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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

1370-6233 1780-4507

 

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Mohamed Annabi, Haithem Bahri & Kawther Latiri

Statut organique et respiration microbienne des sols du nord de la Tunisie

(volume 13 (2009) — numéro 3)
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Reçu le 23 octobre 2008, accepté le 6 janvier 2009

Résumé

La richesse des sols en matières organiques (MO) est l'un des principaux indicateurs de la fertilité des sols. Elle est aussi une caractéristique de plus en plus appréciée dans un contexte global de changement climatique où le stockage du carbone dans les sols est une alternative sérieuse qui permettra de limiter les concentrations de CO2 dans l'atmosphère. Trente-cinq sols du nord de la Tunisie (25 sols cultivés et 10 sols forestiers) ont été échantillonnés. Les MO de ces sols ont été caractérisées en mesurant la teneur en carbone organique total et en azote total ainsi que la biodégradabilité des MO à travers la mesure de la respiration microbienne durant 28 jours d'incubation à 28 °C. Les teneurs en carbone organique et en azote total des sols étudiés varient de 0,8 à 3,2 % et de 0,07 à 0,45 % respectivement. Les sols forestiers ont les teneurs en carbone et en azote les plus élevées. A la fin des incubations, la quantité de C-CO2 émise par les 35 sols varie entre 213 et 853 mg C-CO2.kg-1 de sol sec. Le compartiment organique facilement minéralisable varie entre 1,6 et 7,6 % du carbone organique total des sols, il est plus grand pour les sols cultivés. À l'aide de la loi de Van't Hoff, la quantité de carbone humifié a été estimée, elle varie entre 92 et 99 % du carbone organique total des sols.

Mots-clés : Tunisie, occupation du sol, terres cultivées, forêts, matières organiques du sol, azote total, activité microbienne

Abstract

Organic status and microbial respiration in Northern Tunisian soils. The soil organic matter content is an important characteristic of soils fertility. It is also a characteristic more and more wanted in a global context of climate change, where the storage of the carbon in soil is a serious alternative to limit the CO2 emissions into atmosphere. Thirty-five soils located in North Tunisia (25 cultivated soils and 10 forest soils) were sampled. Soil organic matter was characterized by measuring total organic carbon content and total nitrogen content and the biodegradability of soil organic matter determinated by measuring the microbial respiration during 28 days of incubations at 28°C. The soil organic carbon content and total nitrogen content of the studied soils vary from 0.8 to 3.2% and from 0.07 to 0.45%, respectively. The forest soils have the largest contents in carbon and in nitrogen. At the end of the incubations, the quantity of C-CO2 emitted by the 35 soils varies between 213 and 853 mg C-CO2.kg-1 dry soil. The easy mineralizable pool varies between 1.6 and 7.6% of the total organic carbon of soils. The quantity of resistant carbon was estimated by means of the Van't Hoff law; it varies between 92 and 99% of the total soil organic carbon.

Keywords : Tunisia, land use, arable lands, forests, soil organic matter, total nitrogen, microbial activity

1. Introduction

1La fraction organique du sol a depuis longtemps été identifiée comme étant une composante majeure dans le maintien des fonctions clés du sol. Ainsi, sur le plan chimique, les matières organiques (MO), majoritairement composées de carbone, interviennent dans la capacité d'échange cationique du sol et constituent une source d'éléments nutritifs pour les plantes (Weil et al., 2004). En ce qui concerne les propriétés physiques, les MO peuvent améliorer la capacité de rétention en eau des sols, limiter la compaction, et contribuer à la structuration et à l'amélioration de la stabilité structurale des sols (Stevenson, 1994 ; Annabi et al., 2007). Cependant, l'intensification des systèmes de culture et l'augmentation des rendements ont entrainé une diminution des teneurs en MO des sols cultivés, leur conférant ainsi une moindre fertilité et une sensibilité accrue à la dégradation (Sleutel et al., 2003 ; Van-Camp et al., 2004).

2Plus récemment, des fonctions environnementales de premier plan sont attribuées aux MO des sols car elles peuvent contribuer à la lutte contre l'effet de serre additionnel en stockant du carbone dans les sols. En effet, au niveau planétaire, le sol est considéré comme le plus grand réservoir superficiel de carbone (Arrouays et al., 2002). La variation du stock de carbone organique dans les sols est la résultante du bilan entre les flux entrants, essentiellement les résidus des plantes et les amendements organiques et les flux sortants représentés essentiellement par la minéralisation microbienne du carbone du sol.

3En effet, les micro-organismes du sol sont le moteur principal du déstockage des MO du sol puisqu'en présence de conditions propices (température, humidité, etc.), les MO constituent la source de carbone et d'énergie pour ces organismes hétérotrophes (Chaussod, 1996 ; Insam, 1996). De ce fait, l'évolution des teneurs en carbone dans le sol dépend des mécanismes de protection des MO contre la biodégradation microbienne, à savoir :

4– la protection physique, par le piégeage des MO à l'intérieur des agrégats du sol,

5– la protection physico-chimique, par l'association des MO avec la fraction minérale du sol,

6– la récalcitrance chimique des MO due à la condensation de leur structure chimique (Chenu et al., 2002).

7L'activité des micro-organismes, soit le déstockage des MO, est stimulée par les pratiques culturales comme la fertilisation, l'irrigation ou le travail du sol (Chaussod, 1996). Une diminution du stock du carbone organique du sol, même très limitée en valeur relative, obtenue par une augmentation de la vitesse de minéralisation, peut mettre en jeu des quantités de carbone très importantes par rapport aux flux nets annuels d'échange avec l'atmosphère.

8Au plan global, les teneurs en MO des sols sont en relation étroite avec la pluviométrie et les températures : les sols des forêts tropicales sont les plus riches en MO, alors que les sols désertiques sont les plus pauvres (Lal, 2004). En Tunisie, les teneurs en MO des horizons superficiels des sols diminuent du Nord au Sud, allant de teneurs pouvant atteindre 8 % dans les sols forestiers du nord-ouest tunisien, à des teneurs quasi nulles dans les sols peu évolués du sud de la Tunisie (Hassen et al., 1996 ; Mtimet, 1999).

9Au cours du temps, les réserves organiques des sols tunisiens ont subi de nombreuses transformations sous la contrainte de changements d'usage des sols et de l'intensification de l'utilisation des ressources (Essafi, 1963 ; Mhiri et al., 1998). Ainsi, au cours du 20e siècle, les surfaces relatives en jachères et en parcours ont diminué au profit des surfaces labourables (Mhiri et al., 1998). Le travail du sol, l'utilisation de fertilisants minéraux divers et l'irrigation des terres ont contribué à augmenter les vitesses de minéralisation des MO du sol, mais le bilan (au niveau local ou régional) n'est pas encore établi. L'entretien du capital organique des sols tunisiens est au cœur de la gestion durable des agrosystèmes tunisiens puisque la Tunisie a ratifié le protocole de Kyoto en 1997 en tant que pays non-annexe 1. Elle a estimé ces émissions de gaz à effet de serre de 1997, exprimées en kilo tonne équivalent CO2 (kte CO2), avec une contribution de l'agriculture de l'ordre de 20 %, soit 6 440 kte CO2, les terres cultivées émettent 3 413 kte CO2 (CIEDE, 2001). Dans son plan de compensation de ses émissions de gaz à effet de serre, la Tunisie envisage de stocker plus de 7 000 kte CO2 dans les sols d'ici 2020 (CIEDE, 2001). Ce stockage potentiel est envisagé via des pratiques culturales de conservation comme le semis direct ou l'apport d'amendements organiques.

10Ainsi, l'évaluation du statut organique des sols du nord de la Tunisie, qui contiennent le gisement organique le plus important, a une importance considérable, aussi bien sur la production agricole tunisienne que sur l'estimation de la capacité de ces sols à séquestrer le carbone dans le but de limiter les gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Cet article a pour objectif d'évaluer le statut organique de différents sols en considérant les aspects quantitatifs et dynamiques de leur évolution en conditions de laboratoire. Les sols considérés représentent ceux qui sont occupés par les principales spéculations agricoles au nord de la Tunisie, soit les forêts et les sols de grandes cultures. Leur variabilité permettra d'explorer l'ordre de grandeur des variations de la teneur en MO et de leur dynamique dans différents types de sols en Tunisie.

2. Matériel et méthodes

11Les horizons superficiels (0-30 cm) de 35 sols du nord de la Tunisie (25 sols cultivés et 10 sols forestiers) ont été échantillonnés en octobre 2006. Pour chaque parcelle, l'échantillon est composé de 10 points de prélèvement mélangés ensemble. Les sols proviennent des gouvernorats de Bizerte et Béja (étage bioclimatique subhumide, avec une pluviométrie moyenne de 520 et 550 mm, respectivement), Tunis et Jendouba (étage bioclimatique semi-aride supérieur avec une pluviométrie annuelle moyenne de 450 et 475 mm, respectivement).

12Les sols cultivés sont des sols de grandes cultures. Les échantillons ont été prélevés après une culture de céréales à paille, séchés à l'air et tamisés à 3 mm. Une aliquote de ces échantillons a été utilisée pour la caractérisation physico-chimique et une autre pour la mesure de la respiration microbienne du sol.

2.1. Caractérisation des sols

13Cette caractérisation consiste en la mesure en trois répétitions :

14– du carbone du sol qui est dosé à l'aide d'un analyseur de carbone en phase solide (Shimadzu-SSM-5000A). Le carbone total d'une aliquote de sol est dosé après combustion dans un four à 900 °C, par détection infrarouge du CO2 dégagé. Le carbone minéral (carbonates et bicarbonates) est mesuré par détection infrarouge du CO2 libéré après acidification de l'échantillon. Le carbone organique total (COT) est déduit par la différence entre le carbone total et le carbone minéral ;

15– de l'azote total (Ntotal) qui est dosé sur 5 g de chaque sol selon la méthode de « Kjeldahl » (Bremner, 1965). Cette minéralisation se fait en présence d'un catalyseur (MgSO4, CuSO4, Se). Le produit de la réaction est le sulfate d'ammoniaque (NH4)2SO4. Suite à l'ajout d'une solution de soude (NaOH, 10 N), l'ammoniac (NH3) est libéré et entrainé par un courant de vapeur d'air dans un distillateur. L'ammoniac évaporé est recueilli dans une solution d'acide borique en présence d'un indicateur coloré (vert de bromocrésol et rouge de méthyle), puis titré par une solution d'acide chlorhydrique (HCl 0,05N).

2.2. Incubations en conditions contrôlées

16La respiration microbienne a été suivie dans des conditions optimales de laboratoire. Le protocole a été adapté de la norme française XPU 44-163 (AFNOR, 2005). Cinquante grammes de chaque sol sec ont été incubés à l'obscurité à 28 ± 1 °C dans des flacons en verre de 1 000 ml de volume, hermétiquement fermés. La teneur en eau du sol a été ajustée à 25 % (soit 12,5 g d'eau déminéralisée pour les 50 g de sol). Le CO2 dégagé au cours de l'incubation est piégé dans 15 ml de soude (NaOH, 1N) contenu dans des piluliers en plastique mis avec le sol dans les bocaux. Pour chaque traitement, 3 répétitions sont réalisées, les dates de mesure sont : 0, 3, 7, 14, 21 et 28 jours d'incubation. A chaque date, les piluliers de soude sont sacrifiés pour la mesure de la quantité de CO2 dégagé à l'intérieur des bocaux. Pour évaluer la carbonatation initiale de la soude et celle du CO2 de l'air ambiant, 3 piluliers de soude sont placés dans 3 bocaux vides mis en incubation.

17Le dosage du CO2 émis se fait sur 1 ml de soude prélevé après homogénéisation dans le pilulier. La soude ayant réagi avec le CO2 précipite en présence de 2 ml d'une solution de chlorure de baryum (BaCl2 à 20 %). La soude restante est titrée avec de l'acide sulfurique (H2SO4, 1M) jusqu'au virage de l'indicateur coloré (phénolphtaléïne) du rose au blanc.

18Les quantités du CO2 dégagé au cours de l'incubation sont exprimées soit en mg CO2.kg-1 de sol sec, soit par rapport à la quantité initiale de carbone du sol (en % COT). L'ajustement des cinétiques de minéralisation du carbone (en % COT) est réalisé selon une équation de 1er ordre (équation 1) qui permet d'approcher les tailles des compartiments labiles et résistants des MO du sol (Bernal et al., 1998) :

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19où C0 = la taille du compartiment organique minéralisable (en % COT) ; b = le coefficient de la vitesse de minéralisation du compartiment minéralisable par jour et t = la durée d'incubation en jour.

2.3. Estimation du carbone organique stable

20Les cinétiques de minéralisation du carbone sont utilisées pour estimer le carbone organique résistant à la dégradation et restant ainsi dans le sol.

21Hénin et al. (1945) estiment que le carbone organique restant dans le sol après une année en conditions naturelles correspond à la quantité de carbone humifié qui se minéralise à une vitesse de minéralisation K2. Cependant, nos résultats sont issus d'une étude d'incubations en conditions contrôlées de laboratoire, ce qui a nécessité la transposition de ces résultats en conditions de plein champ en utilisant la loi de température de Van't Hoff (Recous, 1995). Ainsi, pour chaque jour au champ à la température moyenne T est associée une durée correspondant à la température d'incubation d'après l'équation 2 (Recous, 1995) :

Image2

2.4. Analyses statistiques

22L'analyse de la variance (ANOVA, test ppds de Fisher à 5 %) a été effectuée à l'aide du logiciel Statistix 7.0 (Analytical Software, 2000).

23Les résultats sont représentés en box plot, dont le 1er quartile Q1 (25 % des effectifs), correspondant au trait inférieur de la boite, le 2e quartile Q2 (50 % des effectifs), représenté par un trait horizontal à l'intérieur de la boite et le 3e quartile Q3 (75 % des effectifs), correspondant au trait supérieur de la boite. Les 2 segments inférieur et supérieur, représentés par les traits verticaux de part et d'autre de la boite, délimitent les valeurs dites adjacentes qui sont déterminées à partir de l'écart interquartile (Q3-Q1). Enfin, les valeurs dites extrêmes, atypiques, situées au-delà des valeurs adjacentes sont individualisées par des cercles pleins.

3. Résultats

3.1. Caractéristiques des sols étudiés

24Pour le carbone organique total (COT), la médiane des sols forestiers se situe à 2,4 %, alors que pour les sols cultivés elle se situe à 1,4 % (Figure 1). L'écart interquartile est plus dispersé pour les sols forestiers que pour les sols cultivés et la distribution est plus dissymétrique. Vingt-cinq pour cent des sols cultivés étudiés présentent une teneur en COT de 1,0 % à 1,2 %, 50 % de ces sols ont une teneur de 1,2 % à 1,6 % et pour 25 % d'entre eux, la teneur en COT est de 1,7 % à 1,9 %. Seulement deux sols présentent des teneurs atypiques de 0,5 % et de 2,1 %. Vingt-cinq pour cent des sols forestiers étudiés ont des teneurs en COT qui varient de 0,7 % à 1,5 %, 50 % de ces sols présentent une teneur en COT qui varie de 1,6 % à 2,6 %, et seulement 25 % d'entre eux sont très riches en COT avec une teneur de 2,7 % à 3,3 %.

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25Pour l'azote total du sol, la médiane est de 0,14 % et 0,21 %, respectivement pour les sols cultivés et forestiers (Figure 1). Pour les sols cultivés, 25 % d'entre eux ont des teneurs en azote variant entre 0,07 et 0,08 %, 50 % de ces sols ont une teneur en azote entre 0,09 et 0,17 %, alors que seulement 25 % de ces sols ont une teneur en azote de 0,17 % à 0,31 %. Deux sols de ce groupe ont des teneurs atypiques de 0,32 % et 0,40 %. Comme pour le COT, l'écart interquartile est plus étalé pour les sols forestiers que pour les sols cultivés et la distribution est plus dissymétrique. Les distributions des sols cultivés et des sols forestiers sont plus allongées vers les teneurs d'azote élevées. Pour le rapport C/N, les médianes des sols cultivés et des sols forestiers sont du même ordre de grandeur (9 à 10) (Figure 1).

3.2. Respiration microbienne des sols

26Les cinétiques d'évolution du dégagement de C-CO2 sont données dans la figure 2, en termes de mg C-CO2.kg-1 de sol sec et en pourcentage du carbone organique du sol (% COT). Après 28 jours d'incubation, la quantité de C-CO2 dégagé par les micro-organismes dans les deux cas d'occupation du sol est de l'ordre de 490 mg C-CO2.kg-1 de sol sec. Lorsqu'on exprime les résultats en termes de quantité de CO2 dégagé par rapport à la quantité de COT existante au départ dans le sol, on observe qu'après 28 jours les sols cultivés ont minéralisé la plus grande proportion (P < 0,05) de leur carbone organique (en moyenne 3,6 % COT). Les sols forestiers ont minéralisé 2,3 % de leur COT initial.

Image4

27Les cinétiques de minéralisation du carbone (en % COT) sont ajustées selon l'équation 1 et les paramètres de cet ajustement, selon l'usage du sol, sont donnés dans la figure 3. La qualité des ajustements est satisfaisante puisque les coefficients de corrélations (r) entre les valeurs observées et ajustées sont hautement significatifs (0,922 < r < 0,997 ; P < 0,01). La part du carbone initial minéralisable varie entre 1,6 et 7,6 % du COT. Cette part est significativement (P < 0,05) plus importante dans les sols cultivés (en moyenne 3,9 % COT) que dans les sols forestiers (en moyenne 2,5 % du COT). Les coefficients de minéralisation (b) varient entre 0,036 à 0,137 par jour et sont statistiquement plus élevés pour les sols forestiers que pour les sols cultivés.

Image5

3.3. Estimation du carbone organique stable

28La figure 4 présente la correspondance entre les jours au laboratoire et les jours au champ pour le nord de la Tunisie. Cette correspondance est calculée selon l'équation 2. Une année (365 jours) dans les conditions thermiques du nord de la Tunisie correspondrait à 175 jours d'incubation à 28 °C.

Image6

29La quantité de carbone organique restant dans le sol après 175 jours d'incubation serait du carbone humifié (carbone résistant) (Sleutel et al., 2005). Cependant, notre incubation a une durée de 28 jours, ce qui nous a amenés à utiliser le coefficient b de la vitesse de minéralisation (équation 1) afin d'estimer les quantités de carbone organique qui seraient minéralisées après 175 jours. Par conséquent, la différence entre le carbone organique présent au sol au départ des incubations et la quantité minéralisée après 175 jours d'incubation donnerait la quantité de carbone organique des sols résistant à la biodégradation, donc humifiés (Figure 5). Cependant, cette extrapolation sous-estime la correspondance avec les jours au champ car l'humidité des sols in situ peut diminuer fortement pendant la période estivale, lorsque l'évapotranspiration est supérieure à la pluviométrie.

Image7

30Dans la majorité des sols étudiés, la fraction du carbone difficilement minéralisable est de loin supérieure à celle du carbone labile (plus que 96 % du COT). Les sols cultivés sont ceux qui ont la proportion de carbone résistant la plus faible (96,11 % COT). Les sols de forêt contiennent la proportion de carbone stable la plus importante (97,48 % COT).

4. Discussion

31La teneur en COT et en Ntotal des sols du nord de la Tunisie est en relation étroite avec le type d'occupation. Les sols forestiers sont significativement (P < 0,05) plus riches que les sols cultivés. Ces résultats sont en accord avec la bibliographie puisque les sols forestiers sont généralement plus riches en MO que les sols cultivés (Arrouays et al., 1994 ; Mtimet, 1999).

32De plus, les MO des sols forestiers sont plus résistantes à la biodégradation que les MO des sols cultivés en raison de la richesse des essences forestières en composés difficilement minéralisables, comme les lignines et les cutines (Kögel-Knabner, 1986).

33Les sols labourables étudiés ont des niveaux organiques compatibles avec une utilisation agricole (Le Villio et al., 2001). Cependant, une intensification de l'utilisation des terres pourrait avoir pour conséquence un déclin continu du stock organique des sols à l'instar des sols des grands plateaux européens (Van-Camp et al., 2004).

34Le stock des MO dans le sol est variable au cours du temps, vu qu'il est la résultante des flux entrants et des flux sortants, essentiellement par minéralisation. De ce fait, le suivi du CO2 dégagé au cours des incubations permet de quantifier la respiration des populations microbiennes du sol et indirectement la biodégradabilité des MO présentes dans les sols (Houot et al., 1995). Les niveaux de dégagement de CO2 observé dans les sols étudiés sont proches des niveaux observés dans d'autres sols tunisiens (Jedidi et al., 1991 ; 1995).

35L'utilisation de l'ajustement des cinétiques de minéralisation selon l'équation 1 a permis d'estimer la taille des compartiments labile et résistant des MO. En effet, la proportion des MO facilement minéralisables est plus importante dans les sols cultivés que dans les sols forestiers. La proportion de carbone organique résistant dans les sols étudiés se minéraliserait avec un coefficient de minéralisation K2 qui est conventionnellement estimé à 2 % dans les conditions du nord de la Tunisie (Ben Jeddi et al., 1998). Cependant, cette vitesse K2 n'est pas constante. Elle est maximale durant l'automne et le printemps durant lesquels on trouve des conditions convenables à l'activité microbienne, c'est-à-dire une température supérieure à 15 °C et un sol humide. Durant les mois de l'été, l'activité microbienne du sol se trouve ralentie à cause d'une limitation de l'humidité du sol.

36La décomposition des MO arrivant dans les sols dépend de la qualité biochimique de celles-ci, c'est-à-dire la proportion des celluloses et des lignines dans les résidus végétaux (Swift et al., 1979). Plus les résidus organiques sont riches en lignines, plus leur biodégradation est difficile à cause de la récalcitrance de ces polymères végétaux (Bahri et al., 2006). L'intensité de contact entre les fragments organiques et le sol influence aussi la vitesse de biodégradation. Ainsi dans les sols forestiers, les résidus organiques restent majoritairement en surface, leur décomposition suit un gradient, elle est plus intense à l'interface du sol par rapport à l'interface avec l'atmosphère. Alors que pour les sols labourés, le travail du sol maximise le contact entre les résidus organiques et le sol, facilitant ainsi aux micro-organismes l'accès aux substrats et sa décomposition.

5. Conclusion

37Ce travail a permis d'effectuer une évaluation du statut organique des horizons superficiels de 35 sols du nord de la Tunisie sous deux types d'utilisation, forestière et cultivée. Ce type d'évaluation est nécessaire puisque l'estimation du statut organique des sols pourrait s'intégrer dans toute démarche plus large d'estimation de la qualité des sols.

38Les sols forestiers sont plus riches en MO que les sols cultivés. En termes de dynamique des MO et dans un objectif de séquestration du carbone terrestre, les sols forestiers contribuent plus au compartiment du carbone stable du sol que les sols cultivés. En effet, l'augmentation des surfaces forestières observée en Tunisie depuis le milieu des années 1990 (DGF, 2005) aurait sans doute un effet positif sur l'augmentation du stock organique dans les sols tunisiens. Cette augmentation des espaces forestiers correspond aux engagements de la Tunisie dans le protocole de Kyoto à travers les mécanismes pour le développement propre que la Tunisie est en train de mettre en place (MEDD, 2008). Le redressement et l'entretien du statut organique des sols cultivés sont des actions nécessaires pour durabiliser l'agriculture tunisienne. En effet, en Tunisie, les possibilités d'étendre les terres arables sont très limitées et nécessitent des investissements considérables, il est donc primordial d'avoir une attention particulière à la fertilité des surfaces arables déjà exploitées.

39Remerciements

40Nos remerciements vont au Dr Sabine Houot (INRA Versailles-Grignon, France) pour son aide dans la réalisation des mesures du carbone organique total.

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Om dit artikel te citeren:

Mohamed Annabi, Haithem Bahri & Kawther Latiri, «Statut organique et respiration microbienne des sols du nord de la Tunisie», BASE [En ligne], volume 13 (2009), numéro 3, 401-408 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=4314.

Over : Mohamed Annabi

Institut National de la Recherche Agronomique de Tunisie (INRAT). Laboratoire d'Agronomie. Rue Hédi Karray 1. TU-2049 Ariana (Tunisie). E-mail : mannabi@gmail.com

Over : Haithem Bahri

Institut National de la Recherche Agronomique de Tunisie (INRAT). Laboratoire d'Agronomie. Rue Hédi Karray 1. TU-2049 Ariana (Tunisie) – Institut National de Recherche en Génie Rural, Eaux et Forêts (INRGREF). Rue Hédi Karray. B.P. 10. TU-2080 Ariana (Tunisie).

Over : Kawther Latiri

Institut National de la Recherche Agronomique de Tunisie (INRAT). Laboratoire d'Agronomie. Rue Hédi Karray 1. TU-2049 Ariana (Tunisie).