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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

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René Noel Poligui, Isaac Mouaragadja, Éric Haubruge & Frédéric Francis

La culture du safoutier (Dacryodes edulis [G.Don] H.J.Lam [Burseraceae]) : enjeux et perspectives de valorisation au Gabon (synthèse bibliographique)

(Volume 17 (2013) — numéro 1)
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Annexes

Notes de la rédaction

Reçu le 20 juin 2011, accepté le 8 novembre 2012

Résumé

Au Gabon, le safoutier (Dacryodes edulis [G.Don] H.J.Lam) est un arbre fruitier important de par sa valeur alimentaire, son rôle économique et sa place socio-culturelle. Ses fruits sont très appréciés et régulièrement commercialisés sur les marchés des grandes agglomérations urbaines. La production locale est limitée, mais suppléée par d’importantes importations en provenance des pays limitrophes. La culture du safoutier est répandue dans tous les milieux anthropisés, principalement dans les jardins de case. Le marché et les potentialités agronomiques de cette espèce n’ont pas encore été étudiés suffisamment au Gabon. Les recherches scientifiques effectuées dans les pays voisins ont révélé d’excellentes qualités nutritionnelles de la pulpe du fruit et des propriétés agro-alimentaires intéressantes des huiles extraites de la pulpe et du noyau du safou. Cependant, il n’existe aucune étude approfondie sur les ravageurs de D. edulis et leur contrôle. La modernisation de cette culture au Gabon, notamment en réduisant les pertes liées aux ravageurs et en valorisant tous les produits issus du safoutier, pourrait permettre d’envisager, dans le cadre d’un développement durable, d’importantes retombées économiques et industrielles.

Mots-clés : développement durable, culture fruitière, ravageurs, circuits de commercialisation

Abstract

Cultivation of the African plum (Dacryodes edulis (G.Don) H.J.Lam): challenges and prospects for valorization in Gabon. A review. In Gabon, the African plum (Dacryodes edulis [G.Don] H.J.Lam) is an important fruit tree because of its nutritional value and its place within both the economy and the socio-cultural context. The fruits of this tree are widely appreciated and are sold regularly in all major urban markets. Local production is limited but is offset by significant imports from border countries. Culture of the African plum is widespread in anthropized areas, mainly in domestic gardens. The market and agronomic potential of this species has not yet been sufficiently studied in Gabon. There is no detailed study of the pests affecting D. edulis, or of their control. Numerous scientific studies carried out in neighboring countries have revealed excellent nutritional qualities of the safou pulp and interesting food properties of the oil extracted from both the safou pulp and the seed kernel. Within the context of sustainable development, the modernization of the culture of the African plum in Gabon, in particular by reducing pest-related losses and through the prudent use of all the products of the tree, may lead to important economic and industrial incomes.

Keywords : sustainable development, Dacryodes edulis, Gabon, fruit tree crops, pests, marketing channels, Gabon, Dacryodes edulis

1. Introduction

1Le safoutier (Dacryodes edulis (G.Don) H.J.Lam ; Burseraceae) est un arbre fruitier originaire du Golfe de Guinée (Raponda-Walker et al., 1961 ; Aubréville, 1962 ; Kengué, 1990). Il est depuis longtemps exploité par les populations de l’Afrique centrale, principalement pour ses fruits comestibles, et aussi pour ses feuilles et son écorce utilisées dans la pharmacopée traditionnelle (Raponda-Walker et al., 1961). Au Gabon, il est vraisemblablement le fruitier local le plus cultivé, bien que sa culture demeure rudimentaire. Les fruits du safoutier (safou), localement appelés atanga, sont très appréciés et servent tant à l’autoconsommation qu’à la commercialisation. D’après Tabuna (1999), les safou sont non seulement commercialisés sur presque tous les marchés de la sous-région d’Afrique centrale, mais ils font aussi l’objet d’importants échanges internationaux en direction de l’Europe (France, Belgique, Angleterre, Portugal, Allemagne). La pulpe des fruits peut être transformée après cuisson en une pâte alimentaire (beurre de safou) qui se conserve deux à trois mois après la récolte. Elle entre dans la composition de diverses recettes culinaires. À partir de la pulpe et du noyau de safou, on peut extraire une huile alimentaire et cosmétique (Tabuna et al., 2009). La plupart des recherches scientifiques menées sur D. edulis ont porté sur la caractérisation de la valeur alimentaire de sa pulpe et de son huile (Ajayi et al., 2006), sur les procédés d’extraction de l’huile (Silou, 1994 ; Kapseu, 2009) et sur les techniques de multiplication du safoutier (Kengué, 2002 ; Damesse et al., 2001). Très peu de ces travaux scientifiques ont été réalisés au Gabon. À côté de ce manque d’informations scientifiques locales sur le safou, il existe un ensemble de facteurs limitant, tels l’insuffisance de connaissances des producteurs et des pouvoirs publics sur les atouts du safoutier, notamment la contribution de l’espèce à l’économie des ménages, à la sécurité alimentaire, et comme un des éléments essentiels de la diversité végétale des jardins de case. Il en découle l’absence de centres de multiplication de matériel végétal sélectionné et, par conséquent, l’absence d’exploitations modernisées et suffisamment productives capables de satisfaire les besoins du pays en safou. Pourtant, la demande du marché gabonais en safou est forte, mais faiblement satisfaite par la production locale, donc suppléée par les importations, principalement en provenance du Cameroun (Temple, 1999). Au regard des atouts du safoutier et des contraintes relatives au développement de sa culture au Gabon, il apparait important de développer davantage d’études pour mieux valoriser cette ressource dans ce pays. Cela pourrait parfaitement intégrer la dynamique de développement de l’agriculture péri-urbaine, notamment les cultures maraichères en plein essor dans la sous-région (Nguegang, 2008). Le présent travail de synthèse s’inscrit dans cette perspective, avec comme objectif principal la prospection et l’indication des voies locales susceptibles d’y permettre le développement de cette culture. Pour ce faire, nous dresserons d’abord un état des lieux des connaissances sur le safoutier, en incorporant des données relatives à nos observations, et traiterons ensuite des enjeux et des perspectives liés à la valorisation de cette culture au Gabon.

2. État des connaissances sur Dacryodes edulis

2.1. Description et écologie

2Appellations. Dacryodes edulis (G.Don) H.J.Lam appartient à la famille des Burseraceae et est connu aussi sous plusieurs synonymes tels Pachylobus edulis G.Don (1832), Canarium edule Hook.F (1849) et Pachylobus saphu Engl. (1896) (Chevalier, 1916 ; Aubréville, 1962 ; Onana, 2008). Dacryodes edulis est aussi désigné sous différentes appellations vernaculaires spécifiques à chaque pays : Atangatier au Gabon, prunier au Cameroun, NSafou en République Démocratique du Congo, Safu à Sao Tomé. Les termes safoutier (arbre) et safou (fruit) constituent des appellations francisées conventionnellement utilisées dans tous ces pays (Kengué, 1990). Mais, au Cameroun, le fruit se nomme prune et, au Gabon, il est désigné par atanga (Raponda-Walker et al., 1961 ; Aubréville, 1962). Les appellations anglaises (Onana, 2008) sont beaucoup plus nombreuses : African pear tree, African black pear, African plum tree, Butter fruit tree, bush butter tree.

3Description botanique. Dacryodes edulis est un arbre fruitier oléifère. Il est dioïque et sa taille varie entre 10 et 50 m de haut (Chevalier, 1916), pour 70 à 105 cm de diamètre (Kengué, 1990). Le fût de D. edulis est généralement droit et cylindrique, les feuilles sont composées paripennées à imparipennées, alternes, et l’inflorescence est une panicule axillaire. Les fleurs sont unisexuées, mais certains arbres sont hermaphrodites (Kengué, 1990). Le fruit est une drupe de 4-15 cm x 3-6 cm ayant un noyau formé de deux cotylédons subdivisés chacun en cinq lobes. Dans ses travaux, Kengué (1990) relève au moins dix formes caractéristiques de fruits trouvés sur le marché, et dont la conformation géométrique peut être oblongue, ellipsoïde, conique, ovale, globuleuse, avec des sillons longitudinaux, des épaulements ou des bosselures. Selon Okafor (1983), il existe deux variétés dont D. edulis var. edulis et D. edulis var. parvicarpa J.C.Okafor. La première variété citée est caractérisée par une ramification verticillée ou subverticillée et des fruits plus gros avec une pulpe épaisse. Par contre, D. edulis var. parvicarpa a des fruits plus petits avec une pulpe mince. Sa ramification a tendance à être opposée ou bifurquée. Par ailleurs, nous souhaitons relever ici le fait que les informations relatives aux mensurations du safoutier et de ses fruits varient souvent d’un auteur à un autre. Ainsi, Chevalier (1916) rapporte que le safoutier peut avoir jusqu'à 50 m de hauteur, lorsqu'il pousse en milieu forestier où il est livré à la compétition avec d'autres arbres. Kengué (2002) situe la hauteur de l’arbre à 30 m, Anegbeh et al. (2005) entre 4 et 22 m et Kinkela et al. (2006) entre 8-12 m de hauteur. On peut multiplier des exemples similaires concernant la longueur du fruit, la production et le rendement de safou et d’huile. Les différences des chiffres (grandeurs mesurables) ne relèvent pas de la spécialité des auteurs, mais de la variabilité des arbres selon leur âge, leur milieu écologique et leurs caractéristiques propres. En réalité, les informations sur le safoutier ne sont pas encore définitivement fixées, la variabilité de l’arbre et les investigations des aires de culture non explorées apporteront fort probablement des informations nouvelles élargissant les données récoltées antérieurement. Au cours de nos travaux, nous avons observé sur le marché de Libreville (Gabon) une vingtaine de types de fruits différents par la forme, la couleur et la taille, comme le montrent la figure 1 et le tableau 1.

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4Le tableau 1 présente les caractéristiques morphologiques de 220 fruits que nous avons observées sur quatre marchés de Libreville (carrefour Nzeng-Ayong, échangeur Awendjé, Gare routière, carrefour Charbonage).

5Ces variations morphologiques des fruits seraient liées aux conditions pédo-climatiques et aux facteurs génétiques (Silou, 1994 ; Anegbeh et al., 2005). Cette variabilité génétique traduit d’énormes possibilités de sélection et d’amélioration de safou (Kengué, 2002).

6Phytogéographie. Dacryodes edulis est un arbre fruitier très cultivé en milieu traditionnel africain, dans les zones équatoriale, tropicale humide ou tropicale d’altitude. C’est une plante extrêmement rustique qui s’accommode d’une vaste gamme de conditions d’ensoleillement, de température, de pluviométrie et de sol (Kengué, 1990). Il est originaire du Golfe de Guinée (Aubréville, 1962). Selon Onana (2008), il est cultivé dans plusieurs pays d’Afrique tropicale (Angola, Cameroun, Congo Brazzaville, République de Centre Afrique, République Démocratique du Congo, Gabon, Nigéria, Guinée Équatoriale et République de Sao Tomé et Principe). Sa présence a été aussi signalée au nord du Zimbabwe et en Ouganda (Troupin, 1950). Il a été introduit au Ghana, en Côte d’Ivoire et en Malaisie (Sonwa et al., 2002).

7Écologie. Dans son aire de culture, D. edulis s’adapte très facilement à de nombreux types d’écosystèmes. Au Gabon, la régénération naturelle du safoutier est si fréquente qu’elle explique en partie son abondance dans les concessions et les espaces anthropisés. Il pousse aussi facilement derrière les cases, même sans avoir été planté par l’homme, au milieu des ordures ménagères jetées dans l’arrière-cour de l’habitat. Isseri (1998) rapporte que les températures annuelles moyennes favorables au développement du safoutier, dans le contexte du Cameroun, sont comprises entre 23 et 25 °C, correspondant à la zone partant de la vallée du Ntem jusqu’à l’escarpement de Ngaoundéré. Par ailleurs, il relève qu’au niveau de la zone agroécologique des Hauts Plateaux de l’Ouest où la température moyenne annuelle se situe autour de 20 °C, la croissance est très lente et l’entrée en production des safoutiers est tardive (cinq à sept ans). Par contre, selon le même auteur, pour les zones de Kribi, Douala et Limbé situées au bord de l’océan Atlantique (avec des précipitations moins favorables) où les températures moyennes annuelles sont de l’ordre de 26 °C, la croissance végétative prend le pas sur la fructification et rend peu rentable l’exploitation du safoutier. La pluviométrie idéale se situe entre 1 400 et 2 500 mm (Kengué, 1990 ; Kengué, 2002). Ainsi, grâce à cette plasticité écologique, D. edulis se développe aussi bien en basse altitude depuis le niveau de la mer qu’à une altitude de 1 000 m. Un éclairement suffisant des houppiers des arbres permet non seulement un meilleur butinage par les insectes, mais évite une humidité susceptible de favoriser les maladies cryptogamiques (Mouaragadja et al., 1994).

2.2. Phénologie

8Croissance et développement. La croissance du safoutier est rythmique, et se fait en vagues successives au cours desquelles se mettent en place des organes tels que les feuilles, les bourgeons et les entre-nœuds. Selon Kengué (1990), une vague de croissance dure environ deux mois et se fait en cinq stades : le débourrement du bourgeon (dix jours), l’allongement des entre-nœuds (8 jours), la croissance foliaire (10 jours), la maturation foliaire (10 jours) et le repos végétatif (21 jours). Les vagues de croissance sont plus fréquentes chez les jeunes arbres et ont généralement plus lieu en saison sèche (Kengué, 1990). Kengué (2002) souligne également que sur un même safoutier, les rameaux dans une zone bien délimitée du houppier peuvent avoir un comportement phénologique totalement différent d’une autre zone. On peut ainsi distinguer une aire en pleine croissance végétative, alors que l’autre est complètement en repos. Dans certains cas, une partie de la couronne est en fleur ou en fruit, alors que le reste est soit en repos, soit en croissance végétative. Ce phénomène est appelé l’erratisme. La période juvénile dure quatre à six ans et prend fin avec la floraison suivie de la fructification (Kengué, 1990).

9Floraison et fructification. La floraison du safoutier est axillaire (est initiée à la base de l’aisselle des feuilles et des rameaux). Le bourgeon apical reste végétatif pour assurer la croissance ultérieure. La floraison du safoutier est étalée : elle dure environ un mois par arbre et trois mois pour la population totale des arbres. Les arbres mâles fleurissent chaque année, tandis que les arbres femelles observent un à trois ans de repos de production (phénomène d’alternance), du fait de l’épuisement de leurs réserves après la production des fruits. Ce phénomène d’alternance et d’irrégularité de production est bien connu chez d’autres espèces fruitières (Kengué, 2002). La pollinisation du safoutier est principalement effectuée par les insectes, notamment Apis mellifera adasonii Latreille (Kengué, 2006) et Meliponula erythra Schletterer (Tchuenguem et al., 2001). Le fruit arrive à maturité cinq mois après la floraison (Omokhua et al., 2009). Par ailleurs, il existe des cas de développement parthénocarpique des safou (Kengué, 1990 ; Anegbeh et al., 2005). La multiplication végétative de ces individus produisant des fruits sans noyaux pourrait permettre des applications industrielles et commerciales intéressantes. Le pic de floraison est atteint entre janvier et février au nord de l’Équateur, tandis qu’au sud il est observé entre aout et septembre (Kengué, 2002). Dans la province du Haut-Ogooué (Gabon), nous avons observé que la floraison est initiée en aout, la fructification commence en septembre et la pleine maturité de la majorité des fruits intervient en janvier. Ces étalements de la floraison, de la fructification et de la maturité des fruits permettent non seulement de trouver le safou toute l’année dans les plus grands marchés de l’Afrique centrale (Figure 2), mais aussi d’alimenter des échanges réciproques entre les pays concernés.

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2.3. Aspects agronomiques

10La multiplication du safoutier. La multiplication par la graine est la technique la plus pratiquée, mais elle ne garantit pas toujours la reproductibilité des caractères parentaux que les cultivateurs recherchent. Les graines doivent être fraiches, intactes et provenir des fruits mûrs. En effet, à maturité, la graine présente déjà à l’intérieur de l’endocarpe une radicule longue d’environ 2 cm. Il est donc important que, dès la récolte, ces fruits ne subissent pas de chocs (pour éviter la dislocation de la graine). La germination des noyaux a lieu entre 14 et 30 jours après semis et son taux peut atteindre 95 à 100 % si le semis a lieu rapidement après la récolte (Kengué, 1990). Selon Agbogidi et al. (2007), un prétraitement des graines de D. edulis à l’acide sulfurique (H2S04) dilué à 5 % pendant 20 min permet, neuf jours après le semis, une augmentation significative de leur germination (90 %) et une croissance plus rapide des jeunes plants. Dix semaines après l’émergence des plantules, par rapport aux traitements témoins (sans acide), la hauteur moyenne des plants augmente de 23,27 % (soit 19,6 cm contre 15,9 cm), le nombre moyen des feuilles augmente de 31,25 % (soit 4,2 feuilles contre 3,2 feuilles), la surface foliaire moyenne augmente de 49,59 % (soit 18,4 cm2 contre 12,3 cm2) et le diamètre moyen du collet augmente de 40 % (soit 1,5 cm contre 0,9 cm). Cette technique n’est certes pas recommandable pour les paysans en raison des risques liés à l’utilisation d’un acide, même dilué, mais elle pourrait servir à des structures de recherches pour obtenir un taux de germination en peu de temps.

11Par la multiplication végétative, il est possible d’obtenir, avec un succès relatif, des plants conformes à leur pied-mère, ce qui garantit une production de fruits de la qualité recherchée. Les premiers essais de bouturage réalisés à partir des boutures prélevées sur des arbres adultes, sur des rejets de souches ou sur des rejets des charpentières (taillées au préalable), n’ont pas émis de racines adventives. Le bouturage ne permet donc pas encore de multiplier avec succès le safoutier (Kengué, 2002). Par contre, Damesse et al. (2001) ont obtenu, par le greffage par approche, un taux de soudure des pousses de 79 %, alors que Kengué (2006), avec des greffons prélevés sur les rejets de marcottes jeunes, n’a obtenu que 12 % de réussite. Ces résultats sur le greffage traduisent la possibilité de rejuvéniliser les arbres adultes aux caractères bien déterminés. Le greffage de jeunes plants ne présente aucun intérêt pour la sélection, car ces derniers demeurent génétiquement inconnus, tout comme les graines (Kengué, 2002). Actuellement, la voie de multiplication végétative la plus efficace et la plus pratique est le marcottage aérien qui permet d’obtenir jusqu'à 80 % de réussite (Kengué, 1990 ; Mialoundama et al., 2001).

12En ce qui concerne la culture in vitro de D. edulis, les travaux réalisés par Youmbi et al. (2001) ont permis d’obtenir 50 % de plantules viables. Ces résultats sont certes prometteurs, mais traduisent le besoin d’affiner la technologie afin de permettre une application pratique et plus efficace pour la multiplication de cette espèce.

13La pépinière. La pépinière est essentielle à la mise en place d’un verger de safoutiers. Elle permet d’acclimater et de sélectionner les plants de safoutiers les plus vigoureux. Selon Kengué (2002), la pépinière doit être mise en place pendant le pic de production de safou, afin d’avoir les meilleures graines et d’éviter les fruits de début et de fin de saison qui sont parfois issus de pollinisations déficientes et renferment des graines mal conformées ou non viables. Les critères de choix des graines à semer sont la grosseur du fruit, son gout et la productivité de l’arbre mère. Par contre, la pépinière des plants issus de la multiplication végétative est à programmer en fonction de la période de sevrage du type de matériel végétal utilisé (plants in vitro, marcottes). Selon le même auteur, les jeunes pousses (prélevées sous les pieds-mère) et les marcottes, à défaut d’être plantées directement au champ, peuvent aussi être mises en pépinière (dans des sachets en polyéthylène, ou des petits paniers en fibres végétales) pour acclimatation, lorsque les conditions climatiques l’exigent. Les plants, quelle que soit leur origine, peuvent séjourner cinq à huit mois en pépinière en fonction de la date de mise en place (semis, transplantation des marcottes ou jeunes pousses) et de la date de début de la saison des pluies nécessaire pour la plantation en champs (Kengué, 2006). Le même auteur indique que l’entretien de base de la pépinière consiste en l’arrosage (dont la fréquence est en moyenne deux fois par semaine, suivant les conditions locales d’humidité), au désherbage et, si nécessaire, à l’application des traitements phytosanitaires contre certains ennemis tels que les insectes (criquets, chenilles), les maladies cryptogamiques (anthracnose) et les escargots. La lutte contre les rongeurs (qui sont friands des cotylédons et des jeunes pousses tendres) peut se faire au moyen de rodenticides, de pièges ou de protections physiques comme le grillage.

14La plantation au champ. Le mode traditionnel de plantation du safoutier est le semis direct des noyaux ou des jeunes pousses (sauvageons). Les jeunes plants issus de la pépinière garantissent un meilleur développement au champ, parce qu’ils sont vigoureux et peuvent non seulement bien supporter le stress de transplantation dans un nouveau milieu, mais aussi exploiter plus facilement les ressources édaphiques (Kengué, 2006). La densité recommandée pour le semis au champ est de 80 à 150, voire 200 arbres à l’hectare (Silou, 1996). Durant leurs cinq premières années de croissance, le safoutier a un système d’enracinement et une frondaison qui ne gênent pas les cultures qui peuvent lui être associées. C’est pour cette raison que, pour mieux valoriser le terrain en attendant l’entrée en production, il est recommandé d’y introduire des cultures intercalaires telles que l’arachide (Arachis hypogaea L.), le haricot (Phaseolus vulgaris L.) et le maïs (Zea mays L.).

15La conduite de la culture. La conduite paysanne de la culture du safoutier consiste en peu de soins, surtout lorsque les arbres sont situés dans d’anciens campements ou de vieux villages, et des champs de brousse. Ces soins se résument essentiellement au sarclage autour du pied, au rabattage des adventices et des lianes qui envahissent le pied ou la frondaison de l’arbre. La fumure (matière organique et/ou engrais), la taille (des branches adventives ou mortes), l’irrigation (arrosage), et dans une certaine mesure la protection phytosanitaire (insecticides surtout), sont plus fréquemment pratiquées sur les safoutiers des jardins de case, des rares vergers commerciaux et surtout dans les centres de recherches qui disposent de vergers de collections, à l’instar des stations de Nkolbisson et de Barombi-Kang au Cameroun (Kengué, 2002). Il est à rappeler toutefois que le safoutier se développe naturellement bien dans son aire de culture, sans nécessiter le recours aux engrais. De même, certains pesticides autrefois indiqués (Endosulfan, Benomyl) contre les ravageurs et les maladies cryptogamiques sont maintenant interdits. Dès lors, lorsque la nécessité est avérée, tout traitement chimique devrait nécessiter l’avis d’un spécialiste.

16Les maladies et ravageurs du safoutier. Les travaux réalisés jusqu’à ce jour sur la protection sanitaire du safoutier mettent en relief quelques maladies et certains ennemis qui méritent des investigations scientifiques approfondies pour permettre une meilleure production de fruits (Kengué, 2002). Les maladies du safoutier ont été peu étudiées, certainement à cause de la fausse impression d’absence de dégâts graves (Leakey et al., 2001). Pourtant, Kengué (2002) fait état, au niveau de la collection de Minkoameyos (Cameroun), de certaines maladies racinaires d’origine cryptogamique non encore identifiées, observées sur les pieds issus de marcottes. De même, dans leur étude sur la mycoflore du safoutier au Gabon, Mouaragadja et al. (1994) relèvent que le dessèchement (le die-back) des rameaux du safoutier est dû à Botryodiplodia theobromae Pat, et que l’anthracnose due à Colletotrichum gloeosporoides (Penz. et Sacc.) s’attaque aux feuilles, aux rameaux (qui peuvent dépérir en cas de fortes infections) et même aux fruits. À côté de ces pathologies, il existe d’autres maladies comme la gale des fruits (due au genre Gloeosporium). Des études sur la biologie, l’épidémiologie, la quantification des dégâts et les moyens de lutte contre ces agents phytopathogènes restent à approfondir. Par ailleurs, Nwufo et al. (1989) ont montré que 35 à 65 % des fruits sont attaqués en post-récolte par trois principaux agents fongiques : Botryodiplodia theobromae Pat., Rhizopus stolonifer (Ehrenb) et Aspergilus niger (Van Tieghem).

17Les ravageurs et déprédateurs du safoutier, tout comme les maladies, ne sont pas suffisamment étudiés (Kengué, 2002). Des attaques de feuilles de la pyrale rouleuse Psara pallidalis Hampson ont été signalées au Cameroun (Kengué, 2006). Au niveau des fruits, Kengué (2002) rapporte que 50 % des cas de chute prématurée des safou sont imputables à Carpophilus sp. (Coleoptera, Nitidulidae). Il souligne également la présence d’un foreur du tronc qui reste à identifier, mais dont les fortes infestations conduisent au dessèchement des rameaux et à la mort de l’arbre. De nos observations au Gabon, les principaux oiseaux déprédateurs de safou sont Colius striatus Gmelin, Ploceus nigerrimus Vieillot, Pycnonotus barbatus Desfontaines, Tockus fasciatus Shaw, Bycanistes fistulator Cassin et Corvus albus Müller. Quelques mammifères primates comme Cercopithecus cephus L. et Cercopithecus nictitans L. sont aussi reconnus en milieu paysan du Gabon comme des consommateurs des fruits des safoutiers de forêt. Tout comme pour les maladies, la lutte contre les ravageurs du safoutier passe par les études sur leur biologie, leur épidémiologie et dégâts, et les moyens et stratégies de lutte appropriés.

18La récolte. La récolte intervient lorsque le fruit mûr acquiert la couleur bleu foncé, bleu violet, bleuâtre, violet, verdâtre, bleu panaché de blanchâtre ou de rose, ou blanc grisâtre ponctué de taches sombres ou ayant seulement une extrémité entièrement bleuâtre, selon les accessions (variétés non formellement caractérisées). Les fruits sains peuvent rester longtemps attachés au pédoncule, ce qui permet de retarder la récolte, mais en courant le risque de perdre beaucoup de fruits en raison des dommages que causent les oiseaux (Kengué, 2006). Lorsqu’elle est décidée, la récolte de safou nécessite certaines précautions pour préserver l’intégrité des fruits et éviter le ramollissement qui est la principale cause des pertes post-récoltes. Selon Kengué (2002), pour éviter les pertes rapides des fruits, il est conseillé de programmer la récolte par temps sec (lorsque la rosée s’est complètement évaporée), de récolter le fruit avec un petit bout de pédoncule, d’éviter la chute des fruits (car toute lésion sur le safou constitue le point de départ de son ramollissement).

19Le rendement. Le rendement d’un safoutier est fonction de l’âge, de l’accession et aussi du climat (Awono et al., 2008). En effet, un arbre adulte peut produire par saison entre 220 kg et 340 kg de fruits dont on peut extraire 40 à 50 kg d’huile de la pulpe (Silou, 1994 ; Kapseu, 2009) et 10 à 12 kg d’huile de la graine (Silou, 1994 ; Law, 2010). Ajiwe et al. (1997) situent la teneur en huile de la graine (sèche) de safou à 27,3 %, tandis qu’Arisa et al. (2008) ont réussi à obtenir une teneur de 50 %. Cette différence réside dans la méthode d’extraction, les propriétés des arbres et la maturité des fruits. L’huile de la graine est de composition chimique similaire à l’huile de la pulpe (Silou, 1994 ; Ajiwe et al., 1997). Ainsi, le rendement en safou d’1 ha de 100 safoutiers (95 femelles et 5 mâles) pourrait être théoriquement estimé entre 22 et 34 t·ha-1. Cela correspond à un potentiel de 4-5 t·ha-1 d’huile de pulpe et au moins 1 t·ha-1 d’huile de graine, soit une production totale d’huile (pulpe et graine) de 5-6 t·ha-1. Ce rendement peut être doublé si l’on augmente la densité des safoutiers à 200 arbres par ha (Silou, 1996), ce qui constitue un potentiel intéressant pour l’exploitation industrielle, notamment la production d’huile pouvant servir au biocarburant (Law, 2010).

20La conservation et la transformation des fruits. Conservés à milieu ambiant (25-30 °C), les fruits se ramollissent au bout de trois à cinq jours après la récolte (Kengué, 2002 ; Silou et al., 2007). Cette périssabilité liée à la nature même du safou entraine des pertes post-récoltes pouvant atteindre 50 à 65 % (Nwufo et al., 1989 ; Silou et al., 2007 ; Kengué, 2002). Au Gabon, les paysans transportent dans un même panier les fruits mélangés aux feuilles du safoutier, pour prolonger leur durée de conservation jusqu’à trois jours. Au Cameroun, les paysans parviennent à conserver pendant sept à dix jours les safou mélangés à des citrons (Noumi et al., 2006). Le safou en provenance du Congo (Brazzaville) arrive au Gabon (Franceville) dans des paniers dont les parois et l’intérieur sont garnis des feuilles de Maprounea africana Müll.Arg. (Euphorbiaceae), de sorte que les fruits arrivent bien frais et peuvent être conservés et commercialisés durant cinq jours. Il n’y a pas encore d’étude sur l’effet de ces feuilles, ni du citron, sur la durée de conservation des safou frais. Les fruits cuits et dénoyautés, salés ou non, sont emballés dans les feuilles de marantacées (Haumania liebrechtsiana [De Wild. & T.Durand] J.Léonard, Thaumatococcus daniellii [Bennett] Bent) et conservés sur le fumoir (au-dessus du feu) pendant un à quatre mois. Outre ces techniques de conservation artisanale, il existe des moyens modernes permettant une conservation plus longue du safou. Ainsi, selon Kengué (2006), la réfrigération à 4 °C peut conserver jusqu’au-delà d’une semaine la qualité du safou, tandis que la congélation entre -10 et -20 °C conserve le safou en gardant sa fermeté et sa fraicheur initiale au-delà de 6 mois.

21La pulpe fraiche de safou peut être aussi sèchée, en morceaux épais ou fins, à l’aide des sèchoirs (électrique, solaire) et conditionnée dans des sachets en plastique (Kapseu, 2009). À côté du safou sèché, Tabuna et al. (2009) dénombrent au Cameroun quatre produits dérivés de la transformation du safou frais : l’huile de safou, la pâte de safou, l’huile essentielle de safou et les produits cosmétiques. Selon ces auteurs, l’huile essentielle est extraite par distillation du safou frais découpé en morceau. L’extraction d’huile donne aussi un tourteau utilisable dans l’alimentation animale (Ndamba, 1989).

2.4. L’importance économique de la plante

22Silou et al. (2007) ont estimé que la région de Boko au Congo Brazzaville produit de 1 063 à 4 220 t de safou frais selon les saisons. Temple (1999) a évalué la production camerounaise en safou à 13 000 t (surface non déterminée) et rapporte qu’en 1997, 89 t de safou ont été exportées par le Cameroun vers le Gabon. Il existe d’importants circuits informels de commercialisation de safou entre le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale et le Nigéria (Tabuna, 1999 ; Temple, 1999). Pour sa part, Tabuna (1999) relève qu’environ 105 t de safou sont exportées chaque année de l’Afrique centrale vers l’Europe (France, Belgique).

23Le prix au kg en 1999 était de l’ordre de 1 000 FCFA (1,5 EUR) au Cameroun (Temple, 1999), de 359 à 558 FCFA (0,55-0,85 EUR) en 2008 en République Démocratique du Congo (Awono et al., 2008) et de 2 171 FCFA (3,3 EUR) en 2010 au Gabon (observations personnelles, voir tableau 2). Sur le marché de Libreville (Gabon), les fruits proviennent majoritairement du Cameroun et le prix varie, non en fonction de la masse, mais selon la période de vente, la taille et la fraicheur des fruits, confirmant ainsi les études antérieures (Tabuna, 1999 ; Temple, 1999 ; Awono et al., 2008). Ainsi, plus les fruits sont frais et gros, plus les prix sont élevés (Tableau 2).

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24Le tableau 2 présente la variation du prix de safou que nous avons déterminée sur le marché de Libreville (Gabon) en 2010, en ressortant trois intervalles liés à la typologie des fruits. Ainsi, le prix le plus bas (1 250 à 1 905 FCFA par kg) caractérise les petits (25 %) et les moyens fruits (75 %). Les prix intermédiaire et élevés (2 053 à 2 667 FCFA par kg) correspondent aux gros fruits (67 %) et aussi aux fruits moyens (33 %).

25La pâte (beurre) de safou, qui peut constituer 55 % du poids du fruit frais (observations personnelles), est également élaborée et commercialisée (500 FCFA par kg) soit par les commerçants recyclant les fruits abimés ou en cours de ramollissement, soit par des propriétaires des arbres dont les fruits présentent peu d’intérêt sur le marché (fruits peu luisants, acides). Cette transformation permet aux ménages qui la pratiquent de diversifier leurs revenus et de disposer du safou au-delà de sa saison, tout en évitant les pertes et en valorisant les fruits de mauvaise qualité.

2.5. Les usages et le rôle de la plante

26Le safoutier est planté avant tout pour ses fruits qui se consomment cuits (à l’eau ou sur braises). La partie consommée est la pulpe, soit comme mets à part entière avec du maïs, du manioc ou du pain, soit en dessert, en amuse-gueule, ou en accompagnement avec du poisson ou de la viande. La pâte de safou est non seulement consommée comme la pulpe fraiche, mais elle sert aussi à tartiner, et est utilisée comme un condiment pour épaissir les sauces au même titre que la pâte d’arachide (Tabuna et al., 2009). La pulpe sèchée se consomme comme amuse-gueule au même titre que d’autres produits à grignoter, comme les chips de plantain, les arachides grillées ou caramélisées, les morceaux de noix de coco caramélisés (Tabuna et al., 2009). Les huiles de safou servent tant à la consommation qu’à l’élaboration de produits cosmétiques (Kapseu, 2009). Tabuna et al. (2009) rapportent qu’au Cameroun, l’huile essentielle de safou est utilisée comme ingrédient entrant dans la fabrication des produits cosmétiques et dans l’aromathérapie, notamment dans le massage appliqué pour soigner le rhumatisme. De même, l’huile de safou pourrait être aussi exploitée pour la fabrication de biocarburant grâce à son potentiel énergétique (Law, 2010). Selon Silou (1996), le tourteau ou pâte résiduelle issue de la presse à huile contient 13 à16 % de protéines et peut être utilisé comme un aliment pour les poissons et les autres animaux.

27Le miel issu du nectar des fleurs de D. edulis est très apprécié. En pharmacopée traditionnelle, la résine, les racines, les feuilles et l’écorce intègrent de nombreuses recettes thérapeutiques pour le traitement des plaies, de l’anémie et de la dysenterie, des troubles du tractus digestif, des maux de dents et d’oreille, et de la lèpre (Raponda-Walker et al., 1961). Dacryodes edulis sert non seulement d’arbre d’agrément devant et derrière les habitations, mais il est aussi planté comme arbre d’ombrage dans les plantations de cacao et de café, où il participe à l’équilibre écologique du milieu (Sonwa et al., 2002). Au Gabon, le safoutier est aussi utilisé par les populations pour fixer le sol des terrassements des habitats sur les terrains pentus. Chaque safoutier fait partie des biens ou du patrimoine de la famille.

28D’autre part, le bois de D. edulis est exploitable en ébénisterie. Il présente la même qualité que l’acajou et est comparable à celui de Dacryodes buettneri (Engl.) H.J.Lam (Chevalier, 1916).

2.6. La composition chimique et les propriétés du safou

29Les propriétés du safou dépendent des accessions, des localités, des facteurs pédo-climatiques et génétiques (Silou, 1994 ; Anegbeh et al., 2005). La pulpe fraiche de safou contient 59 % d’eau. Kengué (2002) rapporte que, de la pulpe sèchée, on peut extraire entre 25 à 49 % d’huile par extraction mécanique et 40 à 65 % d’huile par extraction chimique. Par ailleurs, la graine sèchée contient 10 à 50 % d’huile (Arisa et al., 2008 ; Law, 2010). En outre, la pulpe sèche contient 14 à 30 % de protéines, 13,5 à 38 % d’hydrates de carbone, 18 % de fibres, 11 % de cendres. L’huile de safou renferme 35 à 65 % d’acide palmitique, 16 à 35 % d’acide oléique, 14 à 27 % d’acide linoléique et 4 % d’acide stéarique (Umoti et al., 1987 ; Silou et al., 2002 ; Ajayi et al., 2006 ; Kinkéla et al., 2006). Cette composition chimique traduit la valeur nutritive intéressante du safou (Silou et al., 2002 ; Nwosuagwu et al., 2009 ; Ajibesin, 2011). Selon Kengué (2002) et Anegbeh et al. (2005), la teneur en protéines du safou est moins importante que celle de certains oléagineux comme le soja (40 %) ou l’arachide (30 %), mais elle est au moins deux fois plus élevée que celle de la plupart des céréales consommées quotidiennement, telles que le maïs (10 %), le sorgho (11 %), le blé (8-11 %), le riz (8 %). Ainsi, le repas composé de safou et de féculents (manioc, macabo, maïs, pain, etc.) constitue une ration équilibrée (Bratte, 2011). De même, la composition en acides aminés essentiels (Lysine 6,27 %, Histidine 2,41 %, Phénylalanine 2,97 %, Leucine 9,57 %, Isoleucine 3,87 %, Thréonine 4,39 %, Méthionine + cystine 1,02 %, Valine 3,73 %, Arginine 3,3 %) est fort semblable à celle de l’œuf de poule ou du lait de vache (Kengué, 2002).

30La teneur en fibres (18 %) montre bien que le safou est un aliment qui peut faciliter la digestibilité et le transit intestinal. Pour 100 g de pulpe déshuilée, le safou contient 690 mg de calcium, 450 mg de magnésium, 2 380 mg de potassium, 220 mg de phosphore et 80 mg de sodium. La valeur énergétique de 100 g de pulpe de safou est de 444,7 Kcal (Kengué, 2002). Outre la richesse nutritionnelle des fruits que rapportent de nombreux auteurs (Umoti et al., 1987 ; Silou et al., 2002 ; Anegbeh et al., 2005 ; Ibanda et al., 2009 ; Nwosuagwu et al., 2009 ; Ajibesin, 2011 ; Bratte, 2011), il est intéressant de noter que l’huile de la graine de safou a des propriétés requises pour être utilisée dans la résine alkyde (liant), la peinture, les vernis pour bois, le graissage de machines et la crème corporelle (Ajiwe et al., 1997). Diverses études réalisées sur l’écorce, les racines et la résine du safoutier montrent qu’elles ont une activité antibactérienne efficace (Koudou et al., 2008 ; Mbagwu et al., 2008 ; Okwu et al., 2009). C’est ce qui peut expliquer l’utilisation traditionnelle de la poudre de l’écorce pour soigner les plaies d’origine non traumatique (Raponda-Walker et al., 1961).

3. Les enjeux de la valorisation de la culture du safoutier au Gabon

31Comme décrit ci-haut, le safoutier est un fruitier dont le rendement est estimé entre 22 et 34 t·ha-1 de safou, soit 4-5 t·ha-1 d’huile, et ses fruits sont non seulement très appréciés par les populations d’Afrique centrale, mais aussi par la diaspora vivant au-delà de son aire de culture. Envisager le développement de la culture du safoutier au Gabon parait donc être une perspective pertinente pleine d’enjeux, avec notamment des retombées économiques pour les producteurs et les commerçants, le développement d’une série d’activités nouvelles, le changement des habitudes alimentaires et la réduction de la pauvreté en milieu rural.

32Les enjeux économiques peuvent être évalués dans un contexte de production contrôlée. Nous illustrerons cela en estimant le bénéfice annuel que pourraient enregistrer trois acteurs interconnectés (un producteur, un commerçant intermédiaire et un transformateur). Le marché ciblé est supposé être la ville, à cause du grand nombre de clients (80 % de la population gabonaise).

33Pour un paysan (acteur 1) vivant d’agriculture et exploitant 1 ha de 150 safoutiers, nous considérerons que seulement 50 % de ses arbres (75 safoutiers) produiront chaque année, à cause de l’effet d’alternance et des éventuelles pertes au champ. Six hypothèses essentielles ont été considérées pour établir cette estimation, à savoir :

34– la production des jeunes arbres est faible la première année (10 kg par arbre), la production maximale étant observée chez les arbres adultes,

35– la production d’un arbre augmente de 10 kg chaque année (variable minimaliste),

36– la production annuelle est assurée par 75 arbres,

37– l’investissement (200 000 FCFA, soit 305 EUR) consenti pour la mise en place du verger est amorti dès la première année de production (deuxième année d’exploitation),

38– les charges annuelles (260 000 FCFA, soit 396,4 EUR) se stabilisent dès la troisième année d’exploitation,

39– la vente se fait sans perte et le prix du kg de safou par le paysan demeure stable au champ (700 FCFA, soit 1,07 EUR) et sur le marché urbain (1 000 FCFA, soit 1,52 EUR),

40Le tableau 3 présente l’estimation détaillée des charges, des recettes et des bénéfices que peut engendrer l’exploitation d’un verger de safoutiers, sur une période de 10 ans de production sans apport d’engrais, ni de pesticides.

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41Il ressort que si le producteur vend 750 kg de safou, il pourrait tirer un bénéfice de 265 000 FCFA (404 EUR) à 290 000 FCFA (442 EUR) la première année de production, selon qu’il choisisse de vendre sa récolte au champ ou en ville. Cela correspond à des marges bénéficiaires de l’ordre de 63 à 102 %. La 10e année de production (11e année d’exploitation), ce bénéfice pourrait se situer à 5 190 000 FCFA (7 912,7 EUR) s’il vend les safou au champ et à 7 240 000 FCFA (11 038 EUR) pour la vente des fruits sur le marché urbain. Les bénéfices cumulés de dix années de production s’élèveraient à 28 075 000 FCFA (42 803 EUR) si les ventes sont faites au champ et à 38 450 000 FCFA (58 621 EUR) si la commercialisation de la récolte est faite sur le marché de la ville. Il ressort que la commercialisation sur le marché urbain est la formule la plus rentable pour le producteur, et même pour les consommateurs. Mais cette option est plus contraignante, car elle augure des dépenses supplémentaires relatives au séjour en ville du producteur. Toutefois, ces bénéfices pourraient inspirer le paysan, ou ses voisins, à s’investir davantage dans cette culture.

42Pour un commerçant (Acteur 2) achetant toute la production d’un paysan, nous considérerons qu’il a deux scénarios (Tableau 4), soit acheter le safou au champ, soit sur le marché urbain. Nous considérerons aussi que le commerçant fixe son prix du kg de safou à 1 500 FCFA (1,52 EUR) sur le marché urbain, pour amortir ses charges. En effet, le cout du kg du safou frais sur les marchés urbains étant de 2 000 FCFA au Gabon, on pourrait envisager, avec une certaine garantie de rentabilité économique, une baisse de prix jusqu’à 1 500 FCFA, ce qui rendrait le safou plus accessible et plus attractif. Il ressort que si le commerçant revend 750 kg de safou (vente au détail ou en gros) sans pertes, il pourrait tirer un bénéfice de 375 000 FCFA (571,72 EUR) à 400 000 FCFA (609,84 EUR) la première année, selon qu’il choisisse d’acheter la récolte au champ ou en ville. Cela correspond à des marges bénéficiaires de l’ordre de 50 à 55 %. La 10e année, ce bénéfice pourrait se situer à 3 750 000 FCFA (5 717 EUR) si l’achat des fruits est fait sur le marché urbain, et à 5 800 000 FCFA (11 038 EUR) s’il achète le safou au champ.

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43Le tableau 4 présente l’estimation détaillée des charges, des recettes et des bénéfices que peut engendrer la commercialisation d’une production d’un verger sur une période de 10 ans.

44Les bénéfices cumulés de dix années de commercialisation s’élèveraient à 20 625 000 FCFA (31 445 EUR) si cet achat a été exclusivement fait sur le marché de la ville et à 31 000 000 FCFA (47 263 EUR) si l’achat du safou a été fait au champ. Il serait donc plus rentable pour le commerçant d’acheter le safou au champ.

45Ces bénéfices pourraient bien augmenter si les ventes sont plus importantes que celles que nous avons estimées, ou baisser si la surproduction entrainait l’infléchissement du prix du kg de safou frais.

46Pour un transformateur artisanal (Acteur 3) qui voudrait s’investir dans la production de la pâte de safou (beurre de safou), il est aussi possible d’évaluer la rentabilité de son activité. Nous considérerons que la quantité de base de 750 kg de safou (comme chez le producteur et le commerçant) serait transformée en 412,5 kg (55 %) de pâte (pulpe débarrassée de la graine) et que le prix du kg de cette pâte de safou serait fixé à 1 500 FCFA. Il est à rappeler que la mise sur le marché de la pâte du safou est plus laborieuse que la commercialisation directe du safou frais. En effet, l’élaboration de la pâte de safou augure des charges supplémentaires liées à la transformation et à la conservation. Il est dès lors normal que son prix au kg soit élevé, car contrairement au fruit frais dont environ 33 % de la masse (l’endocarpe et la graine) ne sont pas comestibles, la pâte est un produit entièrement comestible. Nous considérerons que le transformateur pourrait être soit un propriétaire de vergers, soit un acteur spécialisé dans la valorisation des fruits en voie d’altération (achat à moitié prix : 500 FCFA par kg). Dans le premier cas, les dépenses globales s’élèveraient à 290 000 FCFA (442,13 EUR), soit 60 000 FCFA (91,5 EUR) pour la récolte (frais de sous-traitance), 200 000 FCFA (305 EUR) pour le transport et 30 000 FCFA (45,7 EUR) pour la main-d’œuvre servant à la transformation des fruits. Les recettes attendues pourraient être de 618 750 FCFA (412,5 kg·1 500 FCFA, soit 943,4 EUR) et les bénéfices de 328 750 FCFA (= 618 750 FCFA - 290 000 FCFA, soit 501,2 EUR), soit une marge bénéficiaire de 113,36 %. Cet acteur pourrait aussi décider de commercialiser sa pâte sur place (sur le lieu de production) à 1 000 FCFA le kg. Le bénéfice, dans ce cas, serait de 322 500 FCFA (412 500 FCFA - 90 000 FCFA, soit 419,7 EUR), soit une marge bénéficiaire de 358,33 %.

47En ce qui concerne l’acteur transformant le safou en voie de ramollissement, les dépenses totales (490 000 FCFA, soit 747 EUR) seraient constituées par les frais d’achat des fruits (750 kg·500 FCFA = 375 000 FCFA, soit 571,72 EUR), les frais d’achat d’emballage végétal (80 000 FCFA, soit 122 EUR), les frais de transport (5 000 FCFA, soit 7,6 EUR) et la main-d’œuvre pour la transformation (30 000 FCFA, soit 45,74 EUR). Les recettes attendues pourraient être de 618 750 FCFA et les bénéfices, de 128 750 FCFA (196,3 EUR), soit une marge bénéficiaire de 26,3 %. Les marges bénéficiaires du transformateur sont certes plus importantes que ceux du producteur et du commerçant intermédiaire, mais le bénéfice est de moindre importance. Le producteur et le commerçant sont donc les acteurs à qui la commercialisation du safou profiterait le plus.

48Il est à souligner que l’offre (la production) et la demande (marché) ont une dynamique interactive. En effet, le producteur voudrait livrer sa récolte au marché (consommation), alors que le commerçant voudrait l’acheter sur le champ. Cet appel attractif réciproque pourrait constituer un facteur intéressant autorégulant les prix de safou.

49Au regard de la grandeur de ces bénéfices basés sur une estimation reposant sur des variables minimalistes (rendement, prix), il est permis d’envisager une rentabilité plus importante dans le cadre des vergers constitués des arbres sélectionnés, dont la production au champ est deux à quatre fois plus élevée (22-34 t·ha-1). Une partie de cette production pourrait être commercialisée pour une transformation industrielle locale ou être exportée. Par ailleurs, le mécanisme de la loi de l’offre et de la demande pourrait peut-être entrainer une baisse des prix d’achat (auprès des producteurs) et de vente (au marché) du safou, tout en restant à un niveau économiquement rentable. Les recettes générées pourraient être réinvesties dans l’extension des vergers dont la production sera orientée vers la production d’huile de safou et/ou celle du safou (frais et sèché) destiné à l’exportation en direction des pays limitrophes et de l’Occident dont la demande en safou est importante (Tabuna, 1999). Le safoutier a des potentialités d’extraction d’huile pouvant permettre d’obtenir au moins autant de rendement que le palmier à huile Elaeis guineensis Jacq. (3 t·ha-1 d’huile) (Kapseu, 2009 ; Law, 2010), ce qui pourrait constituer une alternative à la diversification des ressources oléagineuses du pays.

4. Les perspectives

50Le Gabon dépense plus de 200 milliards FCFA (304 924 540 EUR) chaque année pour l’importation alimentaire et investit plus de 1,2 milliards FCFA (1,83 millions EUR) dans la culture du café-cacao, bien que ces spéculations n’apportent aucune contribution économique au produit intérieur brut du pays (DGELF, 2010). Il est donc aujourd’hui raisonnable de réfléchir sur comment réduire cette dépendance alimentaire. Dans ce contexte, la valorisation du safoutier nous parait être une des voies appropriées à explorer. Sa mise en route nécessitera une recherche bien ciblée et un ensemble de stratégies spécifiques que nous précisons ci-après.

4.1. La recherche

51La recherche reposera sur trois axes principaux, à savoir la sélection des accessions élites, l’introduction de systèmes de production agroforestiers performants et l’étude de la protection phytosanitaire de la plante.

52La sélection des accessions. Elle concernera les safoutiers à haut rendement et résistants ou tolérants aux maladies et ravageurs. La sélection constituera le point de départ de la recherche. Les performances recherchées porteront sur la productivité, le calibre et les qualités agro-alimentaires des fruits, ainsi que la résistance aux maladies et aux ravageurs. Ce travail pourrait aboutir à la mise en place d’un verger de collections des safoutiers sélectionnés, lequel produira des marcottes destinées à la commercialisation. À côté du marcottage aérien, des essais sur les autres techniques comme le bouturage, la multiplication in vitro et le greffage devront être envisagés. Cela permettra de fournir aux producteurs des plants dont l’entrée en production au champ sera ramenée à deux ans (Kengué, 2002), au lieu de six, comme dans les conditions de culture traditionnelle.

53Les systèmes de production agroforestiers. La recherche sur les systèmes de production agroforestiers sera respectueuse de l'environnement et adaptée aux formes modernes et performantes d’agroforesterie (Dounias et al., 1996). Elle permettra de retenir et de vulgariser les combinaisons culturales les plus productives et les plus rentables. Des cultures maraichères locales telles que l’oseille de guinée (Hibiscus sabdariffa L. : Malvaceae), le gombo (Abelmochus esculentus [L.] Moench), l’aubergine (Solanum melongena L.), le piment (Capsicum frutescens L.) et certaines plantes vivrières comme le macabo (Xanthosoma sagittifolium [L.] : Araceae), l’ananas (Ananas comosus L.), le manioc (Manihot esculenta Crantz) seront testées dans les vergers comme plantes associées. Cela favorisera la diversification des activités et une meilleure valorisation des ressources du milieu (Nguegang, 2008), de manière à permettre aux exploitants agricoles de disposer de revenus continus et complémentaires. L’appropriation de cette nouvelle stratégie globale de production par l’ensemble des paysans contribuera sans doute à l’amorce d’un développement rural durable.

54La protection de la plante. L’étude de la protection de la plante constitue un volet incontournable de cette recherche et permettra d’accroître très sensiblement les récoltes. À cet effet, comme le souligne Kengué (2002), l’étude des ravageurs et des maladies du safoutier demeure un vaste champ à peine exploré. Les résultats préliminaires de nos travaux ont permis de déterminer quelques espèces nuisibles. Au niveau des feuilles, Oligotrophus sp. (Diptera : Cecidomyiidae) cause des gales alvéolaires, Pseudophacopteron serrifer Malenovský & Burckhardt (Hemiptera : Phacopteronidae) induit des gales rugueuses, tandis que Physophorpterella bendroiti Popius (Hemiptera : Miridae) cause des brûlures des folioles. Pseudotherapus wayi Brown (Hemiptera : Coreidae), Pseudonoorda edulis Maes & Poligui sp. nov. (Lepidoptera : Crambidae), Bactrocera invadens Drew, Tsuruta & White (Diptera : Tephritidae) et Ceratitis capitata Wiedemann (Diptera : Tephritidae) attaquent le fruit, tandis que Tragocephala guerini var. buqueti Thomson (Coleoptera : Cerambycidae) et Mecocorynus loripes Chevr. (Coleoptera : Curculionidae) sévissent respectivement au niveau des rameaux et du tronc. Pseudonoorda edulis sp.nov est une nouvelle espèce récemment décrite par Maes (2012) à partir de collectes et observations que nous avons faites au Gabon. Mecocorynus loripes serait vraisemblablement le ravageur que Kengué (2002) décrit comme foreur du tronc du safoutier. S’inscrivant dans les perspectives de développement de la culture du safoutier au Gabon, nos travaux de thèse devraient en principe développer en profondeur ces résultats préliminaires, en s’appuyant sur trois principales hypothèses :

55– l’existence d’une diversité entomofaunique interagissant entre le safoutier et les cultures associées,

56– l’existence de ravageurs spécifiques au safoutier,

57– l’existence de ravageurs majeurs réduisant significativement la production de safou.

58Le mode de vie et les dégâts de ces ravageurs, ainsi que des stratégies de lutte appropriées, restent à déterminer et nécessitent des études approfondies.

4.2. La stratégie de valorisation de la culture du safoutier

59La stratégie de valorisation de la culture du safoutier passerait à notre avis par l’encouragement d’un environnement économique dynamique, avec des mécanismes d’autorégulation de marché susceptibles de garantir la pérennité de la filière safou. Il s’agirait, dans le contexte d’un marché concurrentiel, des mécanismes de fixation de prix autorégulant de la production (offre) et la consommation (demande). À cet effet, les différents acteurs économiques (producteurs, intermédiaires, consommateurs) pourraient adopter entre eux-mêmes des lignes directrices communes au niveau du marché national, de manière à permettre l’exploitation judicieuse de tous les produits et sous-produits du safoutier.

60La filière safou. Pour un développement durable de la culture du safoutier au Gabon, il serait intéressant que tous les acteurs impliqués œuvrent en synergie, de manière à susciter l’existence d’une filière safou bien organisée. Il pourrait s’agir, par exemple, d’avoir des espaces vitrines qui donneraient des renseignements utiles sur le marché du safou, particulièrement les zones et les périodes les plus productives, les marchés les plus accessibles et les tendances des besoins des consommateurs. Un tel environnement de libre marché pourrait lui-même inspirer la naissance de plusieurs opérateurs économiques, à savoir les producteurs (planteurs individuels ou collectifs), les commerçants (intermédiaires nationaux et exportateurs) et des industriels (huilerie, cosmétique).

61Les producteurs devraient commercialiser leur récolte soit au champ, soit directement sur le marché urbain, à des prix attrayants et souples.

62De la production et de la commercialisation du safou frais, il pourrait ainsi naitre une série d’activités de transformation (artisanale et/ou industrielle) impliquant de nombreux intermédiaires. Cela permettra d’offrir aux consommateurs des produits élaborés et conditionnés (beurre de safou, huile de safou). Une étude plus affinée des stratégies spécifiques basée sur les réalités du contexte gabonais et sous-régional devrait permettre de déterminer les marges et facteurs économiques susceptibles de garantir les axes de profit. Par ailleurs, il serait nécessaire de règlementer la filière safou, pour garantir un environnement économique au sein duquel l’offre et la demande se réguleront normalement, selon les mécanismes du libre marché.

63La valorisation de toutes les ressources du safou. La valorisation de toutes les ressources du safou procède de la nécessité de satisfaire divers besoins de l’alimentation humaine (fruits frais, fruits secs, beurre de safou, huile de safou), de l’alimentation animale (fruits, tourteaux), de la cosmétique (huile de noyaux, savon de safou), de l’énergie (bois, résine, carburant, gaz), de l’ébénisterie (bois) et éventuellement du recyclage des résidus (fumure organique). Si les produits alimentaires et cosmétiques font l’objet d’une exploitation économique bien palpable, il est à souligner que l’huile de safou est actuellement étudiée en vue de la production du biocarburant (Law, 2010). Dans cette partie de travail, nous nous focaliserons essentiellement à relever la pertinence d’explorer la perspective de produire du biocarburant à partir de l’huile de safou. En effet, avec des valeurs en huile (pulpe et graine) estimées entre 4 et 5 t·ha-1 (Kapseu, 2009), D. edulis a un rendement huit fois supérieur à celui du jatropha (Jatropha curcas L. : Euphorbiaceae), qui est de 0,54 à 0,9 t·ha-1. Le jatropha constitue pourtant une plante cible pour la production de biocarburant en milieu tropical (Domergue et al., 2008). De même, lorsqu’on compare la qualité des huiles de trois oléagineux (jatropha, colza, safou) (Tableau 5), il apparait que la composition des acides gras du safou présente des valeurs variables et compatibles à celles d’une huile idéale (référence théorique) pour la fabrication du biocarburant. Cette variabilité des acides gras du safou relève de la diversité intra-spécifique de D. edulis et traduit l’existence de diverses accessions, dont certaines pourraient être appropriées pour la production du biocarburant. Cela corrobore les travaux de Law (2010) qui relève que le safoutier a un potentiel énergétique susceptible de permettre son exploitation en biocarburant. Le développement de cette perspective permettrait une bonne valorisation des quantités de safou perdues (50-65 %) après la récolte. Le tableau 5 présente des éléments comparatifs entre trois espèces végétales exploitables pour le biocarburant.

64Au regard des rendements et du potentiel énergétique de D. edulis, il serait donc intéressant qu’en milieu tropical, l’industrie des biocarburants s’investisse aussi dans la recherche et la valorisation des accessions des oléagineux locaux à forte vocation énergétique, comme le safoutier.

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5. Conclusion

65Le safoutier (Dacryodes edulis) est un arbre fruitier dont la culture au Gabon repose encore sur une agriculture de type traditionnel rudimentaire. Ce contexte a pour effet la faible production en safou et l’absence de stratégies de valorisation de la culture dans ce pays, malgré les nombreuses potentialités intéressantes de D. edulis. En effet, contrairement aux cultures de rente dont les prix dépendent du cours mondial, la culture du safoutier présente une rentabilité théorique certaine pour les populations gabonaises qui pourraient s’y investir. Moderniser la culture du safoutier pourrait donc bien valoriser la diversité biologique et génétique de cette ressource locale. Cette modernisation de la culture devrait être orientée et encadrée par une recherche scientifique se basant sur le développement des techniques de production biologique, mais obéissant à l’éthique d’une agriculture moderne soucieuse de la préservation de l’équilibre écologique. L’investigation scientifique devrait donc être multidisciplinaire et focalisée sur la sélection des accessions élites de safoutiers, la détermination des systèmes culturaux les plus rentables et la protection de la plante. Un environnement économique souple et dynamique permettrait non seulement la naissance d’une nouvelle série d’activités interagissant entre elles, mais contribuerait aussi à la structuration d’une filière safou autonome. Une bonne stratégie de valorisation des produits du safoutier devrait garantir durablement le développement de cette culture, ce qui participerait à la concrétisation de la sécurité alimentaire au Gabon, notamment dans la production fruitière. Cela susciterait certainement un intérêt nouveau pour beaucoup de Gabonais qui pourraient y trouver une nouvelle ressource économique susceptible de soutenir efficacement le développement du milieu rural. La réussite du développement de la culture du safoutier au Gabon pourrait aussi inspirer une politique de valorisation similaire dans les pays voisins, du fait que les safou sont avant tout destinés à la consommation nationale et sous-régionale. Développer et valoriser la culture du safoutier au Gabon relève certes de la nécessité de satisfaire les besoins locaux en safou, il reste qu’il n’y a pas de développement durable possible sans investissement conséquent. La mise en place d’une stratégie globale de sécurité alimentaire au Gabon pourrait également constituer un cadre au sein duquel le safou pourrait jouer un rôle économique important.

66Remerciements

67Les auteurs remercient l’INSAB et le PAI-DRH (Programme d'Appui Institutionnel et de Développement des Ressources Humaines, organisme de l’État gabonais) pour la mise en stage et le financement des travaux du doctorat de René Poligui.

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Pour citer cet article

René Noel Poligui, Isaac Mouaragadja, Éric Haubruge & Frédéric Francis, «La culture du safoutier (Dacryodes edulis [G.Don] H.J.Lam [Burseraceae]) : enjeux et perspectives de valorisation au Gabon (synthèse bibliographique)», BASE [En ligne], Volume 17 (2013), numéro 1, 131-147 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=9624.

A propos de : René Noel Poligui

Univ. Liège - Gembloux Agro-Bio Tech. Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : porighi@yahoo.fr – Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM). Institut National Supérieur d’Agronomie et de Biotechnologies (INSAB). Laboratoire de Protection des Cultures. BP 941. Masuku (Gabon).

A propos de : Isaac Mouaragadja

Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM). Institut National Supérieur d’Agronomie et de Biotechnologies (INSAB). Laboratoire de Protection des Cultures. BP 941. Masuku (Gabon).

A propos de : Éric Haubruge

Univ. Liège - Gembloux Agro-Bio Tech. Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique).

A propos de : Frédéric Francis

Univ. Liège - Gembloux Agro-Bio Tech. Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique).