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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

1370-6233 1780-4507

 

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Stéphane Parmentier

Le dumping de coton-fibre : quelle réponse y apporter ?Le Sud contre le Nord, ou l’émergence d’un modèle agricole viable aux quatre coins du globe ?

(volume 10 (2006) — numéro 4)
Article
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Annexes

Résumé

S’il existe aujourd’hui un large consensus sur la légitimité et la nécessité de mettre un terme au dumping à l’exportation de coton-fibre, la manière dont il convient de s’y prendre pour y parvenir ne va pas de soi. La stratégie la plus souvent préconisée à cet égard est fondée sur l’idée selon laquelle ce dumping serait « causé » par les subventions qui le sous-tendent, et se propose dès lors d’y mettre fin en privilégiant spécifiquement et exclusivement l’élimination de ces subventions. Or, à plus d’un titre, cette stratégie pose question. D’une part, elle établit un diagnostic erroné de l’origine du dumping, et s’interdit dès lors toute résolution du problème « à la source ». D’autre part, elle n’est en rien de nature à garantir des prix décents et stables sur les marchés internationaux. Enfin, elle conditionne l’amélioration du sort des filières cotonnières d’Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC) et d’ailleurs à la faillite pure et simple d’une partie significative de la production cotonnière dans les pays développés. En partant de l’examen des limites ou problèmes caractéristiques de cette première stratégie de réponse au dumping, cet article tente d’esquisser les contours d’une seconde stratégie, à même d’éviter ces limites ou problèmes. Une stratégie qui, en l’occurrence, vise à réguler adéquatement la formation des prix agricoles et à subventionner à bon escient l’agriculture. En dernière instance, s’interroger sur le choix à opérer entre ces deux stratégies revient à s’interroger partiellement sur les objectifs fondamentaux assignés à l’agriculture dans le contexte des relations Nord-Sud à l’heure de la mondialisation. En somme, l’enjeu est-il prioritairement de « défendre le Sud contre le Nord », ou plutôt de promouvoir un modèle agricole viable pour l’ensemble des agriculteurs et autres acteurs des filières agricoles, aux quatre coins du globe ? Ensuite se pose par ailleurs la question des moyens à mettre en œuvre pour optimiser au mieux la concrétisation des objectifs ainsi assignés à l’agriculture.

Mots-clés : subventions, revenus, gestion de l’offre, prix de marché, soutien aux prix, relations Nord-Sud, libéralisation

Abstract

How to deal with cotton dumping ? The South versus the North or the emergence of a global and viable form of agriculture ? If there is today a broad consensus on the legitimacy and the need to put an end to the dumping of the exportation of cotton fiber, there is currently no general agreement on the way to end this practice. The strategy most often recommended is based on the belief that this dumping originates entirely from the provision of subsidies and consists simply and only in proposing to eliminate subsidies. This strategy raises a number of issues, however. First, it relies on an erroneous diagnosis of the origin of dumping, and consequently prevents any real solution to the source of the problem. In addition, such strategy does not offer any guarantee of fair and stable prices on the international markets. Finally, this strategy conditions an amelioration of conditions for the cotton lines of West and Central Africa (WCA) to the downfall of a significant part of the cotton production in the developed countries. Starting from the examination of the limitations and problems inherent to this strategy, the present article attempts to outline the contours of an alternative strategy able that is not subject to the same limitations. This alternative strategy aims to regulate adequately the setting of agricultural prices and to manage subsidize agriculture advisedly. Ultimately, examining these two strategies partly boils down to examining the fundamental objectives of agricultural policies in the context of the North-South relations and the current globalization. In conclusion, is the pivotal goal to « defend the South against the North », or rather to promote a sustainable agricultural model for farmers and other agricultural stakeholders across the world ? A corollary question is that of the means necessary to optimize the outcome of agriculture’s aims and objectives.

Keywords : Dumping, régulation, Dumping, subsidies, incomes, supply management, market prices, price support, regulation, North-South relations, liberalization

1. Introduction

1S’il est bien une question agricole qui, à ce jour, cristallise un grand nombre d’attentions sur la scène commerciale internationale, c’est bien celle du dumping à l’exportation de coton-fibre pratiqué par quelques états, états-Unis en tête. Et pour cause : mettant en prise des filières massivement subventionnées d’un côté, et des filières qui ne le sont pas ou le sont peu de l’autre, cette question est devenue l’une des illustrations les plus paradigmatiques de l’inégalité, du « 2 poids 2 mesures » du commerce mondial (Parmentier, Bailly, 2005).

2Mais elle apparaît également illustrative de l’un des débats actuels les plus essentiels portant sur l’agriculture à l’heure de la mondialisation : à travers les 2 principales stratégies imaginées par les différents acteurs (organisations de producteurs, ONG ou gouvernements) pour mettre fin à ce dumping, l’enjeu de la nature même des rapports entre le Nord et le Sud surgit avec force, et conduit à s’interroger partiellement sur les objectifs fondamentaux assignés à cet égard à l’agriculture. La question est en somme la suivante : dans le contexte de la mondialisation actuelle, l’enjeu est-il prioritairement de « défendre le Sud contre le Nord », en lui permettant de profiter au mieux des avantages comparatifs dont il dispose dans le secteur agricole, ou convient-il plutôt de promouvoir un modèle agricole soucieux de garantir le respect des droits économiques et sociaux de l’ensemble des agriculteurs et autres acteurs des filières, du Sud comme du Nord ? Corollairement, se pose aussi la question des moyens à mettre en œuvre pour optimiser au mieux la réalisation des objectifs finalement assignés à l’agriculture.

3Ces quelques considérations constituent l’objet de cet article. Dans un premier temps, il s’agira de définir sommairement le « dumping à l’exportation » et ses effets potentiels. Dans un deuxième temps, cette note présentera la stratégie dominante par laquelle on entend aujourd’hui le plus souvent mettre fin au dumping à l’exportation de coton-fibre, posera quelques constats visant à souligner les limites ou problèmes posés par cette stratégie dominante, et dessinera les contours d’une seconde stratégie, susceptible d’éviter ces limites ou problèmes. Dans un troisième temps, l’article procédera à une brève mise en perspective des deux stratégies existantes, pour finalement conclure dans un quatrième temps.

4Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, une dernière remarque introductive s’impose, liée aux limites propres de la présente note. En l’occurrence, si cette dernière a choisi de se concentrer spécifiquement sur le dumping de coton-fibre, ce choix ne doit pas conduire à surestimer l’importance de cette problématique, importance bien réelle mais néanmoins relative compte tenu de la grande multiplicité d’autres facteurs qui menacent également, et parfois davantage, la durabilité économique, sociale et/ou environnementale de bon nombre de filières cotonnières à travers le monde, dont celles d’Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC). Par exemple, outre le dumping de « l’or blanc », de multiples facteurs affectent eux aussi les revenus des producteurs de coton africains, parmi lesquels figurent notamment la manière dont chaque filière cotonnière est globalement organisée, le poids relatif qu’y occupent les producteurs comparativement à d’autres acteurs, le mécanisme de fixation du prix d’achat du coton-graine en vigueur dans chaque pays, l’évolution spécifique des prix internationaux (en grande partie indépendante du dumping), ou encore la structure oligopolistique des sociétés de négoce qui commercialisent la plus grande partie de la production de coton-fibre sur les marchés internationaux (Fok, 2005 ; Hugon, 2005). Mais les revenus des producteurs dépendent encore d’autres facteurs, tels que la dépendance du secteur coton à l’égard des marchés à l’exportation de coton-fibre, les taux de change entre l’euro et le dollar, le choix des intrants nécessaires à la production, ou plus généralement celui du mode de culture adopté par l’agriculteur (culture « conventionnelle », transgénique, biologique, ou de « lutte intégrée »), et de bien d’autres choses. On ne saurait donc trop y insister : il importe de ne pas perdre de vue cette diversité de facteurs en lisant ce qui suit.

2. Le dumping à l’exportation de coton-fibre et ses effets

5Au sens économique du terme, le « dumping à l’exportation » est l’exportation d’un produit à des prix inférieurs aux coûts de production nécessaires à consentir pour produire ce bien dans le pays exportateur. Parler de « dumping à l’exportation des états-Unis sur le marché mondial du coton-fibre » revient donc à parler de l’offre de coton-fibre qui, produite aux états-Unis, est exportée à des prix inférieurs aux coûts de production nécessaires à consentir dans ce pays pour produire ce coton.

6Ce dumping à l’exportation porte potentiellement préjudice aux revenus de l’ensemble des filières cotonnières dont le coton-fibre est commercialisé en étant directement exporté, c’est-à-dire sans être transformé localement en produits finis. En l’occurrence, il le fait essentiellement de 2 manières.

2.1. La baisse chronique des prix mondiaux

7Tout d’abord, à côté d’autres facteurs, le dumping contribue à une chute chronique des prix internationaux du coton-fibre. Cela dans une double mesure. D’une part, il le fait en vertu de la loi de l’offre et de la demande : à demande constante, il entraîne un accroissement de l’offre de coton commercialisée sur le marché mondial. D’autre part, lorsqu’il est le fait d’un acteur majeur du marché, il influence davantage la formation des prix qui s’y établissent. Il en va ainsi des états-Unis qui, en tant que deuxième producteur et premier exportateur de coton-fibre à l’échelle mondiale, jouent en effet le rôle de « price maker » sur le marché international.

2.2. Une perte de parts de marché

8Par ailleurs, le dumping à l’exportation prive potentiellement de parts de marché les filières qui ne sont pas ou sont peu subventionnées. Ce manque à gagner peut porter tout autant sur des débouchés locaux que sur des extérieurs. La concurrence déloyale que le coton US exerce respectivement sur le coton chinois et sur le coton d’AOC, pour l’obtention de débouchés en Chine, en sont 2 exemples.

3. Quelle réponse y apporter ?

9S’il existe à ce jour un large consensus sur la nécessité et la légitimité de mettre fin au dumping à l’exportation de coton-fibre, la question se pose de savoir comment s’y prendre pour y parvenir. En l’occurrence, 2 stratégies distinctes peuvent essentiellement être identifiées à cet égard, que les quelques développements qui suivent s’attachent à expliciter.

3.1. La stratégie dominante : éliminer les subventions qui rendent possible le dumping

10La stratégie, aujourd’hui dominante, pour prétendre mettre fin au dumping à l’exportation de coton-fibre, celle adoptée par 4 pays africains et soutenue par d’autres états dans le cadre des négociations commerciales menées au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)(1), s’appuie sur l’idée selon laquelle ce dumping serait « causé » par les subventions qui le rendent possible. à première vue, le bien fondé d’un tel diagnostic va de soi. En effet, l’exportation d’un produit à des prix inférieurs aux coûts de production n’est possible que par l’octroi de subventions conséquentes aux producteurs : sans ces aides, ces exportations ne seraient tout simplement pas rentables, et ne seraient donc pas viables.

11Adoptant cette approche, les études se sont multipliées au cours de ces dernières années pour tenter de mesurer l’impact des pratiques de subventions des pays développés sur le cours mondial du coton (indice Cotlook A(2)), ainsi que les préjudices monétaires, évalués en millions de dollars, que ces pratiques occasionnent pour les revenus d’autres filières cotonnières, et en particulier les filières d’AOC. Plus précisément, ces études cherchent à évaluer, pour une campagne antérieure de référence (par exemple la saison 2000-2001), de quel pourcentage aurait été supérieur le cours mondial si les états-Unis et l’Union européenne, notamment, n’avaient pas subventionné cette année-là leurs producteurs de coton. Elles cherchent par ailleurs également à déterminer quelles filières auraient le mieux profité de cette absence de subventions, et dans quelle mesure.

12Pour procéder à de telles estimations, les études s’efforcent d’établir en quoi l’offre et la demande auraient été différentes en l’absence de subventions, et de quelle autre manière les parts du marché mondial auraient alors été réparties entre les diverses filières. Ce genre d’exercice s’avère particulièrement périlleux et très approximatif, tant les facteurs à prendre en compte sont nombreux, complexes et variables. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les résultats ainsi mis en avant soient très contrastés. à titre d’exemple, dans une note publiée en 2004, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization of the United Nations – FAO) comparait les estimations de 13 études différentes, portant pour la plupart sur la campagne 2000-2001. La plus « maximaliste » d’entre elles établit qu’en l’absence d’aides cotonnières aux états-Unis et en Europe, le cours mondial aurait été cette année-là supérieur de 72,4 % à ce qu’il était effectivement, et que les filières d’AOC auraient bénéficié d’un revenu supplémentaire de 504 millions de dollars US. Selon la plus « minimaliste », ces chiffres auraient été respectivement de 2,8 %, et de 26 millions (FAO, 2004)(3).

13Dès lors que l’on considère les subventions qui rendent possible le dumping comme ce qui le « cause » à proprement parler, la solution pour résoudre ce problème coule de source : supprimer ces aides. Une suppression qui apparaîtra d’autant plus urgente politiquement que les estimations de leur incidence sur le cours mondial, et les revenus globaux de filières non subventionnées ou qui le sont peu, seront conséquentes.

3.2. La stratégie dominante pose question

14Pourtant, la pertinence d’une telle stratégie ne va pas de soi. En l’occurrence, elle invite à formuler 4 constats majeurs.

15L’origine du dumping. Si le dumping à l’exportation des états-Unis n’aurait pas lieu d’être sans l’existence des subventions qui le soutiennent, ces dernières n’en sont pas pour autant la « cause ». En effet, loin de « tomber du ciel », ces subventions ont elles-mêmes une origine, laquelle explique par conséquent plus fondamentalement l’émergence de ce dumping. à cet égard, l’étude « Repenser la politique agricole des états-Unis », publiée en septembre 2003 par l’Agricultural Policy Analysis Center (APAC), est très instructive. Elle souligne d’abord l’existence, jusqu’en 1996 aux états-Unis, d’un ensemble de mécanismes destinés à garantir des prix stables et décents pour les produits agricoles.

16Parmi ces mécanismes figuraient des instruments de « gestion de l’offre ». De manière générale, la gestion de l’offre regroupe un ensemble d’instruments d’intervention sur les marchés, le plus souvent publics, destinés à maîtriser l’offre, c’est-à-dire à la maintenir sous un certain seuil en vue d’éviter des crises de surproduction, et donc des chutes de prix excessives. Dans le cas de la politique agricole américaine, le « gel des terres » était l’une des principales mesures utilisées : lorsque, pour des raisons diverses, on anticipait d’importants excédents pour l’année à venir, il était demandé aux agriculteurs de ne pas cultiver une partie variable de leurs terres. Un mécanisme qui valait pour le coton comme pour d’autres matières premières. Si pour l’année suivante, on prévoyait une raréfaction trop importante de l’offre, des terres « gelées » pouvaient être remises en culture.

17Mais les outils de la gestion de l’offre ne garantissaient pas à eux seuls une limitation efficace de l’offre mise sur le marché. Par exemple, les évolutions d’un climat soudainement très favorable, ou des erreurs d’évaluation dans les anticipations de la production annuelle, dues à l’inutilisation de la part la moins productive des terres, rendent ces anticipations très délicates. C’est pourquoi d’autres mécanismes venaient compléter ces outils, à savoir les programmes de « soutien aux prix ». En particulier, dès la récolte du coton ou d’autres denrées agricoles, les producteurs bénéficiaient d’un prêt du gouvernement (préfinancement) correspondant à un prix plancher. Une fois le prêt arrivé à échéance, le producteur avait 2 possibilités pour le rembourser. Si le prix du coton sur le marché US était supérieur au montant du préfinancement dont il avait bénéficié (intérêts compris), il pouvait y vendre sa production et rembourser ensuite l’état avec une partie de l’argent reçu. Par contre, si le prix du marché US était inférieur à ce montant, il pouvait céder sa récolte en guise de remboursement complet (prêt et intérêts). Un tel système de préfinancement n’avait pas seulement pour but de donner à l’agriculteur l’assurance de vendre son coton à un prix minimum. Il visait également à réduire une offre trop abondante sur le marché US, puisque l’état stockait ainsi une partie de la production. C’est spécifiquement en cela qu’en plus d’être une manière de soutenir les revenus de l’agriculteur, ce système constituait à proprement parler un mécanisme de soutien des prix du marché. Ultérieurement, le gouvernement pouvait vendre les excédents si d’aventure le prix de vente du coton devenait trop élevé.

18L’ensemble des outils de gestion de l’offre et des programmes de soutien aux prix du marché visait ainsi à stabiliser autant que possible, à des niveaux suffisamment rémunérateurs, les prix de vente du coton et d’autres cultures sur le marché US entre un seuil « plancher » et un seuil « plafond ». Bien que n’étant pas parfaits, ils avaient fait leurs preuves depuis longtemps. Pourtant, progressivement depuis le milieu des années 1980, et de manière plus décisive avec l’adoption de la loi agricole (Farm Bill) de 1996, l’agriculture US a connu un changement de cap radical, visant à « libérer » davantage le processus de formation des prix agricoles de l’emprise des interventions régulatrices de l’état.

19Dans les secteurs du coton et du riz, le système de préfinancement décrit plus haut prit, en 1986, la forme de « prêts de commercialisation » (marketing loans), qui furent également introduits dans les secteurs des oléagineux en 1991, et des céréales en 1993 (Westcott, Price, 2001 ; Debar, 2005). Cette première évolution est importante. Jusque là, en effet, chaque fois que le prix de marché du coton était inférieur au montant du prêt (intérêts compris) lorsque venait le moment de rembourser ce dernier, le producteur se voyait contraint de céder sa récolte à l’état en guise de remboursement s’il voulait avoir la chance de bénéficier d’un prix minimum garanti plus élevé (le montant du prêt). Or, depuis l’introduction des prêts de commercialisation, ce n’est plus le cas. Il peut encore et toujours, s’il le souhaite, décider en pareille situation de rembourser le prêt en cédant, comme avant, sa récolte à l’état. Mais ce n’est plus là la seule possibilité qu’il ait à disposition pour tirer avantage, en situation de bas prix de marché, d’un prix minimum garanti plus attractif. Désormais, il peut avantageusement choisir de s’acquitter du prêt à un taux de remboursement inférieur, la différence entre le montant du préfinancement initialement perçu et ce taux inférieur constituant une subvention indirecte. Et cela en demeurant ainsi l’unique propriétaire de sa production, qu’il écoulera un peu plus tard sur le marché(4). Alternativement, le producteur peut également tirer parti du système de prêts de commercialisation en sollicitant une aide directe immédiate (loan deficiency payment), égale à la différence entre le taux du prêt et le prix de marché de référence (le « prix mondial ajusté » dans le cas du coton), lorsque ce dernier lui est de fait inférieur. Cette option permet en somme à tous les agriculteurs éligibles pour cette aide de bénéficier du programme de prêts de commercialisation sans devoir effectivement emprunter et rembourser ultérieurement cet emprunt (Ray et al., 2003 ; Poinssot, Petrini Poli, 2005).

20Si cette évolution du système de préfinancement est importante, c’est en ce qu’elle le vide de sa fonction antérieure de soutien des prix du marché, pour le cantonner dorénavant à un « simple » instrument de soutien aux revenus. En effet, on ne peut plus parler de programme de soutien aux prix dès l’instant où le stockage des récoltes n’est plus un passage obligé, dans ce dispositif, pour bénéficier d’un prix minimum garanti plus décent en situation de bas prix de marché. D’ailleurs, ces prêts de commercialisation ont notamment été conçus dans le but de minimiser l’accumulation de stocks par le gouvernement (Young, Shields, 1996).

21Mais plus encore, c’est avec le Farm Bill de 1996 qu’eut lieu dans l’agriculture des états-Unis une profonde dérégulation dans la dynamique de formation des prix agricoles. Le changement fut de taille : cette loi consacra la suppression des instruments de gestion de l’offre encore opérationnels. Le gel des terres fut abandonné (Becker et al., 1996 ; Westcott et al., 2002). Dans le secteur du coton, le résultat ne se fit pas attendre. Des terres gelées étant remises en culture, les surfaces augmentèrent. échappant désormais à tout mécanisme susceptible de la contenir dans des limites raisonnables, et en l’absence de programmes de soutien aux prix à même d’en « neutraliser » les excédents, l’offre commercialisée fit un bond saisissant, augmentant de 40 % entre 1998 et 2001 (FAO, 2005). Du coup, le prix du coton-fibre sur le marché US chuta de façon spectaculaire. De fait, entre le milieu des années 1990 et 2001, il a enregistré une baisse d’environ 70 %. En 2001, les prix étaient si bas qu’ils étaient inférieurs de 52 % aux coûts de production moyens locaux du coton (Ray et al., 2003).

22Dès lors, afin de compenser les pertes énormes de revenus des producteurs de coton, le Congrès décida d’augmenter considérablement le volume des subventions. Ainsi, entre 1998 et 2001, pour l’ensemble de l’agriculture US au sein de laquelle « l’or blanc » joue un rôle important, les subventions augmentèrent de 250 % par rapport à la période 1990-1997 (Ray et al., 2003). Au début, les aides ont été qualifiées d’aides « d’urgence ». Depuis la loi agricole de 2002, elles sont désormais « normalisées » : les subventions sont automatiques lorsque les prix baissent.

23Mais la loi agricole de 1996 n’a pas seulement eu pour effet d’engendrer une crise de surproduction, et la chute des prix qui l’accompagne, sur le marché intérieur des états-Unis. La demande nationale ne pouvant absorber l’augmentation de l’offre, de nouveaux débouchés devaient être trouvés. La solution ? Exporter davantage(5). Entre 1998 et 2001, le volume des exportations états-uniennes de coton-fibre doubla (FAO, 2005), générant ainsi le dumping à l’exportation que l’on connaît.

24On le voit, quels que soient les volumes de subventions allouées et l’ampleur de leur incidence sur le cours mondial, le dumping US ne trouve pas initialement son origine dans ces subventions, mais dans la suppression des programmes de soutien aux prix du marché, et des instruments de la gestion de l’offre, intervenue respectivement, en ce qui concerne le secteur du coton, en 1986 et en 1996. Bien plus que les subventions qui le rendent possible et qu’il requiert en quelque sorte comme un « corollaire obligé », c’est fondamentalement l’absence de contrôle d’une offre surabondante laissée libre de croître démesurément, d’entraîner par suite des baisses de prix colossales, et d’affecter dans le même temps le marché international, qui explique ce dumping. Faut-il vraiment s’étonner de l’existence de volumes considérables d’exportations à prix cassés, dès l’instant où rien n’est fait pour limiter, ni la production, ni l’exportation des excédents ? Mais de tout cela, la stratégie dominante de réponse au dumping ne tient pas compte. Ce faisant, elle s’interdit toute résolution du problème « à la source ».

25L’enjeu de garantir des prix décents. Cette stratégie dominante n’est pas de nature à garantir des prix décents sur les marchés internationaux. En effet, la tendance chronique à la baisse de ces prix s’explique par bien d’autres facteurs que par le seul dumping à l’exportation. Plus précisément, la surproduction de coton-fibre sur le marché mondial s’explique également par la concurrence croissante que l’utilisation de fibres synthétiques et artificielles fait peser sur celle du coton-fibre, par des gains de productivité agricole, ou encore par le ralentissement de la croissance économique mondiale, et d’autres facteurs. Par conséquent, assurer des prix décents sur le marché mondial exige davantage que la seule élimination du dumping.

26De manière générale, il importe de souligner combien il est loin d’être acquis qu’une réduction drastique, ou même une suppression totale, des subventions cotonnières de quelques états entraînerait à elle seule une remontée significative du cours mondial. Les résultats très contradictoires des études d’impact des aides des pays développés sur le cours mondial, et sur les revenus des filières coton d’AOC et d’autres régions du monde, en témoignent. Des résultats qui correspondent en outre le plus souvent à des effets de court terme, qu’il y a tout lieu de relativiser à plus longue échéance, tant les facteurs influant sur l’offre et la demande sont nombreux et variés.

27Pourtant, l’amélioration des revenus des filières coton d’AOC et d’ailleurs ne requière-t-elle pas entre autres choses, au-delà de la seule élimination du dumping, la garantie de prix décents sur les marchés mondiaux ? De ce point de vue, et dans la mesure même où elle vise bel et bien une remontée des prix internationaux, la stratégie dominante ne témoigne-t-elle pas d’une relative « inconséquence » ? Pourquoi ne pas tenter d’assumer plus « frontalement » cette visée de prix internationaux plus rémunérateurs ?

28L’enjeu de garantir des prix stables. Les revenus des filières cotonnières qui dépendent des marchés internationaux ne nécessitent pas seulement des prix décents. Outre la tendance à la baisse chronique des prix, l’instabilité permanente de ces derniers affecte également de manière négative ces revenus globaux, cela en dépit de différents mécanismes existant déjà, ou actuellement en phase d’étude, visant à amortir les répercussions des fluctuations des prix sur ces revenus. Bref, l’enjeu est à la fois de garantir des prix de marché plus décents et plus stables. Pourquoi, dès lors, ne pas assumer comme tel cet enjeu ? Quel sens y aurait-t-il à vouloir garantir des prix plus décents si l’on ne cherche pas dans le même temps à les rendre stables ? De même, quel intérêt représenterait une stabilisation des prix si celle-ci ne porte pas sur des prix suffisamment rémunérateurs ? Toujours est-il que la stratégie dominante de résolution du dumping ne s’embarrasse pas de telles préoccupations, ne serait-ce que parce qu’elle ne propose aucune modalité de réponse spécifique au problème structurel de l’instabilité des prix.

29L’enjeu du droit pour tout agriculteur à vivre décemment des fruits de son travail. Vouloir mettre un terme au dumping en se contentant de supprimer les aides qui le sous-tendent revient à conditionner l’amélioration supposée du sort des filières d’AOC, et d’ailleurs, à la fragilisation de la production cotonnière au Nord. Pour une raison évidente : la réalité des coûts de production du coton-fibre dans les pays développés est telle que, quels que soient les impacts négatifs de ce dumping, les subventions qui le soutiennent sont globalement requises pour assurer la viabilité de la production dans ces pays. L’opportunité et la justesse d’une condamnation pure et simple, sans nuance, des aides cotonnières qui « pérennisent » ce dumping irait de soi si elles étaient seulement un instrument de « domination des plus riches sur les plus pauvres ». Mais qu’on le veuille ou non, elles ne sont pas que cela. De manière générale, ces aides sont avant tout et dans le même temps nécessaires en vertu de la faiblesse des prix du marché, et des coûts de production comparativement élevés des exploitations cotonnières au Nord. Les chiffres le montrent.

30L’APAC précise par exemple qu’au cours de la saison 2001-2002, les prix moyens pratiqués sur le marché intérieur des états-Unis ne couvraient qu’environ 60 % de la moyenne des coûts de production totaux du coton-fibre (Tiller, Schaffer, 2004). Toujours selon l’APAC, en dépit des aides accordées en 2001 par le gouvernement US au secteur du coton, les gains résultant de la production cotonnière restaient cette année-là en moyenne inférieurs de 27 % au coût de production moyen des exploitations (Ray et al., 2003). D’après le Congressionnal Research Service aux états-Unis, sur l’ensemble de la période allant de 1991 à 2003, les exploitations cotonnières états-uniennes percevaient annuellement un revenu moyen de 0,78 dollar US la livre. C’est-à-dire tout juste de quoi couvrir les coûts de production totaux qui, au cours de la même période, atteignaient eux aussi une moyenne annuelle de 0,78 dollars US la livre. Cela alors même que les prix du marché ne représentaient en moyenne que 0,57 dollar US la livre, le 0,21 dollar restants provenant des aides allouées au secteur (Womach, 2004).

31C’est dire combien la réduction drastique, voire la suppression pure et simple des subventions, conduirait dans le contexte actuel de bas prix du marché à la faillite d’une partie significative de la production cotonnière aux états-Unis. Un scénario sur lequel, du reste, compte bien la stratégie dominante de résolution du dumping, pariant justement sur le fait que la réduction importante, ou l’élimination totale des aides US, induirait une diminution conséquente des volumes d’exportations et donc de production des états-Unis, et par suite une hausse significative du cours mondial ainsi qu’une redistribution plus « équitable » des parts du marché international. Pour autant, la fragilisation de la production cotonnière dans les pays développés n’en pose pas moins problème, dans la mesure où elle rend impossible le respect du droit pour tout agriculteur, où qu’il produise (y compris au Nord), de vivre décemment des fruits de son travail(6). Un droit dont le respect effectif est pourtant essentiel, indépendamment des types d’exploitations agricoles des différentes filières, du nombre relativement restreint de producteurs bénéficiant de subventions élevées(7), des pratiques culturales, ou encore de la répartition parfois inégale des subventions entre agriculteurs d’un même pays.

32Les constats qui précèdent étant émis, la question suivante mérite d’être posée : est-il possible de mettre un terme au dumping à l’exportation de coton-fibre tout en évitant les écueils de la stratégie dominante décrite ci-dessus ?

3.3. Une stratégie alternative : réguler les prix du marché et allouer des subventions à bon escient

33Au regard du rôle décisif joué par les réformes de la politique agricole états-unienne de 1986, et plus encore de 1996, dans l’émergence du dumping à l’exportation US de coton-fibre, pourquoi ne pas tenter dans un premier temps de réinstaurer aux états-Unis les instruments à même de garantir des prix plus stables et décents sur le marché intérieur, à savoir les mécanismes de gestion de l’offre et les programmes de soutien aux prix ? Ce faisant, les subventions allouées au secteur du coton baisseraient considérablement, sans pour autant menacer la viabilité des exploitations agricoles de ce pays. Les volumes d’exportations diminueraient, et des quotas pourraient par ailleurs être mis en place de manière à en limiter également l’importance. Dans de telles conditions, le dumping à l’exportation n’aurait plus lieu d’être.

34Ensuite, et dans la mesure où l’évolution des prix internationaux du coton est très loin de ne dépendre que des seuls états-Unis, pourquoi ne pas nourrir l’ambition d’instaurer dans les autres pays producteurs des politiques analogues ? Mais aussi, de rassembler pays producteurs et consommateurs afin de concevoir, et de réguler adéquatement, la mise en œuvre d’un ensemble d’instruments susceptibles de garantir des prix mondiaux plus stables et rémunérateurs, parmi lesquels, par exemple, des instruments de gestion de l’offre, des droits de douane adaptés, des quotas d’exportation, des contingents à l’importation, etc. ? Une telle régulation supposerait notamment, bien entendu, une coordination des acteurs aux échelles nationale, régionale et internationale.

35Enfin, étant donnée la grande diversité des coûts de production à travers le monde, même des prix de marché globalement plus stables et rémunérateurs ne pourront garantir à eux seuls des revenus décents à tous les agriculteurs (et autres acteurs des filières). Par conséquent, des subventions resteront nécessaires pour garantir de tels revenus aux agriculteurs les moins compétitifs. Des aides qui sont parfaitement légitimes à la condition stricte qu’elles ne portent pas préjudice aux revenus d’autres filières agricoles.

36Fondamentalement, aucun des instruments préconisés dans cette stratégie alternative n’est en lui-même bon ou mauvais. Ces différents outils constituent « seulement » autant de moyens d’interventions sur les marchés, dont les pouvoirs publics doivent pouvoir disposer afin de garantir le respect d’un certain nombre de droits fondamentaux à l’ensemble des agriculteurs, et autres acteurs des filières, aux quatre coins du globe. Qu’ils réussissent ou non à produire les effets escomptés, sans privilégier certains acteurs au détriment d’autres, dépend de la manière dont ils seront concrètement combinés et appliqués. Des subventions ? Soit, mais de quel montant ? Une protection aux frontières ? Oui, mais sous quelle forme et jusqu’à quel point ? Et ainsi de suite.

37La combinaison adéquate de ces instruments pose l’enjeu central de la régulation, qui peut essentiellement se décliner en 3 questions. Outre la première, qui est celle du choix des outils, la seconde est celle de savoir qui décide et selon quelles procédures. En l’occurrence, des procédures à même d’assurer la prise en compte équitable des intérêts des différents acteurs concernés n’apparaissent-elles pas comme les meilleures garantes de politiques économiques et commerciales les plus respectueuses possible d’un « intérêt général minimal » ? Enfin, la troisième question soulevée par l’enjeu de la régulation est celle des indicateurs sur lesquels fonder la conception et la mise en œuvre des politiques économiques et commerciales souhaitées. Aujourd’hui, au sein de l’OMC et d’autres lieux stratégiques de décisions aux échelles internationale, régionale ou nationale, l’élaboration de ces politiques, dans le secteur agricole comme dans d’autres, est le plus souvent en grande partie déconnectée des conséquences que ces décisions ont sur la vie de bon nombre des acteurs directement concernés. Or, à l’inverse, ne convient-il pas de fonder les processus de prises de décisions sur l’évaluation constante des impacts que les mesures adoptées ont concrètement sur les différents acteurs des filières agricoles ? Peut-on sérieusement prétendre développer et appliquer des politiques performatives de « l’intérêt général minimal » sans partir de la réalité du terrain ?

4. Mise en perspective

38à plus d’un titre, on l’aura compris, les 2 stratégies de réponse au dumping présentées dans cet article sont très différentes.

39En termes de faisabilité politique, la stratégie dominante s’avère à ce jour nettement plus réaliste que la stratégie alternative. Cela tient notamment au contexte actuel de libéralisation croissante de l’agriculture, mais aussi aux difficultés qu’implique intrinsèquement l’ambition même de rassembler autour de la table l’ensemble des acteurs concernés. Lorsqu’il s’agit, par exemple, de concevoir et de mettre en œuvre un accord agricole international susceptible de concilier au mieux les intérêts stratégiques des uns et des autres, une telle entreprise suppose nécessairement une convergence minimale d’intérêts. Or, cette convergence ne va pas de soi. Pour autant, faut-il y renoncer sans autre forme de procès ? L’importance cruciale des enjeux à satisfaire n’implique-t-elle pas au contraire de tout faire pour la réaliser ? Peut-on, sans même en étudier plus avant la faisabilité, décréter cette convergence impossible ?

40La faisabilité technique, elle aussi, est à prendre en compte. Là encore, la stratégie alternative s’avère bien moins évidente. Il est en effet techniquement infiniment plus facile de supprimer des subventions que de réguler les prix agricoles. Exemple parmi d’autres, la fixation de prix minimum garantis élevés, dans le cadre de programmes de soutien aux prix fondés sur le stockage, peut présenter plusieurs inconvénients, dont celui de conduire à une accumulation excessive de stocks publics (en particulier en l’absence de mécanismes de gestion de l’offre), ou de générer des coûts de stockage élevés (Ray et al., 2003 ; Boussard et al., 2005). Autre exemple, les instruments de gestion de l’offre sont susceptibles de créer des situations de rentes, ou peuvent éventuellement priver injustement de parts de marchés certaines filières agricoles s’ils aboutissent à la fixation de quotas de production « mal ajustés » (Koning, Robbins, 2005). Mais là encore, doit-on en conclure qu’il ne sert à rien de chercher à réguler adéquatement la formation des prix agricoles ?

41étudier plus avant la faisabilité politique et technique d’une telle régulation a beaucoup de sens compte tenu des atouts essentiels que cette stratégie alternative de réponse au problème du dumping possède au regard des limites propres de la stratégie dominante. Elle permettrait non seulement de résoudre ce problème « à la source », mais apporterait en outre une réponse structurelle à l’instabilité permanente et à la baisse chronique des prix mondiaux de « l’or blanc », et n’entraînerait pas la faillite partielle de la production cotonnière dans les pays développés, respectant ainsi le droit pour tout agriculteur, du Nord comme du Sud, de vivre décemment des fruits de son travail.

42Certes, étudier de près la faisabilité de cette stratégie alternative nécessiterait très probablement plus de temps que de procéder à la pure et simple suppression des subventions distorsives, ce qui peut a priori sembler peu compatible avec l’urgence que requiert pour de nombreux observateurs la fin du dumping à l’exportation de coton-fibre. Mais à y regarder de plus près, ce temps pose-t-il vraiment problème ? Rien n’est moins sûr. Au risque de choquer, qu’il nous soit en effet permis de nous poser la question suivante : pour peu que soit mis sur pied un fond d’urgence destiné à compenser les pertes financières que le dumping occasionne aux filières cotonnières dont il menace la viabilité économique, la fin du dumping est-elle vraiment à ce point urgente qu’il soit inconcevable de prendre le temps de privilégier la voie de la stratégie alternative ? En ce sens, ne serait-il pas possible de concevoir le principe d’un tel fond comme un mécanisme transitoire qui ne viserait pas de manière directe la fin des subventions distorsives, comme le souhaitent les 4 pays africains de l’Initiative sectorielle (OMC, 2006), mais viserait l’examen approfondi et à terme la mise en œuvre des instruments de politiques agricoles à même de garantir des prix stables et décents sur les marchés, intérieurs dans un premier temps (aux états-Unis tout d’abord) et internationaux ensuite ?

5. Conclusion

43Au-delà des différences qui distinguent radicalement les 2 stratégies discutées dans cet article, s’interroger sur le choix à opérer entre elles revient à poser partiellement 2 questions fondamentales.

44La première est celle des objectifs à assigner à l’agriculture dans le contexte actuel de la mondialisation, et en particulier des relations Nord-Sud. Si l’inéquité du commerce mondial entre le Nord et le Sud est flagrante et demande un essentiel rééquilibrage, l’enjeu est-il pour autant aujourd’hui dans le domaine agricole de « défendre le Sud contre le Nord », ou plus fondamentalement de promouvoir un modèle agricole à même d’assurer le respect des droits économiques et sociaux de tous les agriculteurs, aux quatre coins du globe ? Répondre à cette première question est primordial, tant cela conditionne de façon déterminante la manière dont on aborde les questions agricoles à l’heure de la mondialisation. Or, à ce jour, cette question semble trop souvent laissée de côté par les décideurs au sein des instances internationales et autres lieux de décisions stratégiques.

45D’autre part, une fois tranchée cette question, se pose logiquement celle des moyens à mettre en œuvre pour concrétiser au mieux les objectifs finalement assignés à l’activité agricole. Cette question est celle de savoir si l’on souhaite être « conséquent » ou non avec les buts poursuivis. En l’occurrence, pour peu que l’on se fixe l’objectif de garantir le respect des droits économiques et sociaux de l’ensemble des agriculteurs, quels outils privilégier pour y parvenir, quels acteurs mettre autour de la table pour en assumer la régulation, quelles procédures décisionnelles de régulation adopter, et sur base de quels indicateurs réguler ? Si libéraliser l’agriculture s’avère être une stratégie a priori opportune pour permettre au Sud de bénéficier de ses avantages comparatifs dans ce secteur, cette stratégie n’apparaît pas crédible s’il s’agit de promouvoir un modèle agricole viable pour l’ensemble des filières agricoles, le marché ne comportant à lui seul aucun mécanisme visant spécifiquement à garantir le respect des droits économiques et sociaux, dont celui de revenus décents. Que dire, par exemple, de ces agriculteurs qui disparaissent purement et simplement lors des « réajustements naturels », « autorégulateurs » du marché ? Que dire encore, autre exemple, de la situation actuelle des producteurs de coton d’AOC, qui montre bien que la capacité à maintenir une production sur un marché n’implique pas le moins du monde une rémunération décente des producteurs ? Aujourd’hui, ces agriculteurs parviennent pour l’essentiel à « s’en sortir », mais dans quelles conditions ?

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Notes

Pour citer cet article

Stéphane Parmentier, «Le dumping de coton-fibre : quelle réponse y apporter ?Le Sud contre le Nord, ou l’émergence d’un modèle agricole viable aux quatre coins du globe ?», BASE [En ligne], volume 10 (2006), numéro 4, Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2006 10(4), p. 299–308 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=538.

A propos de : Stéphane Parmentier

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