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- volume 10 (2006)
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Impact de la dynamique cotonnière sur le développement rural.
Etude de cas de la région de Korhogo, au Nord et au Centre de la Côte d’Ivoire
Résumé
La culture du coton constitue la principale source de revenu monétaire dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest. C’est le cas par exemple au Mali où elle apporte 45 à 65 % des recettes d’exportation, au Burkina Faso où elle est le premier produit d’exportation en générant 50 à 60 % des entrées de devises, ou au Bénin où elle représente plus de 30 % des recettes d’exportation. Contrairement à ces pays, en Côte d’Ivoire, la culture du coton ne représente que moins de 10 % des recettes d’exportation. La culture du coton y occupe la troisième place dans les exportations après celles du cacao et du café. Cependant, bien qu’elle ait une faible importance relative sur le plan national, la culture du coton constitue la principale ressource économique des zones de savane. La production de coton fibre y est en moyenne de 150 000 tonnes par an de 1995 à 2004. Annuellement, le pays exporte plus de 90 % de sa production de coton fibres. La présente étude s’intéresse au cas particulier de la Côte d’Ivoire où, suite à de nombreux travaux de recherches agronomiques et technologiques, de longues années de vulgarisation, de formation et d’information des producteurs agricoles, la place de la culture du coton a fortement évolué dans les systèmes de production agricole. En effet, le coton qui était autrefois essentiellement une culture associée aux vivriers, est devenu actuellement une culture exclusivement installée en culture pure et surtout le moteur de l’économie des zones de savanes. La première partie est consacrée aux généralités. La seconde relate l’impact technique de la culture du coton. La troisième porte sur l’impact socio-économique du coton en examinant surtout l’utilisation des revenus agricoles par les producteurs.
Abstract
Impact of cotton dynamics on rural development: a case study of Korhogo area, in the northern and central Ivory Coast. Cotton cropping is the main cash crop in several African countries. This is the case of Mali where it provides 45 to 65% of exportation incomes. Other countries can be added as Burkina Faso where cotton represents the first export product generating 50 to 60% of foreign currency returns and Benin, in a lesser extent (only 30% of exports). Unlike these three countries, Ivory Coast has a weaker cotton sector which counts only for less than 10% of the export incomes. Cotton is the third most important industrial crop of the nation after cocoa and coffee. Nevertheless, cotton is the main cash crop and economic resource in the savannah area, although it has little relative importance at the national level. By 1995, fibre production averages 150 000 tons per annum, of which 90% are exported. The present study focuses on the particular case of the Ivorian cotton sector that benefited from agricultural research and extension training programs, and made it evolving within agricultural production systems. As a matter of fact, cotton cropping changed from a mixed cropping with food crops into a monoculture system which plays as the economy driver of these regions. The first part is dedicated to general comments. The second part reports on the technical impact of cotton cropping. The third part deals with the socio-economic impact, analysing the farmer agricultural incomes and their uses.
Table des matières
1. Introduction
1.1. Le contexte
1Le plan quinquennal 1976–1980 de la Côte d’Ivoire donne les grandes orientations de la priorité accordée à la promotion de la culture du coton avec pour objectifs principaux :
2– améliorer les techniques culturales pour accroître la productivité des facteurs de production ;
3– accroître le revenu des agriculteurs pour améliorer leur bien-être ;
4– créer des emplois directs et indirects et développer les régions de savane.
5Le coton, troisième produit d’exportation de la Côte d’Ivoire (Minagra, Intercoton, 2002), joue de ce fait un rôle important dans l’économie agricole de la Côte d’Ivoire en apportant entre 5 et 10 % des exportations du pays et génère annuellement environ 120 milliards FCFA de chiffre d’affaires (BNETD, 2004 ; Mac Rae, Marmignon, 2004). La crise que traverse le pays depuis les années 1980 s’est traduite par des perturbations socioéconomiques qui ont abouti d’une part à la privatisation de la filière coton en 1998 et d’autre part, à une grave crise politico-militaire qui paralyse le pays depuis septembre 2002. Sortir de cette crise suppose que l’on repense, entre autres choses, la politique agricole. Cela ne peut se faire sans une bonne connaissance des acquis des programmes antérieurs.
6C’est dans ce contexte que le projet d’étude des « Dynamiques agraires et sécurité alimentaire dans les zones cotonnières de Côte d’Ivoire » a démarré en juin 2001 et devait s’achever en juin 2003. Mais, il a été suspendu depuis septembre 2002 pour reprendre en 2004, suite à la crise que traverse le pays. Cependant, nous ne donnons dans ce document que les résultats des recherches conduites avant la crise.
1.2. L’objectif de l’étude
7L’objectif général de l’étude consiste à contribuer à une meilleure connaissance des acquis des anciens programmes de développement en vue d’une bonne définition de la nouvelle politique agricole. De façon spécifique, il s’agit d’évaluer l’impact socio-technique et économique de l’introduction de la culture du coton dans les systèmes de production agricole au Nord et au Centre de la Côte d’Ivoire.
1.3. Méthodologie
8Basée sur la participation des producteurs dans la collecte et l’interprétation des données de terrain, l’étude s’est fondée sur une perspective systémique et dynamique explorant plusieurs niveaux d’observation.
