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- Volume 17 (2013)
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Évaluation de la capacité de cultures intermédiaires à piéger l’azote et à produire un fourrage
Résumé
Les résultats de trois années d’expérimentation de cultures intermédiaires en région limoneuse à l’Université catholique de Louvain ont permis d’évaluer l’intérêt de plusieurs espèces de graminées et légumineuses en culture pure ou en mélange. Les performances ont été jugées sur leur capacité à prélever l’azote du sol, à produire un fourrage en quantité et en qualité suffisantes et à fournir un couvert répondant à différents critères agronomiques pendant l’interculture. Les résultats montrent que les graminées en culture pure ou en mélange avec légumineuses sont aptes à réduire de manière significative la quantité d’azote minéral du sol en début de période de drainage, pour autant que la proportion de non légumineuse constitue au moins 50 % du mélange. La biomasse produite par la plupart des couverts permet de récolter un fourrage d’appoint qui peut s’avérer utile en cas de pénurie.
Abstract
Evaluation of intermediate crops to trap nitrogen and produce forage. Experiments on catch crops were carried out over a period of three years in the loamy region of Belgium at the Catholic University of Louvain. The results were used to evaluate the performance of certain species of grass and legume, in pure or mixed culture. The performance of each species was judged according to its ability to take up nitrogen (catch crops), to produce forage of a sufficient quality and to meet certain agronomic criteria for intercropping. The results showed that grasses in pure culture or when mixed with legumes were able to significantly reduce soil nitrogen at the beginning of the drainage period, provided that the proportion of non-legumes constituted at least 50% of the mixture. Biomass produced by most of the tested crops can be harvested as complementary forage, which can be useful in times of shortage.
1. Introduction
1L’Université catholique de Louvain est membre de la structure d’encadrement Nitrawal en tant que partenaire scientifique. En collaboration avec l’asbl Fourrages-Mieux, elle a mené une expérimentation pluriannuelle afin de déterminer l’intérêt de différentes espèces fourragères implantées pendant la période d’interculture. Le contexte règlementaire impose une couverture du sol après épandage de matière organique et, en zone vulnérable, l’implantation d’une culture intermédiaire piège à nitrate (CIPAN) sur 75 % des surfaces récoltées avant le 1er septembre et suivie d’une culture de printemps. L’objectif premier consiste donc à réduire significativement la quantité d’azote potentiellement lessivable (APL) en début de période de lixiviation. Cependant, dans un contexte de production fourragère déficitaire, suite par exemple à une sècheresse printanière, la production d’un fourrage de qualité pendant l’interculture est une opportunité qui séduit bon nombre d’agriculteurs.
2Par conséquent, l’objectif de cette étude est de déterminer s’il est possible, par comparaison de différents types de cultures intermédiaires, d’associer une réduction significative du stock d’azote minéral dans le sol en début de période de lixiviation et la production d’un fourrage de qualité en quantité suffisante tout en répondant à des critères agronomiques tels que la gestion des adventices, la résistance à la sècheresse, aux maladies et ravageurs.
2. Matériel et méthodes
3L’étude s’est déroulée sur trois années, de 2009 à 2011, présentant des conditions climatiques contrastées, sècheresse estivale en 2009, pluviométrie exceptionnellement élevée en aout 2010 et conditions normales et favorables en 2011. Les parcelles agricoles retenues pour la réalisation de l’expérimentation sont situées en région limoneuse, dans une exploitation agricole en polyculture et élevage. L’altitude est comprise entre 140 et 150 m. Le sol est un limon fin argileux à drainage favorable avec une teneur en matière organique comprise entre 2,1 et 2,8 %. Le précédent est, pour trois années (2009 à 2011), une culture de pois de conserverie avec récolte des fanes. En 2011, le protocole expérimental a également été appliqué après culture d’escourgeon. Les reliquats azotés mesurés sur une profondeur de 90 cm à la mi-juillet, après la récolte de la culture principale, sont compris entre 30 et 65 kg N-NO3-·ha-1 et entre 23 et 24 kg N-NH4·ha-1. Le semis des cultures intermédiaires est réalisé après déchaumage par un outil à dent pour l’implantation après pois. Après culture d’escourgeon, un labour a été réalisé pour éliminer les risques de repousses de la céréale. L’implantation à l’aide d’un combiné herse rotative semoir à disques a eu lieu entre le 27 juin et le 22 juillet en fonction de la date de récolte du précédent. Excepté en première année, le semis a été immédiatement suivi d’un passage au rouleau afin de restaurer la capillarité et de faciliter la récolte.
4Le dispositif expérimental comprend des parcelles de 6 x 20 m disposées en blocs aléatoires complets comprenant quatre répétitions. Les traitements (Tableau 1) sont constitués de plusieurs espèces de graminées et de légumineuses en culture pure ou en mélange et d’un témoin entretenu en sol nu par désherbage chimique. Le choix des espèces est basé sur la pertinence reconnue tant en production fourragère qu’en culture intermédiaire dans le contexte agricole wallon. Il n’y a pas eu de désherbage (excepté le traitement témoin), la concurrence vis-à-vis des adventices étant un critère agronomique observé. Aucune fertilisation n’a été appliquée, le reliquat et la minéralisation après culture de pois étant supposées suffisantes pour la nutrition azotée des cultures intermédiaires, l’apport d’azote par les légumineuses étant un paramètre recherché dans l’essai après céréale.
5Les mesures de reliquat azoté en fin de période de croissance ont permis d’évaluer l’effet piège à nitrate de chaque culture intermédiaire. Des mesures de biomasses ont été effectuées sur la partie aérienne des plantes pour chaque traitement. Un échantillon composite prélevé suivant la méthode des poignées (aussi appelée méthode du G%1) a permis de déterminer la proportion de chaque espèce semée dans les traitements comprenant des mélanges d’espèces, ainsi que des adventices éventuellement présentes. La mesure des paramètres de qualité fourragère a été réalisée par spectrométrie dans le proche infrarouge et l’analyse de l’azote dans la plante par la méthode Kjeldahl.
6Un protocole complémentaire a été conçu pour évaluer la performance des couverts implantés après récolte hâtive de céréale, typiquement la culture d’escourgeon en Wallonie. Le dispositif expérimental est semblable à celui décrit plus haut, à la différence près que les résultats portent sur la seule année 2011 et qu’un labour a été effectué avant le semis des cultures intermédiaires.
3. Résultats
7La productivité de chaque traitement mesurée après environ 90 jours de croissance donne des résultats allant de 0,9 à 5 t de matière sèche (MS) par hectare (Tableaux 1 et 2). Un rendement minimum de 2,5 t MS·ha-1 est souhaité pour être considéré comme rentable2 et ayant rempli le rôle de piège à nitrate (Besnard et al., 2000). Les traitements à base d’avoine de printemps et d’avoine brésilienne permettent d’obtenir les rendements les plus élevés. L’avoine de printemps a cependant deux avantages : production plus régulière car moins sensible au déficit hydrique et précocité permettant une récolte plus hâtive. L’avoine brésilienne, au développement important entre 60 et 90 jours est par contre plus résistante aux maladies foliaires. Le ray-grass peut avoir une bonne production si la nutrition azotée est suffisante (fertilisation ou précédent à fort reliquat) et s’il ne subit pas de stress hydrique, fréquent en période estivale et automnale. Au regard de la faible production moyenne, cette espèce est à privilégier en cas de récolte supplémentaire au printemps suivant et s’il y a application d’un fertilisant après culture de céréale. Le mélange à base de seigle présente le rendement moyen le plus bas, essentiellement à cause de plusieurs mauvaises levées. Ce mélange est donc à éviter tant que le problème de fiabilité dans le taux de germination n’est pas résolu. Les couverts associant des légumineuses ont toujours un rendement égal ou supérieur à la graminée pure. Cette augmentation de rendement par l’apport des légumineuses est d’autant plus marquée en condition d’azote limitant, comme c’est le cas après culture de céréale. En effet, il y a 80 kg N-NO3-·ha-1 en plus dans le traitement sol nu après pois par rapport au même traitement après céréale.
8Les proportions des espèces semées dans le couvert récolté indiquent la capacité de ces espèces à concurrencer les adventices et leur comportement par rapport à l’espèce associée dans le cas des mélanges. On constate ainsi que l’avoine de printemps et la vesce commune présentent une bonne concurrence vis-à-vis des adventices, à l’inverse du ray-grass, moins performant sur ce paramètre. Signalons que les proportions de 2009 ne sont pas utilisées dans le tableau 1 car la sècheresse a fortement favorisé les adventices, principalement au détriment des couverts comprenant du ray-grass et de l’avoine brésilienne. Les associations avec légumineuses montrent que les proportions sont assez équilibrées pour les mélanges comprenant du trèfle d’Alexandrie et du pois fourrager. La vesce commune présente une tendance à dominer le couvert après trois mois de croissance.
9La qualité fourragère des couverts est dans l’ensemble intéressante au regard des paramètres mesurés par spectrométrie (Tableau 3).
10Le ray-grass d’Italie purement feuillu (espèce non alternative) fournit un fourrage d’excellente qualité, bien équilibré en protéines et en énergie. Récolté au stade épiaison, l’avoine de printemps procure un fourrage de qualité médiocre en protéines, moyenne en énergie et moins digeste que les ray-grass vu son stade plus avancé. L’apport du pois fourrager améliore la qualité du fourrage par rapport à la céréale pure. Ce constat est également valable pour le mélange d’avoine brésilienne avec du trèfle d’Alexandrie, la légumineuse permet d’obtenir une teneur plus élevée en protéines. Comme pour l’avoine de printemps, la digestibilité est moins bonne que le ray-grass. La vesce est intéressante à associer avec une céréale car elle est très riche en protéines, mais elle ne doit pas être trop importante dans la biomasse ni récoltée trop jeune au risque d’avoir un excès d’azote dans le fourrage (OEB élevé). C’est notamment le cas avec le seigle multicaule où la vesce constitue la majorité de la biomasse (plus de 60 %). L’association de légumineuses avec les graminées cumule les avantages de l’amélioration qualitative et du rendement élevé. Les figures 1 et 2 présentent les quantités d’énergie et de matière azotée produites par un hectare de culture intercalaire. Les associations y occupent les premières places.
11Le prélèvement d’azote est déterminé par comparaison de profil d’azote potentiellement lessivable (APL) des traitements par rapport au témoin. On mesure ainsi la quantité d’azote nitrique disparu du profil par méthode indirecte (Destain et al., 2010). La minéralisation nette moyenne mesurée sur le traitement sol nu après pois est de 55 kg·ha-1, passant de 58 kg·ha-1 (post-culture) à 113 kg·ha-1 (APL). En 2010, suite à la forte minéralisation estivale et automnale due aux conditions anormalement pluvieuses, 77 % de l’azote nitrique du profil APL sous sol nu se situaient sous les 30 premiers cm (Figure 3), ce qui montre que le processus de lixiviation était déjà entamé avant l’hiver.
12Le ray-grass d’Italie, par son implantation rapide et grâce à son potentiel d’absorption d’azote important, concourt à un APL constamment très faible. L’avoine de printemps se développe rapidement et couvre le sol de manière homogène. L’APL est toujours parmi les plus faibles mesurés. L’avoine brésilienne, bien qu’associée à une légumineuse et plus tardive dans le développement de la biomasse, a également montré une bonne capacité de piège à nitrate. La vesce se développe de manière assez homogène, mais plus progressive, la couverture du sol est plus tardive que dans les autres objets. L’APL moyen montre la limite de prélèvement de l’azote du sol par la légumineuse en présence d’une quantité importante d’azote minéral disponible, de l’ordre de 50 kg N-NO3-·ha-1, ce qui confirme la moindre performance en tant que piège à nitrate (Destain et al., 2010). On constate même que dans le cas d’une faible minéralisation durant l’interculture (Tableau 2), les légumineuses pures peuvent contribuer à enrichir le profil en azote minéral.
13La présence de légumineuses, pois fourrager, trèfle d’Alexandrie ou vesce commune, en mélange avec les graminées (ray-grass d’Italie et avoine de printemps), n’influence pas l’APL de manière significative, ce qui confirme les expériences antérieures (De Toffoli et al., 2010). Signalons toutefois que le mélange seigle multicaule et vesce commune a régulièrement souffert d’un faible taux de levée du seigle et donc d’une mauvaise couverture du sol et ce, malgré un tallage tardif potentiellement important.
4. Discussion
14La biomasse produite par les cultures intermédiaires permet d’obtenir dans la majorité des cas un rendement suffisant pour être récolté en tant que fourrage. Le semis réalisé au mois de juillet permet d’atteindre le stade optimum pour la récolte en fin d’été début d’automne, quand les conditions sont encore favorables. Cependant, une implantation tardive, que l’on peut définir comme postérieure à la première décade du mois d’aout, diminue la possibilité d’atteindre la somme de températures nécessaire à l’obtention d’une biomasse suffisante. L’étude de modèle de croissance (Laurent et al., 1995) montre la relation entre la biomasse produite par les cultures intermédiaires et la somme de températures nécessaire pour différentes espèces. En Wallonie, les possibilités de développement des CIPAN dépendent donc de la date d’implantation par espèce et également par région agricole (De Toffoli et al., 2011). En cas de pluies régulières (résultats 2011), la plupart des couverts testés permettent d’atteindre un rendement supérieur à 3 t MS·ha-1. Cependant, la variabilité interannuelle est importante, surtout pour les espèces sensibles au déficit hydrique (ray-grass d’Italie). L’association de légumineuses à une graminée plus résistante au stress hydrique estival (Avena sp.) permet de maintenir un niveau de production suffisant moins dépendant des conditions climatiques et des ressources azotées (précédent céréale).
15Les proportions des mélanges avec légumineuses ont donné satisfaction sur les résultats qualitatifs (augmentation des matières azotées), agronomiques (bonne proportion dans la couverture de sol sans entrainer ni verse ni étouffement de la graminée) et environnementaux par l’absence d’augmentation significative de l’APL.
16La qualité fourragère des couverts implantés après pois montre des valeurs intéressantes pour les paramètres énergétiques et protéiques. L’expression en productivité à l’hectare permet de mettre en évidence les meilleures performances des mélanges associant graminées et légumineuses.
17Logiquement, ce constat est plus marqué encore après culture de céréales où le déficit de nutrition azotée rend les couverts à base de légumineuses plus performants à la fois en termes de rendement et de qualité fourragère.
18Le prélèvement d’azote de chaque couvert établi par rapport à un témoin sol nu démontre une efficacité piège à nitrate importante des traitements comprenant des graminées seules ou en mélange et une efficacité moyenne pour la légumineuse pure due aux propriétés de fixation symbiotique des légumineuses. Ce constat corrobore les conclusions d’autres études intégrant des graminées et légumineuses en culture intermédiaire (De Toffoli et al., 2010 ; Destain et al., 2010).
19Sur base de ces expérimentations réalisées durant trois années, on peut donc envisager d’étendre l’autorisation des mélanges, comprenant maximum 50 % de légumineuses, lorsqu’un engrais de ferme a été appliqué. Si l’engrais de ferme est à action rapide, une condition supplémentaire quant à la date de semis, avant le 20 aout, est nécessaire pour permettre une durée de prélèvement suffisante de la culture intermédiaire.
20Remerciements
21Les auteurs tiennent à remercier tout particulièrement Messieurs M. Pierard (exploitation agricole dans laquelle les expérimentations ont été menées), O. Imbrecht et E. Vermeiren dont la participation aura été déterminante dans la réussite de cette étude.
Bibliographie
Besnard A. & Le Gall A., 2000. Les cultures fourragères intermédiaires : pièges à nitrates et fourrages d’appoint ? Fourrages, 163, 293-306.
Destain J.-P., Reuter V. & Goffart J.-P., 2010. Les cultures intermédiaires pièges à nitrate (CIPAN) et engrais vert : protection de l’environnement et intérêt agronomique. Biotechnol. Agron. Soc. Environ., 14(S1), 73-78.
De Toffoli M., Bontemps P.Y. & Lambert R., 2010. Synthèse de résultats d'essais de cultures intermédiaires pièges à nitrate à l'Université catholique de Louvain. Biotechnol. Agron. Soc. Environ., 14(S1), 79-89.
De Toffoli M., Dumas J. & Lambert R., 2011. Intérêts et limites des cultures intermédiaires pièges à nitrate en fonction du climat. In : Vandenberghe Ch. et al. Programme de gestion durable de l’azote en agriculture wallonne – Rapport d’activités annuel intermédiaire 2011 des membres scientifiques de la Structure d’encadrement Nitrawal. Gembloux, Belgique : Université de Liège Gembloux Agro-Bio Tech ; Louvain, Belgique : Université catholique de Louvain.
Laurent F., Machet J.M., Pellot P. & Trochard R., 1995. Cultures intermédiaires pièges à nitrates : comparaison des espèces. Perspectives Agricoles, 206, 38-49.
Notes
Pour citer cet article
A propos de : Marc De Toffoli
Université catholique de Louvain – Earth and Life Institute agronomy. Place Croix du Sud, 2 boite L7.05.26. B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique). E-mail : marc.detoffoli@uclouvain.be
A propos de : Christian Decamps
Université catholique de Louvain – Earth and Life Institute agronomy. Place Croix du Sud, 2 boite L7.05.26. B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique).
A propos de : Richard Lambert
Université catholique de Louvain – Earth and Life Institute agronomy. Place Croix du Sud, 2 boite L7.05.26. B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique).