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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

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Isabelle Haynes

Le coton bio et/ou équitable : réel avenir ou effet de mode ?

(volume 10 (2006) — numéro 4)
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Résumé

Le coton équitable et le coton biologique peuvent être appréhendés comme des solutions offertes aux producteurs des pays du Sud pour obtenir de meilleures conditions d’achat de leur récolte. En effet, ces 2 types de coton sont achetés à des prix qui peuvent aller jusqu’à 20 % au dessus du prix du marché. Ce sont aussi des moyens de s’insérer dans le développement durable prôné par les instances internationales : à des degrés différents selon les cas, les techniques culturales recommandées minimisent l’emploi d’intrants chimiques tandis qu’une attention spécifique est portée aux conditions sociales de la production. à l’échelle mondiale, les quantités produites sont encore faibles. Le marché du coton bio et/ou équitable est un marché de niche. Niche si petite actuellement que l’on peut se demander si le développement de la culture de ces cotons et de leur commercialisation n’est qu’un effet de mode. D’un point de vue sociologique, il est possible de contribuer au débat en apportant un point de vue analytique sur l’organisation des filières spécifiques que sont les filières bios et équitables et en essayant de situer où se trouvent les enjeux de leur développement. Pour ce faire, nous considèrerons ces marchés comme étant des marchés construits et nous porterons une attention spécifique aux réseaux socio-techniques constitués pour la production et la commercialisation de ces cotons. Ces réseaux nous semblent caractérisés par le rôle essentiel qu’y jouent les consommateurs et par une forte intégration ; 2 éléments qui participent à l’explication des potentialités ouvertes au marché de ces cotons mais aussi à celle des freins à leur expansion. Nous baserons sur une étude documentaire et sur des terrains réalisés d’une part pour une étude préliminaire effectuée sur les jeans « durables » en Belgique ; de l’autre pour une recherche plus approfondie sur les dynamiques du commerce équitable qui se basait notamment sur l’étude de filières de coton équitable et bio indiennes. Si la situation indienne n’est pas comparable à la situation africaine, l’intégration poussée des filières bio et équitables sur les 2 continents réduit ces différences et nous permet d’interroger les acteurs africains sur ce qui nous semble être un point important pour l’avenir : la question des modalités de traduction des engagements à long terme nécessaires à la stabilité et à la survie des filières.

Mots-clés : Coton, agriculture biologique, commerce équitable, réseau, consommateurs, filières intégrées, acteur réseau

Abstract

Organic cotton and/or « fair trade »: a real future or just a passing fashion? Fair trade and organic cottons can be presented as 2 of the solutions to the current cotton market crisis; first, because their price can reach 20% above market; secondly because their cultivation and transformation contribute to the sustainable development of the production countries. Actually, organic and fair trade standards demand a drastic reduction in the use of chemical pesticides while encouraging the implementation of social concerns and the creation of development projects. At the global level, only small quantities of fair trade and organic cotton are produced. The market for this cotton is a niche market, so small in fact; that the issue of whether this type of cotton has a real future or is only a passing fashion that will soon disappear can be raised. From a sociological perspective we can try to contribute to the debate by considering that the market for those cottons is « constructed » and by paying attention to the sociotechnical networks that allow the production and the marketing of those cottons. We argue that consumers are the central element of these networks. This gives to the consumers’ expectations and to the norms that guarantee organic or fair trade quality a key role for explaining changes in the networks and market perspectives. The paper is based on 2 research works. A study of Belgian consumers’ expectations for sustainable « jeans » (2003) and a study of the dynamics of fair trade which was partly based on Indian fair trade networks and group work with consumers (2005). The situation in India is very different from the African one. However, because of an important integration of both networks, the Indian case can raise questions that are also relevant for the African networks. Among them, we wish to underline the importance of socio technical devices that allow the existence of the long term commitments which are necessary for the survival of fair trade and organic networks.

Keywords : Cotton, organic agriculture, fair trade, networks, consumers, integrated networks

1. Introduction

1Le coton équitable ou le coton biologique peuvent être appréhendés comme l’une des solutions offertes aux producteurs de coton des pays du Sud pour obtenir de meilleurs revenus pour leur récolte et sortir de la crise que connaît ce marché.

2En effet, ces 2 types de coton sont achetés à des prix qui peuvent aller jusqu’à 20 % au dessus du prix du marché.

3Le prix du coton biologique, plus cher, permet de compenser les pertes de rentabilité dues à l’adoption de techniques culturales biologiques correspondant aux normes européennes CEE 2092/91 dont le respect est contrôlé par diverses organisations dont SKAL au Danemark, IMO en Suisse, Ecocert en Belgique, etc.

4Le prix du coton équitable veut refléter une rémunération « juste » des producteurs tout en contribuant au financement du développement de la communauté auquel il appartient. Pour cela, une partie du prix d’achat appelée « prime » est dédiée au financement de projets communautaires (puits, écoles, etc.) choisis démocratiquement par les organisations de producteurs. Le prix « équitable » est donc constitué d’un prix au kilo supérieur à celui du marché et d’une prime. Afin que les producteurs puissent préparer leur culture sans s’endetter, il est demandé aux acheteurs du coton équitable de préfinancer jusqu’à 60 % de la récolte.

5En Afrique de l’Ouest (Burkina, Cameroun, Mali, Sénégal), le prix « équitable » au kilo du coton graine a été fixé par FLO (Fair trade Labelling Organization), organisation qui créée les cahiers des charges du commerce équitable, à 0,36 € soit 238 FCFA auquel il faut ajouter une prime de 0,05 €. Pour le coton biologique, le prix au kilo passe à 0,41 € soit 272 FCFA pour l’Afrique de l’Ouest et à 0,49 € pour l’égypte, la prime restant la même dans tous les cas (FLO, 2006). Le prix du coton bio peut varier selon les acheteurs.

6Coton équitable et coton biologique sont également considérés comme un moyen de s’insérer dans le développement durable des pays du Sud.

7Durable du point de vue social puisque le prix permet une meilleure rémunération des producteurs, mais aussi parce que, qu’ils produisent du coton bio ou équitable, les producteurs ou les coopératives doivent respecter un certain nombre de règles quant aux conditions d’emploi du personnel agricole notamment le respect des règles de base de l’Organisation Internationale du Travail(1) (OIT) en terme de salaires minimum, de non exploitation des enfants, non discrimination, liberté d’associations et de réunion, etc. De plus, comme nous l’avons vu, le commerce équitable (CE) s’intéresse, en outre, au développement de la communauté des producteurs.

8Durable du point de vue environnemental puisque l’agriculture biologique interdit l’utilisation de produits chimiques de synthèse néfastes à l’environnement et à la santé et que les organisations de commerce équitable, sans imposer le bio, règlementent les produits phytosanitaires et les engrais qui peuvent être utilisés.

9à l’échelle mondiale, les quantités produites sont encore faibles : 0,03 % de la production mondiale de fibres pour le coton bio en 2001 soit environ 6   000 tonnes dont les plus gros producteurs sont la Turquie (29 %), les USA (27 %), l’Inde (17 %). En Afrique, le Sénégal, l’Ouganda, l’égypte et la Tanzanie produisaient, en 2000, environ 200 tonnes chacun tandis que des projets étaient lancés au Bénin (30 t) d’autres abandonnés au Mozambique et au Zimbabwe(2) (Ton, 2002  a)(3).

10Le coton équitable, en général, est aussi du coton biologique et comptabilisé dans ces chiffres. Cependant, depuis 2005, Dagris, en partenariat avec Max Havelaar, le ministère de la coopération française et des organisations de producteurs au Mali et au Sénégal ont lancé en 2005 du coton équitable non biologique. La production (700 tonnes pour la campagne 2004–2005) est prévue à 4  000 tonnes pour 2005–2006 (Max Havelaar France, 2005).

11Ces 2 marchés sont donc des marchés de niche dont le succès commercial n’est pas garanti. Cette niche est si petite actuellement que l’on peut se demander si le développement de la culture de ces cotons et celui de leur commercialisation ne sont qu’un effet de mode ou s’ils représentent une alternative valable pour les producteurs africains.

12D’un point de vue sociologique, il est possible de contribuer au débat en apportant un point de vue analytique sur l’organisation des filières spécifiques que sont les filières biologiques et équitables et en essayant de situer où se trouvent les enjeux de leur développement. Pour ce faire, nous considèrerons ces marchés comme étant des marchés construits c’est-à-dire régis par un certain nombre de normes et de relations qui vont au-delà des seuls échanges économiques. Dans ce cadre, nous mobiliserons des concepts issus de la théorie de l’Acteur Réseau apparentée à la sociologie de la traduction de Latour (2005). Il s’agit notamment de porter une attention spécifique aux réseaux sociotechniques constitués pour la production et la commercialisation de ces cotons. C’est-à-dire à l’ensemble des acteurs humains et non humains (il peut s’agir aussi bien d’acteurs que d’organisations ou d’objets) appelés « actants » qui participent à ce processus et ont un poids, une intensité dans le déroulement de l’action et créent des relations que l’on essaie d’analyser. à ce titre, cette notion nous permet de comprendre comment se fait la coordination « à distance » entre les acteurs des filières, quels sont les opérateurs de coordination des actions (par exemple, les cahiers de charges constituent des intermédiaires de ce type) et les enjeux qui se dessinent autour d’eux. La notion de réseau sociotechnique  permet ainsi de mettre en relief l’importance d’actants non identifiés par l’analyse conventionnelle des filières et de souligner l’importance des médiations qui permettent de relier les parties et d’assurer le fonctionnement du réseau (Bush, Juska, 1997 ; Raynolds, 2004).

13Dans cette perspective, les réseaux équitables et biologiques nous semblent caractérisés par le rôle essentiel qu’y jouent les consommateurs. Contrairement à ce qui se passe pour les produits dits « conventionnels » que les consommateurs achètent en fonction de leur perception du rapport de la qualité physique du produit et de son prix, les produits biologiques et/ou équitables réintroduisent dans l’acte d’achat la question des conditions environnementales et sociales qui ont présidé à leur production. à ce titre, les filières sont construites entièrement sur la volonté et la capacité des consommateurs à acheter ce type de produits. Ce rôle central du consommateur fait que les filières biologiques et équitables vont souvent se construire à partir d’un double mouvement. D’une part elles vont se construire autour des normes qui garantissent la qualité équitable ou biologique des produits aux consommateurs ce qui va favoriser une forte intégration verticale des filières notamment l’intégration d’acteurs qui sont en contact direct avec les consommateurs. De l’autre elles se construisent  autour des attentes des consommateurs et non de l’offre de produits brut (coton non transformé). Ces 2 éléments participent à l’explication des potentialités ouvertes au marché de ces cotons mais aussi à celle des freins à leur expansion.