9Les niveaux d’observation. Pour examiner le processus de développement, on a adopté une démarche participative centrée sur l’étude des systèmes de production agricole et des pratiques socio-économiques. Les niveaux d’observation sont la parcelle cultivée, l’exploitation agricole, le village ou terroir villageois, la région agricole. Au niveau national, on tient compte des décisions de politique agricole et de développement régional. Ces niveaux d’observations sont imbriqués. La démarche est à la fois descendante (du général vers le particulier) et ascendante par agrégations successives des niveaux inférieurs.
10Choix de la région d’étude, des villages et des exploitants. L’étude s’est essentiellement déroulée au Nord de la Côte d’Ivoire dans les 3 sous-préfectures de Nielle, Korhogo et Dikodougou. Le choix des villages vise à assurer le recoupement des contrastes internes à la région d’étude en tenant compte du gradient de diffusion de la culture du coton ainsi que de la spécialisation des exploitants dans les techniques de production. Les critères de choix des villages sont l’accessibilité en toutes saisons, la volonté des autorités villageoises à accepter l’étude dans leur terroir et la volonté de participation des exploitants.
11Quatre villages ont été choisis :
12– Ouamélhoro et Niellé dans l’extrême nord de la région de Korhogo, zone à faible densité de population (environ 25 habitants au km2) où le coton prédomine (taux d’adoption proche de 100 %) sur des parcelles de grande taille (5 ha, en moyenne) ;
13– Kouniguékaha dans la partie centrale, caractérisée par une forte densité de population (près de 95 habitants au km2), un taux élevé d’adoption du coton (environ 90 %) sur des parcelles de plus petite dimension (1 ha, en moyenne) ;
14– le quatrième village est Sionhouakaha, situé dans la partie sud, avec une faible densité de population (16 habitants au km2) où la culture du coton est assez peu pratiquée (taux d’adoption proche de 40 %) sur une superficie moyenne de 2 ha.
15Les unités de production familiale retenues dans l’échantillon d’enquêtes résultent d’un compromis entre la représentativité, le contraste et la diversité à partir d’un choix raisonné. L’échantillon d’enquête, à passages répétés, est constitué par 164 exploitants choisis dans les 4 villages. L’étude s’est déroulée en 4 étapes imbriquées et itératives comprenant la recherche bibliographique, la collecte de données primaires, la codification et l’analyse des données.
1.4. Présentation du milieu naturel
16La région de Korhogo se situe entre les 8° 30 et 10° 30 de latitude Nord et les 4° et 7° de longitude Est. Elle est arrosée essentiellement par les nombreux affluents du fleuve Bandama blanc. Le climat est de type tropical sec, avec 2 saisons contrastées : la saison des pluies (pluies mensuelles supérieures à 50 mm) s’étend d’avril-mai en octobre et la saison sèche, de novembre en mai. On enregistre 800 mm à 1 200 mm de pluies annuelles. La pluviométrie constitue le facteur climatique prépondérant (SEDES, 1965 ; Sinaly, 1978 ; CIDT, 1980, 1990 et 2000). L’hygrométrie moyenne est de 65–70 %. La durée moyenne annuelle de l’insolation est de 2 500 heures, la moyenne mensuelle étant d’environ 250 heures en saison sèche contre près de 140 heures pendant les mois de juillet et août (les plus arrosés). Le granite et les schistes sont les roches mères caractéristiques du substrat de la région. Les sols sont en général peu humifères et de fertilité moyenne. Le relief se présente généralement comme un plateau faiblement ondulé avec des sommets de seulement 300 m à 400 m d’altitude. La végétation se compose de forêts claires, formations savanicoles, galeries forestières, et d’îlots de forêts qui servent de bois sacrés à proximité des villages. Le peuplement a été fait par les groupes socioculturels Voltaïque (encore appelé Gour) et Mandé. Le premier est représenté par les Sénoufo et le second par les Dioula. à ces peuples, se sont ajoutés des Peulhs (SEDES, 1965 ; Sinaly, 1978). La région est aussi habitée de personnes issues de divers autres groupes socioculturels du pays et de la sous-région.
1.5. Les acteurs de la filière
17Les acteurs de la filière sont les paysans et leurs différents niveaux d’organisation, les organismes d’encadrement et de conseil agricole, le centre national de recherche agronomique, les industriels égreneurs, triturateurs ou filateurs, les fournisseurs d’intrants, les transporteurs et les autorités publiques.
2. Impact technique de la culture du coton
2.1. Le coton ouvre la voie au progrès biologique
18Pour Bublot et Sneessens (1979), les techniques sont en progrès d’une année à l’autre lorsque :
19– une quantité plus grande de produits est obtenue au départ de la même quantité de ressources ;
20– le même volume de produits est obtenu au départ d’une quantité moindre de ressources ;
21– une quantité plus grande de produits est obtenue au départ d’une quantité moindre de ressources ;
22– une quantité plus grande de produits est obtenue au départ d’un volume plus grand de ressources, l’accroissement de celui–ci étant plus petit que l’augmentation obtenue dans le volume de la production.
23Un progrès de type biologique a pour effet d’augmenter le potentiel de rendement de la plante cultivée. Au niveau de la production végétale, le progrès biologique se mesure par l’accroissement des rendements consécutivement à l’emploi de fumures plus adéquates et mieux équilibrées, la lutte contre les maladies, la sélection des plantes ou l’utilisation raisonnée de pesticides. Les rendements en coton-graine sont passés de 460 kg par ha en 1960 à 1 450 kg par ha en 1985. Même s’ils sont retombés à environ 1 200 kg par ha depuis ces 10 dernières années, on retient qu’ils se sont accrus, traduisant un progrès biologique.
2.2. Le coton favorise un progrès de savoir-faire
24Le progrès de savoir-faire est inhérent à la personne du chef d’exploitation et de sa main-d’œuvre. Il consiste en l’ouverture d’esprit, l’amélioration du niveau des connaissances et des compétences, etc. Il résulte de l’éducation, l’expérience acquise, l’effort de recherche et de vulgarisation, etc. Il conditionne souvent l’adoption des autres types de progrès. Au niveau de l’exploitation agricole individuelle, il consiste en une amélioration des techniques de culture et d’élevage, des méthodes de gestion de l’exploitation. Par exemple, la réalisation de plus en plus spontanée et généralisée de billons cloisonnés et/ou perpendiculaires à la ligne de grande pente en vue de prévenir l’érosion représente en soi un gain de maturité et de savoir-faire de la part du paysan. Par le progrès de savoir-faire, l’exploitant fait une bonne planification de l’ensemble des opérations culturales dans le temps et dans l’espace ; il emploie les matériels de culture mécanisée.
25Au début de l’introduction de l’attelage en 1975, certains paysans se demandaient comment un bœuf pouvait tenir la daba. Force est de constater qu’après quelques années d’apprentissage, les paysans ont une bonne maîtrise du travail par l’attelage et, avec le savoir-faire qu’ils ont acquis, le bœuf est devenu leur compagnon de travail.
2.3. La culture du coton favorise un progrès de type mécanique
26Le progrès mécanique a pour effet, l’exécution plus facile et plus rapide des nombreuses tâches qu’implique la venue à existence des productions agricoles. Le premier avantage visé par l’attelage est de permettre l’augmentation des superficies emblavées à partir d’une moindre quantité de travail et d’accroître la production globale de coton-graine. Le second avantage est de réduire la pénibilité du travail en le rendant plus attrayant, donnant à l’exploitant la possibilité de mieux se consacrer aux travaux d’entretien. Dans la zone d’étude, près de 2 exploitants sur 3 pratiquent la mécanisation (détenteurs d’une chaîne attelée ou motorisée, ou locataires de matériels de culture mécanisée). L’attelage permet un travail plus agréable et nécessite 3 à 4 fois moins de temps de labour à l’hectare et par actif. Cela incite les jeunes à travailler la terre, réduisant les migrations des zones cotonnières vers les villes ou vers d’autres zones rurales.
2.4. L’accroissement des superficies explique celui de la production cotonnière
27De 137 ha en 1960, la superficie cotonnière est passée à près de 230 000 ha en 2002. Au cours de la même période, les rendements moyens en coton-graine sont passés de 460 kg par ha à 1 200 kg par ha. L’analyse des variations annuelles de la production cotonnière amène à considérer 2 types d’effets résultant du savoir-faire de l’exploitant : d’une part, l’effet-superficie, dépendant principalement du progrès mécanique et d’autre part, l’effet-rendement, essentiellement imputable au progrès biologique. La mise en évidence des 2 effets du progrès technique tant recherché et véhiculé par la culture du coton est nécessaire pour réfléchir sur les perspectives d’une évolution durable du système de production cotonnier (Zagbaï, 2005).
28De 1960 à 1973, les rendements sont passés de 460 kg par ha à 980 kg par ha avec une moyenne annuelle de 730 kg par ha. Au cours de cette période, l’accroissement de la production d’une année à l’autre provient à 31 % de l’effet-rendement et à 69 % de l’effet-superficie. De 1974 à 1984, l’effet-rendement a été amélioré, représentant 34 % de la variation annuelle de la production de coton-graine. Depuis 1984, l’effet-rendement n’a cessé de s’amoindrir. De 1999 à 2002, la production a chuté suite à une baisse simultanée des superficies emblavées et des rendements. En définitive, de 1960 à 2002, le rendement a eu un effet globalement moins important sur l’évolution d’une année à l’autre de la production. En d’autres termes, c’est plutôt l’accroissement annuel des superficies qui explique celui de la production de coton-graine sur la longue période en Côte d’Ivoire.
29L’accroissement spectaculaire des superficies et l’utilisation de produits fertilisants et de pesticides ont aussi des effets sur l’environnement. Cependant, on n’a pas insisté sur la question de la durabilité du système de production à base de coton. Une approche de cette problématique met cependant en évidence des divergences de points de vue. Certains (les plus nombreux) ne trouvent que des avantages majeurs et des inconvénients mineurs à la culture du coton, notamment sur l’environnement. D’autres, par contre, considèrent que la culture du coton est un danger permanent pour l’environnement.
2.5. La culture du coton modifie l’occupation du sol
30En 1960, selon les études de la SEDES (1965), 96 % des superficies cotonnières étaient réalisées en association avec les cultures vivrières contre seulement 6 % en culture pure. En effet, le coton était associé à une seule culture, à 2 et à 3 cultures, respectivement dans 39 %, 47 % et 8 % des superficies emblavées dans la zone d’étude. Depuis 1960, la culture associée du cotonnier a peu à peu disparu dans le paysage agraire, laissant la place à des parcelles de culture pure de coton. Alors qu’en 1960, la culture du coton ne représentait qu’à peine 10 % des superficies, en 2002, elle occupait environ 49 % des emblavures. Ce constat signifie que le paysage agraire s’est considérablement transformé, résultant de mécanismes d’autoréglage des systèmes de production par les paysans, suite à l’introduction du coton. En effet, les cultures du mil et d’igname qui servaient à définir des zones de spécialisation agricole en 1960, ont perdu de leur importance, cédant la place à la culture du coton ; le coton consomme en moyenne 55 % du temps de travail agricole en 2002 contre 12 % en 1960. Le coton accroît la durée d’occupation du sol (Tableau 1) et de ce fait, réduit la durée de la jachère.
3. L’impact socio-économique du coton
3.1. Le coton accroît la différenciation des exploitants
31L’étude de la trajectoire d’évolution des exploitants peut permettre entre autres choses de classer ces derniers en sous-groupes plus ou moins homogènes. L’appartenance d’un exploitant à un sous-groupe a une certaine stabilité dans le temps. Compte tenu de l’objectif de l’étude, la typologie proposée n’est pas exhaustive, mais elle contribue à comprendre comment les exploitants en présence ont évolué dans le temps pour être ce qu’ils sont au moment des enquêtes.
32Deux critères relativement simples et aisément observables ont été privilégiés : la culture principale d’une part, et la spécialisation technique, d’autre part. Le niveau de mécanisation a permis de distinguer 3 types, à savoir la houe (culture manuelle), la traction animale et la motorisation. Certains exploitants louent l’attelage contrairement à d’autres. Dans le système vivrier, certains exploitants privilégient les céréales et d’autres, l’igname (Figure 1).
33Depuis la période précoloniale, la culture du coton a contribué peu à peu à exacerber la différenciation des exploitants. Les principes d’harmonie et de solidarité communautaires qui entraînaient une sorte de nivellement des différences par la base sont en voie de disparition. Au fil du temps, le caractère forcé ou coercitif de la culture du coton (colonial) est de plus en plus oublié, faisant place à son adoption volontaire. Cela accroît l’importance technico-économique du coton dans les décisions individuelles des chefs d’exploitation et dans le modelage du paysage agraire. La culture du coton amplifie la stratification sociale de façon irréversible. Le revenu tiré du coton participe à l’accumulation du capital : jeunes et vieux peuvent désormais exposer leur richesse au sein du village sans avoir peur de représailles comme par le passé. Dans l’échantillon d’enquête, le coton occupe 37 % des superficies des système coton manuel sans location d'attelage (MSLCA), 43 % des CCM, 49 % des système coton manuel avec location d'attelage (MALCA) et 55 % des CCA.
3.2. Le coton réduit le niveau de pauvreté
34L’analyse de la rentabilité des différents systèmes de production permet de dire que la culture du coton est un moyen pour le moment indispensable de procurer un revenu monétaire net appréciable à l’exploitant. En 2002, le seuil de pauvreté était estimé à 160 000 FCFA par individu en âge de travailler en Côte d’Ivoire. En milieu paysan, un homme en âge de travailler est un actif agricole. Le revenu monétaire net moyen par actif agricole est donc un indicateur intéressant pour apprécier le niveau de pauvreté qui prévaut dans les villages. La figure 2 rend compte des niveaux de richesse dans les 4 villages d’enquête en distinguant 2 sous-groupes d’exploitants respectivement au-dessus et en dessous du seuil de pauvreté.
35Il ressort que dans les 4 villages, en moyenne, 72 % des exploitants vivent au-dessus du seuil de pauvreté tandis que 28 % vivent à un niveau inférieur. Cependant, 73 % des exploitants vivent en dessous du seuil de pauvreté dans le village de Sionhouakaha où la culture du coton est relativement peu pratiquée. Pour le village de Kouniguékaha, où presque tous les exploitants cultivent le coton, on a un résultat inverse de celui de Sionhouakaha (Figure 2). à Niellé et à Ouamélhoro où environ 95 % des exploitants cultivent le coton, on note que 87 % et 95 % des actifs agricoles ont un revenu supérieur au seuil de pauvreté. On peut donc soutenir que la culture du coton apporte une forte contribution à la réduction de la pauvreté dans les zones cotonnières. Conscients de cela, les paysans se professionnalisent dans leur organisation coopérative en vue de garantir la rentabilité financière de la production de coton-graine.
3.3. Le coton améliore l’habitat rural
36Dans le village traditionnel Sénoufo, les cases sont souvent rondes, la toiture est en paille, un mur en terre battue, l’intérieur est crépi d’argile mélangée de bouse de vache. Aujourd’hui, c’est plutôt la forme rectangulaire qui prédomine, les toitures sont de plus en plus en tôles ondulées, les murs de plus en plus en briques en ciment, le sol intérieur crépi en ciment, les murs parfois peints à la peinture industrielle. La maison en tôles représente d’une certaine façon un signe extérieur de richesse aux yeux du paysan. L’enquête a permis d’inventorier les maisons suivant les matériaux utilisés et selon les différents types de systèmes de production. Le tableau 2 donne le pourcentage de chaque type de maisons dans un système donné. L’exploitant peut posséder plusieurs maisons de plusieurs types.
37Les maisons en terre et à toiture en paille sont en voie de disparition, elles représentent 18 % de l’ensemble des maisons de l’échantillon. Elles se rencontrent encore chez la plupart des paysans des systèmes sans coton : près de 80 % des maisons dans le système à base d’igname (SCIG), 38 % dans le système céréalier (SCCE). à l’observation, il semble que les paysans préfèrent les maisons en terre à toiture en paille (28 %) à celles en briques à toiture en paille (8 %), pour une raison bien simple : si on est capable de construire les murs en briques, il vaut mieux achever par une toiture en tôles que de passer par une étape intermédiaire de toiture en paille. Les paysans préfèrent la maison en briques et en tôles pour sa durabilité et sa solidité, son confort et le prestige social qu’elle procure. Le nombre de maisons en briques et en tôles augmente suivant la place de la culture du coton dans le système. On peut donc soutenir que la culture du coton contribue remarquablement à améliorer l’habitat rural.
3.4. La culture du coton facilite la mobilité paysanne
38à travers la Compagnie Ivoirienne de Développement des Textiles (CIDT), le gouvernement a créé de nombreuses pistes rurales qui permettent d’évacuer, non seulement la production de coton-graine, mais aussi toutes sortes de productions vers les marchés ruraux ou urbains. Ces pistes facilitent aussi l’accès des villages aux personnes étrangères ainsi que la sortie des habitants du village vers l’extérieur.
39Le désir d’aller plus loin et plus rapidement a certainement poussé le paysan à utiliser des moyens de déplacement de plus en plus rapides, mais aussi de plus en plus coûteux. Lorsqu’on marche pour faire tous ses déplacements, cela n’est certainement pas un choix social fortuit. Dans les années 1960, le vélo était rare dans les villages et ceux qui le possédaient, faisaient l’objet d’admiration et même de convoitise. Aujourd’hui en zone cotonnière, le vélo est devenu presque banal : chez certains exploitants, chaque actif agricole en dispose à titre personnel.
40Il ressort de notre enquête que 7 % des paysans ne disposent d’aucun moyen de déplacement et qu’il s’agit essentiellement de ceux qui ne produisent pas de coton. Dans l’ensemble, près de 10 % des exploitants ne disposent que du vélo pour leurs déplacements : ceux qui ne pratiquent pas la culture du coton sont les plus concernés. Dans 36 % des cas, 3 types d’engins à 2 roues (vélo, mobylette et moto à vitesse) coexistent au sein de l’exploitation. Cela peut être dû au fait que les moyens de déplacement sont acquis progressivement, des moins sophistiqués (vélo, puis mobylette) vers les plus sophistiqués (moto à vitesse puis voiture). De ce fait, les premiers sont souvent réparés pour servir aux autres membres de l’exploitation, tandis que le chef d’exploitation détient le plus récent. L’importance des moyens de déplacement dépend de celle de la culture du coton au sein de l’exploitation. Sept pour cent des exploitations en culture attelée possèdent un véhicule. Mais, dans l’ensemble, ces véhicules servent plutôt pour le transport en commun de marchandises et de personnes et non pour le déplacement des membres de l’exploitation.
3.5. La culture du coton participe à la création d’emplois en milieu rural
41Le fait que le milieu rural soit parfois peu attrayant, notamment pour les jeunes, est dû notamment à la rareté d’emplois non agricoles. La pénibilité du travail de la terre, essentiellement réalisé à l’aide d’outils manuels peu performants, est un facteur supplémentaire rebutant qui entraîne l’exode des jeunes vers les centres urbains. Depuis son introduction dans les systèmes de production agricole des régions de savanes, la culture du coton joue un rôle appréciable dans la création de nouveaux emplois et/ou dans le renforcement d’emplois déjà existants. Du point de vue de la majorité des paysans, la culture du coton a entraîné l’augmentation du nombre d’exploitants agricoles. Pour mieux profiter du revenu tiré de la culture du coton, 20 % des jeunes (moins de 30 ans) n’ont pas attendu d’avoir l’accord de leurs aînés avant de s’installer à leur propre compte. Parmi les exploitants des villages de Niellé et de Kouniguékaha, 15 % sont ceux qui avaient émigré et qui sont retournés pour cultiver le coton, parce que, selon eux, ils ne trouvaient pas un emploi meilleur ailleurs. La réduction de la pénibilité du travail par l’attelage a aussi contribué à accroître le nombre d’exploitants et à réduire le chômage en milieu rural.
42Le processus d’encadrement technique du coton a nécessité la mise en place d’un personnel administratif et technique. Ce personnel, salarié, est composé de cadres et d’agents d’exécution, permanents ou temporaires, travaillant au bureau et/ou sur le terrain. L’effectif du personnel a augmenté au fur et à mesure que le volume d’activités s’est accru. Avant sa privatisation en 1998, la CIDT comptait plus de 2 500 agents salariés payés grâce à la culture du coton.
43Le métier de forgeron s’est vu renforcé et diversifié après l’introduction de la culture du coton. En effet, pour assurer la maintenance des matériels de culture attelée, la CIDT a formé des forgerons. En 1990, la CIDT comptait 185 forgerons modernes. De nombreux autres forgerons non répertoriés ont appris, sur le tas, auprès de ceux qui ont été formés par la CIDT, accroissant l’effectif global de forgerons. En plus des outils agricoles, ces forgerons fabriquent divers autres objets métalliques nécessaires au confort de la population (portes, fenêtres, chaises, marmite, charrette, etc.).
44Pour construire une maison en briques et en tôles comme celles qui existent dans les villages étudiés, il faut au moins 2 spécialistes : un maçon et un menuisier. Certains jeunes de la région cotonnière ont appris la maçonnerie, la menuiserie ou la plomberie et ont pour principaux clients, les producteurs de coton.
45Dans la ville de Dikodougou, notre enquête a permis de dénombrer 17 maçons, 6 menuisiers, 6 forgerons, 168 boutiques, 7 vendeurs de planches, 2 détenteurs de décortiqueuses électriques semi-industrielles à grains (pour la transformation du riz paddy en riz blanchi), 6 propriétaires de broyeuses artisanales polyvalentes qui transforment le produit primaire en pâte ou en farine (maïs, manioc, arachide, karité, tomate, etc.). Ces micro-entrepreneurs ont été classés en 4 catégories suivant la principale activité antérieure du propriétaire. En effet, le propriétaire a été auparavant soit un paysan, un salarié (à la retraite ou ayant perdu son emploi), toujours dans le même métier, soit dans tout autre métier que les précédents ou sans métier.
46Il ressort que 25 % des propriétaires de micro-entreprises dans la ville de Dikodougou ont d’abord été agriculteurs : ils ont donc changé de métier. Pour 47 % des micro-entreprises présentes à Dikodougou, les propriétaires ont leur expérience acquise antérieurement dans le même métier. La majorité de ces propriétaires de micro-entreprises, 85 %, affirment que la culture du coton a apporté une partie du financement de leur activité, sans pour autant pouvoir donner une estimation précise de cet apport.
47Le mouvement coopératif a aussi permis de créer de nouveaux emplois en zones cotonnières où il a eu un succès remarquable. Il s’agit notamment de gérants, comptables, secrétaires, magasiniers, etc.
3.6. Le coton améliore le niveau d’alphabétisation
48La principale voie d’alphabétisation est avant tout la scolarisation des enfants. Dans les zones cotonnières, le taux de scolarisation est longtemps resté relativement faible par rapport aux autres régions, en raison de l’utilisation des enfants pour les travaux agricoles. C’est à partir des années 1980, avec l’appui de plusieurs organisations non gouvernementales, d’associations des premiers cadres issus des villages du nord, de programmes didactiques audio-visuels d’information des populations sur les avantages de l’école, que le taux de scolarisation s’est peu à peu amélioré, passant de 5 % en 1970 à près de 30 % en 1990 et à 45 % en 2000.
49Il est plutôt intéressant de savoir que la culture du coton a contribué à accroître le nombre d’écoles et le taux de scolarisation. En effet, les fonds régionaux d’aménagement rural (FRAR) mis en place par le gouvernement, financent la création d’infrastructures villageoises, en général, à la demande des populations. Cette demande est effective lorsque la communauté villageoise réunit 30 % du financement contre 70 % apportés par les FRAR. Le choix des infrastructures étant laissé aux villageois, ces derniers ont parfois opté pour l’école, les puits d’eau potable, l’ouverture ou l’entretien de pistes rurales, la construction de marchés ruraux, etc.
50Dans les 4 zones d’étude (Dikodougou, Kouniguékaha, Niellé et Ouamélhoro), les producteurs de coton ont financé la construction d’1 école sur 3, la construction de maisons abritant les instituteurs, la scolarisation de leurs propres enfants. Les écoles sont généralement implantées dans les villages de producteurs de coton. Cette scolarisation a peu à peu concerné les filles dont le nombre de scolarisées est en pleine croissance. Il a été noté sur le terrain que, dans la plupart des cas, ce sont les paysans cultivant le coton qui étaient les premiers et les plus nombreux à scolariser leurs enfants, contrairement à ceux qui privilégient les cultures vivrières. Le producteur de coton a généralement participé à plusieurs séances de formation ou d’information de la part des agents de vulgarisation agricole. Cela peut lui avoir permis de comprendre plus vite les avantages de l’école et de l’ouverture sur l’extérieur.
51Depuis les années 1990, la CIDT avait initié un programme d’alphabétisation qui consiste à apprendre aux paysans à lire, à écrire et à calculer dans leur langue la mieux connue. Dans la zone cotonnière, l’opération a touché 11 870 agriculteurs dans 474 villages (BNETD, 2004). Le nombre de paysans considérés comme alphabétisés est de 5 233 soit 44 % des formés. Ce programme d’alphabétisation est d’une grande importance pour les paysans. En effet, non seulement ils savent lire, écrire et communiquer plus aisément avec leur entourage, mais aussi, ils peuvent servir directement les intérêts de la communauté. C’est ce qui se passe lorsqu’ils participent au débat sur les questions de développement du village et de la région, à l’animation endogène, à la gestion comptable des coopératives, etc.
