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- Volume 14 (2010)
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Le coton biologique au Paraguay. 1. Construction de la filière et contraintes économiques
Editor's Notes
Reçu le 15 juin 2009, accepté le 21 octobre 2009
Résumé
Au Paraguay, producteur traditionnel de coton en agriculture familiale paysanne, la culture et la transformation du coton certifié biologique se sont développées depuis 2003. Cet article rapporte une étude exploratoire de la filière cotonnière biologique paraguayenne réalisée dans le but d'appréhender sa construction, ses acteurs ainsi que son fonctionnement et d'identifier des contraintes économiques et organisationnelles. L'étude a été effectuée en 2008 en période de récolte du coton sous la forme d'entretiens avec les acteurs institutionnels et des producteurs paysans. La filière a été lancée par une entreprise dans un contexte favorable d'expansion nationale de l'agriculture biologique et de marché de niche à l'échelle internationale. Cette entreprise a mis en œuvre une forte stratégie d'alliances avec les organisations non gouvernementales, le secteur public et d'autres opérateurs privés dans le but d'accroître le réseau de producteurs, la production textile et sa commercialisation à l'exportation. Nous avons identifié trois principales contraintes économiques et organisationnelles. En premier lieu, la production biologique est encore dépendante du secteur conventionnel pour son approvisionnement en semences. En deuxième lieu, les couts de la certification biologique appliqués à une production paysanne dispersée géographiquement limitent les possibilités d'expansion de la filière. En troisième lieu, malgré un prix d'achat du coton-graine biologique majoré de 12 à 14 % par rapport au coton-graine conventionnel, la filière biologique a subi en 2007-2008 des fuites de coton-graine vers la filière conventionnelle. Ces fuites ont été imputables à l'obligation pour les producteurs de livrer un coton de meilleure qualité et à une campagne d'achat du coton biologique plus lente entrainant des paiements tardifs. Ces trois problématiques méritent d'être étudiées pour proposer des mesures favorisant durablement l'essor de la filière biologique au Paraguay.
Abstract
Organic cotton production in Paraguay. 1. Some economic limitations for a novel industry. Paraguay, whose small farmers are traditionally cotton growers, has begun to crop and process organic cotton since 2003. An exploratory study was carried out in order to have a better knowledge of the way the organic cotton production has developed and to detect eventual economic limitations. The study was achieved in 2008 during the cotton harvest period by interviewing the actors from the farm to the industrial level. The organic cotton industry was built by a single company in a favorable national (20 years of organic production for a diversity of crops) and international (an increasing demand for organic products, including cotton) context. This single company applied a strategy of creating alliances with NGOs, public authorities and other private operators, in order to increase farm production – by adding new farmers – and textile manufacture and trade worldwide. We detected three kinds of economic limitations. Firstly, organic cotton production still remained largely dependent on the conventional cotton industry for the supply of seed. Secondly, the cumbersome certification process at farm level and its cost associated with increased logistic problems derived from the increase in geographical dispersion of small producers appeared to seriously limit the possibilities for expansion. Thirdly, although the price paid for organic cotton was 12-14% higher in 2008, the obligation for the farmers to sell drier cotton and a longer buying process resulting in delayed cash payments led many farmers to sale a large part of their organic cotton to conventional buyers. We recommend in-depth studies on these three topics to acquire a better knowledge of their extent in terms of intensities and variations, and to propose measures to mitigate them.
Table of content
1. Introduction
1Le coton biologique est cultivé depuis une vingtaine d'années dans plusieurs pays du monde en réponse à des préoccupations environnementales et sociales de consommateurs aisés de pays du Nord (Haynes, 2006). Au terme de la campagne 2007-2008, la production de coton biologique était de 145 672 tonnes de fibre (0,55 % de la production mondiale) provenant de 22 pays et concernait environ 178 000 producteurs et 161 000 ha (Ferrigno et al., 2008). Cette production de coton biologique est pour l'essentiel issue d'agricultures familiales paysannes, en général soutenues par des organisations non gouvernementales (ONG) et est souvent couplée au commerce équitable. La littérature rapporte des expériences de production concernant des pays du Nord et du Sud, comme les États-Unis d'Amérique (Martin et al., 2003), la Grèce (Mygdakos et al., 2007), l'Inde (Raj et al., 2005 ; Eyhorn, 2007 ; Eyhorn et al., 2007) et certains pays africains (Ton, 2003 ; Diarra et al., 2006). Les études comparant les systèmes de production biologique et conventionnel sont cependant plus rares (Matthess et al., 2005 ; Swezey et al., 2007).
2En Amérique du Sud, l'élevage et l'agriculture certifiés biologiques couvraient en 2007 cinq millions d'hectares, soit 1,17 % de la surface agricole (Gonzalez et al., 2008). Sur ce continent, le coton biologique est produit au Pérou, au Brésil et au Paraguay (Ferrigno et al., 2008). Le Paraguay, pays de tradition cotonnière (Morel, 2001), est pionnier de l'agriculture biologique (Alter Vida, 2008 ; Moriya et al., 2008) ; depuis le début des années 1990, l'agriculture biologique s'y développe sous l'impulsion d'ONG locales et d'entreprises privées. Dans ce pays, 60 000 ha seraient cultivés en mode biologique, dont 40 000 ha sous certification et 20 000 en phase de transition ou sans certification (Gonzalez et al., 2008). Les ONG paraguayennes, soucieuses de rendre les exploitations agricoles moins dépendantes des cultures de rente et des pesticides (notamment pour le coton) et de préserver la santé des familles et l'environnement, œuvrent en faveur de l'agriculture biologique via la diversification des cultures et des revenus et l'accès à de nouveaux marchés (Paredes, 1998). Ce travail de fond des ONG a été déterminant dans l'essor des filières biologiques, comme l'a été la consolidation apportée par les entreprises qui ont su saisir les opportunités offertes à l'exportation pour des marchés de niche (Moriya et al., 2008). Actuellement, les autorités du Paraguay soutiennent cette évolution et ont même élaboré une stratégie de développement avec la participation des acteurs des différentes filières et d'organismes et bailleurs de fonds internationaux, dont l'Union européenne (Gonzalez et al., 2008).
3Au Paraguay, la culture du coton, qu'elle soit conventionnelle ou biologique, est essentiellement assurée par de petites exploitations familiales paysannes peu ou pas mécanisées, contrairement au soja et à la viande bovine qui sont produits pour l'essentiel dans de grandes propriétés. Dans la filière coton conventionnelle, des intermédiaires appelés acopiadores fournissent intrants et crédits aux producteurs qui sont leurs clients. Les acopiadores achètent le coton-graine aux producteurs et le vendent aux entreprises d'égrenage qui exportent l'essentiel de la fibre, souvent par le biais de négociants (traders). Dans la filière coton biologique, les agriculteurs sont généralement encadrés par des ONG, des entreprises ou des coopératives et ils sont également organisés en comités de producteurs. Dans ce pays, malgré plusieurs plans de relance pour la culture de coton (Morel, 2001), la production conventionnelle décline depuis le début des années 1990 (CADELPA, 2008a ; 2008b), alors qu'inversement l'exportation de produits agricoles biologiques est en plein essor (Alter Vida, 2008).
4Le premier produit biologique paraguayen est le sucre de canne, qui implique une dizaine d'entreprises sucrières et 4 000 agriculteurs sur environ 30 000 ha. Avec plus de 60 000 tonnes de sucre par an, le Paraguay se situe à la tête des exportateurs mondiaux de sucre biologique. Viennent ensuite le maté ou thé des jésuites (Ilex paraguariensis A.St.-Hil.), très prisé en Amérique du Sud, le soja, le sésame, l'arachide et de nombreuses autres plantes alimentaires et médicinales ou à infuser. L'ensemble de ces cultures concerne environ 4 000 agriculteurs sur 11 000 ha (Gonzalez et al., 2008).
5Le coton participe à cette mouvance biologique paraguayenne avec, en 2001, la création par un groupe commercial familial de l'entreprise de production et de transformation de produits agricoles biologiques Arasy Orgánica (Moriya et al., 2008). Depuis 2003, cette entreprise a développé la production et la commercialisation d'une gamme de produits textiles en coton biologique en nouant des alliances avec de nombreux partenaires. Toutefois, si cet essor paraguayen est évoqué sur les sites Internet faisant la promotion du coton biologique dans le monde ou de l'agriculture biologique au Paraguay, aucune publication scientifique à notre connaissance ne s'y réfère. C'est pourquoi une étude exploratoire a été réalisée au Paraguay en 2008 pour mieux cerner la filière coton biologique, ses acteurs et son fonctionnement et d'autre part, pour mieux cerner les aspects agronomiques (Silvie et al., 2010). Des contraintes d'ordres économique et organisationnel ont également été identifiées, elles sont présentées dans cet article.
2. Modalités de l'étude et contexte
6Début 2008, la branche textile d'Arasy Orgánica est devenue Aratex Orgánica (www.aratex.com.py), les activités hors coton ayant été vendues à un groupe agro-industriel. Dans la suite de l'article, sauf exception précisée, nous utilisons le vocable Aratex pour nous référer à Arasy Orgánica ou Aratex Orgánica. Trois nouveaux projets de production de coton biologique étaient en gestation au Paraguay au moment de l'étude, dont un directement connecté à la filière créée par Aratex, et deux autres indépendants. Ils ne sont pas décrits dans cet article car ils ne contribuaient pas encore à la production, ou de façon encore très marginale pour l'un d'eux.
7L'étude exploratoire s'est déroulée de mi-février à mi-mai 2008, en période de récolte du coton. La collecte des informations s'est faite principalement sous forme d'entretiens avec les acteurs et de visites sur les sites de production. Quelques visites institutionnelles ont été réalisées à Asunción, la capitale. Sur le terrain, le travail a débuté à Villarica, département de Guairá, auprès des agents de l'entreprise Aratex et de ses partenaires locaux, puis dans les départements voisins ou plus éloignés auprès des partenaires ainsi qu'auprès d'autres acteurs porteurs de nouveaux projets. À la fin de l'étude, deux séances de restitution ont été organisées, l'une à Villarica auprès d'ONG et de producteurs, l'autre à Asunción en présence de responsables institutionnels. Les institutions impliquées dans la production du coton biologique au Paraguay ont été interviewées une ou plusieurs fois. Les entretiens avec 33 paysans ont été majoritairement réalisés à l'occasion des tournées de fin de campagne agricole (autorisations de récolte et récolte) des agents d'Aratex ou de ses partenaires.
8Les statistiques recueillies auprès d'Aratex sont complètes uniquement pour la production annuelle en coton-graine. Pour le nombre de producteurs et les surfaces, elles restent incomplètes et concernent trois campagnes : 2003-2004, 2006-2007 et la campagne en cours au moment de l'étude, 2007-2008. Les données élémentaires concernant les exploitations agricoles recueillies par les techniciens d'Aratex constituent un fonds documentaire très riche mais seulement partiellement numérisé et difficile à exploiter en l'état actuel du système de gestion des données.
3. Résultats et discussion
3.1. La construction de la filière coton biologique au Paraguay : une stratégie d'alliances entre acteurs
9Cette étude de la filière coton biologique paraguayenne a montré le rôle moteur et central de l'entreprise Aratex qui exporte la fibre biologique, produit et commercialise des produits semi-finis et finis. La première récolte de coton certifié biologique a eu lieu en 2003, précédée d'une phase de transition initiée en 2001. La première récolte de coton certifié à la fois biologique et équitable a eu lieu en 2007.
10Le développement de la filière coton biologique repose sur le renforcement progressif d'un réseau d'alliances construit par Aratex pour accroître la production de la matière première et pour aboutir à des produits textiles. La croissance de la production de coton-graine a reposé sur des alliances avec des ONG, entreprises et coopératives déjà engagées dans l'agriculture biologique, qui apportent leurs coopérateurs (cooperadores), c'est-à-dire « leurs » agriculteurs. Ces alliances fonctionnent comme des échanges de services. D'une part Aratex, qui engage sa responsabilité de certification, a besoin d'agriculteurs fermement engagés à produire en accord avec les normes de l'agriculture biologique et, d'autre part, les partenaires promoteurs de l'agriculture biologique ont besoin d'assurer des débouchés commerciaux fiables pour leurs coopérateurs, dont beaucoup sont d'anciens producteurs de coton conventionnel. Aratex définit les exigences de la production certifiée et fournit les intrants à crédit (semences, intrants autorisés, sacs de récolte). Les partenaires assurent l'assistance technique et organisationnelle auprès de leurs coopérateurs et apportent aussi un appui logistique à Aratex, qui reste cependant très impliquée dans l'inspection directe des fermes, la collecte de la récolte et la formation continue des techniciens. Des conventions entre Aratex et ses partenaires et des contrats entre Aratex et ses coopérateurs formalisent ces alliances.
11La filière agricole en amont. Entre 2003 et 2008, le nombre des coopérateurs d'Aratex est passé de 89 dans le département de San Pedro (27 ha) à 557 répartis dans sept départements sur 433 ha (Tableau 1 ; Figure 1). Cette surface représentait l'aire finale certifiée biologique. Ajoutons que plus de 600 producteurs certifiés ont été recensés en 2009 (Segovia, communication personnelle).
12Aratex encadre directement certains producteurs de San Pedro et Guaira. Hors les producteurs de canne à sucre biologique qui ont aussi opté pour le coton biologique, de nombreux coopérateurs d'Aratex sont d'anciens producteurs de coton conventionnel ayant souvent eu des déboires avec les pesticides de synthèse.
13Le centre de gravité de la filière s'est déplacé du département de San Pedro, où était domicilié Arasy Orgánica, vers le département du Guaira (Figure 1), où sont représentés plusieurs partenaires d'Aratex, dont Azucarera Paraguaya (AZPA), entreprise exportatrice de sucre biologique. AZPA est rapidement devenue le principal partenaire d'Aratex : 41 % des producteurs en 2006-2007, 26 % en 2007-2008 (Tableau 1). Pour certains petits producteurs de sucre biologique d'AZPA, le coton biologique est une option de rotation lucrative entre deux cycles de 4 à 6 ans de canne.
14Les autres coopérateurs ont été amenés par des ONG implantées dans ou autour du département de Guaira, dont l'ONG nationale Alter Vida, qui a été l'un des promoteurs de l'élaboration de la stratégie nationale de développement des filières biologiques (www.altervida.org.py) et l'ONG départementale Asociación Jopoy, active dans la Coordination interinstitutionnelle du département de Guaira en faveur de la promotion de l'agriculture familiale paysanne et de l'artisanat. Certaines coopératives tentent aussi la production biologique, passant de quelques coopérateurs pilotes la première année à plusieurs comités de producteurs en deuxième année.
15Enfin, les producteurs anciens élèves du CECTEC (www.cectec.org.py, Centre d'éducation, de formation et de technologie paysanne, ONG nationale très active en matière de formation), ont dû renoncer à vendre leur coton à Aratex après seulement une année de production certifiée, en raison de l'éloignement et de difficultés d'accès à leur zone de production ainsi que de risques élevés de contamination du coton avec du coton transgénique clandestin, très fréquent dans le département d'Itapua (Martin, 2007).
16La filière textile en aval et les appuis institutionnels. L'égrenage du coton-graine a été assuré dans un premier temps par Aratex au moyen d'une égreneuse à rouleau importée du Brésil, puis sous-traité à une petite usine permettant de contrôler la totalité du process d'égrenage. Près de la moitié de la production d'Aratex est exportée sous forme de fibre brute vers les États-Unis. Pour la transformation textile, les alliances ont été construites avec des entreprises de filature et de tissage et des associations d'artisans du tissage, de la confection et de la broderie, ainsi que des stylistes. Le plus important des partenaires industriels est la Manufactura de Pilar (filature, tissage et teinture), qui a investi en équipements et en formation pour bénéficier de la certification Global Organic Textile Standard (GOTS), partiellement en place depuis 2005. Aratex exporte ainsi du fil, du tissu et des vêtements. Elle fournit également du fil à une nouvelle entreprise paraguayenne créée en 2005 qui exporte des produits biologiques de luxe en coton et laine pour bébés. Enfin, Aratex possédait en 2008 deux boutiques à Asunción, capitale du Paraguay.
17Très tôt, Aratex a activement coopéré avec l'ONG internationale Organic Exchange (www.organicexchange.org) qui promeut le coton biologique dans le monde et renforce les capacités organisationnelles et commerciales des entreprises et des producteurs.
18Dans sa stratégie d'alliances, Aratex a également développé la complémentarité entre initiative privée et service public à différentes échelles. À l'échelle nationale, l'entreprise s'est associée avec le Ministère du Travail pour organiser des activités de formation au bénéfice de producteurs et avec d'autres Ministères (notamment de l'Agriculture) et des universités (notamment facultés d'agronomie) pour des activités de recherche-développement. Aratex a également promu des accords de développement aux échelles départementale et municipale. Cette approche participative et l'effort de formalisation de ses activités pour les asseoir sur une base durable lui ont valu le soutien d'organismes nationaux tels que REDIEX (www.rediex.gov.py, organe du Ministère de l'Industrie et du Commerce créé en 2005 dans le cadre d'une convention avec le Programme des Nations Unies pour le développement, PNUD, Projet PAR 05/002) et internationaux tels que la GTZ (Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit, Allemagne) et l'ICCO (http://www.icco.nl, organisation inter-églises néerlandaise).
19L'encadrement des agriculteurs : une approche participative. Pour obtenir les certifications biologique et équitable, Aratex présente annuellement à l'organisme certificateur international son plan de production, qui repose sur son réseau de coopérateurs contractuels encadrés directement par ses agents, ou indirectement par les agents des partenaires. Aratex présente également son système interne de contrôle, qui permet de documenter plusieurs fois par an et de suivre sur plusieurs années les pratiques des coopérateurs à l'échelle de la parcelle et de la ferme. L'organisme certificateur vérifie la documentation et procède à des contrôles de terrain ponctuels.
20L'approche participative est mise en œuvre notamment en matière de formation. Les aspects de formation sur l'agriculture biologique en général et d'information sur les exigences de la certification constituent un point clé de réussite du réseau de producteurs paysans. Pour cela, les coopérateurs ont été invités à s'organiser en comités (une dizaine de producteurs par comité) et à désigner en leur sein un « paratechnicien », relais des formateurs et des assistants techniques auprès des coopérateurs et vecteurs du feed-back. À titre d'exemple, les manuels sont fréquemment actualisés en tenant compte des expériences partagées entre techniciens et producteurs (Arasy Orgánica, 2006 ; Nicholls et al., 2007 ; Paredes, 2007). Les avancées des projets d'agriculture biologique ont d'ailleurs été utilisées pour élargir l'éventail des recommandations techniques à l'agriculture familiale paysanne pour promouvoir la durabilité des systèmes de production ; en témoigne l'ouvrage de type compendium co-publié par le Ministère paraguayen de l'Agriculture et la GTZ (PMRN, 2008).
21Les efforts des partenaires de la filière coton biologique s'inscrivent dans la durée et ont pour but de bâtir des relations de confiance durables entre coopérateurs et institutions d'encadrement. La possibilité de bénéficier durablement d'une assistance technique rapprochée à l'échelle de l'exploitation (en plus du coton : cultures vivrières et de rente, gestion, commercialisation, diversification) est de ce point de vue apparue comme un élément important de fidélisation des producteurs à l'agriculture biologique.
3.2. Les principales contraintes identifiées
22Les contraintes d'ordre économique ou organisationnel identifiées par notre étude exploratoire sont de trois ordres : la difficulté de la filière coton biologique paraguayenne de s'affranchir de la filière coton conventionnelle, le temps et l'argent absorbés par les procédures de certification appliquées à une structure de production dispersée et, enfin, des fuites aussi inattendues que substantielles de coton biologique vers la filière conventionnelle, entrainant a posteriori une difficulté à obtenir des informations précises et sûres sur les productivités réelles.
23Les semences biologiques, point faible de la filière. Au Paraguay, les semences officielles de coton sont certifiées conformes aux normes nationales (adaptées des normes génériques internationales) par les services de contrôle du Ministère de l'Agriculture. Les semences de base sont produites par l'obtenteur de la variété ou son représentant légal. Les semences commerciales sont ensuite produites et commercialisées par des entreprises semencières sous contrat avec les obtenteurs. Les semences commerciales doivent être délintées (suppression du linter, duvet de fibres très courtes, par voie mécanique ou chimique) et traitées par enrobage avec un mélange de produits fongicides et insecticides.
24Aratex a obtenu une dérogation pour utiliser des graines non traitées et elle s'est officiellement inscrite comme semencier en 2004. Les semences de base de la variété choisie par Aratex étaient fournies par les services de production du Ministère de l'Agriculture et Aratex se chargeait ensuite de les multiplier en deux étapes, la première multiplication directement à la charge d'Aratex et la seconde confiée à des coopérateurs. Mais cette production de semences biologiques a été en grande partie un échec, pour trois raisons :
25– quelques fortes attaques parasitaires mal contrôlées, notamment en première multiplication dans le département de San Pedro,
26– des retards de semis dus à des difficultés organisationnelles internes ou à la fourniture tardive des semences de base,
27– une absence de bonification spécifique pour les coopérateurs multiplicateurs.
28Cette situation a conduit Aratex à recourir largement à l'achat de semences dans la filière conventionnelle, en veillant à ce qu'elles ne soient ni délintées chimiquement ni traitées. Aratex a également recouru à deux reprises à l'utilisation semencière de graines issues de sa production biologique ordinaire (hors plan semencier), moyennant des autorisations de l'obtenteur de la variété entérinées par les services officiels. Au total, cet échec a révélé la dépendance d'Aratex vis-à-vis de la filière semencière conventionnelle, ce qui pourrait poser problème notamment dans une perspective d'accroissement des surfaces.
29Cependant, même en admettant un bon contrôle des facteurs et conditions de la production semencière, la filière coton biologique resterait dépendante de la filière conventionnelle pour son réapprovisionnement annuel en semences de base. Deux solutions seraient possibles pour sortir de cette dépendance :
30– entretenir en système de production biologique un nucleus bis, en accord avec l'obtenteur de la variété à multiplier et avec les services de contrôle du Ministère de l'Agriculture,
31– inscrire une nouvelle variété obtenue en système production biologique à partir d'un travail de sélection sur des variétés tombées dans le domaine public ; cette voie était en cours d'exécution par Aratex avec une re-sélection de la variété Reba P279, qui garde en milieu paysan une très bonne image de rusticité et de productivité (Centurion et al., 2005).
32La certification appliquée à une structure de production fragmentée. La certification permet l'accès à des marchés plus rémunérateurs que les marchés conventionnels, communément avec des bonus de 20 %, souvent davantage. En début 2008 aux USA par exemple, la fibre de coton pré-biologique (encore en phase de transition) a été achetée 30 à 40 % plus cher que la fibre conventionnelle (communication personnelle, Alejandro Pozzi, trader paraguayen, porteur d'un futur projet de production de coton biologique). La production de coton des coopérateurs d'Aratex est certifiée biologique selon les normes européennes (CEE 2092/91), américaines (NOP, National Organic Programme) et japonaises (JAS, Japanese Agricultural Standard), par le bureau suisse d'IMO Control (Institute for Marketecology). La certification des produits textiles selon les normes Global Organic Textile Standard (GOTS) a été partiellement mise en place depuis 2005. Depuis 2007, Aratex bénéficie aussi de la certification de commerce équitable Fair for Life également par IMO Control.
33La certification est précédée d'une phase de transition qui commence trois ans avant la première récolte certifiée. Avec l'organisation du contrôle interne des exploitations à toutes les étapes de la production, y compris pendant la période de transition et le contrôle externe réalisé chaque année par l'organisme certificateur étranger, la certification coute d'autant plus cher que les parcelles de production sont dispersées et petites. Il en est de même des couts liés à la logistique hors certification : distribution des intrants, collecte et achat du coton-graine. Certaines étapes de la transformation textile présentent également la même structure (petits artisans dispersés). Aratex a donc supporté jusqu'à présent des couts d'exploitation et de certification très élevés du fait de la structure dispersée de sa production.
34Nous avons obtenu seulement quelques indications sur la formation des prix d'achat du coton-graine biologique payé aux producteurs. Dans ce contexte de structure de production très fragmentée, il est probable que les couts de la certification rapportés au kg de coton-graine soient très élevés et se répercutent négativement sur le bonus octroyé aux producteurs. En effet, en 2004, le bonus sur le prix d'achat du coton-graine biologique représentait un avantage de 20-25 % par rapport au prix d'achat local du coton conventionnel, mais par la suite il a plutôt fluctué autour de 10-15 %. En 2007-2008, le bonus aux producteurs a été fixé à 300 Gs (guaranies, devise paraguayenne) par kg de coton-graine. Le coton-graine conventionnel s'étant acheté entre 2 100 et 2 600 Gs.kg-1, le bonus 2007-2008 a donc varié entre 14,2 % et 11,5 % (5 000 Gs équivalaient à environ 1 USD). En 2008-2009, le prix d'achat du coton conventionnel s'étant effondré à environ 1 000 Gs.kg-1, le prix d'achat du coton biologique a été fixé à 1 200 Gs.kg-1, faisant ainsi remonter le bonus relatif à 24 % (Sady Ortiz, communication personnelle).
35L'analyse de la formation des prix d'achat du coton-graine biologique et des prix de revient des produits biologiques dans un contexte de production fragmentée en amont et de transformation diversifiée en aval n'apparait pas a priori comme un exercice facile. Pour consolider durablement la filière, il semble néanmoins nécessaire d'avancer dans cette voie pour mieux cerner la structure du cout de la certification et l'élaboration du prix d'achat du coton-graine biologique et du bonus potentiel.
36Des fuites de production vers la filière conventionnelle. En 2007-2008, le rendement moyen de coton-graine, calculé à partir du volume de la production collectée (213 t) et du cumul des surfaces autorisées à livrer la récolte, est faible : 492 kg.ha-1. Malgré les bonnes conditions climatiques et sanitaires de 2007-2008, il est en baisse par rapport à celui de 2006-2007 (602 kg.ha-1), campagne marquée par une sècheresse et une forte pression de ravageurs. Il est également largement inférieur (- 42 %) au rendement d'environ 850 kg.ha-1 attendu sur la base des formulaires individuels d'autorisation de récolte établis en période d'ouverture des capsules dans le cadre de la certification (Tableau 1). L'écart entre ces deux rendements met en lumière un défaut de bilan entre production attendue et production obtenue. Cette perte de production est principalement imputable à des ventes de coton agréé biologique effectuées par les coopérateurs d'Aratex à des acopiadores conventionnels, opérant pour le compte d'entreprises d'égrenage. Les acheteurs ont répercuté la concurrence entre égreneurs, exacerbée en 2008 par le cours élevé de la fibre sur le marché international en cette période-là et l'extrême faiblesse de l'offre locale en coton conventionnel (la plus faible depuis le début des années 1970) : les prix d'achat du coton conventionnel ont évolué à la hausse et rogné l'avantage relatif du bonus au coton biologique. Dans ces circonstances, et malgré le contrat les liant à Aratex, les producteurs de coton biologique ont cédé aux avances des acheteurs conventionnels pour faire face à leurs besoins de trésorerie, toujours élevés en période de rentrée scolaire (fin février, début mars). En outre, l'absence d'exigence de qualité de la filière conventionnelle a facilité ces ventes car, contrairement au coton biologique, le coton conventionnel peut être vendu en l'état sans sèchage.
37Le coton étant récolté au Paraguay en période encore humide, il est fréquent d'acheter du coton à plus de 17 % d'humidité en filière conventionnelle. Le sèchage du coton, qui ramène le taux d'humidité au-dessous de 12 %, est seulement obligatoire en production semencière pour préserver la qualité des graines. Cette exigence a été généralisée par Aratex à toute sa production biologique comme mesure préservatrice de la qualité des graines et de la fibre. Ainsi, en 2008, l'égrenage de la production d'Aratex a été réalisé dans une seule usine (Algodonera Ybyturuzu, Guaira) en une seule opération. Il fallait que le coton soit sec pendant les trois mois de stockage entre le début des récoltes et l'égrenage final (mi-mai 2008). Pour les agriculteurs, le sèchage crée du travail supplémentaire de manutention pour étaler le coton-graine au soleil, le surveiller puis le ranger à l'abri le soir. Mais il entraine surtout une perte de poids qui absorbe tout ou partie du bonus accordé par Aratex.
38De plus, en 2008, les acheteurs conventionnels ont largement devancé Aratex en termes de calendrier de collecte et de paiement. En effet, les acopiadores bénéficient de leur proximité géographique pour démarcher les producteurs, de leur autonomie en moyens de transport et du financement des égreneurs pour régler au comptant leurs achats. À l'inverse, les contraintes liées à la certification, souvent aggravées par des moyens logistiques et financiers limités, ont étendu le calendrier d'achats, de collectes et de règlements d'Aratex et de ses partenaires. Aratex avait certes mis en place un système d'avance sur récolte en 2008, mais il a été insuffisant en termes de montant et surtout de calendrier face à l'agressivité commerciale des acopiadores et des égreneurs ; ce système d'avance n'a pu empêcher de nombreux coopérateurs d'Aratex de placer une importante partie de leur récolte agréée biologique dans la filière conventionnelle.
39La certification est une démarche qualité qui suppose la documentation de toutes les étapes de la production et d'en conserver les traces. L'analyse des informations ainsi recueillies permettrait une analyse quantitative et spatio-temporelle des estimations de pertes de production : importance des fuites, répartition géographique et calendrier de la campagne d'achat. Une analyse fine de ces pertes estimées assortie de considérations financières et logistiques au niveau de l'ensemble du réseau permettrait de formuler des mesures pour minimiser les pertes et pour rendre plus rentables les efforts déployés tout au long de la campagne agricole et des années antérieures. Cela suppose aussi un investissement de la filière dans un système plus performant de gestion des données qui, au moment de l'étude, ne permettait pas encore d'extractions directes.
4. Conclusion
40Jusqu'en 2008, la production de coton biologique au Paraguay reposait sur une seule entreprise qui, en 8 ans, a su construire un remarquable réseau d'alliances en vue d'accroitre la production paysanne et d'élargir son offre commerciale de produits textiles, fibre et fil, tissus et vêtements de qualité export. Le partenariat a été développé avec des ONG travaillant auprès de paysans et d'artisans, avec le secteur public, avec des entreprises privées et des stylistes, ainsi qu'avec des organisations internationales. Malgré cette réussite, notre étude exploratoire a révélé trois grandes contraintes d'ordre économique ou organisationnel. En premier lieu, la production de coton biologique ne s'est pas encore affranchie de la filière conventionnelle pour son ravitaillement en semences. En deuxième lieu, les couts de la certification biologique appliqués à une production paysanne dispersée géographiquement et à une filière en aval très ramifiée ont certainement limité les possibilités de bonus répercuté aux paysans. Enfin, en 2008, la filière biologique a subi des fuites de coton-graine vers la filière conventionnelle du fait d'une exigence de qualité insuffisamment rétribuée par un bonus modeste et du fait des paiements trop tardifs de la filière biologique. Ces trois problématiques méritent d'être étudiées pour proposer des mesures favorisant durablement l'essor de la filière biologique au Paraguay.
41Remerciements
42Les auteurs remercient tous ceux qui ont collaboré à cette étude exploratoire : entreprises, organisations paraguayennes et de coopération internationale citées dans le texte, ainsi que les agriculteurs interviewés restés anonymes. Les auteurs remercient spécialement Olga Segovia et Nelson Páez (Aratex Orgánica), Mary Cruz Andueza et Sady Ortiz (Associación Jopoi) pour leur aide matérielle sur le terrain, Simon Ferrigno et Doraliz Aranda (Organic Exchange, Londres) pour leur appui financier, ainsi que Cécile Fovet-Rabot (Cirad, Montpellier) pour la relecture du manuscrit.
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