14Nous nous baserons sur une étude documentaire et sur des études de terrain (interviews des différents acteurs et organisation de groupes de consommateurs) réalisées, d’une part, lors d’une étude préliminaire portant sur les jeans « durables » en Belgique (Bruyer V., Wallenborn G., Zaccai E. et al. , 2005) ; de l’autre lors d’une recherche plus approfondie sur les dynamiques du commerce équitable. Celle-ci se basait notamment sur l’étude de filières de coton équitable et bio indiennes (Charlier, Haynes et al., 2006) et sur des groupes de consommateurs belges et interviews des acteurs de la filière(4).

15Si la situation indienne n’est pas comparable à la situation africaine notamment parce que l’histoire de la constitution des filières est différente et que la transformation des cotons y est située, l’intégration poussée des filières bio et équitables sur les 2 continents réduit ces différences et nous permet d’interroger les acteurs africains sur ce qui nous semble être un point important pour l’avenir : la question des modalités de traduction des engagements à long terme nécessaires à la stabilité et à la survie des filières.

2. Les filières biologiques et équitables : des filières très intégrées

16La production de textiles en coton bio et/ou équitable s’inscrit dans un cadre normatif plus ou moins contraignant (le respect de certaines règles est obligatoires, l’implantation d’autres règles peut être négociée et fait partie des progrès à réaliser) qui participe à la construction d’une offre biologique ou équitable crédible ou du moins acceptable par le consommateur(5). Ces normes engendrent des contraintes techniques et organisationnelles qui poussent à l’intégration de filières qui ne sont pas toujours immédiatement économiquement viables et doivent se construire dans le long terme. C’est ce qui explique la recherche d’une intégration garantissant les débouchés commerciaux des produits.

2.1. La construction des filières autour des normes biologiques et/ou équitables nécessite du temps

17Le passage de la culture conventionnelle du coton à sa culture intégrée voire biologique prend du temps (bien que ce temps soit réduit dans les régions où les paysans, trop pauvres pour acheter des produits de synthèse, peuvent être certifiés bio ou équitable quasi immédiatement). Il est nécessaire pour modifier les pratiques de production et de transformation du coton.

18Temps de changement des pratiques agricoles d’abord. En Inde, les producteurs habitués à pulvériser dès l’apparition d’insectes en avaient oublié les connaissances liées à l’observation de ce qui se passe dans les champs, aux possibilités de contrôle manuel (Interviews réalisés en 2004). Tout un programme d’éducation et d’apprentissage des techniques est donc à mettre en place, programme qui nécessite l’intervention de conseillers techniques, eux-mêmes reliés à des stations de recherche et d’expérimentation qui analysent les conditions locales et font des essais en plein champ. Ces programmes de recherche représentent encore une proportion assez faible des recherches agricoles qui restent orientées vers l’utilisation rationnelle des produits de synthèse (Ton, 2002   b). Les programmes d’apprentissage mobilisent également des paysans relais ou des organisations paysannes ou bien encore l’organisation d’assemblées paysannes où sont présentées les techniques et sont discutées les difficultés rencontrées.

19Temps de changement des pratiques de gestion ensuite. Les producteurs doivent apprendre à intégrer les contraintes liées à la traçabilité de leur production : identification des produits, tenue de cahiers où ils relatent leurs activités agricoles. Cette activité est nécessaire au suivi de la production par les conseillers mais surtout par les certificateurs qui se rendent sur place. Elle se heurte à de nombreuses difficultés : analphabétisme de certains producteurs, incompréhension quant à la nécessité d’un tel suivi et à l’ignorance des langues locales par les certificateurs, souvent occidentaux, lesquels se fondent sur leur expérience et sur les discussions qu’ils ont avec les conseillers techniques et/ou les leaders des organisations de producteurs qui deviennent ainsi des acteurs clé de la filière.

20Temps d’intégration de pratiques éthiques dans la transformation enfin. Les cotons biologiques et équitables doivent respecter un certain nombre de normes pour leur transformation afin de présenter un produit cohérent au consommateur : un coton bio transformé avec des produits chimiques, un coton équitable confectionné dans des sweat shops ne pourraient être vendus comme tels au risque de mettre en jeu leur crédibilité. Cela  pose la question du respect des normes du commerce éthique(6) quand la transformation est localisée au Sud ce qu’encouragent les organisations de CE. à ce titre, l’exemple africain pose la question de la transformation puisque très peu d’usines y sont situées et que les programmes de coton biologique transforment le coton en Inde tandis que les programmes équitables le transforment en grande partie en Europe. Cela pose aussi la question de l’articulation des normes éthiques avec celles du commerce équitable ou de l’agriculture biologique : la confiance du consommateur envers la filière se construit à chaque étape. Cet aspect est au cœur des débats actuels : une augmentation des quantités produites ne peut se faire dans le cadre d’une transformation semi industrielle ou artisanale. C’est pourquoi nous y attachons une importance particulière.

21Les différents cahiers des charges portant sur la culture bio ou équitable du coton traitent ces questions différemment.

22Les cahiers des charges de l’agriculture biologique imposent ainsi un certain nombre de contraintes quant à l’emploi de produits chimiques autorisés pour la transformation (nettoyage, cadrage, peignage, teinture etc.), un traitement particulier des déchets ainsi que le respect de normes sociales minimales (Tableau 1).

Image1

23Notons que les cahiers des charges bios européens, bien qu’unifiés par une base légale, ne font pas tous peser les mêmes contraintes sur les producteurs. à ce titre, ils peuvent être ainsi plus ou moins attractifs pour la filière en amont qui choisira alors un cahier des charges et un certificateur européen qui corresponde à ce qu’elle est capable de fournir (Interviews réalisés en 2005). La concurrence entre organismes de certification bio au Nord joue : un cahier des charges qui serait trop exigeant en matière sociale risquerait d’être moins compétitif. En Belgique, les organismes vont alors se référer aux travaux des organisations regroupant les acteurs des certifications sociales, équitables et biologiques comme ISEAL (International Social and Environmental Accreditation and Labelling alliance) pour établir une contrainte acceptable (Interviews réalisés en 2005).

24En ce qui concerne le CE, les normes édictées par FLO n’abordent pas la question de la transformation mais les organismes certificateurs comme Max Havelaar et les importateurs/distributeurs du commerce équitable (comme Oxfam Magasins du monde en Belgique) demandent à ce que les règles de l’OIT soient respectées. Max Havelaar vient de publier un dossier de presse dans lequel il recommande que les entreprises suivent le code de l’Ethical Trade Initiative(7), lequel ne mentionne pas la liberté d’association. Cette différence est sans doute due à la prise en compte de la réalité du secteur de la transformation textile dans les pays du Sud notamment en Asie ou en Inde où la priorité va d’abord à la sécurité des travailleurs et au paiement de salaires décents. Cela ouvre le débat sur la façon dont les exigences des importateurs et des consommateurs au Nord doivent et peuvent être pris en compte par les pays du Sud. Par exemple un contrôle strict des normes rassure les consommateurs mais leur implantation progressive permet de ne pas exclure les plus petits producteurs qui ont le temps de s’adapter aux contraintes (Haynes, 2006).

25Quoiqu’il en soit, les organisations de producteurs de coton, en Inde, sont tenues par les organisations de CE au Nord, d’assurer le respect des normes sociales lors de la transformation ce qui demande une adaptation et une réorganisation du travail importantes au Sud notamment la mise en œuvre d’un processus de négociation avec les transformateurs que les organisations de producteurs ne contrôlent pas toujours (Haynes, 2006). Dans ce cadre, la filière biologique où la responsabilité du contrôle ne pèse pas uniquement sur les organisations de producteurs offre parfois plus de débouchés quantitatifs que la filière équitable en Inde. En effet, chaque acteur de la transformation peut vendre les cotons biologiques à l’un de ses clients pour peu que sa provenance et sa transformation soient traçables et documentées ainsi que le montre le comparatif de la figure 1. Cela permet, par exemple, aux organisations de producteurs de faire partie de l’« Organic stock Exchange », bourse de coton biologique constituée aux USA et qui permet aux organismes de producteurs, au Sud, d’élargir leurs marchés en offrant des possibilités de contact avec de nouveaux clients.

26Les revenus supplémentaires offerts par le commerce équitable permettent aussi de financer la période de conversion à l’agriculture biologique (Robins, Roberts, 1997 ; Taylor, 2002 ; Raynolds, 2004).

27Quelle que soit la voie choisie, un contrôle environnemental et social doit être possible à n’importe quel point de la filière. Ceci pousse à la construction de liens étroits entre producteurs, transformateurs et certificateur donc à l’intégration des filières.

Image2

2.2. Nécessité de l’intégration des filières

28L’intégration de la filière peut être initiée par les acteurs du Nord. Par exemple, les grands distributeurs et les grandes marques ont des contrats directs avec des centaines de confectionneurs ou avec de grands groupes asiatiques qui sous-traitent le travail. établir un contrôle du respect des critères éthiques conduit alors obligatoirement à une diminution du nombre de sous-traitants (Interviews réalisés en 2005).

29Elle est aussi initiée par les acteurs du Sud non seulement parce qu’ils souhaitent contrôler l’articulation des normes équitables et éthiques mais aussi parce qu’elle est nécessaire à la traçabilité des produits. Les normes de traçabilité imposent une isolation des cotons lors de l’égrenage et du filage et leur traitement séparé. Cela implique un arrêt des machines qui traitent, en général, du coton conventionnel et leur nettoyage avant le traitement des cotons bios et/ou équitables. Ce qui est couteux et implique une modification des plannings de production des usines qui doit être négociée avec les responsables de ces unités. Cette situation pousse à la construction de partenariats spécifiques.

30Ce type de construction de filière doit être soutenue par la consommation. Dans le cas contraire, les producteurs se voient obligés de vendre leur coton sur le marché conventionnel voire d’arrêter leur production. L’un des moyens de parvenir à cet objectif est d’intégrer dans la filière des distributeurs et/ou des marques qui ont des contacts directs avec les consommateurs et offrent des débouchés. C’est ce à quoi s’emploient transformateurs et ONG soutenant les filières bio et/ou équitables : par exemple, en Belgique, les Magasins du monde Oxfam ou Greenpeace établissent des partenariats avec des acteurs indiens et commercialisent des T-shirts en coton bio et équitable confectionnés en Inde. C’est aussi le cas pour la filière équitable construite par Dagris en Afrique de l’Ouest où Max Havelaar a été chargé de trouver des fabricants de vêtements ou de coton hydrophile et des distributeurs prêts à s’engager à fabriquer des produits en coton équitable. Ceux-ci prennent alors en charge la question de la commercialisation. En 2006, 23 producteurs se sont ainsi engagés dans la filière (Max Havelaar, 2006).

31à l’inverse, les distributeurs et fabricants veulent aussi pouvoir satisfaire la demande de leurs consommateurs et construisent des filières ad hoc pour garantir leur approvisionnement. Ainsi, en Allemagne et en Suisse, plus gros marchés européens pour le coton bio (2  000 t et plus de 1  000 t d’après nos interviews), des distributeurs sont en lien avec des projets de coton bio et/ou équitable en Afrique, en Inde et en Amérique du Sud :

32– soit via des ONG : par exemple Maikaal bioRe qui rassemble des partenaires indiens, COOP (distributeur) et Remei AG. (transformateur) en Suisse ;

33– soit via des partenariats commerciaux : par exemple The International Association of Partnership (IAP) qui regroupe Sekem en égypte et différents distributeurs européens principalement allemands(8).

34Quant aux ONG qui n’ont pas réussi à intégrer la production des paysans qu’elles soutiennent dans une filière, elles connaissent souvent un échec total ou relatif i.e. le coton est vendu comme un coton conventionnel et au même prix (ex : ENDA ProNat cité par Ton, 2002  a).

35Ce type de réseau, très intégré, a l’avantage de garantir un débouché minimum via les différents distributeurs qui la composent. Il a aussi parfois l’inconvénient de former un goulot d’étranglement qui peut réduire les possibilités commerciales. Par exemple, certains acheteurs potentiels se plaignent de devoir passer obligatoirement par certains transformateurs de coton bio au Nord s’ils veulent pouvoir acheter ce type de coton, d’autres disent la même chose pour les organisations indiennes qui réservent leur production bio et équitable à leurs partenaires.

36De l’avis général des organisations de producteurs rencontrées ce frein est la contrepartie de la stabilité des relations commerciales, stabilité très importante pour le développement de leur activité. Elles vont même jusqu’à refuser des commandes trop importantes à leurs yeux quand celles-ci impliquent la conversion au bio d’un nombre important de paysans sans garantie de relations commerciales pérennes : cela fait porter un risque trop important sur les communautés de producteurs (Interview réalisés en 2005). C’est l’une des raisons de l’opposition de nombreuses organisations du Sud à la pratique du mélange (blending) qui s’est développée aux USA, c’est-à-dire au mélange de coton biologique avec du coton conventionnel pour la confection de vêtements. Ce type de projet qui démultiplie les surfaces cultivées puisque les quantités commandées sont importantes, rend les paysans plus sensibles aux risques commerciaux (Interview réalisés en 2004). De fait, la plupart des projets de mélanges ont été abandonnés après quelques années pour de multiples raisons (surplus de coûts, faible attractivité pour les consommateurs, changements stratégiques) ce qui a eu des conséquences graves pour les producteurs de coton bio américains (réduction de 50 % des surfaces cultivées).

37Un risque existe aussi pour les producteurs du commerce équitable : une fois certifiés par Max Havelaar, ils sont inscrits sur une liste présentée aux transformateurs et distributeurs qui souhaitent travailler avec du coton équitable. Le risque est alors de ne jamais être choisi.

38Quel que soit le type de construction adopté pour les filières, la pérennité des relations implique que les consommateurs restent sensibles aux qualités équitables et/ou bios des textiles et que leur demande soit soutenue. Les acteurs de la filière doivent donc porter une attention particulière à leurs attentes ce qui a des conséquences sur tout le réseau.

3. Impact des attentes des consommateurs sur la construction du réseau

39Les premiers consommateurs de produits biologiques et équitables dans les années 1990 s’inséraient dans ce que l’on peut appeler une logique de l’engagement (Defourny et al., 2003) contre l’inégalité des échanges, le type de développement adopté pour nos sociétés ou pour une agriculture plus saine et plus durable. Michelle Dobré (2003) parlait ainsi de la consommation comme moyen de résistance ordinaire.

40De fait, parmi les consommateurs clients des Magasins du monde Oxfam des groupes organisés pour l’étude commerce équitable, nous remarquons la mobilisation d’une logique politique fondée sur des valeurs critiques du marché (anti-mondialisation et multinationales, etc.). Il existe aussi une logique caritative ancrée dans la solidarité, le partage, et surtout la notion de protection et de service aux autres. Ces consommateurs fréquentaient épisodiquement ou systématiquement des réseaux de distribution alternatifs bios ou équitables (Magasins du monde Oxfam), achetaient des produits même s’ils considéraient que leur qualité intrinsèque était moindre et, en ce qui concerne les acheteurs de produits équitables,  achetaient davantage de produits bios (Pellens et al., 2002 ; Ton, 2002  a). Il s’agissait alors de marchés de taille très limitée.

41Pour accroître les quantités vendues, les produits bios et/ou équitables sont maintenant distribués par des acteurs du marché conventionnel notamment par la grande distribution. Plus récemment est apparu un autre type de distribution spécialisée : supermarchés spécifiques comme les BioPlanet de Colruyt en Belgique, nouveaux distributeurs d’artisanat équitable (Citizen Dream). Ce passage dans les circuits conventionnels a donné un rôle nouveau aux labels qui garantissent aux consommateurs la qualité bio et/ou équitable des produits qu’ils achètent. Il permet aussi de toucher de nouveaux consommateurs dont le profil n’a pas été étudié de façon systématique (mise à part les études de De Pelsmacker en 2005 et 2006 sur les consommateurs de produits alimentaires équitables) mais dont on sait, par les études exploratoires menées, qu’ils ont des attentes différentes. Lors des groupes que nous avons organisés, si certains consommateurs mobilisaient la même logique caritative que celle des consommateurs engagés, d’autres s’inscrivaient dans une logique de marché. Ceux qui la mobilisent attendent des produits du CE (et des produits bios) outre le respect de critères éthiques, un rapport qualité/prix compétitif et l’utilisation des outils du marketing.

3.1. Apparition de nouvelles attentes chez les consommateurs

42Attentes d’éthique des produits. On constate, lors des groupes, une faible restitution des critères précis du commerce équitable. Quelque soit la logique mobilisée (marchande ou caritative) ou le lieu d’achat, la compréhension spontanée de la notion de commerce équitable est celle de meilleurs revenus pour les producteurs du Sud surtout par le paiement de salaires corrects, d’un travail qui se fait dans de bonnes conditions et respecte les règles du commerce éthique. La notion de prix équitable telle que la comprennent les organisations de commerce équitable, n’apparaît quasiment pas ni celle de préfinancement ou de participation à des projets de développement. Les perceptions qu’ont les nouveaux consommateurs du commerce équitable sont donc floues. Leurs exigences correspondent néanmoins à des critères d’équité qui oscillent entre équitable et éthique. Ce résultat est à interpréter en prenant en compte l’augmentation générale des attentes éthiques des consommateurs notamment envers les entreprises, augmentation décrite par différents sondages et enquêtes (Environics International, 1999 ; Dupuis, 2002 ; Hamon, 2002 ; Mac Cann Erickson 2002 ; Marras, 2003).

43La question du coton, pour sa part, évoque immédiatement dans tous les groupes l’idée de l’esclavage dans les plantations du Sud des états-Unis. L’image de « Scarlett O’Hara » souvent mentionnée s’impose bien plus que les conditions des petits producteurs de coton indien ou africains. Même s’il elle ne correspond qu’à une image mythique, cette sensibilité aux questions sociales est d’autant plus forte que la Belgique a déjà eu a subir les conséquences sociales des stratégies de certaines entreprises.

44Attente de qualité matérielle des produits. Nous observons dans les groupes une attente de qualité matérielle des produits équitables chez les « nouveaux » consommateurs aussi bien que chez les habitués des circuits alternatifs. Ces attentes qualitatives envers les produits du CE s’expriment principalement pour l’artisanat et les textiles. A contrario, les résistances à l’achat sont liées à l’image laissée par certains produits en laine commercialisés par les magasins bio, les magasins équitables ou sur les marchés, dont l’aspect « ethnique » est alors un facteur de rejet soit à cause de leur style qui les rend difficilement portables (image type du poncho en laine rayé de toutes les couleurs) soit parce que la qualité des matériaux a laissé mauvaise impression : les teintures ne tiennent pas, le tissu gratte, rétrécit, etc.

45Attente de naturel. Les connaissances des groupes sur les conditions de culture des plantes à usage textile sont réduites. Certains participants pensent, par exemple, que les pays du Sud sont trop pauvres pour acheter des pesticides et qu’ils n’en n’utilisent donc pas ; d’autres ne savent pas que la culture du coton consomme de grandes quantités d’eau. Certains individus au sein des groupes font une différence entre un coton bio et un coton équitable i.e. le coton bio est cultivé sans polluer les sols, sans engrais chimiques et/ou ramassé à la main et/ou « pas épuré, pas blanchi », transformé en minimisant la pollution des eaux, un coton équitable est  mieux payé. Mais la grande majorité ne s’intéresse pas à la question d’autant plus que, d’une façon générale, le bio est perçu comme vecteur de santé ce qui rend cette question hors de propos pour les textiles. Bien que certains participants mentionnent la question des allergies que peuvent déclencher des produits utilisés dans l’industrie textile, la question de la culture et de la transformation bio des plantes à vocation textile est peu comprise « cela n’a pas d’importance qu’un T-Shirt soit bio ».

46Ces résultats confirment les constats faits par certains importateurs et vendeurs de coton bio en Belgique dont, par exemple, des clientes se demandaient si la qualité biologique se perdait au lavage (Interview réalisés en 2004).

47Cependant, si le bio semble mal compris par les non acheteurs de textiles équitables et bio, pour ce qui est de la culture du coton l’attente de « naturel » pour cette catégorie de produits reste forte. Elle s’exprime par des attentes d’emploi de matières premières végétales (coton, soie, lin) réduisant l’emploi de fibres synthétiques au minimum nécessaire et surtout par la condamnation unanime de l’emploi d’OGM. Un textile équitable contenant des OGM n’est pas concevable. Le cahier des charges du coton « équitable » pour l’Afrique laissait cette opportunité mais il a été modifié par la suite (Haynes, 2005) ce qui est cohérent avec la demande des organisations du commerce équitable et avec celle des consommateurs.

48Attente de l’emploi des outils du marketing. Les consommateurs belges attendent une meilleure distribution des produits équitables (De Pelsmacker et al., 2005 ; 2006) ; des ouvertures de magasins plus pratiques, des magasins mieux situés, etc.

49Ces résultats correspondent à ceux de groupes exploratoires menés en Belgique. Ils sont à nuancer en fonction des cultures de chaque pays européen et des modes de distribution. Ainsi les allemands et les suisses semblent-ils beaucoup plus ouverts à la question des textiles bio ce qui explique sans doute qu’ils en soient les plus gros consommateurs (Ton, 2002  a). Mais la prise en compte des consommateurs conduit à une modification des dispositifs mis en place par les filières cotonnières.

3.2. Les exigences de qualité et d’éthique conduisent à une modification des dispositifs en place au Sud

50Modification des dispositifs agricoles. De l’avis général des importateurs rencontrés, la qualité matérielle des produits passe par la qualité des pratiques de production. Sur place, la notion de qualité se traduit par la mise en place de dispositifs qui visent tous à respecter l’intégrité des produits.

51Un dispositif alliant normes de propreté, pureté de la récolte et attention aux conditions de stockage est ainsi mis en place en Inde ou en Afrique de l’Ouest dans les consignes données pour la manipulation du coton afin d’éviter toute forme de « contamination » par des éléments extérieurs, contamination qui retentirait sur la qualité des fils de coton. Après la récolte, plus douce, à la main, il faut protéger les cotons des déchets qui peuvent y être mélangés par mégarde (fils de polyester des sacs de transport, mégots de cigarettes des ouvriers). Pour cela on utilise des sacs en coton et non en polyester pour le transport et les organisations indiennes forment les cueilleurs à qui l’on présente des fils de coton invendables contenant du polyester ou des déchets pour leur faire comprendre les conséquences de leurs actes. Une grande attention est aussi apportée aux conditions de transport pour éviter toute détérioration des récoltes.

52Au-delà de l’intégrité des produits, la demande de qualité des consommateurs impose aussi de prendre en compte la mode ou les goûts occidentaux lors de la conception et de la fabrication des objets ou des vêtements qui leurs sont destinés. C’est d’autant plus difficile que les consommateurs européens n’ont pas de profil unique. Malgré l’uniformisation des goûts, à chaque marché correspond un style, un design difficile à appréhender par les organisations de producteurs au Sud. Cet état de fait a plusieurs conséquences. D’une part, elle rend l’intervention de stylistes quasi obligatoires, de l’autre, elle segmente les marchés et les rend plus difficilement abordables.

53Intervention de stylistes dans la conception des produits finis. La difficulté des producteurs du Sud à appréhender les goûts européens fait que des stylistes sont de plus en plus fréquemment intégrés dans les réseaux. Les types de stylistes et leurs fonctions ont été décrits par Litrell et Dickson (1999) qui insistent notamment sur une fonction d’interprète de la culture locale pour le marché extérieur ou celle d’aide à la compréhension des attentes des marchés du Nord. Les 2 fonctions pouvant, l’une et l’autre, être remplies par des acteurs du Sud ou du Nord. Les stylistes vont ainsi aider les producteurs artisanaux du Sud à adapter leur production en termes de motifs et de couleurs (surface styling), de taille et de forme (stylisme de coupe).

54Cependant, l’emploi des stylistes coûte cher, ceux du Nord sont considérés comme inabordables par les organisations indiennes auxquelles nous avons rendu visite sauf à être pris en charge par les organisations du Nord. Les stylistes locaux sont aussi très chers (50 à 150 $ par jour en général, les plus connus demandent 1000 $). Toutes les organisations, en Inde, ne peuvent pas se permettre d’en employer. Par ailleurs, les stylistes formés au Nord ont l’habitude de travailler sur des matières synthétiques et connaissent mal la façon dont peut vivre et se transformer une pièce de coton ou la question des teintures en ce qui concerne le textile, un apprentissage de ce qu’il est possible de faire avec ces types de coton est donc nécessaire (Interviews 2004).

55Enfin, la question des vêtements pose un problème particulier pour les filières bios et/ou équitables car :

56– Les tailles varient d’un pays à l’autre (les européens du Nord étant plus grands) et la différence de goût est très marquée. Des distributeurs de vêtements en coton bio conçus en Allemagne nous disent ainsi avoir beaucoup de mal à les vendre en Belgique.

57– Les consommateurs sont habitués à un renouvellement rapide des collections, rythme que les organisations de producteurs du CE au Sud ont du mal à tenir. L’offre de vêtements va donc se concentrer sur ce que les importateurs nomment des « basiques » i.e. T-Shirts, pyjamas, brassières pour bébés.

58– Le critère bio ou équitable est un critère de préférence secondaire par rapport à celui du style et/ou de la marque ce qui a bien été observé lors des groupes consommateurs organisés autour du jean mais seuls quelques stylistes de mode et quelques organisations ont donc décidé de faire porter leur efforts sur cet aspect où beaucoup reste à faire (Marie Cabanac pour Ethic Wear à Bruxelles, J. Streng pour Made by aux Pays-Bas, par exemple). Cette situation semble moins prégnante en France où de nombreux jeunes stylistes utilisent maintenant ces cotons et où la presse commence à s’intéresser à leur travail, grâce, notamment à l’Ethical fashion show(9).

59à l’inverse, les grandes marques qui s’étaient lancées dans des lignes en coton biologique dans les années 1990 (Gap, Nike, Levis) les ont abandonnées quelques années plus tard (à l’exception de Nike) car les contraintes de la transformation bio ne leur permettaient pas, selon leurs dires, de renouveler suffisamment les collections qui n’ont bénéficié que d’un effet de mode avant d’être boudées par les consommateurs. Cela a eu des conséquences importantes pour les producteurs de coton biologique. Par exemple, aux USA, la production a chuté de 50 % entre 1996 et 1997 (Ton, 2002  a).

60La segmentation des marchés européens est donc un frein à la diffusion des cotons bios et équitables. Dans cette optique, intégrer les marques de confection textile européennes dans le réseau de commerce équitable de l’Afrique de l’Ouest, marques qui prennent en charge leur propre stylisme et assume le risque de la distribution est une stratégie qui permet de pallier partie de ces inconvénients mais n’élimine pas la question d’un effet de mode négatif possible pour l’équitable ou le bio.

3.3. Les exigences marketing posent la question de la distribution et de l’offre au Nord

61Un certain nombre d’acteurs de la filière textile bio et équitable en Belgique ne souhaitent pas utiliser les techniques de communication du commerce conventionnel car elles sont à l’opposé des valeurs prônées par ces organisations et/ou sont trop coûteuses pour leur budget. Mais d’autres éléments du mix marketing(10) des textiles bios ou équitables en Belgique posent question. Ainsi :

62– L’offre produits est très limitée : quelques T-Shirts, des vêtements importés d’Allemagne, des draps alors que dans d’autres pays européens on trouve aussi du linge de table, des sous-vêtements, des articles de sport, des pulls, etc.

63– Le prix des produits est perçu comme plus élevé alors qu’il correspond pourtant souvent à des gammes de prix similaires en conventionnel (une vingtaine d’euros pour des Sweat shirts par exemple).

64– La distribution des vêtements se réduit. La grande distribution alimentaire qui avait parié sur le développement des ventes de textiles bios dans la foulée de celle des produits alimentaires a dû revoir ses perspectives à la baisse. Par exemple, Bio Planet a retiré de nombreux vêtements de ses rayons. De son avis, ni la structure des points de ventes (qui ne permet pas l’essayage), ni la formation des personnels (qui ne correspond pas à celle de vendeurs de vêtements), ni la culture d’entreprise (habituée à des rotations plus rapides et à des délais très courts entre la commande et la livraison alors que les collections de vêtements se préparent 6 mois à l’avance) ne leur permettait de vendre les textiles dans de bonnes conditions. Les magasins spécialisés sont, comme nous l’avons vu, peu nombreux et les ventes par Internet qui représente une part importante de la vente aux USA (Ton, 2002  a) ne sont proposées que par 2 sites belges : Greenpeace et Oxfam Magasins du monde, encore s’agit-il souvent de 2 mêmes fournisseurs.

65Il est donc possible de faire l’hypothèse de l’existence d’un potentiel de développement des marchés pour les cotons biologiques et équitables en Belgique ; ne serait-ce que par une augmentation de l’exposition des consommateurs à l’offre via de nouveaux circuits de distribution (magasins spécialisés, grandes surfaces généralistes) et par sa diversification hors des circuits du vêtement et même des circuits textiles (coton hydrophile ou produits de parapharmacie).

4. Conclusion

66Les filières textiles biologiques et équitables qui se sont développées à partir de l’engagement de certains consommateurs en faveur de modes de production alternatifs sont maintenant confrontées à l’ouverture des marchés qui est nécessaire pour garantir la pérennité des projets déjà constitués et assurer leur expansion. Cela se traduit par une modification des attentes des acheteurs potentiels qui, tout en restant attentifs à la qualité biologique ou équitable des cotons qu’ils achètent ont une compréhension plus floue de cette qualité tout en recherchant des caractéristiques physiques et un rapport qualité/prix qui les satisfassent.

67Ces changements ont obligé les filières à se réorganiser pour s’y adapter. Elles se sont intégrées pour permettre le contrôle du respect des normes éthiques tout au long de la filière et promouvoir un saut qualitatif qui rende ces cotons plus aptes à s’insérer dans les circuits de distribution conventionnels et donc à permettre un élargissement des débouchés offerts aux producteurs cotonniers biologiques ou équitables du Sud.

68La question se pose de la façon dont les quantités vendues pourraient continuer à augmenter dans le cadre des engagements à long terme nécessaires à la construction des filières notamment au changement des pratiques dans l’agriculture et la transformation. En l’absence d’études marketing pour la Belgique, nous faisons l’hypothèse qu’il existe des possibilités de développement des marchés donc un avenir pour ces produits cotonniers soit par le renforcement du circuit de distribution (insuffisamment étoffé) soit par la commercialisation de nouveaux produits. Pour sa part, le marché des vêtements pourrait permettre d’augmenter les quantités vendues, mais le phénomène de mode qui peut être lié à l’achat de vêtements bio et/ou équitable doit être pris en considération car il a déjà mené à une crise dans les années 1990 quand les principaux acheteurs, notamment aux USA, ont abandonné leurs lignes bio. Pour aller au-delà de l’effet de mode et du facteur de risque qui lui est lié, les cotons biologiques et équitables pourraient se développer sur le segment des articles de sport et le linge de table et de maison où ils sont encore peu présents en Belgique.

69Se pose aussi la question sur la façon dont il serait possible de ne plus faire reposer la filière sur la seule volonté du consommateur d’acheter des textiles biologiques et équitables. Une première voie est ouverte par les acteurs qui misent d’abord sur le style et la qualité de leurs produits. Une autre voie, non explorée, serait de s’intéresser à d’autres types de consommateurs et notamment au marché des entreprises. Nous faisons l’hypothèse que celles-ci pourraient inscrire des achats de cotons bios et/ou équitables dans le cadre des engagements à long terme qui vont de pair avec l’élaboration de leur Responsabilité Sociale d’Entreprise. Cela pourrait se traduire non seulement par des achats de produits spécifiques mais aussi, pour les entreprises textiles, par des engagements de long terme qui rendraient le mélange des cotons moins risqué tout en offrant un débouché quantitatif plus important.

Index

70AB : Agriculture Biologique.

71CE : Commerce Equitable.

72FLO : Fairtrade Labelling Organizations.

73IAP : The International Association of Partnership.

74ISEAL : International Social and Environmental Accreditation and Labelling Alliance.

75OIT : Organisation Internationale du Travail.

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Notes

Para citar este artículo

Isabelle Haynes, «Le coton bio et/ou équitable : réel avenir ou effet de mode ?», BASE [En ligne], volume 10 (2006), numéro 4, Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2006 10(4), p. 361–371 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=642.

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