3.7. Le coton participe à l’amélioration du niveau de santé
52Dans les communautés rurales africaines, particulièrement ivoiriennes et plus encore chez les Senoufo, les plantes naturelles étaient souvent utilisées pour guérir. Cette pratique remonte d’ailleurs dans la nuit des temps. On attribue au guérisseur traditionnel le pouvoir de contrecarrer le mal et parfois même la mort.
53Des personnes (médecins, sages-femmes, etc.) ont été interviewées dans le centre hospitalier régional de Korhogo et aussi dans les dispensaires de Dikodougou et de Niellé. L’objectif était de mettre en évidence l’évolution de la demande de soins médicaux des paysans. Les points de vue non exhaustifs de ces personnes convergent et semblent pertinents, sans pour autant se baser sur des données quantitatives :
54– au début de la création de chaque centre de santé, les paysans sont les moins nombreux parmi les patients : ils viennent se faire soigner parfois lorsque leur cas est déjà grave et qu’ils estiment que le guérisseur traditionnel ne peut plus les sauver. Les accouchements à l’hôpital et de façon générale, les prestations en gynécologie étaient les plus rares. Actuellement, les femmes viennent spontanément se faire examiner, parfois dès qu’elles sentent une anomalie ;
55– le nombre de paysans demandeurs de soins de santé augmente avec le temps, concerne hommes et femmes de tout âge, pour des interventions relevant de causes multiples ;
56– les paysans trouvaient que les soins médicaux étaient trop chers et qu’ils ne pouvaient pas payer. Actuellement, ils sont de plus en plus consentants à payer ;
57– au début, les quelques rares paysans qui venaient nous solliciter arrivaient parfois très fatigués, à pied ou à vélo. Actuellement, les malades arrivent à mobylette et de plus en plus en taxi-brousse.
58Ces déclarations ne mettent pas directement en évidence l’apport de la culture du coton. Mais, on sait que ce sont les producteurs de coton qui, contrairement à ceux qui ne le produisent pas, possèdent le plus de vélos et de mobylettes, sont les plus ouverts sur l’extérieur, ont le plus souvent une trésorerie pouvant faire face, dans une certaine mesure, à diverses dépenses du ménage. On peut alors supposer que ce sont les producteurs de coton qui sont, parmi les paysans des 3 zones d’étude, les plus nombreux à demander les soins dans ces centres de santé. De ce fait, on peut aussi dire que la culture du coton contribue à l’amélioration de la santé en milieu rural.
3.8. Le coton permet d’améliorer la situation de la femme
59Bien que le revenu du coton revienne à l’homme, la femme profite des effets induits de la modernisation du système de production du coton, même si, par ailleurs, son travail au sein de l’exploitation est devenu relativement plus important que celui de l’homme, notamment en présence de mécanisation. Trois faits ressortent assez clairement.
60Le premier et le plus important, concerne la réduction de la pénibilité du travail de la femme, au champ et aussi dans le ménage. Nous comparons la situation actuelle de la femme à celle qui prédominait lorsque la culture du coton était encore marginale dans les systèmes de production, comme c’était le cas en 1960. Le labour (fait plutôt par l’homme) et le sarclage (fait essentiellement par la femme) sont devenus moins pénibles. Non seulement le labour réduit l’enherbement, mais aussi le sol est moins dur au moment du sarclage, ce qui rend le travail relativement plus rapide et moins fatigant. L’utilisation de l’herbicide réduit la durée et la pénibilité du désherbage manuel des parcelles de coton et surtout de celles de céréales (riz, maïs, mil, sorgho) dont les jeunes plants ressemblent parfois à certaines graminées indésirables et donc à sarcler. Un inconvénient qui ressort souvent est que le travail de récolte, essentiellement réalisé par la femme, est de plus en plus long consécutivement à la taille des parcelles qui s’accroît dans les systèmes à base de coton. Le travail au foyer devient aussi de moins en moins pénible. Les céréales constituent les aliments les plus consommés par les paysans, même chez les exploitants qui privilégient la culture d’igname. Les mets les plus consommés à base de céréales nécessitent le décorticage (cas du riz) et parfois le broyage des grains (transformés en farine). Pendant longtemps, ces opérations de décorticage et de broyage des grains étaient faites manuellement, par la femme, à l’aide de matériels locaux (mortier, pilon, pierre à écraser, etc.). Ces opérations nécessitaient beaucoup de temps, d’effort physique et de savoir-faire. Mais, depuis l’introduction de la culture du coton, ces opérations sont de plus en plus réalisées par des décortiqueuses semi-artisanales, contre payement relativement facile suite à l’accroissement du revenu. Le puisage de l’eau est du ressort de la femme. Cela se faisait essentiellement dans des points d’eau les plus proches du village, de 100 m à 500 m voire plus selon les cas. Le portage de l’eau jusqu’au village, dans des récipients souvent en argile, sur des pistes à pentes parfois glissantes, n’a toujours pas été chose facile pour la femme.
