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L'agriculture périurbaine à Sétif (Algérie) : quel avenir face à la croissance urbaine ?
Notes de la rédaction
Reçu le 22 janvier 2004, accepté en 2007
Résumé
L'agriculture périurbaine à Sétif, principalement tournée vers les productions spécialisées (céréales, élevage), garde une place importante. Son importance économique et sociale se mesure à l'ampleur de ses surfaces, aux effectifs de la main-d'œuvre et à la valeur des productions. Elle occupe 75 % du territoire de la commune, ses systèmes de production s'organisent habituellement autour des contraintes climatiques. Mais la croissance urbaine récente, rapide et diffuse, bouleverse ses structures traditionnelles ; elle subit de nombreux inconvénients de son voisinage urbain et éprouve de multiples difficultés de fonctionnement (vandalisme des cultures, conflits de voisinage souvent liés à des problèmes environnementaux tels que la dégradation de matériels, la destruction des réseaux d'irrigation, le pâturage illicite, le piétinement de parcelles, la circulation de véhicules, etc.). La conversion des terres agricoles, généralement de grande qualité, en terres non agricoles, est principalement le résultat du développement urbain aux dépens de l'agriculture. Les besoins en foncier pour répondre à la demande socio-économique urbaine ont rendu bien difficile l'exercice de l'activité agricole et ont conduit à un recul de l'agriculture dans les zones périurbaines. Le paysage rural n'est pas reconnu par la ville comme infrastructure essentielle. La planification urbaine, décidée par les seuls élus, reste peu efficace en matière de protection du foncier agricole. Paradoxalement, les dispositifs juridiques de protection existent, mais ils ne sont pas mis en œuvre. Cette étude a permis de dégager quatre éléments principaux : les difficultés rencontrées par l'agriculture périurbaine, la situation complexe de son foncier agricole, la forte pression urbaine et ses conséquences, et la nécessité de définir la place de l'agriculture périurbaine dans le projet du développement durable de la ville.
Abstract
Suburban agriculture in Setif (Algeria): which future in face of urban growth? The suburban agriculture in Setif which is mainly based on the specialized agricultural activities (cereals, animal production) has an important role. Its economic and social values are regarded in terms of the hugeness of its areas, the number of its manpower and the quality of its production. It covers 75% of the municipality surface and production systems are generally organized according to the climatic conditions. However, the new, rapid and diffused urban growth greatly affects these traditional structures. It is subjected to different inconvenient factors from the nearby urban area and has difficulties in functioning due to vandalism of the cultures, neighboring conflicts often due to environmental problems such as degradation of the material, defection of irrigation network, illegal grazing, soil stamping, car traffic, etc. The conversion of agricultural lands, generally of high quality, into non-agricultural lands results mainly from the urban development at the expense of agriculture. The socio-economic needs in land have rendered the agricultural activities difficult and decreased the agriculture in suburban areas. Landscape is not considered as an essential structure by the city. Urban planning, decided only by the elected members, is somewhat inefficient in terms of agricultural land protection. Paradoxically, the laws of protection exist but are not applied. Four major considerations have been pointed out by this study: the constraints generated by the suburban agriculture in Setif, the situation of the agricultural land, the high urban pressure and its consequences, and the need to define the place of the suburban agriculture in the sustainable development of the city.
Table des matières
1. Introduction
1Dans presque toutes les villes du monde, l'agriculture périurbaine subit la pression de la croissance urbaine en termes non seulement de consommation d'espace, mais aussi de perte de sa propre cohérence agricole. Elle connaît de ce fait un changement de nature qui la contraint à se replier, voire à disparaître à plus ou moins longue échéance si son espace continue à diminuer.
2C'est également le cas en Algérie : l'agriculture périurbaine, ainsi que, à moindre degré, les espaces naturels non agricoles, se trouvent confrontés à des pressions foncières importantes. Ces pressions, parfaitement traduites dans la régression de la superficie agricole utile, sont aussi lourdes de conséquences à l'échelle de l'exploitation agricole, surtout si elle relève du domaine de l'Etat. Celle-ci se voit fragilisée non seulement pour des raisons économiques mais aussi culturelles ; l'espace cultivé n'est considéré que comme terrain perdu, dont la valorisation paraît faible par rapport à d'autres usages, et de ce fait peu prioritaire.
3Le développement des villes est nécessaire pour répondre aux besoins de la population (standards de vie et de travail plus élevés, meilleures possibilités d'éducation et de culture, etc.) ; il s'est évidemment opéré aux dépens du foncier du secteur agricole. A l'évidence, ce dernier connaît une situation complexe de son foncier qui se traduit sur le terrain par une diversité de statuts juridiques tant il est vrai que les terres agricoles ont subi de multiples péripéties (par le fait des diverses restructurations), qui ont marqué aussi bien son histoire lointaine que son histoire contemporaine.
4Cette étude se penche sur la situation de l'agriculture périurbaine à Sétif et s'intéresse aux conséquences de la proximité de la ville sur son foncier agricole(1). Les ressources territoriales que recèle la ville sont d'ordre humain et physique et comprennent le foncier, les services, les infrastructures, etc. ; les espaces ouverts et agricoles y tiennent une place importante. Avec l'avènement de l'économie de marché en Algérie, il y a une nouvelle dynamique de développement local. Cependant, l'agriculture périurbaine est en transformation. Cette transformation touche non seulement les systèmes de culture et les types d'exploitants qu'elle implique, mais également l'utilisation de son foncier. Dans ce contexte, le développement de la ville de Sétif, notamment sous sa forme extensive actuelle, se traduit en particulier par un accroissement de la consommation de l'espace et le foncier agricole est de ce fait très convoité.
2. Quelques données sur l'agriculture
2.1. L'utilisation du territoire
5Selon la Direction des Services Agricoles de la Wilaya de Sétif (DSA, 2006), l'agriculture occupe toujours près de 72 % de la surface totale de Sétif, qui reste donc bien une grande commune agricole. En comparant les proportions d'utilisation du sol, on observe que la proportion des terres réservées au pacage et parcours et les terres improductives ne représentent que 7,3 %, ce qui traduit une grande utilisation agricole ; la superficie agricole utile (terres réellement exploitées) occupe 8428 ha, soit 92,6 % des terres agricoles (Tableau 1).
6Les particularités de l'utilisation des terres agricoles sont les suivantes :
7– Les cultures fruitières sont presque absentes (0,2 %) dans la commune, elle n'est pas considérée comme région d'arboriculture ;
8– Les prairies naturelles occupent une part de l'espace plus importante (1,9 %), particulièrement le long des cours d'eau (oued Boussallem, etc.) ;
9– La jachère (travaillée) est en légère augmentation, elle occupe 37 % des terres agricoles.
10L'analyse de la production agricole montre dans l'ensemble la faible différenciation de l'agriculture périurbaine de celle des zones rurales tant en termes de systèmes de productions qu'en commercialisation(2) ; c'est l'héritage des politiques dirigistes de l'Etat, quand l'approvisionnement alimentaire était organisé au niveau national. La sole des cultures herbacées se compose essentiellement de céréales d'hiver, de cultures maraîchères et de fourrages artificiels. Cette agriculture a beaucoup évolué : de 1985 à 2002, la sole céréalière est passée de 75,6 à 91,5 %, celle des cultures maraîchères de 1,6 à 2,3 %. Par contre, une chute importante est enregistrée dans la sole fourragère, qui passe de 22 à 6,9 % et les légumes secs ont disparu totalement du paysage agricole périurbain de la ville à partir de 1987. Le développement du maraîchage est étroitement lié, dans ce contexte climatique, aux disponibilités en eau ; l'aménagement récent de la station d'épuration est ainsi un facteur favorable à cette évolution.
11Par ailleurs, le développement de la production horticole d'ornement est net et correspond clairement à l'émergence de ce marché ; des unités de production spécialisées nouvelles ainsi que des points de vente approvisionnés surtout par la production régionale se sont développés en ville même. Certains espaces vacants, cédés par la commune à des particuliers, ont été réaménagés en pépinières horticoles et florales (pépinière « Aménagement et Réalisation des Espaces verts », unité commerciale de l'Entreprise de Mise en Valeur et d'Aménagement rural). Une enquête réalisée en 2000 (Saoudi et al., 2000) montre une offre en produits horticoles insuffisante par rapport à la demande des ménages, surtout en plantes d'intérieur. Les pouvoirs publics ont, en effet, sous-estimé ce marché potentiel local.
12De façon générale, cette agriculture se distingue nettement de celle de la Wilaya(3) : celle-ci occupe une proportion supérieure en terres labourables, présente peu de cultures fourragères et a abandonné la production de légumineuses à graines annuelles. Il se dégage donc une différenciation d'une agriculture périurbaine spécifique sous l'influence de la ville.
2.2. Les exploitations agricoles
13Les entreprises du secteur agricole sont extrêmement diverses, tant en termes de surface que de statut et de fonctionnement. La structure foncière est constituée principalement par le secteur privé, mais avec deux régimes de propriété foncière, qui se traduisent par des types d'exploitation différents. Le tableau 2 illustre la consistance actuelle du foncier agricole.
14– Les terres privées de l'Etat (76,6 % de la surface agricole), provenant des domaines socialistes agricoles (terres de l'Etat)(4), ont été concédées sine die à des exploitations agricoles qui représentent 42,5 % des exploitations communales. Elles sont individuelles (EAI) ou collectives (EAC) ; dans leur fonctionnement de fait, ces dernières tendent à se fractionner en EAI.
15– Les exploitations issues du secteur privé sont les plus nombreuses ; elles sont de petite taille et de type familial. Elles représentent 57,5 % du total des exploitations de la commune et gèrent 23,4 % de la superficie agricole totale.
16Les données plus récentes (DSA, 2002) suggèrent que le nombre de petites exploitations privées a fortement augmenté alors que la superficie agricole utile et le nombre des exploitations du secteur public restent stables. Elles sont passées de 314 à 378 unités entre 1999 et 2002. En réalité, le nombre d'exploitations agricoles collectives a largement augmenté par le fait surtout des partages illicites mais réels (CNES, 1996), et du fait de l'absence de contrôle des pouvoirs publics. La superficie exploitée par agriculteur est en moyenne de 7 ha chez les privés, presque le double (13,5 ha) dans les EAI et d'environ 31 ha dans les EAC.
17Il y a lieu de signaler que les changements de propriété rentrent dans le cadre de la politique agricole globale décidée à partir de la fin de l'année 1987 ; la réorganisation du secteur agricole, qui en a découlé, est en effet un moment décisif dans l'évolution des systèmes de culture en Algérie et par surcroît dans la région du Sétif, en ce sens que désormais la grande exploitation publique est remplacée par la petite exploitation. Cette date de 1987 fut, ensuite, celle de la libéralisation totale tant en matière de mode de gestion, puisque l'Etat n'intervient plus dans la gestion directe des exploitations elles-mêmes, qu'en matière de prix, qui sont fixés par le marché, sauf pour les céréales.
2.3. Les contraintes d'exploitation liées à la proximité urbaine
18L'agriculture périurbaine semble donc connaître un nouveau développement à Sétif. Néanmoins et malgré la capacité d'initiative qu'elle manifeste depuis la libéralisation, elle est actuellement fragilisée par de nombreuses difficultés d'ordre social, administratif et technique qui entravent son développement et sa promotion. Le manque de protection de l'agriculture périurbaine et l'ambiguïté du droit relatif au foncier conduisent les autorités à marginaliser de fait les activités agricoles.
19Les contraintes sociales. L'espace cultivé souffre des difficultés liées au comportement de citadins, responsables de nuisances. On peut citer principalement :
20– le vol dans les cultures : le pois chiche en souffre beaucoup avant sa récolte, ce qui se traduit par une perte de production et la nécessité de la présence prolongée de l'agriculteur sur les parcelles pour la surveillance. Ainsi, certains agriculteurs sont réticents à cultiver les légumineuses alimentaires sur des parcelles proches des cités d'habitation à cause des vols et préfèrent cultiver les céréales en remplacement (Boudjenouia et al., 2003) ;
21– les conflits de voisinage propres à toute société urbaine et le vandalisme (dégradation de matériels, circulation de véhicules, piétinement de parcelles, etc.) ;
22– les difficultés de conduite des petits troupeaux itinérants de quelques têtes qui appartiennent à des citadins sans terre, surtout sur les pâturages proches des habitations ; ces troupeaux utilisent les menus espaces vacants, ils constituent une forme caractéristique d'agriculture urbaine spontanée.
23La pression foncière. L'obstacle principal est bien entendu le détournement des terres agricoles de leur vocation initiale ; le changement de classification foncière d'agricole en urbaine est très peu maîtrisé, ce qui permet l'utilisation de nombreuses parcelles de terre agricole à d'autres usages non agricoles et l'implantation sans contrôle de projets économiques (unités de fabrication de matériaux de construction, commerce, etc.).
24Les terres les plus concernées par l'urbanisation sont surtout celles du domaine privé de l'Etat, exploitées par les EAC et EAI. De plus, avec la libéralisation, il n'y a plus de procédure autoritaire d'expropriation sur les terres privées depuis la fin des années 1990 ; celles-ci sont plutôt soumises à une forte spéculation foncière qui propose des prix alléchants pour les propriétaires des terres agricoles situées dans la zone de constructibilité probable, notamment à proximité des axes routiers et des espaces déjà bâtis. Il en résulte un émiettement des terres cultivées, générateur de l'abandon fréquent des terres. Ces zones d'abandon s'ajoutent au mode d'urbanisation diffus pour créer des discontinuités dans l'espace cultivé, ce qui rend plus difficile son exploitation (nuisances de voisinage) et altère le paysage rural.
3. Le foncier agricole : un outil de production sous de multiples influences
25Le patrimoine foncier agricole algérien a connu, à travers son histoire, la succession de différentes législations : droit coutumier, droit musulman, régime colonial et les nombreuses législations d'après l'Indépendance. Le passage d'un régime à un autre n'a pas toujours été une réussite, il s'en est suivi une situation bien complexe, avec parfois la superposition de différents statuts juridiques et le développement de pratiques informelles aggravant la confusion en matière de foncier agricole (Terranti, 2003). Plusieurs études (CNES, 1996 ; Djenane, 1997 ; Cote, 1998 ; Sahli, 2001 ; Bédrani et al., 2003 ; Terranti, 2003) expliquent les faibles performances de l'agriculture algérienne en grande partie par cette « anarchie foncière » qui constitue même un obstacle à sa relance.
3.1. Les différentes politiques initiées en matière de foncier agricole
26Depuis l'Indépendance, les terres agricoles ont subi de multiples décisions politiques qui ont rendu la situation encore plus complexe ; les mécanismes de protection contre leurs transferts à d'autres usages restent inefficaces, voire peu respectés par les pouvoirs publics eux-mêmes. Diverses restructurations marquent les différentes politiques initiées en matière de foncier agricole en Algérie :
27– A l'Indépendance, et pour interdire toute transaction sur les terres abandonnées par les colons, l'Etat les a déclarées « bien de l'Etat » (décrets n° 62-02, 62-03 des 22–23 octobre 1962), leur exploitation fut confiée à des collectifs de travailleurs agricoles, organisés en « comités de gestion » : c'est l'autogestion. Les terres du secteur privé n'ont pas été touchées par cette première réorganisation.
28– La révolution agraire (1971) a, entre autres dispositions, introduit la limitation de la grande propriété privée en nationalisant la terre pour la distribuer par la suite à des paysans sans terre, qui bénéficient du droit de jouissance perpétuelle pour une exploitation sous forme coopérative. Néanmoins et malgré la mobilisation de moyens humains et financiers considérables, l'application a rencontré des difficultés à l'égard de la question foncière du fait du morcellement excessif des terres.
29– Le processus de restructuration des domaines agricoles publics est engagé en 1981, ce qui a donné naissance aux « Domaines Agricoles Socialistes » ou DAS. Par ailleurs, la loi 83-18 du 13 août 1983, relative à l'accession à la propriété foncière agricole par la mise en valeur des terres dans le Sud, annonce un processus de libéralisation et ouvre ainsi la voie au remodelage du secteur agricole privé. La loi 84-16 du 30 juin 1984 visait l'uniformisation de la propriété au sein du secteur public autour des DAS et la consécration du droit de jouissance perpétuelle sur les terres attribuées avec toutefois un fonctionnement très lié à l'administration.
30– Une autre réorganisation du secteur agricole public est engagée en 1987 dans un contexte de libération par la loi 87-19, qui réaffirme la propriété irréversible de l'État sur le foncier agricole public mais octroie aux bénéficiaires un droit de jouissance perpétuelle sur l'ensemble des terres attribuées et un droit de propriété sur tous les biens de l'exploitation en dehors de la terre. Les domaines sont réorganisés en « EAC » et « EAI ».
31– Enfin, le processus de privatisation est institutionnalisé par la loi 90-25 du 18 novembre 1990 portant orientation foncière. Cette loi consacre le principe de la restitution des terres nationalisées à leurs propriétaires initiaux, rendu possible par la constitution de 1989 qui parle non plus de propriété d'Etat mais de propriété publique. L'ordonnance n° 95-286 du 25 septembre 1995 précise les conditions de restitution pour mettre fin aux contentieux créés par la précédente loi.
3.2. La situation actuelle
32Le foncier agricole est toujours sous le régime de la loi 87-19(5), mais à la faveur de la perspective de privatisation des terres du domaine public émerge une autre dimension du foncier agricole appelé à concilier les réalités portant, d'une part, sur le désir de possession qui renvoie à un principe économique basé sur la volonté de détention d'un bien négociable et d'autre part, sur une aspiration des agriculteurs bénéficiaires pour la consécration de leur droit dans la pérennité de la propriété familiale.
33Ainsi, de nombreux textes ont été élaborés sans qu'ils soient adoptés ; ils visaient à transformer le droit de jouissance des terres en un droit de propriété intégral. La conséquence est que cela a conduit à un partage informel mais réel des terres entre bénéficiaires et au non-respect des obligations mises à leur charge par la loi 87-19 (CNES, 1996), du fait de l'absence de contrôle des pouvoirs publics.
34L'évolution du foncier agricole ainsi constatée depuis plus d'une décennie laisse apparaître une situation de blocage avec une multitude de conflits (détournement de vocation agricole, développement de cultures spéculatives, extension de pratiques illégales ou douteuse telles que la vente des terres, divisions foncières). En outre, les facilités de transfert du foncier agricole vers les besoins urbains compliquent encore plus sa situation. La planification urbaine, décidée par les seuls élus, reste peu efficace en matière de protection de ce patrimoine ; paradoxalement, les dispositifs juridiques de protection existent mais ne sont pas respectés.
4. L'extension urbaine : un processus à maîtriser
35Sétif connaît un rythme d'urbanisation soutenu et régulier depuis plusieurs décennies : plus de 5000 habitants par an (URBASE, 1997). Cette croissance est due à la mise en place des structures industrielles et économiques, génératrices d'emplois, qui ont donc engendré un exode rural vers le centre-ville et les cités satellites (Chouf El Keddad, Cheikh El Aïfa, Aïn Trick, etc.).
4.1. Caractérisation spatiale de l'extension urbaine
36La forme actuelle de la ville est caractérisée par quatre couronnes concentriques. La première couronne, construite avant 1962, représente maintenant le centre-ville et ses abords immédiats, avec une trame régulière ; la seconde (1962–1970) se compose de quartiers à la trame très irrégulière ; dans la troisième (1970–1986) dominent les grands ensembles d'habitation (zones d'habitation urbaines nouvelles, lotissements, zone industrielle). Enfin, dans la quatrième couronne (1986–1992), on constate la généralisation des lotissements, des coopératives immobilières, la promotion immobilière privée et la dominance du logement individuel, du fait de la politique de libéralisation (DUC, 1995).
37Les nouvelles extensions urbaines sont de deux types :
38– soit contiguës au tissu urbain actuel ; il s'agit alors plutôt du bâti résidentiel, collectif ou individuel. La zone proche du tissu déjà bâti est ainsi considérée de constructibilité probable ; les parcelles sont plus faciles à vendre, avec une valeur foncière élevée ;
39– soit diffuses dans l'espace agricole, mais à proximité des axes routiers. Ce sont alors plutôt des activités commerciales et artisanales diverses (ateliers, stations de lavage de voitures, petites unités de fabrication de matériaux de construction, etc.), initiées par des investisseurs ou les agriculteurs eux-mêmes.
4.2. L'espace agricole considéré comme la réserve foncière de la politique urbaine
40La consommation des terres. Le changement de classification foncière d'agricole en urbain se fait sur décision administrative. Cette mutation d'usage se fait indépendamment de la valeur agronomique des terres. Le lotissement El Hachemi, construit entre 1987 et 1992, a consommé à lui seul 187 ha de terres agricoles, de potentialité moyenne à bonne (DUC, 1995).
41Cette pression foncière entraîne des amputations partielles d'exploitations, allant jusqu'à leur disparition. Elle concerne particulièrement le domaine de l'Etat. Quelques mesures ont été mises en place pour corriger cette disparition :
42– la réaffectation d'agriculteurs dans des fermes pilotes appartenant à l'Etat ;
43– la relocalisation sur des parcelles situées hors des zones menacées par des projets urbains ; cette procédure administrative est maintenant exclue.
44Lorsque la propriété est privée, la compensation financière est difficilement acceptée par les agriculteurs, le prix fixé par l'Etat étant jugé très insuffisant ; il en résulte des conflits juridiques et des retards dans la réalisation des projets. En attendant leur résolution, les terres sont généralement abandonnées.
45De manière générale, l'expansion urbaine devrait continuer. Aussi le besoin en foncier de la ville, durant les 25 prochaines années, est estimé par les services de l'urbanisme à 1600 ha dont 60 % au moins devraient provenir de l'espace agricole (URBASE, 1997). Le rythme annuel moyen prévu, de 64 ha par an, est cependant plus faible que la moyenne actuelle ; le prélèvement portera globalement sur 1000 ha, soit une réduction de près de 12 % de l'espace agricole.
46Ainsi, en plus des 300 ha de la cité satellite de Gaoua (l'agglomération secondaire) prévus par le plan de développement et d'aménagement urbain (PDAU) de 1997 et des 110 ha du nouveau pôle de l'Université Ferhat ABBAS(6) , les projections nouvelles prévoient une extension urbaine de 1300 ha au niveau de l'agglomération chef et de 327 ha dans les cités satellites (Tableau 3).
47L'analyse comparée du plan directeur d'aménagement et d'urbanisme (PDAU) de la commune de Sétif de 1997 avec la version révisée en 2002 révèle des situations contradictoires. Si le premier plan a montré une certaine volonté de préservation du foncier agricole(7), le second ne confirme pas cette politique de préservation. De plus, les services agricoles émettent de fortes réserves sur ce second plan au regard de la superficie agricole qui y sera transférée à d'autres usages. La carte (Figure 1) établie à cet égard, montre bien les transferts fonciers prévisionnels. Les aménagistes considèrent toujours les terres agricoles comme réserve foncière. Le paysage rural n'est pas reconnu par la ville comme infrastructure essentielle. La planification urbaine, décidée par les seuls élus, reste donc peu efficace en matière de protection du foncier agricole. Paradoxalement, les dispositifs juridiques de protection existent mais ne sont pas mis en œuvre.
48L'agriculture périurbaine de Sétif risque donc de poursuivre sa régression spatiale. A ce titre, il ressort la nécessité de mieux réfléchir au processus ordinaire de l'urbanisation ; les potentialités agronomiques des terres devraient être mieux respectées. Il faut savoir que la moitié des terres sont actuellement classées comme se caractérisant par une potentialité bonne à élevée (Tableau 4) (URBASE, 1997). Cependant, il est important d'accompagner cette volonté de préservation par des mécanismes juridiques efficaces pour bloquer toutes décisions arbitraires.
5. Conclusion
49Il existe en Algérie une question fondamentale relative à la terre en tant que propriété, mais aussi en tant qu'enjeu pour l'aménagement du territoire ; c'est le morcellement des terres (notamment des terres agricoles).
50La question du foncier agricole apparaît d'un intérêt capital dès lors qu'elle a toujours été considérée comme une actualité permanente en raison de sa complexité. Le droit foncier agricole est profondément inadapté malgré les différentes restructurations effectuées depuis l'Indépendance. Bien que la stagnation de l'agriculture résulte de la priorité donnée à l'industrialisation, elle est aussi le fait de la quasi-anarchie foncière (Sahli, 2001 ; Terranti, 2003). Cette dernière résulte notamment de l'absence de solution des problèmes d'indivision, qui divise la terre à chaque génération et l'inorganisation du marché foncier, du fait des entraves à la circulation des droits fonciers.
51Cette analyse sur l'agriculture périurbaine et la question foncière à Sétif révèle deux préoccupations à l'échelle locale et nationale. Les grands espaces de nature sont et resteront indispensables à l'équilibre urbain et au bien-être des citoyens. Ainsi, l'agriculture paraît-elle complètement soumise au processus d'urbanisation. L'inconvénient majeur réside dans les conséquences de ce mitage de l'espace, entraînant un taux de régression agricole plus élevé que celui de l'urbanisation sensu stricto.
52La négligence vis-à-vis de ce patrimoine est-elle acceptable ? Elle se traduit par la régression des surfaces cultivées avec des processus d'abandon visibles ou occultes. Certaines études (Djenane, 1997 ; Cote, 1998 ; Bédrani, Bouaita, 2003) donnent un aperçu de l'importance des prélèvements de surface agricole pour le développement urbain en Algérie, ils ne cessent d'augmenter face à la forte croissance urbaine enregistrée ces dernières années.
53Cette question se pose d'abord à l'échelle du pays : l'Algérie dispose-t-elle de suffisamment de terres cultivables ? Or, elle a cessé d'être un grand pays agricole, et ne parvient pas réellement à son autonomie alimentaire ; selon des économistes algériens, le foncier agricole reste l'un des principaux facteurs de blocage.
54A l'échelle locale, la question doit être examinée en termes de développement durable. Il s'avère, en effet, nécessaire de mettre en place une stratégie claire de développement qui, pour le cas de la ville de Sétif, doit tenir compte de sa vocation, de ses potentialités et de ses caractéristiques agroclimatiques ; elle doit permettre l'attribution plus claire d'un statut urbain aux espaces ouverts naturels et agricoles.
Bibliographie
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Notes
Pour citer cet article
A propos de : Abdelmalek Boudjenouia
Université Ferhat Abbas. Laboratoire Projet Urbain, Ville et Territoire. 19000 Sétif (Algérie). E-mail : aboudjenouia@yahoo.fr
A propos de : André Fleury
Ecole nationale supérieure du Paysage de Versailles. Laboratoire de Recherches. Programme Agriculture urbaine. 10, Rue Maréchal Joffre. F-78000 Versailles (France)
A propos de : Abdelmalek Tacherift
Université Ferhat Abbas. Laboratoire Projet Urbain, Ville et Territoire. 19000 Sétif (Algérie).