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- Compte-rendu et apport de la conférence-débat : « Nature, conditionnalité et verdissement de la PAC : un tournant wallon ? », 9 novembre 2011, Espace Senghor, Gembloux, Belgique
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Compte-rendu et apport de la conférence-débat : « Nature, conditionnalité et verdissement de la PAC : un tournant wallon ? », 9 novembre 2011, Espace Senghor, Gembloux, Belgique
Editor's Notes
Reçu le 19 juin 2012, accepté le 14 novembre 2012
Résumé
Récemment, l’Union européenne a déposé un projet de réforme de la Politique Agricole Commune (PAC). Parmi les projets de réformes, figure celle de réserver 7 % de l’espace occupé par les cultures sous labours à des surfaces d’intérêt écologique. C’est dans ce contexte qu’une conférence-débat s’est tenue à Gembloux le 9 novembre 2011. Des systèmes similaires sont déjà d’application dans plusieurs pays voisins, avec des modalités spécifiques à chacun. À ce titre, les systèmes suisses et français ont été présentés en vue d’en exposer les avantages et les limites. Ensuite, les arguments scientifiques en faveur d’une telle mesure ont été présentés. Il apparait clairement que la création d’éléments semi-naturels dans l’espace agricole est de nature à y promouvoir la biodiversité, tant leur quantité que leur qualité devant être considérées. Cette biodiversité est par ailleurs susceptible de rendre des services à l’agriculture elle-même, notamment en termes de pollinisation des cultures et de contrôle des ravageurs. À l’heure actuelle, il subsiste une incertitude sur les surfaces qui seront éligibles pour atteindre ces 7 %. Cependant, sur base des divers scénarios envisageables, la part de la superficie agricole utile exerçant une influence a priori favorable sur la biodiversité en Wallonie atteindrait 4,3 % en moyenne et seule une minorité des exploitations (moins de 20 %) atteignent le seuil des 7 % proposé par l’Europe. Si le projet européen est adopté, il sera donc important de considérer l’effort du secteur agricole pour le mettre en œuvre au travers d’une reconnaissance sociétale. Afin d’en optimiser l’impact pour la biodiversité, il faudra veiller à la qualité du réseau de surfaces d’intérêt écologique et réaliser un suivi effectif par rapport à des objectifs clairement fixés. La réussite passe par la mise en œuvre de mesures pertinentes, tant sur le plan économique qu’environnemental et social, afin que l’agriculture en ressorte plus durable et que l’érosion de la biodiversité soit stoppée.
Abstract
Proceedings of the conference: “Nature, conditionnalité et verdissement de la PAC : un tournant wallon ?”. 9th November 2011. Espace Senghor, Gembloux, Belgium. Recently, the European Union (EU) proposed a reform project for the Common Agricultural Policy (CAP). One of the proposed reforms consists of imposing a set aside proportion of 7% of arable land for biodiversity support purposes. A conference on this proposal was held in Gembloux, Belgium, on 9th November 2011. Such a set aside system already exists in neighboring countries. The French and Swiss systems were presented at the conference in order to highlight their advantages and limitations. Scientific arguments underlying such policies were also presented. It was shown that the creation of semi-natural elements within the agricultural matrix is an efficient way to promote biodiversity. Both the quantity and the quality of these elements need to be considered. In addition, biodiversity is likely to provide services to agriculture, notably crop pollination and pest control. Currently, uncertainties remain regarding areas that are eligible to be designated as reaching the 7% threshold. However, based on the most probable scenarios, the current likely eligible areas cover only 4.3% of arable land in Wallonia. Less than 20% of Walloon farms already reach the 7% threshold proposed by the EU. If the European project is approved, it will therefore be of great importance to have some form of societal recognition afforded to farmers for their efforts. In order to optimize the positive effects of the policy on biodiversity, it is also imperative to ensure that a high level of biological quality is reached in the areas dedicated to biodiversity and to monitor this quality using clearly defined objectives. Economical, societal and environmental issues all need to be considered when applying this policy in order to improve agricultural sustainability and to stop the decline in biodiversity in agricultural landscapes.
Table of content
1. Introduction
1En octobre 2011, l’Union européenne a annoncé son projet de réformer la Politique Agricole Commune (PAC) à l’horizon 2013. Un des grands changements annoncé est l’introduction d’un volet « Verdissement », prévoyant, entre autres mesures, d’imposer aux agriculteurs que : « 7 % de leurs hectares admissibles […], à l’exclusion des surfaces consacrées aux prairies permanentes, constituent des surfaces d’intérêt écologique, telles que des terres mises en jachère, des terrasses, des particularités topographiques, des bandes tampons et des surfaces boisées ». Dès son annonce, cette mesure a suscité un certain nombre de questions, le monde de la conservation de la nature y voyant une opportunité, celui de l’agriculture se sentant menacé par une contrainte supplémentaire. Afin de faire le point sur cette question et de susciter le débat autour de cette thématique, une conférence-débat, intitulée : « Nature, conditionnalité et verdissement de la PAC : un tournant wallon ? », a été organisée à Gembloux le 9 novembre 2011. Plus de 250 personnes y ont assisté, en grande partie issues du Service public de Wallonie, mais aussi, bien que dans une moindre mesure, du monde agricole, des universités, du secteur associatif, etc. Le programme comprenait huit interventions (détail à l’annexe 1) dont les deux premières avaient pour vocation de mettre la journée en contexte. Monsieur Alain Mairesse, modérateur, a commencé par cadrer l’objectif de la journée et par fixer les limites du débat. Monsieur Emmanuel Petel, représentant de la Commission européenne, a présenté le projet de réforme de la PAC, ainsi que les bases règlementaires dont est issue l’imposition de 7 % de surfaces d’intérêt écologique, en insistant sur le fait que certaines mesures obligatoires, pouvant être comptabilisées dans les 7 %, existent déjà (bandes tampons en bordure des cours d’eau). Les six autres exposés recouvraient trois objectifs principaux, faisant chacun l’objet d’une section :
2– fondements scientifiques : enjeux biologiques, écologiques et sociétaux liés à l’imposition de 7 % de surfaces d’intérêt écologique (Grégory Mahy et Thierry Hance/Thierri Walot) ;
3– état des lieux en Wallonie : mesures actuellement prises en faveur de la biodiversité en milieu agricole et conséquences attendues en cas d’obligation de 7 % de surfaces d’intérêt écologique (Alain Le Roi/Manuel de Tillesse et Grégory Henrard/Nathalie Perelmuter) ;
4– en pratique à l’étranger : présentation d’expériences similaires dans les pays voisins et de leur évaluation (Laurent Nyffenegger, Suisse et Philippe Pointereau, France).
2. Fondements scientifiques
5Avec les débuts de l’agriculture au néolithique, l’Homme a commencé à marquer fortement de son empreinte les paysages en Europe occidentale. Dans un premier temps, l’ouverture du paysage a profité à une série d’espèces indigènes initialement présentes dans les habitats ouverts préexistants (trouées forestières, abords de cours d’eau, etc.). Par la suite, l’évolution des techniques agricoles, les mouvements de populations et l’augmentation des surfaces utilisées pour l’agriculture ont permis à de nombreuses espèces végétales, tant liées aux herbages qu’aux grandes cultures, de coloniser l’Europe occidentale, notamment depuis le Moyen-Orient et le bassin méditerranéen (Rösch, 1998 ; Poschlod et al., 2002). De la même manière, plusieurs espèces animales, notamment des oiseaux, ont colonisé ces nouveaux habitats (Wolff et al., 2001). Il en résulte qu’à l’heure actuelle, nombre d’espèces de rangs taxonomiques divers, et d’écosystèmes dépendent des pratiques agricoles et du milieu agricole pour leur maintien (Henle et al., 2008).
6Par la signature de la Convention sur la Diversité Biologique à Rio en 1992 par les pays de l’ONU, le déclin de la biodiversité a été reconnu comme un enjeu sociétal majeur. Il est d’ailleurs maintenant considéré comme un élément à part entière du changement global. Toutefois, un des enjeux principaux liés à la conservation de la biodiversité est sa capacité à fournir des services aux sociétés humaines, au travers des écosystèmes. Un service écosystémique est un service fourni par la nature qui améliore ou maintient le bien-être humain (Daily, 1997). Il ne peut être rendu correctement que si l’entité prestataire de services atteint un niveau de qualité satisfaisante, cela implique que cette entité représente une diversité et une abondance suffisante.
7Ces services sont nombreux et en 1997, leur montant a été estimé à 33 000 milliards US$ à l’échelle mondiale, soit environ le double du PNB mondial de l’époque (Costanza et al., 1997). On peut citer à titre d’exemple de service éco-systémique : la fourniture de denrées alimentaires, la régulation du climat, l’épuration des eaux, la lutte contre l’érosion. Dans le cas de l’agriculture, les services les plus souvent considérés sont la lutte biologique et la pollinisation des cultures, tous deux susceptibles d’être altérés par la perte de biodiversité dans les paysages agricoles (Tscharntke et al., 2005). Ainsi, dans une étude portant sur près de 200 pays, Klein et al. (2007) montrent que 87 plantes cultivées parmi les plus importantes au monde ont besoin de la pollinisation par des insectes, alors que seulement 28 plantes cultivées, les céréales par exemple, ne sont pas concernées par ce service. En termes de volume de production, ces chiffres sont un peu différents puisque les 28 plantes qui n’ont pas besoin de pollinisation représentent tout de même 60 % de la production alimentaire contre 35 % pour les plantes entomophiles. Pour les 5 % restants, la situation reste indéterminée. Les auteurs concluent que les pollinisateurs dans leur ensemble sont une ressource essentielle du milieu agricole et que le paysage doit être géré en tenant compte de leur diversité. Dans ce cadre, il apparait que la diversité des abeilles sauvages pollinisatrices est directement influencée par le type de système agricole (diversité plus élevée en agriculture biologique vs agriculture conventionnelle) et ensuite par l’hétérogénéité du paysage (Holzschuh et al., 2007). La lutte biologique par conservation est un autre service rendu par la biodiversité en milieu agricole. Par exemple, Langer et al. (2004) et Levie et al. (2004) ont montré que les bandes herbeuses le long des cultures de céréales servaient de réservoir de parasitoïdes de pucerons et contribuaient à réduire significativement la population de pucerons dans les champs de froment adjacents par rapport à des champs non équipés de bordures herbeuses.
8Actuellement, les surfaces agricoles occupent environ 45 % du territoire wallon, ce qui correspond plus ou moins à la moyenne sur le territoire de l’Europe des 27. Cette emprise territoriale ainsi que la dépendance de nombre d’espèces à l’espace agricole font de ce milieu un enjeu majeur pour la conservation de la biodiversité en Europe occidentale, justifiant la mise en place de plans visant à protéger la biodiversité agricole dans la plupart des pays de l’Union (Benton et al., 2003 ; Billeter et al., 2008). Car si la biodiversité des milieux agricoles est élevée et spécifique, elle est aussi fortement menacée. Dans les dernières décennies, beaucoup d’espèces autrefois communes dans l’espace agricole ont fortement décliné ou ont disparu suite à l’instauration, notamment du fait de l’impulsion donnée dans les premières moutures de la PAC, de formes plus intensives d’agricultures qui ont conduit au déclin des éléments semi-naturels des paysages (Krebs et al., 1999 ; Robinson et al., 2002). Les éléments semi-naturels dans les paysages agricoles comprennent les éléments non-cultivés ou cultivés de manière extensive, où la flore et la faune spontanées trouvent de meilleures conditions de développement que dans les surfaces adjacentes, cultivées intensivement. Il peut s’agir de surfaces telles que les prairies extensives, les marais, les bosquets, d’éléments linéaires tels que les haies, les bords de chemin, les lisières ou même d’éléments ponctuels comme les mares (Hietala-Koivu et al., 2004 ; Grashof-Bokdam et al., 2005). La présence de ces éléments semi-naturels mais également leur complémentarité déterminent fortement la biodiversité des paysages agricoles. Billeter et al. (2008) ont montré que la richesse en espèces pour de nombreux groupes taxonomiques augmentait avec la proportion de surface occupée par les éléments semi-naturels. Augmenter la proportion des surfaces d’habitats semi-naturels se présente dès lors comme une stratégie cohérente en termes de conservation de la biodiversité dans les paysages agricoles.
9Même s’il n’est plus à prouver que la biodiversité subit une dégradation importante liée au système agricole, il est important de rappeler que le contexte dans lequel évoluent les agriculteurs aujourd’hui est difficile et soumis à de nombreuses pressions. La volatilité des prix, les exigences en termes de pratiques et de qualité des produits pour le consommateur et les contraintes liées à la conservation de l’environnement rendent le contexte agricole actuel instable et imprévisible. Il faudra donc permettre aux agriculteurs de continuer à produire tout en conservant les ressources naturelles afin d’atteindre un seuil de durabilité le plus important possible dans un avenir proche.