61La corvée quotidienne d’eau est devenue de moins en moins pénible avec l’apparition de puits d’eau potable dans les villages. Si ces puits ont parfois été creusés dans le cadre de programmes financés par le gouvernement, leur entretien repose sur la prise de conscience et le financement des habitants. Dans les zones d’étude, 3 puits sur 4 sont fonctionnels grâce au revenu du coton. Le transport du bois de chauffe se faisait essentiellement par portage, par la femme. Ce travail est de plus en plus réalisé par la charrette bovine, sur des distances devenues plus longues suite à la croissance de la demande consécutive à l’accroissement démographique. La charrette permet à la femme de constituer de plus grands stocks de sécurité en bois de chauffe.
62Le second fait important du point de vue de la femme concerne le relatif gain de temps dont elle bénéficie, notamment grâce à la mécanisation par rapport à la femme des systèmes de culture manuelle. Il est admis, certes, que le volume global du travail de la femme s’est accru en présence de la mécanisation par rapport à celui de l’homme, mais, au regard de la situation de la femme des systèmes non mécanisés, certaines opérations sont exécutées plus rapidement et plus aisément suite à l’amélioration des moyens de déplacement (vélo, mobylette, charrette) et à l’accroissement des revenus. Le gain de temps permet à certaines femmes de participer à des séances d’information et de formation à l’autodétermination ; d’autres sont membres d’associations à but lucratif telles que les productrices de riz de Korhogo, les jardinières de cultures maraîchères de la ville de Napié à 12 km au sud de Korhogo. D’autres paysannes encore participent à des séances de formation et d’information sur les maladies sexuellement transmissibles dont le VIH/SIDA.
63Le troisième fait concerne l’accroissement du revenu de la femme paysanne. En effet, bien que le revenu de la culture du coton soit géré par l’homme, les épouses interviewées reconnaissent en recevoir une partie substantielle, même si cela se fait parfois sur leur insistance. Certaines femmes sont parvenues à faire admettre que leur mari leur confie le revenu du coton et qu’elles jouent un rôle de coffre fort. Par ailleurs la pratique de la culture d’arachide en avant culture du coton ou dans la rotation normale, a entraîné un accroissement des superficies en arachide. Il s’en est suivi une augmentation de la production d’arachide et un accroissement du revenu de la femme étant donné que c’est elle qui gère cette culture.
64Toutefois, sans avoir approfondi cette question de la place de la femme paysanne au sein de l’exploitation agricole, on voit qu’elle tend à prendre de l’importance dans la recherche de son émancipation et de son autodétermination. Aussi, même si la culture du coton a entraîné un regain de travail de la femme par rapport à l’homme au sein de l’exploitation, force est-il d’admettre que, grâce à la culture du coton, dans les villages étudiés, la situation de la femme s’est relativement améliorée par rapport à 1960 et aussi par rapport à celle qui n’est pas dans un système à base coton en général ou mécanisé en particulier.
4. Conclusions
65Cette étude avait pour objectif d’évaluer l’impact technique et socio-économique de l’introduction de la culture du coton dans les systèmes de production agricole au Nord de la Côte d’Ivoire. L’étude s’est déroulée dans 4 villages choisis suivant l’importance de la culture du coton. Cent soixante quatre exploitations agricoles individuelles ont été observées. Les résultats permettent de dire que la culture du coton a eu un impact technique positif. En effet, le coton a ouvert la voie au progrès biologique, favorisé le progrès de savoir-faire, amélioré le progrès mécanique. Le coton s’est imposé comme étant la principale culture au sein de la majorité des exploitations qui la pratiquent. Du point de vue socioéconomique, le coton a renforcé la différenciation des exploitants, réduit le niveau de pauvreté dans les villages, amélioré l’habitat rural, accru la mobilité des agriculteurs, créé de nouveaux emplois, amélioré la santé des populations et amélioré les conditions de vie de façon générale et particulièrement pour la femme. Le coton constitue le poumon de l’économie rurale des zones de savane et permet de lutter contre la pauvreté. Il doit son succès surtout à l’intégration verticale de la filière depuis la production semencière jusqu’à la commercialisation du produit avec des subventions aux intrants jusqu’en 1985–1990 ; la situation de monopole concédée à la Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles (CIDT) pour la gestion de la filière jusqu’à la privatisation en 1998 ; l’appui déterminant de la recherche agronomique et technologique ; la dynamique organisationnelle des producteurs.
66Les perspectives d’évolution des systèmes de culture à base coton reposent sur la pratique d’une agriculture durable respectant l’environnement, la définition d’une politique de prix qui privilégie la rentabilité financière au niveau du producteur, l’adoption d’une politique sous-régionale de transformation et de consommation locale de la fibre, de la graine, de leurs dérivées et des sous-produits. C’est certainement dans ces conditions, en attendant que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) joue pleinement son rôle de régulation et d’arbitre, que la Côte d’Ivoire et de façon générale, les pays producteurs de coton africain, peuvent réduire l’impact négatif de la chute chronique des cours de la fibre suite aux subventions américaines, asiatiques et européennes.
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Pour citer cet article
A propos de : Hubert Sery Zagbaï
Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux. Unité d’économie et Développement rural. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique).
A propos de : Fabio Berti
Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux. Unité d’économie et Développement rural. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : berti.f@fsagx.ac.be
A propos de : Philippe Lebailly
Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux. Unité d’économie et Développement rural. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique).