ha de roselière (en supposant une production de 15 t·ha-1 de la roselière et une fauche tous les deux ans). Les surfaces de roselière actuellement exploitables dans le voisinage de la ferme ne sont donc pas suffisantes au regard de notre cheptel et de celui des fermes aux alentours. Mais une surface même modeste d’1 à 2 ha permettrait d’apporter un complément de litière et diminuer la dépendance des fermes d’élevage aux achats de paille. Il est aussi possible que certaines années difficiles, ces surfaces puissent constituer des « zones de flexibilité » en palliant la pénurie de paille et la hausse des prix liée au dérèglement climatique. Des échanges directs et de proximité entre éleveurs ayant des surfaces plus ou moins grandes de roselières au sein d’un territoire de marais pourraient ainsi se mettre en place. Il reste enfin un dernier aspect à ne pas négliger : accompagner les agriculteurs dans leurs modalités d’utilisation de ces habitats, puisqu’une mauvaise gestion pourrait compromette le rôle des roselières dans la fourniture des services écosystémiques. En effet, sous certaines conditions, la fauche avec exportation permet de préserver l’équilibre des roselières (Le Bihan & Birard, 2004) en évitant les phénomènes d’atterrissement qui peuvent avoir lieu pour des roselières jamais entretenues, ce qui nécessite quelque fois un étrépage (à savoir l’élimination de la couche superficielle du sol). C’est pourquoi nous pensons que l’exportation de la matière végétale contribue à la bonne vitalité d’une roselière, en veillant cependant à ce que cette fauche ne soit pas trop fréquente (Hawke & José, 1996). Tout l’enjeu est donc d’adopter une gestion adaptée au cycle biologique du roseau ainsi que celui des autres espèces animales qui lui sont liées (E.P.A., 1985 ; Schricke, 1986).
5. Conclusions
56Cette étude montre que le roseau peut être utilisé en litière en élevage bovin allaitant. Cette espèce végétale pourrait retrouver une place dans les exploitations de marais, en particulier celles conduites en AB qui cherchent à mieux valoriser les ressources naturelles du milieu, tout en les préservant. La tendance amorcée depuis quelques années par ce type d’agriculture, occupant des surfaces agricoles croissantes, interroge sur les nouvelles ressources à mobiliser pour que cette agriculture produise suffisamment et durablement. Le roseau pourrait ainsi être une de ces ressources, ce qui pose alors la question des modalités de restauration de ce capital naturel et les conditions de gestion des roselières, dans le respect des cycles de la nature.
Remerciements
57Les auteurs remercient Pierre Roux et Michel Prieur, animaliers sur la ferme expérimentale, en tant que fervents contributeurs à cette étude.
58Ils sont reconnaissants à la Fédération Départementale des Chasseurs de Charente-Maritime ainsi qu’au Département de la Charente-Maritime pour la mise à disposition des roselières. Leurs remerciements vont également à Matthieu Marquet du Parc Naturel Régional de Brière pour les avoir mis en contact avec des éleveurs utilisant le roseau comme litière, Christophe Le Bellec et Amandine Caillon (INRAE) pour leurs « coups de main » à l’expérimentation, ainsi qu’Éric Kernéïs pour la relecture de l’article.
59Merci à Corentin Doublet, mais également Philippe Barre et Isabelle Litrico pour leurs conseils sur les analyses statistiques.
60Cette étude a bénéficié d’une aide financière de la Région Nouvelle-Aquitaine (contrats LM-332019-20172780520 et TER20-02-2018-3455720).
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