BASE BASE -  Volume 14 (2010)  Numéro spécial 1 

Vers une révision de la norme de production d'azote de la vache laitière : justification et conséquences sur le taux de liaison au sol des exploitations laitières

Richard Lambert

Université catholique de Louvain (UCL). Département de Biologie appliquée et des Productions agricoles. Place Croix du Sud, 2/24. B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique). E-mail : richard.lambert@uclouvain.be

Marc De Toffoli

Université catholique de Louvain (UCL). Département de Biologie appliquée et des Productions agricoles. Place Croix du Sud, 2/24. B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique).

Isabelle Dufrasne

Univ. Liège. Service de Nutrition. Chemin de la ferme, 6/39. B-4000 Liège (Belgique).

Jean-Luc Hornick

Univ. Liège. Service de Nutrition. Chemin de la ferme, 6/39. B-4000 Liège (Belgique).

Didier Stilmant

Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Section Systèmes Agricoles. Rue du Serpont, 100. B-6800 Libramont (Belgique).

Yves Seutin

Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Section Systèmes Agricoles. Rue du Serpont, 100. B-6800 Libramont (Belgique).

Résumé

Actuellement, la norme forfaitaire de production d'azote de la vache laitière en région wallonne est de 90 kg par an. Cette norme est utilisée pour calculer le taux de liaison au sol des exploitations agricoles. Cette valeur est sensiblement plus basse que celle fixée par d'autres états membres et a été critiquée par la Commission européenne lors des négociations ayant abouti au deuxième programme de gestion durable de l'azote. Suite à de nouvelles études, il semble que la perte gazeuse d'azote moyenne dans les bâtiments et lors du stockage est plus faible que la valeur de 15 % qui a été utilisée pour justifier cette norme de 90 kg. Il apparait également qu'il y a de grandes différences de production laitière et de taux d'urée moyen selon les exploitations et entre les régions agricoles et par conséquent que des normes de production régionales correspondent mieux à la réalité. Sur base de ces valeurs moyennes, les productions annuelles d'azote de la vache laitière varient entre 81 kg par an en région herbagère de la Fagne et 99 kg par an en Haute Ardenne et en région herbagère liégeoise. Pour la région wallonne dans son ensemble, la production moyenne calculée est de 94 kg par an. L'adoption de valeurs moyennes de production d'azote de la vache laitière différentes par région entrainerait une augmentation de 8 % du LS interne en Haute Ardenne et de 7 % en région herbagère liégeoise et une diminution de 7 % en région herbagère de la Fagne.

Mots-clés : Wallonie, azote, vache laitière, taux de liaison au sol

Abstract

Towards a revison of the dairy cow's standard for nitrogen production: justification and what are consequences for soil link rate of dairy farms. At present, the dairy cow's standard of nitrogen production in Walloon region is 90 kg per year. This standard is used to calculate the “soil link rate” of farms, a balance between the organic nitrogen to be spread on land and the quantity legally authorized considering grassland and arable land area. This standard is appreciably lower than that fixed by other member states and was criticized by the European Commission during the negotiations having ended in the second program of sustainable nitrogen management. Further to new studies, it seems that the gaseous loss of nitrogen averages in buildings and during the storage is weaker than the 15% value which was used to justify this 90 kg standard. It also seems that there are big differences of average dairy production and average rate of urea according to the agricultural regions and consequently that regional production standards correspond better to the reality. On basis of these mean values, the dairy cow's annual productions of nitrogen vary between 81 kg per year in grassy region of Fagne and 99 kg per year in Haute Ardenne and in grassy region from Liege. For the Walloon region in general, the average production is 94 kg per year. The adoption of different values of dairy cow's nitrogen production by region would lead to an increase of 8% of the soil link rate of dairy farms in Haute Ardenne and of 7% in grassy region from Liege and a decrease of 7% in grassy region of Fagne.

Keywords : Wallonia, nitrogen, excrétion, dairy cows, excretion, soil link rate

1. Introduction

1Depuis la transcription de la Directive Nitrates (91/676/EEC) dans le Programme de Gestion Durable de l'Azote en Région wallonne (PGDA), le taux de liaison au sol (LS), qui est l'un des critères de la conditionnalité, est devenu une contrainte environnementale nouvelle pour les exploitations agricoles.

2Le LS mesure l'équilibre entre la quantité d'azote organique à épandre et les terres de l'exploitation. La quantité d'azote organique produite dans l'exploitation est calculée sur la base d'une production annuelle forfaitaire d'azote par catégorie animale multipliée par le nombre d'animaux de chaque catégorie présents en moyenne dans l'exploitation.

3Pour la vache laitière, en région wallonne, la norme forfaitaire de production d'azote est actuellement de 90 kg par an. Cette norme a été fortement critiquée par la Commission européenne lors des négociations qui ont précédé l'adoption du deuxième PGDA, notamment par comparaison avec les normes appliquées dans d'autres pays (Tableau 1).

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4Dans cet article, nous allons d'abord présenter les éléments qui nous ont permis de justifier cette norme de 90 kg par an (Lambert, 2007). Nous discuterons les points faibles de l'argumentation sur base des résultats d'études plus poussées. Enfin, nous présenterons l'état actuel de notre réflexion sur une éventuelle révision de cette norme en prenant en compte les résultats des recherches récentes et les différences régionales de production laitière et de taux d'urée observées.

5Les valeurs de production d'azote de la vache laitière qui sont citées dans la suite de ce document correspondent à l'état actuel de notre réflexion. Elles sont susceptibles d'être modifiées en fonction de nouvelles données d'essais ou de la littérature. A ce stade, elles n'ont pas encore été approuvées au sein de la structure Nitrawal et ne doivent pas être considérées comme la proposition de cette structure.

2. Justification de la norme de 90 kg par an

6La production d'azote a été calculée selon la formule proposée par ERM/ABDLO à la Commission européenne :

7Neffluent = Nration – Nproductions – Npertes

8Les données proviennent des suivis technico-économiques réalisés par l'Agence Wallonne de l'Elevage (AWE) dans 416 exploitations spécialisées en production laitière.

9Une relation linéaire a été déterminée entre l'excrétion d'azote (Nration – Nproductions) et la production laitière (Figure 1) :

10Y = 0,008 X + 57 (r2 = 0,5336)

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11Cette relation a permis de calculer la production d'azote dans les effluents correspondant à la production laitière moyenne en région wallonne, soit 103 kg par an pour une production de 5 750 l par vache. Elle met également en évidence la grande variabilité de production laitière et par conséquent d’excrétion d’azote que l’on peut observer entre exploitations.

12Des pertes d'azote (Npertes) de 15 % de l'azote excrété annuellement (Nration – Nproductions) ont été retenues pour calculer la quantité d'azote dans les effluents. Cette valeur de 15 % de pertes a été obtenue en considérant 30 % de pertes en période de stabulation, dans les bâtiments et lors du stockage et aucune perte pendant la période de six mois de pâturage. Le fait de ne pas considérer de pertes gazeuses d'azote au pâturage a été imposé par la Commission, car ces pertes ont lieu après la restitution sur la parcelle. De la même façon, pour l'azote organique qui se retrouve dans les effluents épandus, on ne peut pas considérer les pertes lors de l'épandage.

13En considérant les pertes (15 %), l'azote produit dans les effluents s'établit à 88 kg N par vache. La norme de production de 90 kg par an a été retenue.

3. Points faibles de la justification de la norme actuelle et nouvelles orientations

14Cette justification présente quelques points faibles qui ont été discutés précédemment (Lambert et al., 2008). En particulier, sur base de mesures de l'azote retrouvé dans le lisier et de calculs de bilan d'excrétion réalisés en collaboration avec le Département Systèmes Agricoles du CRA-W dans 10 exploitations laitières situées en Ardenne et Haute Ardenne, la perte d'azote dans les bâtiments et au cours du stockage était seulement de 17 % en moyenne, au lieu des 30 % considérés pour la justification de la norme de 90 kg par an. Si l'on considère six mois de stabulation, en système d'élevage sur lisier, la perte annuelle d'azote est de 8,5 % seulement et la production d'azote dans les effluents s'établit alors à 94 kg par an au lieu de 88 kg par an. Pour les systèmes d'élevage sur paille, une collaboration entre l'UCL et le CRA-W intitulée « Filières de gestion des effluents d'élevages bovins : impact environnemental de la production et du stockage » et financée par la DGARNE est en cours actuellement et devrait apporter des informations sur les pertes gazeuses d'azote dans ces systèmes.

15D'autre part, la production d'azote dans les déjections est fortement liée à la production laitière et au taux d'urée dans le lait (De Brabander et al., 1998 ; 1999). Si l'on considère que la vache laitière moyenne en région wallonne produit 5 750 l de lait par an avec 250 mg.l-1 d'urée et produit 94 kg d'azote par an dans ses effluents, la formule établie par De Brabander permet de calculer la production d'azote en plus ou en moins lorsque la production de lait ou le taux d'urée s'écarte des valeurs moyennes. Le tableau 2 permet ainsi de déterminer la valeur du rejet azoté de la vache laitière correspondant à un niveau donné de production laitière et de taux d'urée moyen.

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16Des différences importantes de production laitière et de taux d'urée dans le lait existent entre exploitations et entre régions agricoles. Ces différences inter-régionales ont été également évoquées par la Commission européenne lors des négociations préalables au deuxième PGDA.

17Le taux d'urée moyen est seulement de 213 mg.l-1 en région sablo-limoneuse et atteint 276 mg.l-1 en Haute Ardenne (Meura et al., 2007). Ces différences sont vraisemblablement liées à l'alimentation et en particulier à l'équilibre azoté de la ration. La production laitière moyenne par vache en fonction de la région agricole varie entre 3 935 l en région herbagère Fagne et 6 058 l en région herbagère liègeoise.

18Sur base de ces considérations, il semble justifié de proposer un système permettant de mieux tenir compte de la production laitière et éventuellement du taux d'urée du lait. Si l'on se base sur les productions laitières et les taux d'urée moyens des différentes régions agricoles, on peut évaluer une production d'azote moyenne par vache laitière comprise entre 81 kg par an en région herbagère Fagne et 99 kg par an en Haute Ardenne et en région herbagère liégeoise (Tableau 3).

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4. Quel serait l'impact sur le LS des exploitations laitières ?

19Une augmentation de la norme de production d'azote se traduira évidemment par une augmentation de la valeur du LS.

20Des données technico-économiques de l'AWE utilisées pour justifier la norme de 90 kg, il ressort que la production d'azote de la catégorie vache laitière intervient pour 75 % en moyenne de la production totale d'azote du troupeau laitier. Les autres catégories bovines (génisses, veaux, etc.) interviennent pour seulement 25 %.

21Sur cette base, on peut évaluer l'impact d'une modification de la norme sur le LS interne des exploitations par exemple. Ainsi, une augmentation de la norme de production de la vache laitière de 90 à 94 kg par an entrainera une augmentation moyenne du LS interne des exploitations laitières wallonnes de 3,3 %. Le même exercice peut être réalisé par région agricole. Le tableau 4 indique la valeur moyenne du LS interne des exploitations laitières par région agricole actuellement et le LS interne sur base de l'application d'une norme de production par région agricole en prenant en compte la production laitière et le taux d'urée moyen par région.

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22Sur cette base, le taux de liaison interne diminuerait surtout en région herbagère Fagne (- 7 %) et en région sablo-limoneuse (- 6 %) ; par contre, il augmenterait surtout en Haute Ardenne (+ 8 %) et en région herbagère liégeoise (+ 7 %).

Bibliographie

Cottrill B.R. & Smith K.A., 2005. Evaluation and control of nutrient excretion in livestock manures. Draft report of a contract between ADAS and DG ENV on scientific and technical assistance in relation to the implementation of the Nitrates Directives.

De Brabander D.L., Botterman S.M., Vanacker J.M. & Boucqué Ch.V., 1998. Milk urea content in relation to energy and protein feeding of dairy cattle as well as to N-excretion. In : 5e Rencontre autour des recherches sur les ruminants, 2-3 décembre, Paris, 228.

De Brabander D.L., Vanacker J.M., Botterman S.M. & Boucqué Ch.V., 1999. La teneur en urée du lait comme indicateur de qualité de l'alimentation. Elev. Belg., 12, 9-12.

European Commission. DG Environment – D1. Livestock Manure – Nitrogen Equivalents. Brussels: European Commission.

Lambert R., 2007. Rejets azotés de la vache laitière en région wallonne. In : 14e Rencontre autour des recherches sur les ruminants, 5-6 décembre, Paris, 14.

Lambert R., Seutin Y. & Stilmant D., 2008.Une vache laitière produit annuellement 90 kg d'azote dans ses effluents ! Mensonge ou vérité ? In : 13e Carrefour des productions animales, 23 janvier, Gembloux, Belgique.

Meura S. et al., 2007. Milk urea content as influenced by geographical area and season in Wallonia. In: Proceedings of the European Grassland Federation, 3-5 September, Ghent, Belgium, 375-377.

Pour citer cet article

Richard Lambert, Marc De Toffoli, Isabelle Dufrasne, Jean-Luc Hornick, Didier Stilmant & Yves Seutin, «Vers une révision de la norme de production d'azote de la vache laitière : justification et conséquences sur le taux de liaison au sol des exploitations laitières», BASE [En ligne], Volume 14 (2010), Numéro spécial 1, 67-71 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=4896.