3. État des lieux en Wallonie
10Depuis les années 1990, les réformes successives de la Politique Agricole Commune (PAC), ainsi que d’autres directives européennes (notamment la directive-cadre sur l’eau et les directives à la base de Natura 2000) ont contribué à une prise en compte de plus en plus importante des aspects environnementaux en agriculture. En 2000, les mesures agro-environnementales (MAE), imaginées dès la réforme de la PAC de 1992, deviennent une partie intégrante de la politique de développement rural, deuxième pilier de la PAC. En 2005, le système de « conditionnalité » voit le jour, liant l’octroi des aides au respect de deux volets : les « exigences règlementaires en matière de gestion » (ERMG) et « les bonnes conditions agricoles et environnementales » (BCAE). L’imposition de 7 % de surface d’intérêt écologique proposée pour la réforme de 2014 est donc une étape supplémentaire dans ce processus.
11Le point de départ pour atteindre ces 7 % de surface d’intérêt écologique n’est toutefois pas de 0 %. En effet, il préexiste dans le paysage agricole wallon un certain nombre d’éléments qui peuvent y contribuer tels que les haies, les arbres isolés, les talus, les prairies extensives, les aménagements réalisés dans le cadre des mesures agro-environnementales, etc. À ce stade des discussions, il subsiste entre autres incertitudes celle de savoir quelles surfaces seront éligibles pour atteindre ces 7 %. Cependant, sur base des divers scénarios envisageables, la part de la superficie agricole utile exerçant une influence a priori favorable sur la biodiversité en Wallonie atteindrait 3,8 %1 à 5,6 %2, soit 4,3 % en moyenne (intervention d’ A. Le Roi et M. de Tillesse, sur base du parcellaire agricole 2010). Cette moyenne encourageante cache toutefois une grande disparité qui existe entre les régions agricoles et les exploitations. En effet, certaines communes, notamment au sud du territoire, sont déjà relativement bien couvertes par des surfaces favorables à la biodiversité. Inversement, les communes au nord du sillon Sambre-Meuse ont des couvertures le plus souvent inférieures à 3 %, nombre d’entre elles n’atteignant même pas 1,5 % (Figure 1). C’est toutefois du point de vue des exploitations que l’effort à faire se mesure le mieux, puisque seuls 17 % des 15 000 exploitations agricoles de Wallonie (valeur approximative) atteignent le seuil des 7 % à l’heure actuelle (Figure 2). Il faut toutefois noter que cette estimation est relativement pessimiste car certains inventaires doivent encore être complétés et d’autres éléments pourraient venir s’ajouter à la liste d’éléments éligibles.
12Par ailleurs, l’imposition de 7 % de surface d’intérêt écologique aura pour effet de modifier la conditionnalité pour l’octroi des aides du premier pilier de la PAC. L’intervention de G. Henrard et N. Perelmuter avait pour objectif d’exposer les conséquences attendues de cette modification. D’une manière générale, l’ensemble des mesures prises par l’agriculteur pour répondre aux critères de conditionnalité des aides du premier pilier (liées à la production) ne peuvent être subsidiées. Or, sur le plan purement quantitatif, une partie des surfaces favorables à la biodiversité est actuellement concernée par les aides du deuxième pilier de la PAC (MAE haies, tournières, etc). Dans un scénario possible où ces éléments seraient intégrés à la conditionnalité par le biais du verdissement, la légitimité des paiements liés au deuxième pilier serait levée. Reste que sur le plan qualitatif, les cahiers des charges « verdissement » et « MAE » pourraient différer, ce qui justifierait le maintien d’une partie des aides MAE. De fait, le montant de ce type d’aides, conséquent pour le monde agricole wallon (30 millions d’euros par an, à comparer aux 300 millions d’euros du premier pilier) est justifié par le manque à gagner dû à la perte de surface cultivée (qui serait semblablement concerné par le verdissement) et par le cout du travail de mise en œuvre et de gestion (entretien, renouvellement des couverts, etc.). Seule la partie de la subvention justifiée par des contraintes allant au-delà du simple maintien de la surface et du cahier des charges lié au verdissement pourrait ainsi être subsidiée. En conséquence, une réduction du montant du paiement ou, a contrario, un renforcement des éléments du cahier des charges des mesures agro-environnementales justifiant l’intervention devra être envisagé.
4. Expériences à l’étranger
13Bien que, par de nombreux aspects, le cas de la Politique Agricole Suisse diffère des propositions de la Commission européenne, il représente tout de même un exemple concret de mise en application d’une politique de verdissement. En effet, de la même façon que dans la proposition de la Commission, la politique suisse prévoit de réserver 7 % de la SAU à des éléments favorables à la biodiversité. Depuis 1993, la fourniture de prestations d’intérêt public et environnemental par l’agriculture était encouragée en Suisse au moyen d'incitants financiers. À partir de 1999, elles deviennent une condition à l’octroi des aides de la Politique Agricole Suisse au travers des « prestations écologiques requises » (PER). Les exigences PER découlent des principes de la production intégrée et comprennent de multiples ordonnances, dont le maintien d’une part adéquate (7 %) de surfaces de compensation écologique (SCE). Cette surface de compensation écologique vise à préserver et, si possible, à élargir l’espace vital de la faune et de la flore suisses dans les régions agricoles. Elle contribue également au maintien des structures et des éléments typiques du paysage. De nombreux éléments y sont éligibles tels que les prairies extensives, les haies, les jachères florales, les vergers fruitiers haute-tige par exemple. Les agriculteurs choisissent un ou plusieurs éléments éligibles qu’ils s’engagent à mettre en place sur leurs terres (y compris les prairies dans le cas de la Suisse) pour couvrir la part requise de 7 % de la surface agricole. Afin de favoriser la qualité biologique des SCE, les exploitants agricoles peuvent également choisir de s’engager dans des actions allant au-delà des dispositions légales générales et des PER. Ces actions consistent principalement à orienter le choix des SCE afin d’en optimiser la qualité biologique et la mise en réseau. Dans ce cas, l’État peut octroyer des incitations financières supplémentaires, payées à 80 % par la Confédération, les 20 % restants devant être pris en charge par des tiers (cantons, communes, particuliers, organismes).
14En France, la conditionnalité agricole impose déjà que 3 % de la SAU soit couvert de Surface Équivalente Topographique (SET). S’agissant de surface équivalente, cela s’oppose à la surface réelle. Ainsi, dans le système français, chaque élément éligible voit, selon le type d’élément, sa présence, sa longueur ou sa surface réelle convertie en surface équivalente : un arbre isolé équivalant à 50 m², 100 m de lisière forestière comptant pour 1 ha et 1 ha réel de vergers haute-tige comptant pour 5 ha équivalents, etc. L’obligation est donc peu ou pas contraignante, la plupart des exploitations atteignant les seuils imposés a priori. En conséquence, elle ne permet pas d’impacter favorablement les pratiques et systèmes agricoles. Notons que sur base de ce scénario, la situation wallonne serait idyllique : près de 50 % de la SAU serait ainsi officiellement favorable à la biodiversité, ce qui est bien loin de la vérité, comme le prouvent les courbes de tendance en chute libre des populations d’oiseaux des champs et autres indicateurs pointés par la Commission européenne. Il serait toutefois hâtif de rejeter l’idée d’équivalence de surface sur la seule base du cas français. En effet, l’approche suisse consistant à l’inverse à considérer que toute surface a la même valeur ne semble pas idéale non plus. Elle n’incite, en effet, pas forcément à mettre prioritairement en défens les éléments biologiquement les plus intéressants. La solution suisse à ce problème a été d’imaginer les mesures supplémentaires, notamment afin de mettre en réseau les SCE. L’amélioration du système d’équivalence français pourrait être une alternative.
5. Questions et réflexions suscitées au cours de la journée
15Afin de bien situer l’enjeu d’attribuer 7 % des terres sous labours à des surfaces d’intérêt écologique, le contexte agricole a été largement rappelé lors des interpellations de la journée. L’évolution des différentes politiques agricoles dans le temps a poussé les agriculteurs à prendre des décisions en faveur de rendements maximum. Les agriculteurs sont face à des enjeux économiques vitaux de rentabilité de leur exploitation et de production alimentaire, et doivent également prendre en compte certains enjeux sociétaux comme l’environnement, la production d’énergie. Il est donc normal que la remise en question de l’usage agricole de surfaces exploitables suscite des réactions. Cependant, même si le contexte socio-économique de l’agriculture est aujourd’hui difficile, une intégration de certaines exigences environnementales au sein des surfaces agricoles doit être vue comme un bénéfice à long terme, comme un gage de durabilité de l’agriculture européenne et pas uniquement comme une contrainte associée à une diminution de la production. L’étude des services écosystémiques rendus par les surfaces d’intérêt écologique, en vue de les maximiser, est certainement une voie qui permettra de rendre la démarche plus acceptable par les agriculteurs, notamment si ces services sont en faveur de l’agriculture elle-même (pollinisation des cultures, contrôle des ravageurs, etc.). Il importe aussi d’intégrer les agriculteurs dans les prises de décision, de travailler en étroite collaboration avec eux et de les informer afin de prendre en compte leurs réalités locales et quotidiennes et de les responsabiliser, ainsi que de valoriser les services rendus par les agriculteurs à la biodiversité et à la société.
16Ensuite, au-delà des aspects quantitatifs, les questions des besoins d’efficacité des surfaces d’intérêt écologique et de leur suivi ont été largement soulevées par le public. Cela implique que des objectifs soient définis dès le départ en fonction d’enjeux clairement identifiés (conservation d’une espèce/d’un habitat phare, lutte contre les changements climatiques, protection des eaux), l’importance de ces enjeux pouvant être différente selon les localités. Les actions mises en œuvre doivent, au vu des connaissances les plus avancées sur le sujet, permettre de tendre vers ces objectifs, tout en tenant compte des contraintes de terrain. Enfin, il est essentiel d’assurer un suivi, selon des indicateurs pertinents au vu des objectifs, afin de vérifier l’efficacité des mesures prises. La définition de ces indicateurs et la méthodologie à adopter pour y arriver sont des défis essentiels pour la recherche dans l’immédiat (Piorr, 2003). Le suivi doit permettre, si nécessaire, d’adapter les mesures (quantité et qualité) et/ou les objectifs si ceux-ci s’avèrent irréalistes.
17Les participants à la journée n’ont pas non plus manqué de rappeler que le secteur agricole ne doit pas être considéré comme unique responsable de la dégradation de l’environnement. La société en général et certains secteurs en particulier (urbanisme, infrastructures, industries) ont également un rôle important à jouer dans la préservation de l’environnement. Des efforts importants sont donc également à réaliser en parallèle par ces autres secteurs. De même, la voie de l’imposition règlementaire ne doit pas être considérée comme la seule manière de faire changer les choses. Par exemple, la certification environnementale ou la reconnaissance des systèmes agricoles à haute valeur naturelle permettraient, en associant les industriels et les consommateurs, de pousser les agriculteurs vers une meilleure prise en compte de l’environnement.
18Enfin, il s’agira de se méfier des effets pervers auxquels pourrait mener l’imposition de 7 % de surfaces d’intérêt écologique. Le risque d’initier une spéculation artificielle sur les terrains à haut potentiel biologique a notamment été soulevé lors de la journée. D’une manière générale, il faudra s’assurer, lors de la mise en œuvre au niveau régional, que les choix réalisés ne soient pas contradictoires avec d’autres mesures en faveur de l’environnement ou de la durabilité de l’agriculture.
6. Conclusion
19La biodiversité subit aujourd’hui une dégradation importante, liée entre autres à l’intensification de la production suite aux orientations prises par la PAC lors des dernières décennies (homogénéisation des paysages, augmentation de la taille des parcelles, intensification de la production en prairie avec des cycles courts, etc.). D’une manière globale, il existe une réelle opportunité, via la nouvelle réforme de la PAC, d’améliorer l’état de la biodiversité dans les milieux agricoles. En effet, certains arguments scientifiques explicitent la nécessité de réserver une partie de la surface agricole à la nature, afin d’y préserver la biodiversité. Mais ce n’est pas seulement la surface qui importe, mais également la qualité des espaces réservés qui, ensemble, permettront une optimisation. Pour réserver 7 % de l’espace agricole à la nature, l’effort à fournir, notamment de la part des agriculteurs, ne doit pas être négligé. D’autant plus que d’autres enjeux de société, tels que le développement urbain, sont aussi demandeurs de surfaces. Par ailleurs, il faut être particulièrement attentif à ne pas mettre les exploitations agricoles en danger financièrement et à accorder aux agriculteurs une reconnaissance sociale pour l’effort fourni. Afin de mener à bien un tel projet, il s’agira dès lors d’être créatif et de trouver des compromis, afin que tous les acteurs de la société puissent y trouver leur compte. Les exemples de pays voisins, notamment la France et la Suisse, mais pas uniquement, offrent déjà une palette d’exemples de mesures à suivre ou à ne pas suivre. L’enjeu se situe dans les mesures concrètes qui seront issues de la prochaine réforme de la PAC, plus que dans la réforme elle-même. La réussite passe par la mise en œuvre de mesures pertinentes, tant sur le plan économique qu’environnemental et social, afin que l’agriculture en ressorte plus durable et que l’érosion de la biodiversité soit stoppée.
20Remerciements
21Cette conférence a été organisée avec le soutien du Service public de Wallonie, Direction Générale de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et de l’Environnement, Département de la Ruralité et des Cours d’eau.
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